CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 15 mai 2013, n° 09-24687
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Bijoux GL (SARL), Mondial Bijoux (SAS)
Défendeur :
Dafna Designs (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Cocchiello
Conseillers :
Mmes Luc, Pomonti
Avocats :
Mes Bodin Casalis, Mathieu, Le Quintrec, Flauraud, Wilmet
Les sociétés Bijoux GL et Mondial Bijoux sont deux sociétés de droit français, filiales de la société Etablissements Georges Legros dont l'activité est la fabrication et la distribution de bijoux.
La société Dafna Designs est une société de droit anglais spécialisée dans la distribution de bijoux de fantaisie au Royaume-Uni.
Depuis août 1998, la société Dafna Designs distribue les produits de la société Bijoux GL pour les marques Yves Saint Laurent, Ted Lapidus, Kenzo, Christian Lacroix et Altesse. La société Dafna Designs distribue également depuis 2001 les produits de Thierry Mugler acquis auprès de la société Mondial Bijoux.
Le 3 juin 2003, les sociétés Bijoux GL et Mondial Bijoux ont signé des contrats dictincts de distribution pour chacune des marques Kenzo, Ted Lapidus et Altesse. La société Dafna Designs a continué à distribuer les produits Yves Saint Laurent sans contrat écrit.
La distribution des produits Christian Lacroix et Thierry Mugler proposés par la société Mondial Bijoux n'a pas fait l'objet d'un contrat écrit entre les parties.
Les 23 février et 2 mars 2005, la société Bijoux GL mettait en demeure la société Dafna Designs de régler ses factures.
Le 10 mars 2005, les sociétés Bijoux GL et Mondial Bijoux décidaient de mettre un terme aux relations commerciales avec la société Dafna Designs avec effet au 30 juin 2005.
Par acte du 19 février 2007, les sociétés Bijoux GL et Mondial Bijoux ont assigné la société Dafna Designs devant le Tribunal de commerce de Paris en demandant sa condamnation au paiement du solde des factures, augmenté des intérêts au taux légal à compter du 3 mars 2006 et au versement d'une somme de 10 000 euros à chacune en réparation de leur préjudice résultant de la résistance abusive de la défenderesse.
Par jugement rendu le 22 octobre 2009, le Tribunal de commerce de Paris a :
- condamné la société Dafna Designs à payer à la société Bijoux GL la somme de 35 211,81 euros et à payer à la société Mondial Bijoux la somme de 34 167,98 euros, ces deux sommes étant augmentées de une fois et demi les intérêts au taux légal à compter du 3 mars 2006 ;
- condamné la société Bijoux GL à verser à la société Dafna Designs la somme de 200 000 £ (ou sa contrepartie en euros suivant la parité existante le jour où le règlement est prononcé) à titre de dommages et intérêts ;
- condamné in solidum les sociétés Bijoux GL et Mondial Bijoux à verser à la société Dafna Designs la somme de 10 000 £ (ou sa contrepartie en euros suivant la parité existante le jour où le règlement est prononcé) à titre de dommages et intérêts ;
- ordonné la compensation entre les sommes jusqu'à concurrence de leurs quotités respectives ;
- ordonné l'exécution provisoire à charge pour la société Dafna Designs de fournir une caution bancaire chez une banque établie en France couvrant en cas d'exigibilité de leur remboursement éventuel toutes les sommes versées en exécution du jugement plus les intérêts éventuellement courus sur ces sommes ;
- dit n'y avoir lieu à article 700 ;
- condamné les sociétés demanderesses à supporter in solidum les dépens.
Les sociétés Bijoux GL et Mondial Bijoux ont interjeté appel du jugement le 3 décembre 2009.
Par conclusions signifiées le 4 janvier 2012 auxquelles il y a lieu de se référer pour l'exposé plus ample des moyens, les sociétés Bijoux GL et Mondial Bijoux demandent à la cour de :
- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
* condamné la société Dafna Designs à payer à la société Bijoux GL la somme de 35 211,81 euros en paiement des factures restant dues, augmentée des intérêts au taux de 1,5 fois le taux de l'intérêt légal conformément aux termes des contrats et conditions de la société Bijoux GL, et ce depuis le 3 mars 2006 ;
* condamné la société Dafna Designs à payer à la société Mondial Bijoux la somme de 34 167,98 euros en paiement des factures restant dues, augmentée des intérêts au taux de 1,5 fois le taux de l'intérêt légal conformément aux termes des contrats et conditions de la société Bijoux GL, et ce depuis le 3 mars 2006 ;
* ordonné la capitalisation des intérêts ;
- Réformer le jugement pour le surplus ;
Et, statuant à nouveau :
- condamner la société Dafna Designs à payer à la société Bijoux GL la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice résultant pour elle de la résistance abusive de la société Dafna Designs ;
- condamner la société Dafna Designs à payer à chacune des sociétés demanderesses la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.
Par conclusions signifiées le 14 janvier 2011 auxquelles il y a lieu de se référer pour l'exposé plus ample des moyens, la société Dafna Designs demande à la cour de :
- prononcer la condamnation solidaire des sociétés Bijoux GL et Mondial Bijoux à lui payer les sommes suivantes, à augmenter des intérêts judiciaires à compter de la date de la résolution fautive :
* £ 252 905 (à convertir au cours du jour du jugement à intervenir) au titre des contrats écrits résiliés (marques Kenzo, Ted Lapidus et Altesse) ;
* £ 18 656 (à convertir au cours du jour du jugement à intervenir) au titre de la relation d'affaires rompue (marques Thierry Mugler et Christian Lacroix) ;
* 10 000 euros en raison de son préjudice moral ;
- ordonner la compensation entre les sommes précitées et les sommes dont elle est encore redevable envers les sociétés Bijoux GL et Mondial Bijoux ;
- condamner les sociétés Bijoux GL et Mondial Bijoux à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Sur ce
1) Sur la rupture :
Considérant que le 23 février 2005 et le 2 mars 2005, la société Bijoux GL mettait en demeure la société Dafna Designs de payer des factures exigibles et restées, selon elle, impayées à leur échéance, que le 10 mars 2005, que le "Groupe GL" adressait à la société Dafna Designs une lettre de résiliation "du contrat" ("the contract is now broken") au visa de l'article 19 du "contrat", en raison de l'absence de paiement dans le délai de 48 heures à compter de la réception de la lettre du 2 mars 2005 des sommes réclamées,
Considérant que nul ne conteste que la volonté de résilier manifestée par les appelantes dans ce courrier ainsi adressé à la société Dafna Designs concerne tous les contrats de distribution en cours d'exécution existant entre les parties,
Considérant que la société Dafna Designs a pendant plusieurs années distribué des bijoux pour le compte de la société Bijoux GL et pour le compte de la société Mondial Bijoux, toutes deux filiales de la société "Etablissements Georges Legros" (groupe GL), qu'elles ont officialisé ces relations par la signature, le 3 juin 2003, de trois contrats concernant la distribution des bijoux "Kenzo", "Ted Lapidus" et "Altesse" pour lesquels la société Bijoux GL a les droits et licences qui diffèrent selon les "marques donneuses de licence", que la distribution des autres produits ne donnait pas lieu à la signature d'un contrat avec Bijoux GL, s'agissant des bijoux "Yves Saint Laurent", ou avec Mondial Bijoux pour les produits "Thierry Mugler" et "Christian Lacroix",
Considérant que ces divers éléments traduisent l'existence de relations commerciales entretenues par les parties depuis de nombreuses années,
Considérant qu'il peut être mis fin aux relations commerciales à tout moment, dès lors que se trouve respecté un délai de préavis suffisant, qu'il n'y a pas lieu à préavis si l'une des parties manque gravement à ses obligations,
Considérant que la résiliation du "contrat" est invoquée pour défaut de paiement et retard dans les paiements,
Considérant que la société Dafna Designs reconnaît ne pas avoir payé ce qui était dû à l'échéance, quand bien même elle soutient qu'il s'agit de sommes et de retards peu importants (il restait dû à la première mise en demeure du 23 février 2005 la somme de 22 958,92 euros et lors de celle du 2 mars 2005 celle de 13 602 euros) et soutient que les appelantes avaient accepté ce mode de fonctionnement de sorte que le motif invoqué est un prétexte pour mettre fin à leurs relations, puis qu'elles souhaitaient reprendre la distribution tout du moins des produits "Ted Lapidus" et "Altesse" 'pour leur compte ou par l'intermédiaire d'un autre distributeur,
Considérant toutefois que la société Bijoux GL, qui a certes a signé les trois contrats de distribution alors qu'elle avait déjà rencontré des difficultés de paiement avec la société Dafna Designs n'est pas pour autant présumée avoir renoncé à se prévaloir des dispositions des articles 14 et 19 insérées dans ces trois contrats étant rappelé à cet égard que les parties avaient bien convenu (article 14) que le retard dans le paiement était un "manquement grave", qu'il en va de même pour la distribution des autres marques pour lesquels aucun contrat n'a été signé, les appelantes n'étant pas présumées avoir renoncé à demander que les délais de paiement soient respectés, d'autant plus que les incidents de paiement ont été réguliers au cours des dernières années et que les sociétés appelantes ont instamment rappelé à la société Dafna Designs ses obligations de paiement par courriel notamment d'avril, septembre, octobre 2003,
Considérant alors que la rupture des relations commerciales pour les motifs invoqués par les appelantes était justifiée par les manquements de la société Dafna Designs, qui ne peut invoquer les dispositions de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce et prétendre obtenir sur ce fondement une indemnité pour la brutalité de la rupture,
Considérant qu'il y a lieu de débouter la société Dafna Designs de ses demandes d'indemnisation pour rupture des relations entre les parties,
2) Sur le paiement des factures et les sommes effectivement dues :
Considérant que les sommes demandées par les sociétés appelantes s'élèvent à 35 211,81 euros pour la société Bijoux GL et 34 167,98 euros pour Mondial Bijoux que la société Dafna Designs reconnaît devoir sauf à vouloir déduire de la somme réclamée par Bijoux GL la valeur du stock qu'elle lui a retourné, outre une somme de 3 732,82 euros correspondant à la moyenne annuelle des frais de publicité et de salons engagés en 2003 et 2004, ainsi qu'une note de crédit "oubliée" de 1 282,83 euros et à déduire de la seconde facture la somme de 1 280,58 euros,
Considérant pour ce qui concerne les sommes dues à Bijoux GL, que la société Dafna Designs a retourné à la société Bijoux GL un stock de produits pour un montant de 10 359,39 euros que Bijoux GL a accepté de reprendre à 50 % de sa valeur, qu'il doit en être tenu compte ; qu'en revanche, il n'y a pas lieu de déduire quoi que ce soit au titre d'une moyenne des frais de publicité et de salon exposés en 2003 et 2004 dans la mesure où elle a en sa qualité de distributeur l'obligation de faire la promotion des produits et dans la mesure où la rupture lui est imputable ; que rien ne justifie l'existence d'une note de crédit de 1 282,83 euros ; que la société Dafna Designs versera à la société Bijoux GL la somme de 30 032,12 euros,
Considérant pour ce qui concerne la somme demandée par Mondial Bijoux, que la société Dafna Designs n'explique pas pour quelles raisons elle sollicite la déduction d'une somme de 1 280,58 euros ; que la société Dafna Designs versera à la société Mondial Bijoux la somme de 34 167,98 euros,
Considérant que dans la mesure où les sommes dues ne sont pas individualisées, dans la mesure où les conditions générales de vente des deux sociétés appelantes ne sont pas versées aux débats, il n'y a pas lieu d'appliquer la majoration d'intérêts sollicitée ; que les sommes porteront intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 3 mars 2006, que les intérêts seront capitalisés dans les conditions de l'article 1154 du Code civil,
3) Sur les dommages-intérêts demandés par les appelantes :
Considérant que la résistance de la société Dafna Designs apportée aux demandes des appelantes ne caractérise pas une faute de sa part, qu'il n'y a pas lieu à dommages-intérêts,
Par ces motifs : LA COUR : Infirmant le jugement, Déboute la société Dafna Designs de ses demandes, Condamne la société Dafna Designs à payer à la société Bijoux GL la somme de 30 032,12 euros outre les intérêts au taux légal à compter du 3 mars 2006, Condamne la société Dafna Designs à payer à la société Mondial Bijoux la somme de 34 167, 98 euros outre les intérêts au taux légal à compter du 3 mars 2006, Dit que les intérêts sur ces sommes seront capitalisés dans les conditions de l'art 1154 du Code civil, Déboute les sociétés Bijoux GL et Mondial Bijoux de leur demande de dommages-intérêts, Condamne la société Dafna Designs à payer à la société Bijoux GL la somme de 3 000 euros au titre de l'indemnité pour frais irrépétibles, Condamne la société Dafna Designs à payer à la société Mondial Bijoux la somme de 3 000 euros au titre de l'indemnité pour frais irrépétibles, Condamne la société Dafna Designs aux entiers dépens qui seront recouvrés avec le bénéfice des dispositions de l'art 699 du Code de procédure civile.