CA Versailles, 12e ch., 14 mai 2013, n° 11-05310
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Adiauto (SARL)
Défendeur :
Angeletti He Hijos (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Rosenthal
Conseillers :
Mmes Brylinski, Orsini
Avocats :
Mes Minault, Zeidenberg, Dupuis, Larue
Vu l'appel interjeté le 7 juillet 2011, par la société Adiauto d'un jugement rendu le 14 juin 2011 par le Tribunal de commerce de Nanterre qui a :
* condamné la société Angeletti He Hijos à payer à la société Adiauto la somme de 2 510,64 euros aves intérêts au taux légal à compter du 10 décembre 2009, au titre de livraison de marchandises défectueuses et non conformes,
* débouté la société Adiauto de sa demande en paiement de la somme de 258 400 euros au titre de la rupture brutale des relations commerciales,
* débouté la société Adiauto de sa demande de paiement de la somme de 1 500 euros au titre du préjudice moral,
* débouté la société Adiauto de sa demande de paiement de la somme de 118 548 euros pour le préjudice subi au titre d'actes de concurrence déloyale,
* débouté la société Adiauto de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
* condamné la société Angeletti He Hijos aux dépens ;
Vu les dernières écritures en date du 4 juin 2012, par lesquelles la société Adiauto demande à la cour, outre divers dire et juger, de :
* confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a condamné la société Angeletti He Hijos, à lui payer la somme de 2 510,64 avec intérêt au taux légal à compter du 10 décembre 2009, au titre de la livraison de marchandises défectueuses et non-conformes,
* y ajoutant, ordonner la capitalisation des intérêts échus en application de l'article 1154 du Code civil,
L'infirmer pour le surplus, et statuant à nouveau,
* condamner la société Angeletti He Hijos à lui payer la somme de 258 400 euros au titre de la rupture brutale des relations commerciales,
* condamner la société Angeletti He Hijos à lui payer la somme de 1 500 euros au titre du préjudice moral subi du fait du détournement de clientèle,
* condamner la société Angeletti He Hijos à lui payer la somme de 118 548 euros pour le préjudice subi au titre de la faute constitutive d'un acte de concurrence déloyale,
* condamner la société Angeletti He Hijos au paiement de la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens ;
Vu les dernières écritures en date du 8 février 2013, aux termes desquelles la société Angeletti He Hijos prie la cour, outre divers dire et juger, de :
sur la demande de remboursement de pièces non-conformes ou défectueuses :
* infirmer le jugement et débouter la société Adiauto de sa demande d'indemnisation de la somme de 2 510,64 euros,
sur la prétendue rupture brutale de relations commerciales :
* débouter la société Adiauto de sa demande au titre de l'article L. 442-6-I, 5° du Code de commerce,
sur le comportement déloyal,
* débouter la société Adiauto de sa demande fondée sur la prétendue tentative de détournement de clientèle,
* débouter la société Adiauto de sa demande d'indemnisation résultant de la prétendue transmission des références d'homologation,
* condamner la société Adiauto au versement de la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens de la procédure ;
Sur ce, LA COUR,
Considérant que, pour un exposé complet des faits et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties ; qu'il convient de rappeler que :
* la société Angeletti He Hijos est une société argentine qui fabrique et exporte des pièces détachées pour voitures et notamment des pièces détachées de 2CV,
* la société de droit français, Adiauto, a pour activité le négoce de pièces détachées automobiles,
* les premiers échanges commerciaux entre la société Angeletti He Hijos et la société Adiauto ont eu lieu en 1999,
* en juin 2007, la société Adiauto a relevé un phénomène d'oxydation sur certaines pièces ne correspondant pas à la commande,
* le 16 octobre 2007, la société Angeletti He Hijos a offert à la société Adiauto de compenser son préjudice sous la forme d'un avoir à valoir sur la prochaine commande, soit une ristourne de 2 510,64 euros
* en 2007, les parties ont discuté de nouvelles conditions de paiement et de livraison,
* les relations commerciales se sont dégradées,
* c'est dans ce contexte, que le 10 février 2009, la société Adiauto a assigné la société Angeletti He Hijos devant le Tribunal de commerce de Nanterre lui reprochant d'avoir livré des produits non conformes et défectueux à l'occasion de la commande de juin 2007, d'avoir rompu brutalement les relations établies en raison du changement des conditions de paiement et de l'augmentation des prix, d'avoir adopté un comportement déloyal en détournant sa clientèle et en fournissant à des concurrents des références concernant l'homologation de ses pièces détachées ;
Sur la livraison des marchandises non conformes :
Considérant que la société Adiauto sollicite le remboursement de la somme de 2 510,64 euros correspondant au montant sur lequel les parties s'étaient accordées par suite de la livraison expédiée en juin 2007, dont les marchandises se sont avérées défectueuses et non conformes ;
qu'il est acquis aux débats que la société Angeletti He Hijos a proposé à la société Adiauto la déduction d'un avoir de ce montant sur la prochaine commande ;
que la société Angeletti He Hijos soutient que la société Adiauto ayant annulé une commande qui aurait dû être expédiée en janvier 2008 et n'ayant plus donné de nouvelle pour passer de nouvelles commandes, cette dernière est mal fondée à réclamer le remboursement de la somme réclamée ;
Mais considérant que force est de constater, qu'en tout état de cause, cette somme reste due par la société Angeletti He Hijos, de sorte que la décision déférée, qui a condamné celle-ci à payer à la société Adiauto la somme de 2 510,64 euros avec intérêts au taux légal à compter du 10 décembre 2009, date de l'assignation, sera confirmée ;
qu'y ajoutant, il sera fait droit à la demande de capitalisation des intérêts échus dans les conditions de l'article 1154 du Code civil ;
Sur la rupture brutale des relations commerciales :
Considérant que la société Adiauto reproche à la société Angeletti He Hijos d'avoir souhaité retrouver sa liberté pour pouvoir choisir un ou plusieurs autres distributeurs ;
qu'elle invoque les dispositions de l'article L. 442-6 5° du Code de commerce aux termes duquel engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. (...) Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure ;
qu'elle fait valoir que pendant huit ans, les conditions de paiement étaient les suivantes :
- un paiement de 30 à 40 % selon la préparation avancée de la commande puis le solde à la réception de la commande,
- un paiement de 33 % au jour de la commande, 33 % à réception des marchandises et le solde de 30 à 60 jours de la réception ;
qu'elle expose que la société Angeletti He Hijos a cru pouvoir arguer de retards de paiement alors, à supposer même qu'elle ait procédé à un retard de paiement dans les factures n° 213 à 219 du 8 juin 2007 et reçues fin du mois de juillet 2007, que ce retard ne peut qu'être imputé à la négligence de la société Angeletti He Hijos qui ne s'est manifestée qu'à la suite d'un courriel de relance rappelant qu'elle souhaitait effectuer le paiement des dites factures et que l'avoir correspondant aux marchandises défectueuses n'avait pas été effectué ;
qu'elle soutient qu'en décembre 2007, la société Angeletti He Hijos a changé brutalement ses conditions de vente et imposé le paiement de l'intégralité de la marchandise dès la commande, modification nullement justifiée par le contexte économique de l'Argentine ;
qu'elle relate que les parties se sont accordées sur de nouvelles conditions de paiement, le règlement se faisant au comptant par virement à la réception du bill de trading ;
qu'elle expose qu'à la réception de la facture pro-forma émise par la société Angeletti He Hijos le 10 mars 2008, elle a eu la surprise de découvrir une augmentation qui n'était pas prévue, que par courriel du 11 mars 2008, elle a demandé des explications à son fournisseur qui n'a pas daigné répondre ;
qu'elle fait valoir que la rupture des relations commerciales ne repose pas sur de prétendus retards de paiement ou sur un refus de modifier les conditions de paiement mais que le défaut de réponse de la société Angeletti He Hijos est la seule source de rupture de ces relations ;
qu'elle ajoute qu'un mail du 29 août 2008 de la société Angeletti He Hijos adressé à un autre client et des factures établies par cette société démontrent que les conditions de paiement étaient plus avantageuses pour ceux-ci et que la société Angeletti He Hijos a cherché à se débarrasser d'elle dans le seul but de rapprocher d'autres distributeurs ;
Considérant que la société Angeletti He Hijos conteste la responsabilité de la rupture des relations commerciales ;
qu'elle fait valoir que les nouvelles conditions de paiement n'ont pas été imposées mais discutées pendant près de trois mois, que c'est la société Adiauto qui a mis fin aux relations en s'opposant aux nouvelles conditions de paiement et aux nouveaux tarifs pratiqués alors qu'elle payait ses factures hors les délais contractuels, ce qui avait en partie provoqué le changement des conditions de paiement, l'autre raison étant l'inflation élevée en Argentine ;
Considérant qu'il n'est pas sérieusement contesté que la modification des conditions de paiement ne prend pas sa seule source dans les prétendus retard de paiement de la société Adiauto ;
que les correspondances échangées entre les deux sociétés par l'intermédiaire de M. Gutsmuth en attestent ;
que celui-ci par mail du 8 janvier 2008, indique : En ce qui concerne les modalités de paiement, ici aussi avec la meilleure volonté de Angeletti et à cause des conditions d'inflation actuelles en Argentine, il est indispensable de faire le paiement 100 % à l'avance, je sais que c'est difficile à accepter mais actuellement il n'y a pas d'autre option. Angeletti s'engage, si dans le futur les conditions se normalisent, à revenir comme avant. Si on ne peut pas conclure cette commande en janvier et vu la situation avancée de l'inflation locale, Angeletti se réserve l'option de revoir les prix.
En ce qui concerne les formalités de paiement et conditions, il est nécessaire que Adiauto paie d'avance (au mois pour cette expédition, en attendant que les conditions locales changent favorablement) ;
Considérant que la société Adiauto reconnaît, aux termes de ses écritures, que les parties se sont accordées sur les nouvelles conditions de paiement, cette dernière faisant valoir qu'ayant fait preuve d'une souplesse certaine, elle a accepté que le règlement se fasse au comptant par virement, à la réception du bill of lading ;
que dans ces circonstances, il n'est nullement démontré que les nouvelles conditions de paiement relèvent d'une manœuvre délibérée de la société Angeletti He Hijos de rompre la relation commerciale ;
Considérant que dans le même courriel du 8 janvier 2008, M. Gutsmuth a écrit à la société Adiauto : Angeletti a toute la commande prête à l'exception du dernier rajout. Attention le temps est très juste et tu dois confirmer dans la mesure du possible dans les 3 jours, sinon elle restera en instance jusqu'en mars. Le montant à virer est de 63 230 qui se décompose comme suit 65 500,85 + 240 (différence pare-chocs) = 65 740,85 - 2 510,64 = 63 230,21 ;
que M. Gutsmuth a ajouté : Si on ne peut pas conclure cette commande en janvier et vu l'évolution de l'inflation locale Angeletti se réserve l'option de revoir les prix en mars ;
que la société Adiauto n'a répondu que le 11 mars 2008, à la réception d'une facture pro-forma : Nous accusons réception des documents envoyés. Nous vous informons que nous ne pouvons accepter un changement de prix, nous vous avions envoyé notre confirmation le 13 février 2008, alors que vous étiez en congé, ce comportement est anti-commercial. Il existe des obligations du fournisseur envers ses clients et réciproquement (...)
Il y a 3 possibilités :
1) envoi du conteneur sans changement de prix, avec paiement à la réception du BL (Bill of lading)
2) envoi partiel par avion à définir
3) remboursement par voie officielle des pièces non-conformes
Dans l'attente de vos nouvelles ;
Considérant que le tribunal a justement retenu, que la société Adiauto n'avait pas répondu dans les délais requis au courriel de M. Gutsmuth et ne justifiait pas d'un bon de commande, que dans ces conditions, la société Angeletti He Hijos était en droit d'appliquer de nouvelles conditions tarifaires que la société Adiauto pouvait refuser ;
que ce refus de changement de prix a entraîné l'inexécution de la commande, sans faute de la société Angeletti He Hijos ;
que dans ces circonstances, l'absence de réponse de la société Angeletti He Hijos au mail de la société Adiauto du 11 mars 2008, ne caractérise pas une rupture brutale des relations commerciales au sens de l'article L. 442-6 du Code de commerce ;
Considérant que la décision déférée, qui a débouté la société Adiauto de ses prétentions à ce titre, sera confirmée ;
Sur le comportement déloyal reproché à la société Angeletti He Hijos :
Considérant que la société Adiauto reproche à la société Angeletti He Hijos des actes de concurrence déloyale ;
qu'elle fait valoir que celle-ci a démarché, dès le 14 mai 2008, la société Ami de la 2CH dans les termes suivants : J'ai besoin de vous adresser par email pour vous envoyer une plaquette de présentation. Nous avons été en relation il y a quelques mois mais je ne pouvais vous vendre mes produits (engagement avec Adiauto, Monsieur Sam). Nous n'avons plus de relations commerciales et je peux vendre maintenant ;
qu'elle invoque un second mail en date du 8 mai 2008 : Il y a quelques temps, nous avons été en contact par e-mail, si vous êtes intéressés par l'achat de pièces détachées de 2 CH, à ce jour, je peux vous les vendre, car nous n'avons plus de notre part de relations commerciales avec mon intermédiaire (Adiauto) ;
Considérant que la société Adiauto en conclut à la volonté manifeste de la société Angeletti He Hijos à s'approprier sa clientèle ; qu'elle ajoute que le détournement de clientèle est corroboré par des factures produites aux débats ;
or considérant que le caractère déloyal d'un démarchage suppose une prospection active, systématique de la clientèle ou des procédés déloyaux susceptibles de créer une confusion au détriment d'un autre acteur du marché ;
qu'en l'occurrence, la seule communication par la société Angeletti He Hijos à un concurrent de son adresse Internet, la demande de communication de son adresse électronique pour lui envoyer une brochure, dans le cadre d'une relation commerciale non exclusive, ne peuvent caractériser un comportement déloyal ;
Considérant que la société Adiauto reproche encore à la société Angeletti He Hijos d'avoir communiqué à un concurrent des informations prétendument secrètes portant sur les références de l'homologation d'une plate-forme pour laquelle elle a investi du temps et de l'argent ;
Mais considérant qu'il n'est pas sérieusement démenti que la société Angeletti He Hijos a fourni à la société Adiauto les plans du châssis et la description de son processus de fabrication, ainsi que le révèle la signature de Angeletti He Hijos sur les plans, que la société Adiauto s'est chargée de procéder aux formalités administratives d'homologation, laquelle a été obtenue en 2005 ;
qu'en outre, des documents publicitaires édités par la revue "2CV magazine" révèlent que dès 2004, les concurrents de la société Adiauto vendaient déjà des châssis homologués ;
que dès lors, la société Adiauto ne justifie d'aucun acte déloyal imputable à la société Angeletti He Hijos ;
que la décision déférée, qui a rejeté les demandes de la société Adiauto au titre d'actes de concurrence déloyale, sera également confirmée ;
Sur les autres demandes :
Considérant que le premier juge a exactement statué sur le sort des dépens et les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile dont il a fait une équitable application ;
qu'en vertu de ce texte, il y a lieu de faire partiellement droit aux prétentions de la société Angeletti He Hijos, au titre de ses frais irrépétibles exposés à l'occasion de ce recours, contre la société Adiauto qui succombe et doit supporter la charge des dépens d'appel ;
Par ces motifs : Statuant par décision contradictoire, Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré, Y ajoutant, Ordonne la capitalisation des intérêts échus conformément à l'article 1154 du Code civil, Condamne la société Adiauto à payer à la société Angeletti He Hijos la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel, Rejette toutes autres demandes, Condamne la société Adiauto aux dépens d'appel et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.