Cass. com., 14 mai 2013, n° 12-15.534
COUR DE CASSATION
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Sogelink (SAS)
Défendeur :
Sig-image (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Espel
Rapporteur :
Mme Mandel
Avocat général :
M. Mollard
Avocats :
SCP Boré, Salve de Bruneton, SCP Thouin-Palat, Boucard
LA COUR : - Statuant tant sur le pourvoi principal formé par la société Sogelink que sur le pourvoi incident relevé par la société Sig-image ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Lyon, 19 janvier 2012), que la société Sig-image a fait assigner la société Sogelink en nullité de la marque "dict.fr" déposée le 2 octobre 2000 et enregistrée sous le n° 00 3 056 011 ainsi que pour actes de concurrence déloyale ; que la société Sogelink a reconventionnellement sollicité la condamnation de la société Sig-image pour contrefaçon de cette marque et concurrence déloyale ;
Sur le premier moyen du pourvoi principal : - Attendu que la société Sogelink fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande en contrefaçon de marque, alors, selon le moyen, que l'existence d'un risque de confusion dans l'esprit du public doit être appréciée globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce, et notamment de la connaissance de la marque sur le marché ; que les marques qui ont un caractère distinctif élevé, notamment en raison de la connaissance de celles-ci sur le marché, jouissent d'une protection plus étendue ; qu'en écartant l'action en contrefaçon de la marque "dict.fr", dont elle avait reconnu la notoriété acquise par l'usage, lui permettant d'être appropriée à titre de marque, sans prendre en compte la connaissance de la marque "dict.fr" sur le marché, qui renforçait le caractère distinctif de celle-ci, la cour d'appel a méconnu le principe d'appréciation globale du risque de confusion, en violation des articles L. 711-4 et L. 713-3 du Code de la propriété intellectuelle tels qu'ils doivent s'interpréter à la lumière des articles 4 § 1 b) et 5 § 1 b) de la directive CE 89-104 du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques ;
Mais attendu qu'il ne résulte ni de l'arrêt, ni des conclusions de la société Sogelink qu'elle ait soutenu devant la cour d'appel que la connaissance de la marque "dict.fr"sur le marché devait être prise en considération pour apprécier l'existence d'un risque de confusion avec le nom de domaine "dictservices.fr" ; que le moyen, nouveau et mélangé de fait et de droit, est irrecevable ;
Sur le troisième moyen du pourvoi principal : - Attendu que la société Sogelink fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer à la société Sig-image la somme de 80 000 euros en réparation du préjudice causé par la concurrence déloyale, alors, selon le moyen : 1°) que c'est au demandeur à l'action en responsabilité qu'il incombe de rapporter la preuve de la faute commise par le défendeur à l'action ; que le titulaire d'une marque est habilité à interdire à un annonceur de faire, à partir d'un mot clé identique à sa marque que cet annonceur a, sans le consentement dudit titulaire, sélectionné dans le cadre d'un service de référencement sur Internet, de la publicité pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels ladite marque est enregistrée, lorsque ladite publicité ne permet pas ou permet seulement difficilement à l'internaute moyen de savoir si les produits ou les services visés par l'annonce proviennent du titulaire de la marque ou d'une entreprise économiquement liée à celui-ci ou, au contraire, d'un tiers ; qu'en retenant, en l'espèce, que la société Sogelink avait commis une faute en demandant " au prestataire de référencement de " faire les démarches nécessaires pour que son seul site Internet dict.fr sorte sur la requête dict.fr " ", au motif qu'" un tel usage n'est de ceux qu'un titulaire de marque peut interdire qu'aux conditions précédemment rappelées, relatives au fait que la publicité ne permet pas ou ne permet que difficilement d'identifier l'origine de la proposition [et] rien ne permettant de considérer que cette condition est remplie " quand, en sa qualité de demanderesse à l'action en responsabilité, il appartenait à la société Sig-image de démontrer que l'on se trouvait dans une hypothèse dans laquelle le titulaire de la marque n'était pas fondé à interdire l'usage de sa marque, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et a violé l'article 1315 du Code civil ; 2°) que le fait qu'un titulaire de marque ne puisse obtenir judiciairement la condamnation d'un tiers faisant usage de sa marque comme mot-clef du service de référencement de la société Google que dans certaines conditions ne suffit pas à rendre fautif le comportement de ce titulaire consistant à prendre contact avec la société Google pour attirer son attention sur les droits de marque qu'il détient ; que le simple fait d'avoir formulé une demande à cette dernière société qui était parfaitement libre de ne pas y faire droit, ne pouvait constituer une faute ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ; 3°) que les éventuels manquements d'un opérateur économique ne s'apprécient qu'au regard du droit positif existant à l'époque des faits qui lui sont reprochés ; qu'en jugeant que le fait, pour la société Sogelink, d'avoir " demandé au prestataire de référencement de " faire les démarches nécessaires pour que son seul site Internet dict.fr sorte sur la requête dict.fr " ", constituait une faute, après avoir constaté qu'" il a pu pendant un certain temps être considéré que le titulaire de marque disposait d'un tel droit " et que ce n'est qu'après le 23 mars 2010, date à laquelle la CJUE s'est prononcée sur ce point, que les titulaires de marque ont été informés de ce que le succès de leur action à l'encontre des annonceurs réservant leurs marques à titre de mot-clé était subordonné à certaines conditions, la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ; 4°) qu'une faute ne peut être de nature à engager la responsabilité civile de son auteur que sous réserve qu'elle ait causé un dommage à celui qui l'invoque ; qu'en retenant que la société Sogelink avait commis une faute à l'égard de la société Sig-image, de nature à engager sa responsabilité civile à l'égard de cette dernière, en " demand[ant] au prestataire de référencement de " faire les démarches nécessaires pour que son seul site Internet dict.fr sorte sur la requête dict.fr " ", quand la société Sig-image affirmait qu'elle n'avait " à aucun moment [...] utilisé l'adword DICT.fr ", la cour d'appel a violé l'article 1382 du Code civil ; 5°) qu'en tout état de cause, les juges du fond ne peuvent accorder à la victime une indemnisation supérieure à celle qu'elle demandait ; qu'en l'espèce, il résulte des propres constatations de l'arrêt que la société Sig-image avait demandé la condamnation de la société Sogelink à lui payer la somme de 50 000 euros au titre de la concurrence déloyale ; qu'en lui allouant à ce titre la somme de 80 000 euros, la cour d'appel a dénaturé les termes du litige et a violé les articles 4 et 5 du Code de procédure civile ;
Mais attendu, en premier lieu, qu'après avoir rappelé que le titulaire d'une marque est habilité à interdire à un annonceur de faire de la publicité pour des produits ou services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée à partir d'un mot clef identique à ladite marque, dans le cadre d'un service de référencement sur Internet, lorsque ladite publicité ne permet pas ou permet seulement difficilement à l'internaute moyen de savoir si les produits ou les services visés par l'annonce proviennent du titulaire de la marque ou d'une entreprise économiquement liée à celui-ci ou, au contraire, d'un tiers, l'arrêt relève que la société Sogelink, titulaire de la marque, ne justifie pas de l'existence d'un tel risque ; qu'il relève encore qu'en obtenant de la société Google qu'elle supprime le référencement de la société Sig-image sur Internet, la société Sogelink a privé indûment cette dernière d'un moyen d'accéder à une clientèle pour lui proposer son service de remplissage de formulaires par Internet ; que de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu, sans inverser la charge de la preuve, déduire que la société Sogelink avait commis une faute ayant privé la société Sig-image de la possibilité de générer un chiffre d'affaires important et a légalement justifié sa décision ;
Attendu, en deuxième lieu, que l'évolution de la jurisprudence relevant de l'office du juge dans l'application du droit, la société Sogelink ne saurait se prévaloir d'un droit acquis à une jurisprudence figée dès lors qu'elle ne prétend pas avoir été privée du droit à l'accès au juge ;
Et attendu, en troisième lieu, que le prononcé sur des choses non demandées ne constitue pas un cas d'ouverture à cassation, mais une irrégularité qui ne peut être réparée que selon la procédure prévue aux articles 463 et 464 du Code de procédure civile ; d'où il suit que le moyen, qui est irrecevable en sa cinquième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
Sur le premier moyen du pourvoi incident : - Attendu que la société Sig-image fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté la demande en annulation de la marque "dict.fr", alors, selon le moyen : 1°) que l'acquisition du caractère distinctif par l'usage suppose que le signe ait présenté à l'origine un caractère distinctif même faible, l'usage étant impropre à conférer la validité à une marque affectée d'un vice indélébile ; qu'ayant constaté qu'" à la date de son dépôt ce signe [DICT.fr] était purement descriptif de l'ensemble des produits et services désignés ", d'où il s'évince qu'à l'origine, le signe ne présentait aucun caractère distinctif, la cour d'appel, en jugeant néanmoins que " le caractère distinctif peut en pareil cas être acquis par l'usage ", n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations en violation de l'article L. 711-2 du Code de la propriété intellectuelle ; 2°) que pour apprécier l'acquisition du caractère distinctif par l'usage, il faut se placer à la date de la création de l'entreprise de celui qui le conteste et du début de son activité ; qu'en l'espèce, il est constant et non contesté que la société Sig-image a procédé au dépôt de la maque e-DICT auprès de l'INPI le 7 septembre 2006, de sorte que c'est à cette date qu'il convient de se placer pour apprécier l'acquisition du caractère distinctif ; que la cour d'appel s'est fondée, pour caractériser l'acquisition par l'usage, sur des éléments postérieurs au 7 septembre 2006 ; qu'en statuant ainsi, elle a violé l'article L. 711-2 du Code de la propriété intellectuelle ;
Mais attendu qu'un signe, qui a été enregistré comme marque, alors qu'il était dépourvu de caractère distinctif, peut acquérir ultérieurement un tel caractère par l'usage qui en est fait, à titre de marque ; que l'arrêt relève que le signe " dict.fr " a largement et continuellement été exploité, par la société Sogelink, en tant que marque, depuis 2004, pour désigner un service Internet permettant aux entreprises de maîtriser les paramètres de contrôle et d'émission des déclarations imposées légalement pour certains travaux ; que de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu déduire que le signe " dict.fr " avait acquis un caractère distinctif par l'usage ; que le moyen, qui manque en fait en sa seconde branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
Et attendu que le deuxième moyen du pourvoi principal et le second moyen du pourvoi incident ne seraient pas de nature à permettre l'admission de ces pourvois ;
Par ces motifs : Rejette les pourvois principal et incident.