CA Montpellier, 5e ch. A, 7 mai 2013, n° 12-07452
MONTPELLIER
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
3C Services (EURL)
Défendeur :
Point d'encre (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vouaux-Massel
Conseillers :
Mmes Gregori, Conte
Avocats :
SCP Auche Hedou Auche, Mes Slatkin, Bensoussan
EXPOSE DU LITIGE
Le 13 octobre 2009, la société 3C Services signe avec la société Holding EBC Finances, devenue la société Point d'encre, un contrat de concession d'enseigne en vue d'exploiter un point de vente Point d'encre à Argelès-sur-Mer.
Le 19 juillet 2011, la société Point d'encre envoie un courrier à l'EURL 3C Services pour lui rappeler qu'elle n'avait pas déclaré son chiffre d'affaires des mois d'avril, mai et juin, contrairement aux dispositions du contrat.
Le 15 décembre 2011, la société Point d'encre procède à des relances de factures impayées pour un montant total de 395,21 euros, et réclame également les déclarations de chiffre d'affaires des mois de septembre, octobre et novembre 2011.
Le 17 février 2012, l'EURL 3C Services adresse un courrier recommandé à la société Point d'encre à propos d'une machine non réparée et la mettant en demeure de réparer la machine avant le 27 février 2012.
Le 18 février 2012, la société Point d'encre répond à l'EURL 3C Services que des techniciens se sont déplacés au magasin pour réparer la machine. Elle lui confirme également sa proposition d'effectuer l'enlèvement de cette machine pour révision et test au sein des ateliers Point d'encre et lui rappelle que les difficultés techniques rencontrées par le concessionnaire ne conditionnent pas le respect des engagements contractuels de ce dernier.
Par courrier recommandé du 19 mars 2012, l'EURL 3C Services indique ne pas souhaiter reconduire son contrat de concession Point d'encre qui prendra donc fin le 12 octobre 2012.
Le 23 mai 2012, un responsable de la société Point d'encre se déplace au magasin de 3C Services. Ce responsable estime pouvoir constater différents manquements aux engagements contractuels du concessionnaire, notamment sur l'approvisionnement, la gestion commerciale ou encore l'achalandage du magasin.
Le 5 juillet 2012, la société Point d'encre fait assigner l'EURL 3C Services en référé devant le Tribunal de commerce de Perpignan aux fins de voir condamner la société EURL 3C Services au paiement des redevances dues et non déclarées depuis septembre 2011, ordonner la communication des chiffres d'affaires depuis septembre 2011, ordonner la cessation de tout approvisionnement extérieur à la centrale d'achat Point d'encre, ordonner à l'EURL 3C Services le respect de ses engagements contractuels sous astreinte de 1 000 euros par infraction constatée.
Par ordonnance en date du 1er octobre 2012, le juge des référés du Tribunal de commerce de Perpignan :
"Dit que le contrat liant les parties est bien un contrat de concession,
Dit que la saisine du juge des référés est recevable et bien fondée,
En conséquence, s'est déclaré compétent,
Condamné l'EURL 3C Services à payer à titre provisionnel à la société Point d'encre la somme de 506,51 euros au titre d'arriéré des factures de redevance, arrêté à la date du 29 mai 2012.
Condamné l'EURL 3C Services à communiquer à la société Point d'encre tous ses chiffres d'affaires depuis septembre 2011 sous astreinte de 100 euros par jour de retard.
Condamné l'EURL 3C Services à payer à la société Point d'encre à titre provisionnel, à valoir sur les redevances qui découleront de ces déclarations, la somme de 5 000 euros majorée des intérêts contractuels au taux de 12 % l'an,
Débouté la société Point d'encre de sa demande de dommages et intérêts,
Dit que la présente ordonnance est exécutoire sur minute,
Alloué à la société Point d'encre la somme de 750 euros qui lui sera versée par l'EURL 3C Services,
Condamné l'EURL 3C Services aux dépens de l'instance dans lesquels seront compris les frais et taxes y afférents et notamment ceux de greffe liquidés selon tarif en vigueur."
Suivant déclaration en date du 4 octobre 2012, l'EURL 3C Services interjette appel de cette ordonnance de référé.
Par conclusions reçues par voie électronique le 09.11.2012, l'EURL 3C Services, appelante, demande à la cour de :
Infirmer l'ordonnance du juge des référés du tribunal de commerce,
Dire et juger que le juge des référés du Tribunal de commerce de Perpignan était incompétent,
Dire n'y avoir lieu à référé en application de l'article 872 du Code de procédure civile,
Déclarer irrecevables toutes les demandes de la société Point d'encre,
Débouter la société Point d'encre de toutes ses demandes,
Renvoyer en tout état de cause les parties devant le Conseil des prud'hommes de Perpignan à l'effet de statuer sur la qualification du contrat liant les parties.
Condamner la société Point d'encre à payer à l'EURL 3C Services la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Aux moyens que :
L'article L. 7321 du Code du travail dispose que les personnes dont la profession consiste essentiellement à vendre des marchandises fournies exclusivement ou presque par une seule entreprise dans un local fourni ou agréé par elle, sont des gérants de succursales.
En l'espèce, la société 3C Services doit acheter ses marchandises exclusivement auprès de la centrale d'achat de Point d'encre aux tarifs négociés par celle-ci. Le local fait également l'objet d'un agrément par la société Point d'encre, ainsi que cela est spécifié dans le contrat les liant. De même les conditions de vente et de prix sont imposées par la société Point d'encre.
Le juge est souverain dans son pouvoir d'appréciation et de requalification d'un contrat, et doit le faire à partir des contenus des obligations. En l'espèce, toutes les conditions de l'article L. 7321-2 du Code du travail sont remplies, il y a donc lieu de requalifier le contrat de concession en contrat de travail.
La requalification du contrat ne peut être faite que par le conseil des prud'hommes. Le tribunal de commerce est donc incompétent pour entendre de ce contentieux.
Si par extraordinaire la cour ne retenait par la compétence exclusive du conseil des prud'hommes, il conviendrait de retenir qu'il existe une contestation sérieuse en raison du litige sur la requalification du contrat, pour lequel le juge des référés n'est pas compétent, ce dernier étant le juge de l'évidence.
Par conclusions reçues par voie électronique le 30.01.2013 la société Point d'encre, intimée, demande à la cour de :
Confirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions
Y ajoutant,
Condamner la société EURL 3C Services à retirer le mobilier spécifique Point d'encre et à ne plus utiliser les supports marketing Point d'encre sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard et par infraction constatée,
Condamner la société EURL 3C Services à payer à la société Point d'encre la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens,
Condamner la société EURL 3C Services aux entiers dépens avec distraction conforme aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Aux moyens que :
Selon l'article 1134 du Code civil, les parties sont liées par le contrat. En l'espèce, le contrat stipule que le concessionnaire doit communiquer le chiffre d'affaires hors taxe réalisé le mois précédent. La société Point d'encre a dû relancer le concessionnaire sur la communication des chiffres d'affaires mais également sur le paiement des redevances dues. L'EURL 3C Services devra donc être condamnée sous astreinte à justifier de ses chiffres d'affaires et à payer à titre provisionnel l'intégralité des sommes dues.
De plus, l'EURL 3C Services a violé sa clause d'approvisionnement exclusif auprès de la société Point d'encre en commercialisant des produits et prestations de fournisseurs non agrées par l'enseigne. Depuis janvier 2011, 3C Services n'a acheté aucun produit Point d'encre. L'EURL 3C Services ne respectait donc pas avant la fin du contrat son obligation d'exploitation exclusive.
L'EURL 3C n'a pas non plus respecté les conditions de vente liées au respect de l'image de la marque Point d'encre. L'EURL a d'ailleurs déménagé pour continuer la même activité d'une façon extérieure au concept Point d'encre. Toutefois, elle conserve des éléments spécifiques au concept sur son site Internet, entraînant la confusion chez la clientèle.
Cette situation est constitutive d'une trouble manifestement illicite, préjudiciable à la société Point d'encre, ce qui justifie sa demande de cessation immédiate sous astreinte.
L'EURL 3C Services demande la requalification du contrat alors qu'elle a pleinement profité de la notoriété de Point d'encre pour ouvrir une nouvelle boutique, sur le même modèle mais sans payer les redevances.
Il n'existe rien dans le contrat qui puisse permettre de le requalifier, d'autant plus que le concessionnaire est ici libre de ses prix de vente.
Selon la jurisprudence, l'existence d'une clause compromissoire ne peut faire échec au pouvoir du juge des référés en cas d'urgence dûment constatée. En l'espèce, une clause compromissoire était prévue au contrat. Toutefois ici, l'urgence est caractérisée. En effet, depuis la fin du contrat intervenu le 12 octobre 2012, l'EURL 3C Services ne justifie pas avoir retiré le mobilier spécifique Point d'encre outre les supports marketings. Cette violation du concept porte atteinte aux droits de la société Point d'encre qui a tout intérêt à faire cesser au plus tôt ces manquements afin de limiter son préjudice.
MOTIFS DE LA DECISION
Aux termes de l'article L. 7321 du Code du travail, est gérant de succursale et [sic] se voir appliquer les dispositions du Code du travail, dans la mesure de ce qui est prévu au titre II du Livre III, toute personne dont la profession consiste essentiellement à vendre des marchandises fournies exclusivement ou presque par une seule entreprise dans un local fourni ou agréé par elle sont des gérants de succursales.
Il résulte, en l'espèce, du contrat dit de "concession" qui lie les parties, que la société 3C Services doit acheter ses marchandises exclusivement auprès de la centrale d'achat de Point d'encre aux tarifs négociés par celle-ci ; que le local fait également l'objet d'un agrément par la société Point d'encre. De même, la société Point d'encre contrôle les conditions de vente et les prix sont imposés par la publication d'un catalogue que la société 3C Services est obligé de mettre à disposition des clients dans son magasin ainsi que par une publicité sur Internet.
Il s'ensuit que le litige relevait de la compétence du conseil de prud'hommes et que le tribunal de commerce, statuant en référé, ne pouvait en connaître.
La cour étant juridiction d'appel relativement au conseil de prud'hommes, il convient, par application de l'article 79 du Code de procédure civile, de statuer sur la demande tel que l'aurait fait ledit Conseil, statuant en référé, si celle-ci lui avait été présentée.
Or, il ne peut être accordé en référé de provisions à valoir sur les factures de redevances dont la société Point d'encre réclame le règlement à l'EURL 3C Services, que pour autant que l'obligation de paiement ne se heurte à aucune contestation sérieuse.
Or, dès lors qu'en l'espèce, il existe manifestement, au regard notamment des dispositions de l'article L. 7321-2 du Code du travail, une contestation sérieuse quant à la nature exacte du contrat dit "de concession" qui lie les parties, tant le paiement d'une redevance que la mise en œuvre d'obligations de faire (communication des chiffres d'affaires, retrait du mobilier spécifique et non utilisation des supports marketing), sollicités en exécution de ce contrat, se heurtent eux aussi à une contestation sérieuse, de sorte qu'il ne peut y avoir lieu à référé sur les demandes formées par la société Point d'encre.
Il est équitable, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, d'allouer à l'EURL 3C Services une indemnité à titre de participation aux frais non compris dans les dépens qu'elle a dû exposer pour faire assurer sa défense.
DECISION
Par ces motifs : Déclare l'appel recevable en la forme ; Infirme en toutes ses dispositions l'ordonnance de référé rendue le 1er octobre 2012 par le Tribunal de commerce de Perpignan, lequel était incompétent ratione materiae pour connaître du litige ; Et statuant à nouveau par application de l'article 79 du Code de procédure civile, Dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes formées par la société Point d'encre ; Condamne la société Point d'encre à verser à l'EURL 3C Services la somme de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société Point d'encre aux dépens.