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Décisions

CA Toulouse, 2e ch. sect. 2, 14 mai 2013, n° 11-05916

TOULOUSE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Caudis (SAS)

Défendeur :

Ginkgo (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Legras

Conseillers :

M. Delmotte, Mme Salmeron

Avocats :

SCP Boyer & Gorrias, SCP Beaute-Levi, Selarl JC Associés, Me De Lamy

T. com. Montauban, du 2 nov. 2011

2 novembre 2011

La SAS Caudis exploite un supermarché à l'enseigne Super U à Caussade (82) et la SA Ginkgo exploite un supermarché à l'enseigne Intermarché dans la même commune.

En mai 2010 la SA Ginkgo a publié dans un bulletin d'information local (L'info Galu n° 7) publié par l'association des commerçants et artisans caussadais une comparaison de prix de vente pratiqués par les deux surfaces commerciales et censés correspondre à 7 000 produits identiques, réalisée par une société Iri.

Par acte du 24 novembre 2010 la SAS Caudis a, visant l'article L. 121-8 du Code de la consommation relatif à la publicité comparative et une concurrence déloyale, fait assigner la SA Ginkgo devant le Tribunal de grande instance de Montauban aux fins de la voir condamner à lui payer la somme de 600 000 euro de dommages-intérêts ainsi que 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile. La SA Ginkgo concluait au débouté.

Par jugement du 2 novembre 2011 le tribunal a condamné la SA Ginkgo à payer à la SAS Caudis la somme d'1 euro à titre de dommages-intérêts et celle de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

La SAS Caudis a interjeté appel de ce jugement le 12 décembre 2011. Elle a conclu récapitulativement le 29 juin 2012 à la réformation sur le montant des dommages-intérêts en reprenant sa demande chiffrée de première instance. Elle demande 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile. Elle fait valoir pour l'essentiel :

- que l'impact de la parution incriminée sur les consommateurs locaux est certain ;

- que la publicité comparative est en l'espèce illicite car basée sur des données à usage interne et destinées à une information à un instant T, comportant des "caractéristiques comparées" non pertinentes, concernant 7 000 produits dont certains comptés plusieurs fois sur la durée et un échantillon non représentatif de la gamme alimentaire ;

- qu'elle a subi une perte de marge de 471 543 euro sur six mois et une perte d'image importante, peu important de connaître le profit ayant pu en résulter pour l'intimée.

La SA Ginkgo, intimée et appelante incidente, a conclu le 2 mai 2012 à la réformation du jugement et au débouté de l'appelante de toutes ses demandes. Elle demande 6 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile. Elle répond en substance :

- que le comparatif a été réalisé par une société spécialisée sur une même semaine et sur des produits comparables ;

- que seule la société Iri serait recevable à se plaindre d'une violation du contrat les liant du fait de la publicité données à son étude ;

- que sa publicité répond aux critères imposés par la législation et la comparaison a été effectuée à partir du passage en caisse de 7 000 articles sur la période et au surplus cumuler différents relevés sur un même produit ne fait que rendre plus fiable l'analyse statistique ;

- qu'il n'est en rien justifié par l'appelante du préjudice allégué alors que son chiffre d'affaires est à peu près constant d'un mois sur l'autre et en ce qui la concerne la publicité en cause n'a provoqué aucune hausse de chiffre d'affaires, l'atteinte à son image n'étant pas davantage établie.

Motifs et décision

L'article L. 121-8 du Code de la consommation dispose que toute publicité qui met en comparaison des biens ou services en identifiant, implicitement ou explicitement, un concurrent ou des biens ou services offerts par un concurrent n'est licite que si :

1°) elle n'est pas trompeuse ou de nature à induire en erreur ;

2°) elle porte sur des biens ou services répondant aux mêmes besoins ou ayant le même objet ;

3°) elle compare objectivement une ou plusieurs caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives de ces biens et services, dont le prix peut faire partie.

Une publicité fausse ou de nature à induire en erreur peut d'autre part avoir pour effet de détourner la clientèle et constituer un acte de concurrence déloyale justifiant une action fondée sur l'article 1382 du Code civil qui implique cependant que soit rapportée la preuve d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité.

En l'espèce la SA Ginkgo a effectué en mai 2010 une publicité comparative en faisant paraître dans un journal local gratuit un encart sur une demie-page avec, sous l'intitulé "4 bonnes raisons de faire ses courses à Intermarché Caussade centre-ville" l'indication de la raison n° 1 : "le moins cher de Caussade" suivi du texte : "Votre Intermarché du centre-ville se bat vraiment au quotidien et dans la continuité pour être le moins cher de Caussade. Pour preuve, la comparaison des prix de vente de 7 000 produits identiques réalisée par la société Iri entre le Super U et Intermarché centre-ville".

Il était ensuite précisé : "le Super U est plus cher en 2010 de :

- produits alimentaires : janvier + 1,4 %, février + 2,0 %, mars + 1,4 % ;

- produits non alimentaires : janvier + 12,4 %, février + 8,1 %, mars + 12 %".

Il ne peut être reproché à la SA Ginkgo d'avoir utilisé une étude confiée à une société spécialisée au motif qu'elle aurait été à usage interne, ce qui ressort de son engagement contractuel avec la société Iri, dès lors que la fixation des prix par le libre jeu de la concurrence commande que les concurrents puissent comparer leurs prix et en conséquence faire pratiquer des relevés dans leurs magasins respectifs.

Cette étude était d'autre part limitée dans le temps et les informations données portaient sur les trois premiers mois de l'année 2010.

En revanche il n'est pas contesté que sur les 7 000 produits identiques dont il est question certains ont fait l'objet de plusieurs relevés en caisse sur la période, aucune précision quantitative n'étant donnée à cet égard, et il aurait été approprié en conséquence de se référer à la notion d'articles. L'appelante cite sans être contredite un nombre d'articles communs de 2 734 en janvier, 2 916 en février et 2 422 en mars 2010, très éloigné du nombre de 7 000.

Une telle présentation approximative dans un contexte de présentation des résultats d'une étude de type statistique est de nature à induire en erreur le consommateur moyen.

Il s'agit donc d'une publicité comparative illégale comme l'ont retenu les premiers juges dont la motivation sur ce point doit être approuvée.

Concernant son préjudice la SAS Caudis fait état d'une perte d'image importante aux yeux des consommateurs, notion subjective qui impliquerait pour être prise en compte de ne pas être seulement affirmée.

Elle cite également une chute qualifiée de vertigineuse de la progression de son chiffre d'affaires censée ressortir d'un tableau, établi par son commissaire aux comptes, des montants de son chiffre d'affaires tous rayons confondus d'août 2008 à août 2010. Or il en ressort en fait qu'en dehors du mois de décembre le chiffre d'affaires n'a pas connu de progression évidente entre juin 2009 et mars 2010, qu'il est resté pratiquement stable d'avril à juin 2010 avant de progresser nettement en juillet et août 2010. Il ne peut en tout état de cause en être tiré de conclusions dans le sens voulu par l'appelante sur la période postérieure à la publicité incriminée. Par ailleurs la lisibilité de l'évolution du chiffre d'affaires est nécessairement affectée par l'événement non négligeable dont fait état l'intimée, ayant consisté dans l'augmentation de la surface de vente du magasin Super U en mai 2009, passée de 1 800 m2 à 2 800 m2.

La preuve du préjudice prétendu n'est ainsi pas rapportée, l'appelante étant ici déboutée. En revanche la publicité illégale est constitutive d'une concurrence déloyale dont il s'infère nécessairement un trouble commercial constitutif d'un préjudice que les premiers juges ont évalué à l'euro symbolique et il y a lieu de le confirmer.

Chaque partie succombant il n'y a pas lieu de faire application en cause d'appel des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et chacune supportera ses dépens d'appel.

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Confirme le jugement ; Déboute les parties de leurs demandes contraires et plus amples ; Dit n'y avoir lieu de faire application en cause d'appel des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ; Dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens d'appel.