CA Versailles, 6e ch., 21 mai 2013, n° 13-00978
VERSAILLES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Charrance
Défendeur :
Elite Finance Conseil (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Descard-Mazabraud
Conseillers :
Mmes Luxardo, Loué-Williaume
Avocats :
Mes Goldenstein, Revault d'Allonnes
Faits et procédure
La société Elite Finance Conseil exerce une activité de conseil, gestion, courtage et vente de produits financiers.
Le 12 février 2009, elle a consenti à Monsieur Charrance un contrat d'agent commercial, ce dernier s'étant immatriculé au registre spécial des agents commerciaux à cette occasion.
Par lettre du 10 mai 2010, Monsieur Charrance a informé la société qu'il mettait fin à son contrat.
Par courrier reçu au greffe le 24 décembre 2010, il a saisi le Conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt d'une demande de requalification du contrat d'agent commercial en contrat de travail, résiliation du contrat aux torts de l'employeur et paiement de diverses indemnités pour rupture abusive du contrat.
Par jugement du 7 février 2013, le Conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt s'est déclaré incompétent pour connaître du litige au profit du Tribunal de grande instance de Nanterre.
Le 14 février 2013, Monsieur Charrance a déposé au greffe du conseil de prud'hommes un contredit transmis à la cour le 18 février.
Par conclusions visées par le greffier et soutenues oralement, Monsieur Charrance demande à la cour de :
Dire et Juger recevable et bien fondé son contredit,
Réformer le jugement entrepris,
Requalifier le contrat d'agent commercial en contrat de travail,
Dire et Juger le conseil des prud'hommes compétent pour statuer sur le présent litige et ses suites,
Condamner la société EFC au paiement de la somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par conclusions visées par le greffier et soutenues oralement, la société Elite Finance Conseil demande à la cour de :
Dire et Juger que les relations entre Monsieur Charrance et la société EFC sont régies par un contrat d'agent commercial,
En conséquence,
Se déclarer incompétent au profit du Tribunal de grande instance de Nanterre,
En tout état de cause,
Débouter Monsieur Charrance de l'intégralité de ses demandes.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément aux dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, renvoie aux conclusions déposées et soutenues à l'audience.
Motifs de la décision
Sur la qualification de la relation contractuelle
En droit, il y a contrat de travail quand une personne s'engage à travailler pour le compte et sous la direction d'une autre personne moyennant rémunération ; cette définition suppose 3 éléments indissociables : l'exercice d'une activité professionnelle, la rémunération et le lien de subordination.
Le lien de subordination, élément déterminant du contrat de travail, se caractérise par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son salarié.
En l'espèce, Monsieur Charrance fait valoir qu'il a intégré la société Elite Finance Conseil le 12 février 2009 en qualité d'agent commercial alors qu'en réalité les dispositions contractuelles faisaient obstacle à sa liberté d'organisation, se trouvant dans un état de dépendance et de subordination caractérisant l'existence d'un contrat de travail.
En réplique, la société Elite Finance Conseil soutient que le contrat d'agent commercial signé entre les parties est conforme à l'article L. 134-1 du Code de commerce, excluant tout lien de subordination, et que son inscription au registre des agents commerciaux crée une présomption au terme de laquelle celui-ci n'est pas salarié en application des articles L. 120-3 du Code du travail et L. 311-11 du Code de la sécurité sociale.
En application de l'article L. 311-11 du Code de la sécurité sociale, les personnes physiques visées au premier alinéa de l'article L. 120-3 du Code du travail (recodifié sous l'article L. 8221-6) ne relèvent du régime général de la sécurité sociale que s'il est établi que leur activité les place dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard d'un donneur d'ordre.
En application de l'article L. 8221-6 du Code du travail , sont présumées ne pas être liés avec le donneur d'ordre par un contrat de travail dans l'exécution de l'activité donnant lieu à immatriculation ou inscription, les personnes physiques immatriculées au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers, au registre des agents commerciaux ou auprès des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales pour le recouvrement des cotisations d'allocations familiales.
L'existence d'un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque ces personnes fournissent directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d'ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l'égard de celui-ci.
Ces dispositions légales invoquées par la société Elite Finance Conseil conduisent donc à l'application du principe selon lequel l'existence d'une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donné à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité des travailleurs.
L'inscription au RCS de Monsieur Charrance n'exclut donc pas sa qualité de salarié mais opère une simple présomption qui peut être renversée par la preuve contraire, conduisant à rechercher les conditions dans lesquelles la relation contractuelle se déroulait.
Il ressort des pièces produites que la société Elite Finance Conseil exerce une activité de conseil en produits de défiscalisation.
Monsieur Charrance avait reçu, suivant les termes de l'article 1 du contrat du 12 février 2009, "mandat non exclusif de rechercher en son nom et pour son compte des acquéreurs potentiels des produits", s'agissant de biens immobiliers éligibles à des dispositifs fiscaux.
Or, en application de l'article 4 du contrat, "l'Agent s'interdit d'agir à l'égard des tiers au nom et pour le compte du Mandant pour d'autres produits et s'engage à transmettre sans délai au Mandant toute demande portant sur d'autres produits".
Il ressort de ces dispositions que si en apparence, Monsieur Charrance se voyait reconnaître un mandat non exclusif par la société Elite Finance Conseil, il se trouvait en réalité soumis à une obligation de transmettre à cette société, les opérations portant sur des biens non commercialisés par cette société, cette disposition étant incompatible avec l'autonomie de l'agent commercial.
En outre, l'article 5 du contrat interdit à l'agent de négocier les tarifs des produits, de sorte qu'il ne disposait d'aucune marge de manœuvre à l'égard des clients, et ce, alors que l'article 8 lui interdit d'entrer en contact "directement et/ou indirectement avec les promoteurs immobiliers qui entretiennent des relations avec le Mandant, et ce tant pendant la durée du Contrat que pendant une période de deux ans à compter de sa fin, pour quelque cause que ce soit".
L'article 8.2 du contrat lui interdit également de commercialiser des produits similaires sur tout le territoire national, pour son compte ou pour le compte de tiers, pendant toute la durée du contrat.
Le même article prévoit une indemnité de 15 000 euros pour chaque infraction constatée, en cas de non-respect de ces engagements.
Il en résulte que seule la société Elite Finance Conseil avait le contact avec les promoteurs immobiliers, de sorte que l'agent ne disposait auprès du client, que d'une mission limitée de représentation de la société EFC, sans capacité de négociation, et sans capacité de proposer des produits émanant d'autres promoteurs immobiliers que ceux avec lesquels la société EFC avait des relations contractuelles.
Par ailleurs, Monsieur Charrance avait aux termes de l'annexe 1 du contrat, un objectif minimum de 2 ventes mensuelles et de 20 ventes annuelles.
Enfin, l'activité de Monsieur Charrance s'intégrait dans un service organisé puisque la société EFC pouvait lui proposer des clients et qu'il s'engageait à faire savoir par écrit s'il donnait suite ou non à ce contact ; que le contrat prévoit la possibilité d'utiliser "les services logistique télématique (téléphone, fax, télécopieur, informatique)" de la société EFC, ainsi que de participer aux séminaires et formations organisés par la société.
L'absence d'autonomie dans la relation contractuelle résulte encore de l'obligation fixée par l'article 6 du contrat, de transmettre à la société un compte rendu de chaque rendez-vous, sous 24 heures, et "un état récapitulatif détaillé des ventes intervenues et des offres faites au cours de l'année écoulée, ainsi qu'un prévisionnel pour l'année à venir".
Il sera également relevé que l'article 6 organise la mise à disposition par la société EFC d'un argumentaire de vente, et l'article 7 organise la rémunération sous forme de commissions dont le taux est fixé de manière précise, dans les conditions de l'annexe 2 du contrat.
Au vu de ces pièces, il apparaît que l'activité de Monsieur Charrance s'exerçait dans le cadre d'un service organisé, sous le contrôle de la société Elite Finance Conseil, en contrepartie d'une rémunération, caractérisant l'existence d'un lien de subordination.
Les attestations produites par la société, émanant d'agents se limitant à affirmer qu'ils exercent leur activité en toute autonomie, ne permettent pas de remettre en cause la réalité de l'organisation du travail au sein de la société Elite Finance Conseil.
Par suite, la requalification du contrat signé le 12 février 2009 en contrat de travail se trouve justifiée, le conseil de prud'hommes s'étant à tort déclaré incompétent pour connaître du litige.
Afin de ne pas priver les parties du double degré de juridiction, il convient de renvoyer l'affaire devant le Conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt pour y être jugée.
Sur l'article 700 du Code de procédure civile
La société Elite Finance Conseil devra verser à Monsieur Charrance la somme de 1 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile pour couvrir les frais du contredit.
Par ces motifs : LA COUR, Statuant contradictoirement, en dernier ressort et par arrêt mis à la disposition des parties au greffe, Reçoit le contredit et le Déclare bien fondé, Dit que le contrat conclu entre les parties le 12 février 2009 mérite la qualification de contrat de travail, Dit le Conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt compétent pour statuer sur les demandes de Monsieur Charrance, Renvoie les parties devant cette juridiction pour débats sur le fond de l'affaire à la plus proche audience, Ordonne la transmission de la procédure au greffe de cette juridiction, Condamne la société Elite Finance Conseil aux frais du contredit et au paiement d'une indemnité de 1 000 euro (Mille euros) sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.