CA Rouen, ch. civ. et com., 16 mai 2013, n° 12-03234
ROUEN
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Sagelec (Sté)
Défendeur :
ACWM (Eurl)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Farina
Conseillers :
Mmes Prudhomme, Bertoux
Avocats :
Mes Enault, Rubi, Seve
Exposé du litige
La société Sagelec vend, par l'intermédiaire d'agents commerciaux, des blocs sanitaires principalement destinés aux collectivités territoriales.
A compter du 5 juillet 2004 elle a confié à M. William Monnier la mission de vendre ces produits, en qualité d'agent commercial, sur un secteur géographique déterminé, moyennant une commission de 10 % sur les factures encaissées.
M. Monnier a créé l'Agence Commerciale William Monnier, entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (ci-après dénommée société ACWM) dont il est le gérant et qui, à compter du 1er janvier 2008, a repris l'activité d'agence auprès de la société Sagelec.
Par courrier du 21 juin 2010 la société Sagelec a reproché à la sociétéACWM, une baisse de chiffre d'affaires depuis deux ans, puis par courrier du 8 octobre 2010 elle lui a notifié la rupture du contrat d'agent commercial pour faute grave.
Après avoir demandé par courrier du 23 novembre 2010 le versement d'une indemnité de rupture la société ACWM a assigné le 23 novembre 2011 la société Sagelec devant le Tribunal de commerce de Rouen en paiement notamment de cette indemnité, d'une indemnité de préavis, et de commissions de retour sur échantillonnage.
Par jugement du 1er juin 2012 le Tribunal de commerce de Rouen a condamné, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, la société Sagelec à payer à la société ACWM les sommes de :
- 25 443 euros à titre d'indemnité de rupture du contrat d'agent commercial,
- 2 384,16 euros au titre de commissions de retour sur échantillonnage, la demande d'indemnité de préavis étant par ailleurs rejetée,
- et de 800 euros pour frais hors dépens.
La société Sagelec a interjeté appel de ce jugement ; par conclusions du 4 janvier 2013 elle en demande l'infirmation à l'exception des dispositions relatives au rejet de l'indemnité de préavis ; elle sollicite en outre la condamnation de la société ACWM à lui payer une indemnité de 4 000 euros pour frais hors dépens de première instance et d'appel.
Par conclusions du 14 janvier 2013 la société ACWM demande à la cour de confirmer le jugement déféré sauf en ses dispositions concernant l'indemnité de préavis d'un montant de 3 180 euros ; elle sollicite en outre le paiement de la somme de 3 000 euros pour frais hors dépens d'appel.
Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère aux conclusions des parties.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 31 janvier 2013.
Cela étant exposé
I) Sur le droit à indemnités de rupture et de préavis
Attendu que la société ACWM qui remplissait une mission de représentation pour le compte de la société Sagelec relève du statut des agents commerciaux défini par les articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce ;
Que selon les dispositions de l'article L. 134-12 du Code de commerce "en cas de cessation de ses relations avec le mandant l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice du préjudice subi" ;
Que l'article L. 134 -11 alinéa 2 du même code pose le principe du droit à une indemnité de préavis ;
Que pour s'opposer aux demandes d'indemnités de rupture et de préavis, la société Sagelec fait valoir que la cessation du contrat a été provoquée par une faute grave de la société ACWM ;
Qu'elle invoque à ce titre une baisse continue du rendement de celle-ci et l'absence de commandes au titre de l'année 2010, situation due selon elle à une inactivité et à un manque d'implication ;
Attendu que la société ACWM estime avoir rempli ses obligations et que seul un contexte économique défavorable, également subi par les autres agents commerciaux de la société Sagelec, explique au regard de la nature particulière des produits commercialisés, la baisse de rendement constatée ;
Attendu que, sur l'existence d'une faute grave, que selon les dispositions de l'article L. 134 13-1er du Code de commerce "la réparation prévue à l'article L. 134-2 n'est pas due quand la cessation du contrat a été provoquée par la faute grave de l'agent" ; que l'article L. 134-11 alinéa 5 du Code de commerce écarte le droit à indemnité de préavis en cas de faute grave de l'agent commercial ;
Attendu qu'il appartient au mandant qui invoque une faute grave d'en rapporter la preuve ;
Que la diminution du volume d'affaires conclues pour le compte du mandant ne caractérise pas en elle-même une faute grave ; Qu'il n'en est autrement que si le mandant établit que la baisse de rendement résulte d'un manque d'activité de l'agent commercial ou d'un autre comportement critiquable de celui-ci, présentant un degré de gravité suffisant pour justifier la résiliation du contrat ;
Attendu en l'espèce que dans la lettre de rupture du 8 octobre 2010 la société Sagelec reproche à la société ACWM :
- d'une part d'une façon générale une absence de commandes en 2010 "alors que la moyenne nationale constatée est de 50 %",
- et d'autre part en particulier des manquements concernant la conduite de certains dossiers ;
Attendu qu'il convient de statuer sur ces deux séries de reproches ;
a) Attendu sur le premier point que les pièces produites montrent l'activité de commercialisation développée par la société ACWM en 2008 (avec un chiffre d'affaires de 42 328 euros), en 2009 (avec un chiffre d'affaires de 13 178 euros) et en 2010 ;
Que s'agissant de l'année 2010, selon les indications figurant dans le courriel de la société Sagelec du 13 septembre 2010 et dans le tableau d'activité qui y est joint, la société ACWM assurait, à cette date, la gestion de 48 dossiers dont 16 dans lesquels les contacts les plus récents avaient été pris en 2010 ; qu'en outre le contrat d'agent commercial ayant été rompu en cours d'année, le reproche concernant la baisse de rendement ne pourrait concerner qu'une partie de l'année civile 2010 ;
Attendu par ailleurs qu'en l'absence de contrat écrit définissant les obligations respectives des parties, la société Sagelec n'établit pas que des objectifs aient été assignés à la société ACWM en référence à la moyenne nationale évoquée dans le courrier de rupture ;
Qu'elle produit à cet égard, un tableau daté du 22 juin 2012 mentionnant les chiffres d'affaires réalisés sur la période des années 2008 à 2011 par chacun des 12 agents chargés de la commercialisation de ses produits ;
Qu'elle considère, sur ce point, qu'au regard des résultats obtenus par les autres agents commerciaux, la baisse d'activité de la société ACWM n'est pas due à un contexte de difficultés économiques ;
Mais attendu que l'examen comparatif des chiffres d'affaires réalisés par les agents commerciaux travaillant pour le compte de la société Sagelec, fait apparaître des fluctuations de résultats dans le secteur économique considéré ;
Qu'il montre en effet pour 7 des 11 agents commerciaux autres que la société ACWM, des écarts sensibles de volume d'affaires entre les années 2008 et 2009, avec pour 3 d'entre eux une baisse importante en 2009 ;
Qu'il y a lieu de préciser à cet égard, que la société ACWM ayant cessé son activité dans le courant de l'année 2010, les chiffres d'affaires du premier semestre 2010 et celle de l'année 2011 figurant dans le tableau susvisé ne peuvent servir d'éléments de comparaison entre cette société et les autres agents commerciaux ;
Que par ailleurs, des variations notables entre les chiffres d'affaires réalisés au cours respectivement des années 2009 et 2010 par les onze autres agents commerciaux, confirment le caractère fluctuant des résultats de ce domaine d'activité économique ;
Qu'il convient également d'observer que selon les indications figurant dans le tableau comparatif susvisé, aucun chiffre d'affaires n'a été enregistré au deuxième semestre de l'année 2010 et en 2011 sur l'ancien secteur géographique d'activité de la société ACWM, partagé après son départ, entre deux agents commerciaux en place;
Qu'aucun élément du dossier ne permet d'imputer cette situation à la gestion de dossiers conduite par la société ACWM avant la cessation du contrat ;
b) Attendu sur le plan particulier des dossiers visés dans la lettre de cessation de contrat que par ce courrier la société Sagelec reproche à la société ACWM "un manque évident de suivi " concernant une liste de onze dossiers ;
Mais attendu qu'elle ne produit aux débats aucun élément de preuve concernant 7 de ces dossiers ;
Attendu que s'agissant des quatre autres dossiers elle formule à l'égard de la société ACWM les reproches suivants :
- dossiers " pont de l'arche " et " Carrières-sur-Seine " : l'absence de réponse à des courriels qu'elle lui a adressé au sujet de la prise en charge de ces affaires,
- dossier " de Rouen " : le fait d'être venue au rendez-vous en juin 2010, sans disposer d'un " mètre " pour des études et prise de côtes sur le chantier,
- dossier " Gisors " : la fourniture d'informations ayant amené la société Sagelec à établir trois devis différents qui auraient constitué selon elle des offres incohérentes refusées par le client ;
Attendu que pour les dossiers " pont de l'arche " et " Carrières-sur-Seine ", le fait pour la société ACWM de ne pas avoir tenu informé son mandant de ses démarches à la suite des demandes faites par les représentants de ces communes ne démontre pas, en lui-même, l'absence d'activité alléguée ; que s'agissant en particulier du dossier : commune de " pont de l'arche ", un courriel produit par la société Sagelec mentionne que M Monnier avait pris contact avec ce client ;
Attendu que concernant le dossier " Rouen ", la société Sagelec ne produit aucun élément de preuve à l'appui de son reproche, lequel est contesté par la société ACWM ; que la preuve du manquement allégué n'est donc pas rapportée ;
Que concernant le dossier " Gisors ", les circonstances invoquées ne caractérisent pas en elles-mêmes une absence d'implication et de suivi de la part de la société ACWM dans la conduite de cette affaire ; qu'en outre, la société ACWM verse aux débats une note interne de suivi mentionnant les contacts qu'elle a pris avec le représentant de cette commune ;
Qu'il n'est pas établi par ailleurs que l'absence de commande invoquée par la société Sagelec soit due à un manquement de l'agent commercial à ses obligations ;
Attendu que, dans ses conclusions, la société Sagelec reproche en outre à la société ACWM de ne pas avoir rendu compte de sa mission et en particulier de ne pas l'avoir tenue informée de la situation du marché et des appels d'offres en cours ;
Mais attendu que le tableau joint au courriel du 13 septembre 2010 susvisé montre que la société Sagelec connaissait l'état des dossiers en cours sur le secteur géographique confié à la société ACWM ;
Que par ailleurs en l'absence de contrat écrit, le contenu précis de l'obligation d'information mise à la charge de la société ACWM n'est pas déterminé ; qu'en conséquence le reproche considéré, qui au demeurant ne figurait pas dans la lettre de rupture du contrat d'agent commercial, ne saurait constituer une faute grave au sens de l'article L. 143-13 du Code de commerce ;
Attendu au surplus, qu'alors que l'activité d'agent commercial avait débuté en juillet 2004 la société Sagelec ne justifie pas avoir fait, avant le mois de juin 2010 de reproche ou de mise en garde à M Monnier puis à la société ACWM sur l'exécution du contrat ;
Attendu que des développements qui précèdent il résulte que la société Sagelec n'établit pas que la société ACWM ait commis des manquements d'une gravité suffisante pour justifier, sur le fondement de l'article L. 134-13 1° du Code de commerce, la résiliation du contrat d'agence ;
Que pour s'opposer à la demande en paiement d'indemnités, elle invoque par ailleurs, les dispositions de l'article L. 134-13-2ème du Code de commerce qui écartent le droit à indemnité quand la cessation du contrat résulte de l'initiative de l'agent commercial ;
Qu'elle expose que par courriel du 17 septembre 2010 la société ACWM par son gérant a exprimé sa volonté de mettre fin au contrat d'agent commercial et qu'un accord est intervenu sur ce point entre les parties ;
Qu'elle se prévaut des passages suivants de ce courriel :
- " Il me semble naturel de nous entendre sur une rupture de contrat d'agent commercial pour la société Sagelec. (Et ce) suite à nos conversations téléphoniques et comme le suggère la lettre recommandée du 21 juin 2010 (par laquelle la société Sagelec lui reprochait une baisse importante d'activité) d'une part, et compte tenu que j'ai atteint l'âge de la retraite, d'autre part ;
Mais attendu que les circonstances de l'espèce font apparaître que la cessation du contrat ne résulte pas d'une initiative de l'agent commercial au sens de l'article L.134-13, 2° susvisé ;
Qu'en effet les courriels adressés par la société Sagelec les 21 juin et 13 septembre 2010 montrent que celle-ci a pris l'initiative de la rupture d'abord en formulant des reproches à l'égard de la société ACWM puis en faisant une proposition financière " dans le cadre de l'arrêt d'activité " ;
Attendu que le courriel du 17 septembre 2010 n'établit pas davantage l'existence d'un accord des parties sur la cessation du contrat et sur les conditions de celle-ci, alors que dans ce même message la société ACWM a notifié qu'elle entendait faire valoir ses droits au sens de l'article L. 134-12 du Code de commerce ;
Attendu qu'en conséquence, la société Sagelec ne peut se prévaloir des dispositions des 1° et 2° de l'article 134-13 du Code de commerce ;
Que les demandes en paiement d'indemnités de rupture et de préavis sont donc fondées en leur principe ;
II) Sur la réparation du préjudice consécutif à la rupture
Attendu que la société ACWM demande le paiement des sommes suivantes :
- 25 443 euros à titre d'indemnité de rupture,
- 3 180 euros (soit 3/24ème de l'indemnité de rupture),
- 2384,16 euros au titre de deux commandes d'articles finalisées en mars et septembre 2011, somme calculée sur la base de 4 % hors taxes du chiffre d'affaires ;
A) sur l'indemnité de rupture
Attendu que la société Sagelec soutient que la société ACWM ne peut prétendre à une indemnité de rupture dans la mesure où elle peut percevoir des commissions en poursuivant son activité auprès d'autres mandants ;
Mais attendu sur le principe du droit à indemnité, qu'il résulte du caractère d'ordre public des dispositions de l'article L. 134-12 du Code de commerce que l'indemnisation de l'agent commercial est due du seul fait de la cessation des relations, imputable au mandant ; qu'elle n'est pas subordonnée à la preuve d'un préjudice ; que l'exercice par l'agent commercial de mandats similaires susceptibles de lui procurer des ressources de substitution est sans incidence sur le droit à indemnité ;
Que la demande en paiement de celle-ci est donc fondée en son principe ;
Attendu sur le montant de l'indemnité en principal, que les premiers juges ont évalué à juste titre l'indemnité de rupture à la somme de 25 443 euros, en elle-même non contestée dans son montant, et représentant la moyenne des commissions versées pour la période du 8 octobre 2008 au 8 octobre 2010 ; que le jugement déféré sera donc confirmé sur ce point ;
B) sur l'indemnité de préavis
Attendu que pour rejeter la demande en paiement d'indemnité de préavis les premiers juges ont considéré que le contrat d'agence commerciale avait été rompu d'un commun accord entre les parties ;
Mais attendu qu'il a été retenu ci-dessus que la cessation du contrat d'agent commercial résulte de l'initiative de la société Sagelec et qu'elle ne procède pas d'un accord des parties ;
Attendu que par application des dispositions de l'article L. 134-11 du Code de commerce la société ACWM est fondée à demander le paiement de la somme de 3 180 euros représentant l'équivalent de trois mois de commissions sur la base retenue pour le calcul de l'indemnité de rupture ;
C) sur l'indemnité à raison de commissions portant sur des affaires conclues après cessation du contrat d'agence
Attendu que selon les dispositions de l'article L. 134-7 du Code de commerce "pour toute opération conclue après la cessation du contrat d'agence, l'agent commercial a droit à la commission lorsque l'opération est principalement due à son activité au cours du contrat d'agence et a été conclue dans un délai raisonnable à compter de la cessation du contrat " ;
Attendu qu'il résulte des explications fournies par la société Sagelec que deux commandes liées principalement à l'activité de la société ACWM au cours du contrat d'agence ont été finalisées en mars et septembre 2011 ;
Que dans son courriel du 13 septembre 2010 la société Sagelec évoquait, le principe du paiement d'une commission au taux de 4 % (du montant facturé), pour toute opération conclue dans le délai d'un an à compter de la cessation du contrat;
Attendu que compte tenu des indications de taux de commission et de délai qui figurent dans ce courriel, la conclusion des deux opérations susvisées, justifie le paiement de commissions au taux de 4 %, soit la somme de 2384,16 euros, retenue à juste titre par les premiers juges ;
D) Sur les intérêts des indemnités allouées
Attendu que les indemnités fixées ci-dessus produiront intérêts au taux légal à compter de la date de la présente décision qui en fixe le montant ;
III) Sur les autres demandes
Attendu que l'équité commande d'allouer à la société ACWM, en sus de l'indemnité pour frais irrépétibles allouée par les premiers juges, une indemnité de 2 500 euros pour frais hors dépens d'appel et de rejeter la demande en paiement de frais hors dépens formée par la société Sagelec ;
Attendu que la société Sagelec qui succombe en ses prétentions au sens de l'article 696 du Code de procédure civile supportera la charge des dépens ;
Par ces motifs : LA COUR, Statuant contradictoirement par décision mise à disposition au greffe, Confirme le jugement déféré sauf en ses dispositions relatives à l'indemnité de préavis et au point de départ des intérêts des indemnités allouées, Statuant de nouveau sur ces points, Condamne la société Sagelec à payer à l'Eurl Agence commerciale William Monnier (ACWM) la somme de 3 180 euros à titre d'indemnité de préavis, Dit que les indemnités mises à la charge de la société Sagelec sont dues avec intérêts au taux légal à compter de la date de la présente décision et sans capitalisation, Condamne la société Sagelec à payer à l'Eurl ACWM la somme de 2 500 euros pour frais hors dépens d'appel, La condamne aux dépens dont distraction au profit de l'avocat de l'Eurl ACWM dans les termes de l'article 699 du Code de procédure civile.