CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 22 mai 2013, n° 11-19761
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Via Gio Développement (SAS)
Défendeur :
Diego, Leblay (ès qual.), MKFD Foods (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Cocchiello
Conseillers :
Mmes Luc, Pomonti
Avocats :
Mes Fisselier, Menguy, Planeix, Sittinger
La société Via Gio Développement est une filiale du groupe Bertrand qui a développé une activité dans le domaine de la restauration et de l'hôtellerie depuis une dizaine d'années.
En 2007, Franck Diego et la société Via Gio Développement entraient en pourparlers en vue de l'établissement d'un contrat de franchise ayant pour objet la création d'un restaurant Via Gio, sur un concept de restauration rapide à base de pâtes, en vente sur place ou à emporter, au sein du centre commercial Saint-Sever à Rouen.
Le 21 décembre 2007, la société Via Gio Développement remettait un document d'information précontractuelle (DIP) à M. Diego.
Le 5 mars 2008, un contrat de franchise était signé entre les parties, Monsieur Diego agissant tant en son nom personnel qu'en qualité de représentant de la société MKFD Foods, alors en formation.
La société MKFD Foods, destinée à exploiter le fonds de commerce de restauration, était immatriculée au RCS le 11 mars 2008 et l'activité du restaurant démarrait le 16 juin 2008.
M. Diego se portait caution à hauteur d'un montant de 240 500 euros au titre des prêts contractés par la société MKFD Foods d'un montant total de 370 000 euros.
En 2009, le chiffre d'affaires réalisé par la société MKFD Foods n'étant pas conforme aux prévisions, la société n'était pas en mesure d'assumer les charges afférentes à son activité, et le 25 juin 2009, la société MKFD Foods déposait une déclaration de cessation des paiements.
Par jugement du 1er juillet 2009, le Tribunal de commerce de Rouen prononçait la liquidation judiciaire de la société MKFD Foods et désigne Maître Philippe Leblay en qualité de mandataire liquidateur.
Le 7 septembre 2009, M. Diego écrivait à la société Via Gio Développement pour attirer son attention sur le caractère, selon lui, grossièrement surévalué du chiffre d'affaires prévisionnel présenté par la société Via Gio, qui a vicié son consentement et lui a causé un préjudice grave du fait de l'échec de cette opération.
Par courrier en date du 4 novembre 2009, la société Via Gio Développement a contesté ces griefs, considérant ne pas avoir failli à son devoir d'information précontractuelle et estimant avoir exécuté l'intégralité de ses obligations.
Par acte du 20 janvier 2010, M. Diégo et Me Leblay, ès qualité de mandataire liquidateur de la société MKFD Foods, ont assigné la société Via Gio Développement devant le tribunal de commerce aux fins de voir prononcer la nullité du contrat de franchise du 5 mars 2008, de condamner la société Via Gio Développement à verser à Me Leblay, ès qualités la somme de 35 880 euros au titre du droit d'entrée versé par la société MKFD Foods ainsi que la somme de 563 208,06 euros, sauf à parfaire, correspondant au montant du passif déclaré par les créanciers de la société MKFD Foods.
Par jugement rendu le 19 octobre 2011, le Tribunal de commerce d'Evry a :
- débouté la société Via Gio Développement de toutes ses demandes ;
- prononcé la nullité du contrat de franchise du 5 mars 2008 ;
- condamné la société Via Gio Développement à verser à Me Leblay, en sa qualité de liquidateur de la société MKFD Foods, la somme de 35 880 euros au titre du droit d'entrée versé par la société MKFD Foods ;
- condamné la société Via Gio Développement à verser à Me Leblay en sa qualité de liquidateur de la société MKFD Foods, la somme de 280 000 euros, et débouté du surplus ;
- condamné la société Via Gio Développement à verser à Me Leblay, en qualité de liquidateur de la société MKFD Foods, et à M. Diego la somme de 4 000 euros chacun au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, et débouté du surplus ;
- condamné la société Via Gio aux dépens.
La société Via Gio a interjeté appel du jugement le 7 novembre 2011.
Par conclusions signifiées le 4 juin 2012 auxquelles il y a lieu de se référer pour l'exposé plus ample des moyens, la société Via Gio Développement demande à la cour :
- d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
- de condamner Me Leblay, en qualité de liquidateur de la société MKFD Foods et M. Diego à payer chacun la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Par conclusions du 11 septembre 2012, Franck Diego et Maître Philippe Leblay en qualité de liquidateur de la société MKDS Foods ont demandé à la cour de :
- confirmer le jugement qui a prononcé la nullité du contrat de franchise,
- confirmer le jugement qui a condamné la société Via Gio Développement à payer à Maître Leblay en qualité de liquidateur de la société MKFD Foods la somme de 38 880 euros au titre du droit d'entrée,
- infirmer le jugement pour le surplus,
- débouter la société Via Gio Développement de toutes ses demandes,
- condamner la société Via Gio Développement à payer à Maître Leblay ès qualités la somme de 380 130,90 euros correspondant aux créances privilégiées et super privilégiées admises par Maître Leblay ès qualités,
- condamner la société Via Gio Développement à payer à Monsieur Diego la somme de 15 000 euros pour la réparation de son préjudice moral,
- subsidiairement,
- condamner la société Via Gio Développement à payer à Maître Leblay ès qualités la somme de 390 130,90 euros correspondant aux créances privilégiées et super privilégiées admises par Maître Leblay ès qualités,
- condamner la société Via Gio Développement à payer à maître Leblay ès qualités et à Monsieur Diego chacun la somme de 6 000 euros au titre de l'art. 700 du Code de procédure civile,
- condamner la même aux entiers dépens.
Une note en délibéré a été demandée aux parties sur l'irrecevabilité relevée d'office par la cour de la demande de dommages-intérêts faite par Monsieur Diego devant la cour, en application de l'art. 564 du Code de procédure civile.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Considérant que la société Via Gio soutient :
que le document d'information précontractuel qui a été remis à Monsieur Diego contenait toutes les données nécessaires à l'activité de restauration sous l'enseigne Via Gio Développement et destinées à éclairer pleinement son consentement ; que Monsieur Diego n'est pas un novice dans le monde des affaires et devait également se renseigner auprès d'autres franchisés, qu'il n'a fait de remarque ni émis le moindre reproche concernant les informations contenues dans le "DIP" ;
que le chiffre d'affaires prévisionnel a été obtenu après une étude diligente et sérieuse en fonction de chiffres non contestés et que le tribunal a commis une erreur d'interprétation au sujet de la détermination de la zone de chalandise ; que le prévisionnel est par nature aléatoire, que le franchiseur est tenu d'une obligation de moyens et non d'une obligation de résultat, a fortiori au regard notamment de la mauvaise gestion de Monsieur Diego, des paramètres de coûts de personnel et de marchandises ;
qu'en effet, Monsieur Diego a fait preuve de ses carences dans la gestion du fonds franchisé notamment en se limitant à une présence de deux journées par semaine sur son lieu d'exploitation, en limitant son personnel à un manager et deux équipiers, en manquant aux principes essentiels du concept Via Gio, que pourtant après plus de dix mois d'exploitation, Monsieur Diego avait envisagé avec enthousiasme l'ouverture de nouveaux points de vente sous l'enseigne Via Gio, tout particulièrement au Havre, que sa décision de cesser son activité sous l'enseigne Via Gio procède d'un simple choix personnel et professionnel ;
que Monsieur Diego ne démontre pas en quoi le défaut d'information a eu pour effet de vicier le consentement du cocontractant alors qu'elle a clairement fait preuve de prudence dans le "DIP" et le contrat de franchise ;
qu'elle rappelle enfin que les risques du commerce demeurent à la charge du franchisé et qu'il ne revient pas au franchiseur de se substituer aux lieu et place de son franchisé dans la gestion de son fonds.
Considérant que Franck Diego et Maître Leblay ès qualités exposent que le chiffre d'affaires réalisé s'est élevé à 332 869 euros sur la première année, qu'ils soutiennent que les comptes prévisionnels établis par l'appelante sont "grossièrement surévalués", ce qui a vicié le consentement de M. Diego qui a commis une erreur au sens de l'article 1109 du Code civil, qu'en effet, les chiffres produits par l'appelante dans le prévisionnel ont convaincu Monsieur Diego de la capacité du futur restaurant de supporter les charges afférentes à son exploitation et ont donc été déterminants dans sa décision de contracter avec l'appelante ; que le tribunal a jugé à tort que la gestion laxiste de M. Diego par rapport au budget initial aurait contribué à l'échec du contrat de franchise,
Considérant que le sérieux des éléments d'information précontractuelle que précise l'art. L. 330-3 du Code de commerce n'est pas mis en doute par le franchisé ; qu'en revanche, le prévisionnel établi par le franchiseur qui ne figure pas dans les éléments devant être donnés en application de l'art. L. 330-3 du Code de commerce est critiqué, à l'origine du vice du consentement de Monsieur Diego,
Considérant que les explications que donne la société Via Gio Développement quant au calcul du chiffre d'affaires prévisionnel ne permettent pas de comprendre le résultat retenu, qu'en effet, si la part de marché est fixée à 4,5 %, quel que soit le chiffre d'affaires de la zone de chalandise prise en compte (chiffre d'affaires de la zone de chalandise totale c'est-à-dire de la ville entière : 18 000 000 ou zone de chalandise au sein du centre commercial de Saint-Sever : 8 000 000 euros) le chiffre alors obtenu est toujours différent du chiffre effectivement retenu (495 000 euros) lequel ne correspond manifestement à rien ; qu'ainsi, il peut être soutenu que le chiffre d'affaires prévisionnel donné par la société Via Gio Développement ne repose sur aucun élément sérieux,
Considérant que le prévisionnel reste certes soumis à un aléa, que d'autres paramètres interviennent dans la réalisation du chiffre d'affaires, tels que la compétence et le dynamisme du chef d'entreprise, l'évaluation du marché local, la conjoncture économique ; que si le franchiseur n'est évidemment pas tenu à une obligation de résultat, il doit fournir des données sérieuses lors qu'il communique un prévisionnel au candidat à la franchise ; qu'en l'espèce, cette obligation n'a pas été respectée,
Considérant que certes, comme le souligne la société Via Gio Développement, Monsieur Diego savait que le concept développé par Via Gio Développement était nouveau et que le réseau était jeune et qu'il acceptait de prendre un risque ; que toutefois, le prévisionnel fourni par le franchiseur, volontairement optimiste, a convaincu le franchisé de la rentabilité de l'activité qu'il envisageait d'entreprendre, que son consentement a été surpris,
Considérant que le contrat de franchise doit être annulé pour vice du consentement, que la somme versée au titre du droit d'entrée doit être restituée,
Considérant selon Maître Leblay ès qualités que la faute délictuelle commise par la société Via Gio Développement est à l'origine du préjudice qui est constitué par "le montant des pertes subies ainsi que le montant des dettes engagées pour les besoins de l'exploitation", qui se trouvent au passif de la procédure collective, que la société Via Gio a invoqué des fautes de gestion de Monsieur Diego,
Considérant que la société MKFD Food a été placée en liquidation judiciaire selon jugement du 30 juin 2009, quel Tribunal de commerce de Rouen notait alors un passif estimé de 550 449 euros pour un actif estimé à 373 187 euros, un bilan arrêté au 31 mai 2009 déficitaire de 120 818 euros, qu'il précisait que le chiffre d'affaires était en baisse depuis le début de l'année 2009, que malgré les restructurations entreprises, la société connaissait encore une nouvelle baisse et que la rentabilité de l'exploitation ne pouvait être atteinte,
Considérant certes que comme l'a remarqué le premier juge, la société MKFD Food n'a pas respecté tous les montants et tous les ratios, tout particulièrement le taux de personnel, et que Monsieur Diego n'a pas mis en œuvre toutes les opportunités de communication mises à sa disposition par la société Via Gio Développement, que les résultats sont en partie l'œuvre de la gestion du franchisé qui sera évaluée à 30 %,
Considérant que les créances privilégiées ont été admises à la procédure à hauteur de 380 130,90 euros, que la société Via Gio Développement sera condamnée à payer à Maître Leblay ès qualités la somme de 266 091,63 euros,
Considérant enfin que Monsieur Diego forme devant la cour pour la première fois une demande d'indemnisation de son préjudice moral qu'il estime subir en raison des agissements de la société Via Gio Développement, qu'en effet, en dépit des explications qu'il a pu fournir dans une note en réponse le 30 avril 2013, monsieur Diego n'a pas justifié qu'il avait formé une telle demande devant le premier juge qui n'en a d'ailleurs pas fait état dans le jugement critiqué ; qu'en application de l'art. 564 du Code de procédure civile, la cour constatant le caractère nouveau de cette demande, la déclare irrecevable,
Par ces motifs : LA COUR, Infirmant le jugement sur le montant des dommages-intérêts alloués à Maître Leblay ès qualités, Condamne la société Via Gio Développement à payer à Maître Leblay en sa qualité de mandataire liquidateur de la société MKFD Food la somme de 266 091,63 euros à titre de dommages-intérêts, Déclare irrecevable la demande de dommages-intérêts formée par Monsieur Diego, Condamne la société Via Gio Développement à payer à Maître Leblay ès qualités la somme de 6 000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles, Condamne la société Via Gio Développement aux dépens.