CA Montpellier, 2e ch., 14 mai 2013, n° 12/01690
MONTPELLIER
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Alexanne (EURL)
Défendeur :
AP Loisirs Détente (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Chassery
Conseillers :
M. Prouzat, Mme Olive
Avocats :
SCP Gilles Argellies Fabien Watremet, SCP Eric Nègre, Marie Camille Pepratx Negre, Mes Pauwels, Culoz, Depincé
Faits et procédure moyens et prétentions des parties
Invoquant la rupture sans préavis d'un contrat verbal d'agence commerciale la liant à la société AP Loisirs Détente (la société AP Loisirs), l'EURL Alexanne a fait assigner celle-ci devant le Tribunal de commerce de Béziers par exploit du 13 avril 2011, afin d'obtenir l'indemnisation des préjudices subis.
Par jugement assorti de l'exécution provisoire en date du 6 février 2012, le tribunal a notamment :
- condamné la société AP Loisirs à payer à la société Alexanne la somme de 3 910 euros, au titre de l'indemnité de préavis et la somme de 3 910 euros, au titre de l'indemnité de rupture ;
- rejeté le surplus des demandes de la société Alexanne ;
- débouté la société AP Loisirs de ses demandes ;
- condamné la société AP Loisirs à payer à la société Alexanne la somme de 1 000 euros, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamné la société AP Loisirs aux dépens de l'instance.
L'EURL Alexanne a régulièrement interjeté appel de ce jugement, en vue de sa réformation en ce qui concerne le quantum de l'indemnité de rupture et le rejet de la demande en paiement de l'indemnité de remploi. Elle sollicite la condamnation de la société AP Loisirs à lui payer la somme de 93 800 euros, au titre de l'indemnité de rupture et celle de 18 760 euros, au titre de l'indemnité de remploi, augmentées.des intérêts au taux légal à compter du 14 juin 2010, ainsi qu'une somme de 5 000 euros, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle soutient que :
- spécialisée dans le commerce de gros interentreprises de bois et matériaux de construction, elle a développé un réseau de fournisseurs industriels du bois en Pologne et dans ce cadre, elle est entrée en relation, en juin 2009, avec la société AP Loisirs qui vend et installe des mobil-homes et leurs accessoires et qui lui a donné mandat de passer pour son compte des commandes de terrasses ;
- elle devait négocier pour le compte de la société AP Loisirs les meilleurs prix aux conditions de livraison les plus avantageuses ;
- elle a communiqué aux fournisseurs polonais les plans des terrasses ainsi que les directives ; les terrasses ont été livrées et facturées à la société AP Loisirs qui lui a versé des commissions de juin 2009 à mai 2010 ;
- la société AP Loisirs n'avait aucun fournisseur polonais avant leur mise en relation ;
- les parties sont liées par un contrat d'agence commerciale verbal qui répond exactement à la définition de l'article L. 134-1 du Code de commerce ;
- le fait qu'elle ait exercé l'activité d'agent commercial à titre accessoire et qu'elle ne soit pas immatriculée en cette qualité, ne l'empêche pas de bénéficier du statut d'agent commercial ;
- les factures de commissions portant sur les opérations réalisées en qualité d'intermédiaire dûment réglées par la société AP Loisirs, les courriels faisant état des démarches effectuées dans le cadre de la négociation des prix d'achat et des transports et attestant de son rôle actif dans les commandes auprès des fournisseurs polonais établissent l'existence du contrat d'agence commerciale ;
- elle n'a jamais assuré le transport des terrasses ;
- les livraisons de marchandises qu'elle a facturées à la société AP Loisirs relèvent de son activité commerciale et sont extérieures aux débats ; l'attestation émanant du gérant de la société AP Loisirs concernant les liens contractuels avec une société Chassaing est inopérante ;
- l'indemnité de préavis doit être fixée à la moyenne d'1 mois de commissions (article L. 134-11 du Code de commerce) ;
- l'indemnité compensatrice du préjudice subi est due en vertu de l'article L. 134-12 du Code de commerce puisqu'aucune faute grave ne lui est reprochée ; les usages professionnels fixent à une moyenne de deux ans de commissions, le montant de l'indemnité de rupture ;
- cette indemnité de cessation de contrat étant assujettie à l'impôt sur les sociétés au titre des plus-values, elle est fondée à solliciter une indemnité de remploi qui compensera l'impôt qu'elle devra acquitter à ce titre ;
- la demande reconventionnelle de la société AP Loisirs au titre de la réparation de prétendues malfaçons n'est ni fondée ni justifiée.
La société AP Loisirs, formant appel incident, a conclu à la réformation du jugement en ce qui concerne le rejet de sa demande reconventionnelle, au rejet des demandes adverses et à la condamnation de la société Alexanne à lui payer la somme de 13 402,20 euros, à titre de dommages et intérêts outre celle de 10 000 euros, pour procédure abusive et celle de 10 000 euros, en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle fait valoir que :
-dans le cadre de son activité, elle achète des mobil-homes et des éléments d'équipement complémentaires, tels des terrasses, directement auprès de fabricants ;
- elle a confié à la société Alexanne une prestation de service consistant à organiser le transport et l'installation des terrasses qu'elle commandait directement aux fabricants polonais ;
- la société Alexanne devait mettre en place la logistique nécessaire au transport des terrasses et procéder à leur montage ; elle n'avait aucune mission de négociation des contrats conclus avec les fabricants polonais avec qui elle était en relation depuis 2007 ;
- la société Alexanne n'avait aucun pouvoir de négociation mais une mission d'assistance technique ; l'objet social de cette société est l'importation et la vente de bois ;
- les factures mentionnent des honoraires ou des " commissions camion " ou des " commissions interprète ", visent des lieux de destination et non de provenance et ne sont pas établies en fonction du volume d'affaires mais sont forfaitaires ; elles ne correspondent pas à la rémunération d'un agent commercial, étant observé que la société Alexanne ne supportait pas les frais inhérents à la prospection ;
- les correspondances produites ne démontrent pas que la société Alexanne avait un pouvoir de négociation des prix et des quantités ; elle transmettait des instructions d'exécution et sollicitait des tarifs sans les négocier ; elle n'avait aucune liberté d'organisation dans la détermination des commandes et la fixation des prix ;
- la société Alexanne ne peut pas revendiquer le statut d'agent commercial puisqu'elle n'avait aucune liberté commerciale en matière de fixation des prix ;
- si la cour confirme le jugement au titre de l'existence d'un contrat d'agence commerciale, la société Alexanne ne justifie pas du préjudice allégué et ne peut, en toute hypothèse, solliciter le paiement d'une indemnité de remploi en vertu d'un arrêt du 15 septembre 2009 rendu par la chambre commerciale de la Cour de Cassation ;
- à titre reconventionnel, la société Alexanne doit réparer le préjudice qu'elle a subi suite à la mauvaise exécution des prestations d'installation de terrasses ayant fondé la rupture en juin 2010 ; elle a dû faire procéder à des travaux de reprise dans la mesure où la société Alexanne a été défaillante ; elle a dû également assumer des frais de gardiennage de matériels commandés par celle-ci mais non récupérés suite à sa cessation d'activité ;
- la méthode employée par la société Alexanne pour inventer une relation d'agent commercial afin d'obtenir une indemnisation indue doit être sanctionnée par l'octroi de dommages et intérêts pour procédure abusive.
C'est en cet état que la procédure a été clôturée par ordonnance du 21 mars 2013.
Motifs de la décision
Sur les demandes de la société Alexanne
Aux termes de l'article L. 134-1 du Code de commerce, l'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux.
Le statut légal d'agent commercial dépend des conditions dans lesquelles l'activité a été effectivement exercée permettant de déterminer si elle répond aux critères ci-dessus énoncés.
Il appartient à celui qui se prévaut du statut d'agent commercial d'en apporter la preuve.
La société Alexanne soutient qu'ayant développé un réseau de fournisseurs de bois en Pologne, elle a, à compter de juin 2009, négocié pour le compte de la société AP Loisirs les meilleurs prix aux conditions de livraison les plus avantageuses, ce qui caractériserait une convention verbale d'agence commerciale.
La société AP Loisirs fait valoir qu'elle a confié à la société Alexanne la réalisation de prestations consistant à assurer la logistique du transport des terrasses commandées par elle-même aux fabricants polonais et à procéder à leur montage sur les différents sites équipés de mobil-homes.
A l'appui de ses prétentions, la société Alexanne produit des échanges de courriels ainsi que les factures de commissions adressées et payées par la société AP Loisirs.
La majorité des courriels qui émanent d'une dénommée Anne Treilles, à priori préposée de la société Alexanne, adressés aux services marketing de sociétés prétendument de droit polonais, ne sont pas exploitables dans la mesure où ils sont rédigés en langue anglaise ou polonaise et ne sont pas traduits et que surtout ils font référence à des pièces jointes en format PDF qui ne sont pas versées aux débats (pièces du bordereau de l'appelante n° 10 à 14, 16, 17, 19 à 27, 29 à 37).
Les courriers électroniques rédigés en langue française adressés pour la plupart à une dénommée Maria A <charzykowy> qui réceptionne les commandes de terrasses et procède également à la traduction de documents rédigés en langue polonaise, établissent que la société Alexanne importe et installe des terrasses fabriquées en Pologne en faisant appel à des équipes de main d'œuvre polonaise pour certains chantiers, ce qui correspond à son objet social.
Si les courriels du 13 décembre 2009 (pièce n° 47), du 17 décembre 2009 (pièce n° 48), des 4 et 8 janvier 2010 (pièces n° 49 et 50), des 24 janvier, 25 janvier, 31 janvier, 2 février, 21 février et 26 février 2010 (pièce n° 51 à 57) démontrent que la société Alexanne a géré les commandes destinées à la société AP loisirs ainsi que leur acheminement en France et les modalités de leur montage, conformément aux prestations rentrant dans son activité d'importateur et d'installateur de terrasses, ils n'établissent pas qu'elle a négocié en toute indépendance les prix pour le compte de la société AP Loisirs, qui l'aurait mandatée à cet effet. Ces correspondances corroborent une assistance technique.
Les courriels du 24 juillet 2009 (pièce n° 38) et du 23 octobre 2009 (pièce n° 15) contenant les coordonnées bancaires des fabricants Poltarex et Timber et un récapitulatif de commandes avec les dates de livraison destinées à la société AP Loisirs ne démontrent pas non plus que la société Alexanne ait disposé d'un pouvoir de négociation des prix alors même que les messages électroniques des 20 et 22 juillet 2009 échangés avec le gérant de la société AP Loisirs révèlent que les fourchettes de prix étaient fixées par cette société et que les commandes étaient soumises à l'accord préalable de celle-ci ("Attends ton feu vert pour la commande").
De plus, la société AP Loisirs produit des factures de juillet, août 2007 et mars 2008 mentionnant notamment la livraison de terrasses par les sociétés Poltarex et Timber, ce qui conforte l'antériorité des relations avec ces fabricants polonais et remet en cause la thèse de la société Alexanne selon laquelle elle aurait fait bénéficier la société appelante de son réseau de fournisseurs industriels du bois en Pologne.
La société Alexanne invoque également la perception de commissions.
Les factures émises qui mentionnent " honoraires sur importation ", " commissions camion ", " commission export " d'un montant unitaire de 1 000 euros ou 600 euros, assimilable à un forfait, ne caractérisent nullement la rémunération visée à l'article L. 134-5 du Code de commerce qui doit varier avec le nombre ou la valeur des affaires.
En l'état de tous ces éléments, la société Alexanne ne démontre pas qu'elle ait disposé d'un pouvoir permanent de négocier des contrats au nom et pour le compte de la société AP Loisirs.
Elle ne peut donc pas revendiquer le statut d'agent commercial et doit être déboutée de ses demandes d'indemnisation faites sur ce seul fondement.
Le jugement sera infirmé de ces chefs et en ce qu'il a condamné la société AP Loisirs à payer à la société Alexanne une indemnité procédurale.
Sur la demande reconventionnelle
La société AP Loisirs invoque la mauvaise exécution du montage de terrasses attenantes à des mobil homes installés au camping l'Airial à Soustons (40) et au camping " Les Abricotiers " à Argelès sur Mer (66), prétendument confié à la société Alexanne.
Elle produit un courrier du 10 mars 2011 émanant du directeur technique de la société exploitant le camping L'Airial qui se plaint de désordres affectant les terrasses nécessitant des travaux de recalage ainsi qu' une facture du 30 juin 2011 adressée à la société Alexanne au titre de prestations sur malfaçons de terrasses installées au camping " Les Abricotiers ".
Ces pièces ne suffisent pas à établir la réalité des désordres et des travaux de reprise ni leur imputabilité.
La société AP Loisirs ne démontre pas davantage que la société Alexanne n'aurait pas récupéré 50 modules bois autoclave facturés le 29 octobre 2010, ce qui aurait généré des frais de gardiennage.
La demande reconventionnelle de la société AP Loisirs a été à juste titre rejetée par le premier juge comme étant totalement injustifiée.
Le jugement sera confirmé sur ce point.
La société AP Loisirs ne démontre pas, par ailleurs, que l'action en justice de la société Alexanne a dégénéré en abus.
Sur les autres demandes
Il ne sera pas fait application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de l'une ou de l'autre partie.
La société Alexanne supportera la charge des dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Infirme le jugement sauf en ce qui concerne le rejet de la demande reconventionnelle de la société AP Loisirs ; Et statuant à nouveau ; Dit que le contrat verbal liant les parties ne relève pas du statut des agents commerciaux ; Déboute la société Alexanne de ses demandes indemnitaires ; Déboute la société AP Loisirs de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive ; Dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de l'une ou de l'autre partie ; Condamne la société Alexanne aux dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.