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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 24 mai 2013, n° 13-02502

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Artecom (SARL)

Défendeur :

BNP Paribas (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Chandelon

Conseillers :

Mmes Saint-Schroeder, Lion

Avocats :

Mes Davy, Boccon-Gibod, Meslay-Caloni

T. com. Paris, 1re ch., du 18 déc. 2012

18 décembre 2012

La société BNP Paribas a mis en place en 1983 un service, dénommé Studio Audiovisuel, dont la mission était de fournir aux diverses entités BNPP, des supports multimédia de communication afin de promouvoir l'activité du groupe.

Le responsable du Studio Audiovisuel était M. Gérard Gianni jusqu'en 2009. Ce service faisait appel à des prestataires de services externes travaillant avec des intermittents, telles les sociétés Philip & Partners et l'œil du Cyclope, dès avant la création, fin 2004, de la SARL Artecom, créée à l'initiative de M. Gianni, et dont la gérante est, depuis le mois de septembre 2010, Mme Christine Lucas, épouse de M. Gianni. Cette société expose avoir été créée pour répondre aux besoins de production audiovisuelle interne de la BNP Paribas et avoir dès le début de son activité embauché les intermittents du spectacle jusqu'alors employés par cette société qui lui a confié la production, la réalisation et le montage de 700 programmes audiovisuels internes.

Après plusieurs réunions et envois de courriels, la société BNP Paribas a fait savoir à la société Artecom par lettre du 26 septembre 2011 qu'elle mettait un terme à leurs relations à compter du 31 mars 2012.

Estimant que le préavis de six mois était insuffisant, Artecom a fait assigner à bref délai BNP Paribas en payement de plusieurs factures, de la somme de 120 000 € en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies, de celle de 215 000 € en réparation du préjudice subi en raison de l'abus de dépendance économique et de celle de 100 000 € au titre de la rupture déloyale des relations commerciales établies devant le Tribunal de commerce de Paris qui, par jugement du 18 décembre 2012 assorti de l'exécution provisoire, l'a déboutée de ses demandes et l'a condamnée à payer à BNP Paribas la somme de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Artecom a formé appel de cette décision le 7 février 2013 puis a fait assigner à jour fixe, par acte du 28 février 2013, la BNP Paribas aux fins de voir la cour, au visa des articles 1134, 1147 et 1382 du Code civil et L. 442-6 du Code de commerce, infirmer le jugement, dire que le préavis de 6 mois est insuffisant et le fixer à 18 mois, condamner BNP Paribas à lui payer les sommes précitées ainsi que celle de 20 000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

BNP Paribas conclut, dans ses écritures du 19 mars 2013, au visa de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, à la confirmation de la décision déférée et à la condamnation de Artecom à lui payer la somme de 20 000 € au titre de ses frais irrépétibles d'appel.

SUR CE

Considérant que Artecom fait valoir qu'elle a entretenu depuis sa création des relations d'affaires continues et établies avec BNP Paribas qui était sa cliente quasi-exclusive et qu'elle se trouvait dans un état de dépendance économique vis-à-vis de cette société dès lors qu'elle réalisait 90 % de son chiffre d'affaires avec elle, que celle-ci s'immisçait systématiquement dans son fonctionnement et qu'elle n'avait pas de solution alternative dès lors qu'elle n'a pu divulguer son travail à des tiers pour démarcher de nouveaux clients, seul le nom de BNP Paribas ou de son personnel étant crédité au générique ;

Qu'elle soutient que la brutalité de la rupture résulte de l'insuffisance de préavis qui, après plus de sept ans de relations commerciales et compte tenu de son état de dépendance économique, ne saurait être inférieur à 18 mois ;

Considérant que BNP Paribas objecte qu'elle faisait appel à des prestataires dans le domaine de l'audiovisuel bien avant la création d'Artecom, qu'elle ne leur était liée par aucun engagement écrit et n'accordait aucune exclusivité à l'une quelconque de ces sociétés qui ne bénéficiaient d'aucune garantie de volume d'affaires et que leur activité dépendait des seuls besoins en termes de communication des différentes entités du groupe BNP Paribas ;

Qu'elle indique, alors même que le caractère établi des relations entre elle et Artecom aurait pu être contesté, avoir préféré faire bénéficier Artecom des dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce en lui notifiant le 26 septembre 2011 la cessation des relations en octroyant un préavis supplémentaire de 6 mois, alors qu'Artecom en était avertie déjà depuis plus de deux ans puisqu'elle l'avait informée, comme les autres prestataires, de la réorganisation de son service audiovisuel et de la cessation des relations près de trois ans avant leur prise d'effet ainsi que de la nécessité d'anticiper la cessation de leurs relations plus de deux ans avant sa prise d'effet ;

Qu'elle ajoute que Artecom ne peut se prévaloir, pour revendiquer un préavis plus long, d'un état de dépendance économique alors qu'elle n'était tenue d'aucune obligation d'exclusivité, n'était pas plus gênée par une quelconque immixtion de sa part et qu'elle s'est en fait abstenue de diversifier sa clientèle comme elle l'aurait dû, compte tenu du délai extrêmement long qui lui a été donné pour se réorganiser ;

Qu'elle dénie toute déloyauté dans la cessation des relations et affirme que Artecom ne rapporte la preuve ni de son préjudice ni de ce que celui-ci aurait été causé par un manquement de sa part, ni a fortiori celle du lien de causalité entre le manquement et le préjudice ;

Considérant, cela exposé, que la BNP Paribas indiquant ne pas contester le caractère établi de la relation commerciale entretenue avec Artecom depuis le mois de décembre 2004 jusqu'au mois de septembre 2011, ce pourquoi elle a fait bénéficier cette société d'un préavis de six mois, il y a lieu d'examiner les conditions de la rupture de cette relation commerciale ;

Considérant que la relation entre les parties a donc débuté au jour de la création de Artecom au mois de décembre 2004 ; que la BNP Paribas a informé Artecom le 26 septembre 2011 de ce qu'elle mettait un terme à cette relation et lui accordait un préavis de six mois ; que la durée de la relation s'élève ainsi à six ans et neuf mois ;

Considérant que Artecom fait valoir qu'elle réalisait l'essentiel de son chiffre d'affaires avec la BNP Paribas et se trouvait ainsi dans un état de dépendance total vis-à-vis de cette société ; que les chiffres avancés par Artecom et non contestés par l'intimée révèlent que le chiffre d'affaires généré par les prestations effectuées pour la BNP Paribas a représenté 88,59 % de son chiffre d'affaires en 2008, 94,09 % en 2009, 94,67 % en 2010 et 83,68 % en 2011 ;

Que, toutefois, si la BNP Paribas était quasiment la seule cliente de l'appelante, les parties n'étaient pas dans un lien d'exclusivité ; que Artecom ne pouvait ignorer les risques encourus par l'absence de diversification de sa clientèle ; que dès le mois de mai 2009, la BNP Paribas informait cette société, comme son autre partenaire, la société Philip & Partners, de sa volonté de mettre en œuvre une nouvelle organisation de la structure ; que le 3 mai 2010, elle lui rappelait lui avoir ainsi indiqué qu'elle avait pris la décision de réorganiser son service audiovisuel qui allait être principalement assuré par elle ; qu'elle lui rappelait de même l'avoir prévenue que deux des intermittents avec lesquels Artecom avait souvent travaillé avaient postulé auprès de ses services au mois d'octobre 2009 et les avoir embauchés après avoir appris qu'ils étaient libres de tout engagement ; qu'elle lui confirmait, dans cette même lettre, faire tous ses efforts pour continuer de lui confier un volume de chiffres d'affaires en 2010 et précisait que s'agissant de 2011 elle espérait continuer à travailler de temps à autre avec elle et d'autres de ses partenaires même si, écrivait-elle, le volume d'affaires confié serait très significativement réduit ; qu'elle ajoutait que l'hypothèse d'une cessation totale de toutes relations était à anticiper très sérieusement de part et d'autre comme elle lui en avait déjà fait part un an auparavant ; que si cette lettre ne peut être qualifiée de préavis, il demeure qu'elle aurait dû inciter Artecom, comme celle reçue au mois de mai 2010, à diversifier sa clientèle et ce d'autant plus qu'elle se plaignait de l'intervention d'un nouveau salarié du service audiovisuel de BNP Paribas dans sa gestion comme elle en justifie à compter du deuxième semestre 2010 s'agissant du choix des ingénieurs du son ou des maquilleuses et des tarifs ; que l'absence de mention de son nom au générique des films produits pour la BNP Paribas ne faisait pas obstacle à la recherche d'autres clients contrairement à ce qu'elle prétend alors qu'elle ne verse aucune pièce démontrant une recherche effective de clients ;

Considérant que compte tenu de la durée de la relation commerciale, de l'état de dépendance économique de Artecom et des développements qui précèdent, la BNP Paribas aurait dû respecter un préavis de huit mois ;

Considérant que Artecom ne peut obtenir la réparation que du préjudice causé par le caractère brutal de la rupture ; qu'il y a lieu de tenir compte du préavis de six mois accordé par la BNP Paribas ; que le chiffre d'affaires réalisé avec BNP Paribas sur les années 2009, 2010 et 2011 s'élève à la somme totale de 669 144 € ; que le taux de marge brute de 13,67 % avancé par Artecom n'est pas contesté par l'intimée ; que le préjudice subi par Artecom du fait de la rupture brutale de la relation commerciale doit donc être indemnisé par la somme de 15 250 € ;

Considérant que Artecom allègue un préjudice résultant de l'abus de position dominante de BNP Paribas à compter de 2010 et cite à l'appui de ce chef de demande l'embauche de deux intermittents par l'intimé ainsi que le refus de facturer des prestations de chargés de production et de lui louer du matériel ;

Mais considérant, d'une part, que Artecom ne s'est pas opposée à l'embauche des deux intermittents en précisant à BNP Paribas qu'ils étaient libres de tout engagement ; que, d'autre part, il ne peut être fait grief à l'intimée d'avoir réorganisé son service audiovisuel, réorganisation dont Artecom a été tenue informée dès le mois de mai 2009 comme il vient d'être dit ; que l'appelante sera, en conséquence, déboutée de ce chef de demande ;

Considérant que Artecom prétend, en outre, avoir subi un préjudice du fait du comportement déloyal de la BNP Paribas lors de la rupture à savoir l'allégation de faux motifs de rupture ; que, néanmoins, ce grief n'est étayé par aucune pièce et qu'en tout état de cause si, comme le prétend Artecom, l'intimée a souhaité en fait changer de prestataire et non réorganiser son service audiovisuel, la preuve d'un préjudice distinct de celui causé par le non-respect d'un préavis suffisant n'est pas rapportée ; que ce chef de demande sera également rejeté ;

Et considérant qu'il convient d'allouer à Artecom une indemnité en application de l'article 700 du Code de procédure civile, la demande formée du même chef par la BNP Paribas étant rejetée ;

Par ces motifs : Infirme le jugement, Statuant à nouveau, Condamne la société BNP Paribas à payer à la société Artecom la somme de 15 250 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la brutalité de la rupture des relations commerciales établies ainsi que celle de 4 000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile, Rejette toute autre demande, Condamne la société BNP Paribas aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.