CA Orléans, ch. com., économique et financière, 16 mai 2013, n° 12-02685
ORLÉANS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
La Boutique du Motard (SARL)
Défendeur :
Dafy Moto (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Raffejeaud
Conseillers :
MM. Garnier, Monge
Exposé :
La SA Dafy Moto exploite divers magasins d'accessoires pour moto et motards, dont un à St Cyr sur Loire dans l'agglomération de Tours, qui était dirigé par Augusto F. jusqu'en juin 2006, date de son licenciement pour faute lourde, actuellement contesté devant la chambre sociale de la cour d'appel. M. F. a alors créé la SARL La Boutique du Motard, qui exploite à Tours dans le même secteur d'activité un magasin à l'enseigne "Beep Bike".
La société Dafy Moto a fait assigner la société La Boutique du Motard, par acte du 30 mars 2011, pour obtenir d'elle 50 000 euros de dommages et intérêts sur le fondement de la concurrence déloyale en lui reprochant de l'avoir dénigrée auprès de ses fournisseurs dans un courrier électronique du 25 avril 2010 qui lui imputait, notamment, de recourir à des pratiques déloyales et à des ventes à perte en vue de la ruiner.
Par jugement du 14 septembre 2012, le Tribunal de commerce de Tours a rejeté la demande de sursis à statuer formulée par la défenderesse, écarté son argumentation tirée de l'application exclusive de la loi du 29 juillet 1881 au motif que le litige portait bien sur un dénigrement relevant de l'article 1382 du Code civil, dit que ce dénigrement était avéré, et alloué à Dafy Moto 1 000 euros de dommages et intérêts en déboutant les parties du surplus de leurs demandes respectives.
La SARL La Boutique du Motard a relevé appel.
Elle demande à la cour de surseoir à statuer jusqu'à l'issue de l'instruction actuellement en cours à Tours sur les pratiques anticoncurrentielles de Dafy Moto, dans laquelle elle s'est constituée partie civile, faisant valoir que l'information judiciaire ne manquera pas d'établir la réalité des pratiques fustigées dans le courriel litigieux.
Elle invoque la nullité de l'assignation, au motif que le dénigrement qui lui est imputé constituerait en réalité s'il était avéré une diffamation, nécessitant comme telle en application de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 diverses mentions qui font ici défaut dans l'acte de citation. Elle soulève au visa de l'article 65 de ce même texte l'irrecevabilité de l'action adverse, faute d'avoir été introduite dans les trois mois de la diffusion du courrier incriminé.
À titre subsidiaire, elle conteste toute faute en soutenant n'avoir fait que relater légitimement les pratiques illicites et déloyales de Dafy Moto, faisant valoir à cet égard, notamment, que celle-ci a déposé à son encontre une plainte avec constitution de partie civile qui a abouti à un non-lieu fustigeant son recours à des attestations mensongères ; qu'elle a été condamnée en première instance à verser d'importantes indemnités pour avoir indûment licencié pour faute lourde M. F. ; que son dirigeant s'est vanté à plusieurs reprises dans des courriers électroniques de tout mettre en œuvre pour 'couler' l'affaire que celui-ci a créée à Tours, et véhicule à son encontre des propos calomnieux sur son intégrité. Elle conclut au rejet pur et simple des prétentions adverses, conteste très subsidiairement la réalité même du préjudice allégué, et réclame 50 000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive en affirmant que le procès participe de cette tentative de la déstabiliser.
La société Dafy Moto demande à la cour de confirmer le jugement déféré sauf à porter son indemnisation à 50 000 euros eu égard à l'importance de son préjudice. Elle conclut au rejet des contestations fondées sur la loi de 1881, au motif que c'est bien d'un dénigrement et non pas d'une diffamation qu'elle a fait l'objet, s'agissant d'allégations diffusées dans le milieu professionnel pour nuire à son image auprès de ses fournisseurs et partenaires. Elle soutient que la société La Boutique du Motard a délibérément cherché à la discréditer. Elle se prévaut d'une attestation de son expert-comptable pour rejeter le grief de ventes à perte, et justifie le caractère abrupt du courriel émanant de l'un de ses dirigeants par le comportement de M. F., qu'elle accuse d'avoir agressé son délégué commercial et menacé de mort le responsable de son magasin tourangeau. Elle objecte que le juge d'instruction a mené une information cursive, et que le conseil des prud'hommes a bien validé le licenciement pour faute en écartant simplement la faute lourde au bénéfice du doute. Elle conteste les griefs qui lui sont adressés. Elle justifie sa réclamation par la particulière gravité de l'atteinte portée à son image et à sa réputation.
Il est référé pour le surplus aux conclusions récapitulatives des plaideurs.
L'instruction a été clôturée par une ordonnance du 7 mars 2013, ainsi que les avocats des parties en ont été avisés.
Motifs de l'arrêt :
Attendu que le courrier électronique litigieux du 25 avril 2010 impute à la société Dafy Moto des pratiques constitutives d'une concurrence déloyale et le recours à des procédés indignes destinés à jeter le discrédit sur la société La Boutique du Motard ; que s'agissant d'appréciations qui ne visent pas ou pas seulement la personne, mais touchent les produits, les services ou les prestations d'une entreprise commerciale et qui émanent d'une société concurrente de la même spécialité dans le but de se positionner auprès des fournisseurs, elles n'entrent pas dans les prévisions de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881, et c'est donc à bon droit que les premiers juges ont dit que ces imputations n'étaient pas constitutives de diffamation mais relevaient du régime de responsabilité de droit commun de l'article 1382 du Code civil applicable à des allégations dénigrantes, de sorte que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a rejeté le moyen tiré de la nullité de l'acte introductif d'instance pour cause de défaut des mentions requises par l'article 53 de ladite loi de 1881, et le moyen d'irrecevabilité de l'action tiré de l'expiration du délai de trois mois institué par l'article 65 de ce même texte ;
Attendu que l'existence, avérée, d'une information judiciaire pour abus de position dominante et pratiques anti-concurrentielles actuellement en cours au cabinet de l'un des magistrats instructeurs du Tribunal de grande instance de Tours à la suite de la transmission au procureur de la république des procès-verbaux d'enquête établis par la direction de la concurrence suite à la plainte déposée le 7 juillet 2011 par la société La Boutique du Motard, n'est pas de nature à justifier un sursis à statuer dans la présente instance, dès lors que la démonstration de la véracité des faits est inopérante en fait de concurrence déloyale par voie d'allégations dénigrantes ;
Attendu qu'il ressort des productions (pièce n° 1 de l'intimée), sans contestation de ce chef, que la société La Boutique du Motard a diffusé le 25 avril 2010 auprès de plusieurs dizaines d'entreprises un message informatique intitulé "'à l'attention de nos fournisseurs" évoquant le différend qui l'opposait à Dafy Moto, en y écrivant, notamment, que la politique de remise pratiquée par celle-ci constituait une concurrence déloyale et risquait à terme de jeter le discrédit sur leurs propres produits, que l'intérêt du consommateur importait peu à Dafy Moto, qu'elle colportait des propos mensongers à l'endroit de Beep Bike, et cherchait à la couler par procédé indigne et basse manœuvre ;
Attendu qu'au vu de l'absence de modération de telles critiques, imputant publiquement, dans un message diffusé auprès de professionnels, des pratiques anormales à une concurrente explicitement désignée, la réalité d'un dénigrement de Dafy Moto par La Boutique du Motard est établie, et la concurrence déloyale caractérisée, sans être susceptible de se trouver justifiée par l'existence alléguée d'agissements adverses auxquels elle répondrait ;
Et attendu qu'un préjudice s'infère nécessairement du dénigrement commis, générateur d'un trouble commercial et d'une atteinte à l'image de l'entreprise ;
Attendu qu'au vu des pièces produites et des éléments de la cause, c'est pertinemment que le tribunal a alloué 1 000 euros en réparation de ce préjudice à la société Dafy Moto, laquelle ne rapporte pas en cause d'appel d'éléments de nature à justifier une indemnisation supérieure ;
Attendu enfin que la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive formulée reconventionnellement par La Boutique du Motard a été rejetée à raison par les premiers juges, au vu du sens de la décision ;
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort : Confirme le jugement entrepris. Condamne la SARL La Boutique du Motard aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer 1 000 euros à la SA Dafy Moto en application de l'article 700 du Code de procédure civile.