CA Reims, ch. soc., 15 mai 2013, n° 12-00883
REIMS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Mathieu
Défendeur :
Manurégion (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Conté
Conseillers :
Mmes Robert, Aymes Belladina
Avocats :
Mes de Bruyn, Grosdemange, Fiard
Exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties
Monsieur Mathieu a été engagé le 1er octobre 1997 par la société Manurégion en qualité de mécanicien monteur par contrat à durée indéterminée et est devenu ouvrier qualifié chargé de l'installation sur site client d'équipements industriels, dépannage, réparation et entretien (technicien en service après-vente).
Par lettre du 1er octobre 2010, il a été convoqué à un entretien préalable fixé au 11 octobre 2010 et par lettre du 14 octobre 2010 licencié pour faute grave pour inscription en qualité d'auto-entrepreneur sans prévenir l'employeur, travail pour une société concurrente et pose d'un portail facturé par le salarié.
Contestant son licenciement, Monsieur Mathieu a saisi le Conseil de prud'hommes de Reims le 20 janvier 2011 qui par jugement rendu le 24 février 2012 a débouté le salarié de ses demandes, débouté la société Manurégion de sa demande reconventionnelle et condamné Monsieur Mathieu aux dépens.
Monsieur Mathieu a régulièrement interjeté appel le 29 mars 2012 et demande de :
- infirmer le jugement en toutes ses dispositions,
- dire et juger que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
- condamner la société Manurégion à lui payer les sommes de :
- 45 360 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement infondé et abusif soit 24 mois de salaire brut,
- 3 780 euros à titre d'indemnité de préavis,
- 378 euros à titre de congés payés afférents,
- 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral,
à titre subsidiaire,
- 1 890 euros correspondant à un mois de salaire brut au titre du caractère irrégulier du licenciement,
- 1 600 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la société Manurégion à lui remettre une attestation Pôle Emploi rectifiée sous astreinte de 15 euros par jour de retard à compter du 8ème jour suivant la notification de la décision à intervenir, le conseil se réservant la faculté de liquider l'astreinte,
- dire et juger que les demandes de dommages et intérêts produiront intérêts au taux légal à compter du "jugement à intervenir",
- ordonner la capitalisation des intérêts,
- condamner la société Manurégion aux entiers dépens.
La société Manurégion demande la confirmation du jugement et de débouter Monsieur Mathieu de ses demandes et de le condamner aux entiers dépens et à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
DÉCISION
Attendu que les griefs reprochés à Monsieur Mathieu sont au nombre de deux, soit la déloyauté en ne prévenant pas l'employeur de son inscription en qualité d'auto-entrepreneur et la concurrence déloyale en allant travailler chez un établissement concurrent pour lequel il a assuré la pose d'un portail chez un de ses clients, pose qu'il a facturé par l'intermédiaire de son auto-entreprise ; que l'employeur a eu connaissance de ces faits fin septembre 2010 par l'intermédiaire de la société TIM qui était mécontente du travail du poseur et voulait savoir dans quelles conditions il était intervenu ; que la facture ayant été transmise à l'employeur, il s'est aperçu de l'inscription de son salarié en qualité d'auto-entrepreneur ;
Attendu que la lettre de licenciement indique que Monsieur Mathieu a donné comme explication à son inscription d'auto-entrepreneur "Om Pose" qu'il effectuait des dépannages de volets et fenêtres sans pose mais n'a apporté aucune réponse sur son travail pour l'entreprise concurrente, la société Champagne Fermetures qui a son siège dans les Ardennes et un établissement à Reims ; que l'employeur rappelle dans cette lettre que lui-même est amené à vendre des volets et fenêtres à l'occasion de la vente d'un portail et à assurer par l'intermédiaire de sous-traitants la pose et le service après-vente ;
Attendu que le salarié conteste avoir manqué à son obligation de loyauté et commis des actes de concurrence ;
Mais attendu que s'il ne peut être interdit à un salarié de créer une auto-entreprise sans avoir à obtenir l'accord de son employeur auquel il n'est pas lié par une clause d'exclusivité, c'est à la condition qu'il ne concurrence pas l'activité de l'employeur et qu'il effectue ses prestations hors du temps et du lieu du travail ; que de plus l'obligation de loyauté qui doit présider à toute relation de travail justifie que le salarié prévienne l'employeur de cette démarche ; que s'il ne le fait pas, l'employeur ne peut le licencier pour faute grave mais peut lui reprocher de ne pas avoir été loyal, et ce d'autant qu'en travaillant ses jours de repos, le salarié s'expose davantage à un accident du travail lorsqu'il exerce un poste dangereux, ce qui était le cas de Monsieur Mathieu qui travaillait souvent en hauteur, sur nacelle, dans l'entreprise Manurégion ;
Attendu que toutefois le grief principal, permis par la création d'une auto-entreprise par Monsieur Mathieu dont l'activité est "autres travaux d'installation", est d'être allé travailler pour une entreprise concurrente en installant un portail pour un de ses clients, la facturation étant assurée par son auto-entreprise ;
Attendu que la société Manurégion relève en outre que la création de la société Champagne Fermetures et l'auto-entreprise de Monsieur Mathieu ont été constituées dans le même temps ; que le salarié conscient de cette concurrence a menti et caché son entreprise en indiquant un faux numéro de Siret sur ses factures pour tenter de conserver son anonymat ; qu'elle vend des produits identiques à la société Champagne Fermetures soit des portails et fermetures pour les professionnels, et en assure la pose et le service après-vente et intervient accessoirement chez des particuliers pour des portails et volets roulants ;
Attendu que Monsieur Mathieu soutient qu'il n'a pas travaillé chez la société Champagne Fermetures car il n'est pas salarié de celle-ci mais a travaillé pour elle en tant que sous-traitant pour la pose de menuiserie et que la société Champagne Fermetures n'est pas un concurrent de la société Manurégion ; que la société Champagne Fermetures travaille principalement chez des particuliers et exceptionnellement chez des professionnels alors que la société Manurégion installe des équipements industriels ; que c'est sur ce seul créneau que les entreprises sont concurrentes et ont des activités similaires ;
Mais attendu qu'il importe peu que la société Champagne Fermetures ne l'ait pas sollicité pour travailler chez des professionnels afin de ne pas lui nuire car il aurait concurrencé son employeur ou qu'il ait refusé d'intervenir chez un professionnel afin de ne pas concurrencer son employeur, encore que les documents produits sur la pose du portail litigieux ne justifient pas un travail chez un particulier, le fait de travailler pour une entreprise dont au moins une partie de l'activité est concurrente à celle de son employeur au vu des déclarations des parties, des statuts de la société et de la publicité de Champagne Fermetures (portes de garage, portails, fermetures industrielles) et des factures de la société Manurégion, sans le prévenir et alors que par ses fonctions et son ancienneté il avait connaissance de la clientèle et des prix pratiqués par son employeur caractérise l'acte de déloyauté et de concurrence déloyale du salarié ; que ce seul fait est suffisamment grave pour justifier le licenciement prononcé par l'employeur ; que le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté le salarié de ses demandes ;
Attendu que Monsieur Mathieu succombant en son appel supportera la charge des dépens ; qu'il serait inéquitable de laisser à la société Manurégion la totalité des frais irrépétibles qu'elle a dû engager pour se défendre ; qu'il lui sera attribué une somme de 300 euros ; que Monsieur Mathieu sera débouté de la demande formée à ce titre.
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi, Confirme le jugement, Y ajoutant, Condamne Monsieur Mathieu à verser à la société Manurégion la somme de 300 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Rejette toute autre demande, Condamne Monsieur Mathieu aux dépens.