Cass. soc., 27 mars 2013, n° 12-12.892
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Distribution Casino France (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lacabarats
Avocats :
SCP Gatineau, Fattaccini, SCP Masse-Dessen, Thouvenin, Coudray
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 24 novembre 2011), que par contrat de cogérance du 29 juin 2006, la société Distribution Casino France (la société) a confié à M. et Mme X la gestion de la succursale exploitée à Clères (76) à l'enseigne "Petit Casino" ; que par lettre du 22 avril 2008, la société leur a notifié un inventaire réalisé le 19 mars 2008, faisant apparaître un manquant de marchandises ; que par lettre du 28 mai 2008, elle a notifié aux époux X la rupture de leur contrat ; que ces derniers ont saisi la juridiction prud'homale aux fins de requalification de leur contrat en un contrat de travail et de paiement de rappels de salaires, d'indemnités de rupture et d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et de dommages-intérêts au titre d'une clause de non-concurrence illicite faute de contrepartie financière ;
Sur les premier et second moyens du pourvoi principal des cogérants : - Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur ces moyens, qui ne seraient pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
Sur le premier moyen du pourvoi incident de la société : - Attendu que la société fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à chacun des époux X des dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de cogérance et une indemnité de préavis, alors, selon le moyen : 1°) que le mandataire dépositaire doit rendre compte tant du mandat que du dépôt et justifier de la restitution ou de l'utilisation conforme des biens remis en dépôt ; qu'en faisant peser sur la société Casino la charge de la preuve, et en lui reprochant notamment de ne pas établir avec certitude la responsabilité des mandataires gérants dans le déficit constaté, la cour d'appel a renversé la charge de la preuve et violé les articles 1315, 1927, 1933 et 1993 du Code civil et L. 7322-1 du Code du travail ; 2°) que l'article L. 7322-1 du nouveau Code du travail, applicable depuis le 1er mai 2008, accorde seulement aux gérants mandataires non-salariés des succursales de commerce de détail alimentaire, le bénéfice des dispositions du Livre I de la troisième partie relatif à la durée du travail, aux repos et aux congés, et la quatrième partie du Code du travail relative à la santé et à la sécurité au travail, et ce à la condition que soient fixées par l'entreprise propriétaire de la succursale les conditions de travail, de santé et de sécurité au travail dans l'établissement, ou soumises à son agrément ; qu'il en résulte qu'une rupture du contrat de gérance mandat survenue postérieurement au 1er mai 2008 ne peut se voir appliquer les dispositions du Code du travail relatives au licenciement ; qu'en affirmant que l'article L. 782-7 de l'ancien Code du travail, faisant bénéficier les gérants non-salariés des succursales des maisons d'alimentation de détail de tous les avantages accordés aux salariés par la législation sociale, était applicable au moment de la rupture, quand celle-ci était intervenue le 28 mai 2008, la cour d'appel a violé l'article 14 de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 relative au Code du travail (partie législative) et l'article 2-X de la loi n° 2008-67 du 21 janvier 2008 ratifiant cette ordonnance, ensemble l'article L. 782-7 de l'ancien Code du travail par fausse application ; 3°) qu'il appartient au juge d'examiner tous les motifs énoncés dans la lettre de rupture du contrat de gérance ; qu'en l'espèce, l'exposante faisait valoir que la lettre de rupture du contrat de gérance reprochait aux époux X non seulement un déficit d'inventaire, mais également l'absence, en méconnaissance de leurs obligations contractuelles, de toute justification apportée concernant les manquants constatés de même que leur carence totale à rembourser dans les délais contractuels le déficit d'inventaire constaté ; qu'en s'abstenant d'examiner ces griefs, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1232-6, L. 1232-1, L. 1234-1, L. 1234-5, L. 1234-9 et L. 7322-1 du Code du travail, ensemble les articles 1927, 1933 et 1993 du Code civil ;
Mais attendu qu'il résulte de l'article L. 7322-1 du Code du travail que les dispositions de ce Code bénéficiant aux salariés s'appliquent en principe aux gérants non-salariés de succursales de commerce de détail alimentaire ; que les articles L. 1231-1 et suivants du Code du travail, relatifs à la rupture du contrat de travail à durée indéterminée, sont par conséquent applicables à ces gérants non-salariés ;
Et attendu que si le gérant non-salarié d'une succursale peut être rendu contractuellement responsable de l'existence d'un déficit d'inventaire en fin de contrat et tenu d'en rembourser le montant, il ne peut être privé, dès l'origine, par une clause du contrat, du bénéfice des règles protectrices relatives à la rupture des relations contractuelles ; que c'est donc à bon droit que la cour d'appel, qui n'était pas liée par la définition donnée par la convention des parties des faits susceptibles d'en entraîner la rupture sans préavis ni indemnité, a apprécié si les faits reprochés aux cogérants constituaient une faute grave ou une cause réelle et sérieuse de licenciement ; qu'elle a, par motifs adoptés, retenu que les époux X justifiaient des anomalies rencontrées dans la manière dont étaient effectués les inventaires, mais aussi en matière de reprise des périmés, dans la tarification des marchandises, dans les prises de commandes et de façon plus générale dans le suivi des comptes de nombreuses supérettes, que les faits reprochés et notamment la responsabilité en matière de déficit ne sont pas avérés ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen du pourvoi incident de la société : - Attendu que la société fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à chacun des époux X une indemnité pour nullité de la clause de non-concurrence, alors, selon le moyen : 1°) que les parties à un contrat de gérance non-salariée de succursale de maison d'alimentation de détail, sont libres d'y insérer une clause de non-concurrence dépourvue de contrepartie financière ; qu'en retenant que les époux X pouvaient prétendre au bénéfice d'une indemnité dès lors que leur contrat comportait une clause de non-concurrence dépourvue de contrepartie financière, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil, ensemble l'article L. 7322-1 du Code du travail ; 2°) que l'article L. 7322-1 du nouveau Code du travail, applicable depuis le 1er mai 2008, accorde seulement aux gérants mandataires non-salariés des succursales de commerce de détail alimentaire, le bénéfice des dispositions du Livre I de la troisième partie relatif à la durée du travail, aux repos et aux congés, et la quatrième partie du Code du travail relative à la santé et à la sécurité au travail, et ce à la condition que soient fixées par l'entreprise propriétaire de la succursale les conditions de travail, de santé et de sécurité au travail dans l'établissement, ou soumises à son agrément ; qu'il en résulte qu'à tout le moins, depuis le 1er mai 2008, n'est pas nulle la clause de non-concurrence d'un contrat de gérance dépourvue de contrepartie financière ; qu'en l'espèce, la rupture du contrat de gérance est intervenue le 28 mai 2008 ; qu'en jugeant cependant que les époux X pouvaient prétendre au bénéfice d'une indemnité dès lors que leur contrat comportait une clause de non-concurrence dépourvue de contrepartie financière, la cour d'appel a violé l'article 1134 du Code civil, ensemble l'article L. 7322-1 du Code du travail, l'article 14 de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 relative au Code du travail (partie législative) et l'article 2 - X de la loi n° 2008-67 du 21 janvier 2008 ratifiant cette ordonnance ;
Mais attendu qu'en vertu du principe fondamental de libre exercice d'une activité professionnelle et de l'article L. 782-7, recodifié L. 7322-1, du Code du travail, une clause de non-concurrence stipulée dans le contrat d'un gérant non-salarié de succursale de maison d'alimentation de détail n'est licite que si elle comporte l'obligation pour la société de distribution de verser au gérant une contrepartie financière ; que la validité d'une telle clause doit être appréciée à la date de sa conclusion ; que le moyen, inopérant en sa seconde branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
Par ces motifs : Rejette les pourvois tant principal qu'incident.