Cass. com., 28 mai 2013, n° 12-18.195
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
Lacroix signalisation (SAS)
Défendeur :
Président de l'Autorité de la concurrence, Selarl Francis Villa (ès qual.), Aximum (SA), Franche Comté signaux (SAS), Reverdy (ès qual.), Signature (SA), Signaux Girod (SA), Sodilor (SAS), Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, Sécurité et signalisation (SAS), Laporte service route (SAS), Selarl AJ partenaires (ès qual.), Rnewco 2 (SAS), Procureur général près la Cour d'appel de Paris
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Espel
Rapporteur :
Mme Riffault-Silk
Avocat général :
M. Carre-Pierrat
Avocats :
SCP Boré, Salve de Bruneton, SCP Baraduc, Duhamel, SCP Célice, Blancpain, Soltner, Me Le Prado
LA COUR : - Joint les pourvois n° 12-18.195 formé par la société Lacroix signalisation, 12-18.410 déposé par la société Aximum et 12-18.577 relevé par la société Signaux Girod, qui attaquent le même arrêt ; - Donne acte à la société Signaux Girod et la société Aximum du désistement partiel de leurs pourvois ; - Sur le pourvoi n° 12-18.410 : - Vu l'article 1026 du Code de procédure civile ; - Attendu que par acte déposé le 11 avril 2013 au greffe de la Cour de cassation, Me Le Prado, avocat à cette cour, a déclaré, au nom de la société Aximum, se désister du pourvoi maintenu par lui contre l'arrêt rendu par la Cour d'appel de Paris le 29 mars 2012, au profit du ministre de l'Economie, du président de l'Autorité de la concurrence, de la société Sécurité et signalisation et de M. Villa en qualité de liquidateur judiciaire de celle-ci ; que ce désistement, intervenu après le dépôt du rapport le 22 janvier 2013, doit être constaté par un arrêt ;
Sur les pourvois n° 12-18.195 et 12-18.577 : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 29 mars 2012), que le Conseil de la concurrence devenu l'Autorité de la concurrence (le Conseil ou l'Autorité) s'est saisi d'office, le 20 février 2007, de pratiques mises en œuvre dans le secteur de la signalisation routière ; que, par décision n° 10-D-39 du 22 décembre 2010, l'Autorité a dit établi que les sociétés Lacroix signalisation (société Lacroix), Signature, Signaux Girod (société Girod), Sécurité et signalisation (SES), Aximum, Franche-Comté signaux (FCS), Nadia signalisation, Laporte service route et Nord signalisation avaient enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce ainsi que celles de l'article 81 du Traité instituant la Communauté européenne devenu l'article 101 du Traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne en participant au cours de la période 1997-2006 à une entente portant sur le marché de la signalisation routière verticale en France, et leur a infligé des sanctions allant de 166 000 à 7 720 000 euros ;
Sur le moyen unique du pourvoi n° 12-18.195 : - Attendu que la société Lacroix fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté son recours et confirmé la décision de l'Autorité en ce qu'elle lui a infligé, au titre de l'entente établie entre les sociétés Lacroix, Signature, Girod, SES, Aximum, FCS, Nadia signalisation, Laporte service route et Nord signalisation de 1997 à mars 2006, une sanction de 7 720 000 euros alors, selon le moyen : 1°) qu'en rappelant que le montant de la sanction infligée à une entreprise ayant participé à une entente est déterminé en fonction du chiffre d'affaires du secteur concerné par cette entente, la société Lacroix demandait à la cour d'appel de recalculer la sanction qui lui avait été infligée par l'Autorité, qui avait été déterminée à partir de son chiffre d'affaires global réalisé au cours de l'année 2005, d'un montant de 41 770 000 euros, en prenant uniquement en compte son chiffre d'affaires réalisé, au cours de l'année 2005, dans le secteur de la signalisation routière verticale seul concerné par l'entente incriminée, d'un montant de 36 809 000 euros, " au vu des liasses fiscales produites et de la comptabilité analytique certifiée par le commissaire aux comptes ", ainsi que cela était exposé dans le tableau en page 9 de son mémoire ; qu'en déboutant cependant la société Lacroix de sa demande de révision du montant de la sanction au motif qu'elle ne justifiait pas du montant du chiffre d'affaires réalisé en 2005 dans le seul secteur de la signalisation verticale, la cour d'appel a dénaturé ses conclusions, en violation de l'article 4 du Code de procédure civile ; 2°) qu'en toute hypothèse, le montant de la sanction infligée à une entreprise ayant participé à une entente est déterminé en fonction du chiffre d'affaires du secteur concerné par cette entente ; qu'en confirmant la décision de l'Autorité en ce qu'elle avait pris en compte, pour fixer le montant de la sanction infligée à la société Lacroix, le chiffre d'affaires global réalisé par cette entreprise en 2005 sans y retrancher la part du chiffre d'affaires réalisé grâce aux marchés passés avec les communes de moins de dix mille habitants, ainsi que le sollicitait la société Lacroix, quand elle constatait que l'entente n'avait porté que sur les marchés ponctuels et les marchés à bons de commandes par départements ou par villes de plus de dix mille habitants, à l'exception des " petites affaires ", la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'article L. 464-2 du Code de commerce ;
Mais attendu, d'une part, que l'arrêt retient par motifs propres et adoptés que les requérantes ne justifient pas, eu égard aux constatations de la décision relatives au secteur concerné et à celles relatives aux pratiques relevées, leur affirmation selon laquelle il y aurait lieu d'exclure de la signalisation routière verticale la signalisation lumineuse ou urbaine ; qu'il relève, en particulier, que les pratiques relevées concernent notamment les marchés à bons de commande " ville ", ce que confirme le tableau intitulé " patrimoine-villes + 10 000 Habitants " récapitulant la répartition des marchés entre les membres de l'entente ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a, sans dénaturer les écritures de la société, pu statuer comme elle a fait ;
Et attendu, d'autre part, que l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, qu'au moment où l'entente a été stoppée, les membres de l'entente avaient entrepris de l'étendre aux " petites affaires ", ce que confirmait l'analyse par l'Autorité des documents saisis intitulés " grilles de remise à appliquer aux revendeurs ", mentionnant, pour les marchés " de 0 à 10 000 euros ", une remise de 40 % pour les revendeurs historiques et de 35 % pour les autres ; qu'en l'état de ces constatations souveraines, la cour d'appel n'a pas encouru les griefs du moyen ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le second moyen du pourvoi n° 12-18.577 : - Attendu que la société Girod reproche à l'arrêt d'avoir confirmé la décision de l'Autorité en ce qu'elle lui a infligé une sanction pécuniaire de 6 940 000 euros et d'avoir ordonné la publication de la décision alors, selon le moyen : 1°) que le dommage à l'économie, qui constitue un critère d'évaluation de la sanction encourue en cas de pratique anticoncurrentielle, ne se présume pas ; que si l'Autorité n'est pas tenue de chiffrer le montant de ce dommage, elle doit en revanche indiquer les éléments pertinents permettant d'en apprécier l'importance et de fixer de manière adéquate le montant de la sanction ; qu'en l'espèce, dans les conclusions à l'appui de son recours contre la décision de l'Autorité, la société Girod faisait valoir qu'il résultait du rapport établi par l'expert-comptable M. Dedouit que l'existence de l'entente entre les principaux fabricants de panneaux de signalisation routière verticale au cours de la période 1997-2006 n'avait produit aucun effet sur l'évolution des parts de marché des différentes entreprises concernées sur la période 2002-2009, l'expert concluant notamment " qu'il n'apparaît pas possible d'établir un lien entre la fin de l'entente et une animation accrue du jeu concurrentiel, laquelle pourrait tout aussi bien être la conséquence de l'arrivée à maturité du marché de la signalisation routière verticale, marché par nature oligopolistique " et que " les résultats de mes analyses tendent à confirmer l'hypothèse selon laquelle les évolutions, individuelles comme collectives, des parts de marché des différents acteurs, sur la période consécutive à l'éclatement du cartel présumé s'inscrivent dans la continuité de celles observées au cours de la période précédente " ; que pour confirmer la décision de l'Autorité, la cour d'appel se borne à affirmer que " l'objectif premier de l'entente était de répartir les marchés entre ses membres afin de faciliter une stabilité ou une hausse des prix " et " que la répartition des marchés selon des règles pré-établies entre les principaux acteurs du secteur, pendant dix ans sur l'ensemble du territoire pour la quasi-totalité des marchés, a nécessairement conduit à une rigidification de leurs parts de marché respectives ou, à tout le moins, à une allocation sous-optimale de celles-ci au regard du seul mérite des entreprises " ; qu'en statuant de la sorte, par voie d'affirmation et sans analyser le rapport Dedouit versé aux débats par l'exposante ni constater d'éléments objectifs permettant de déterminer si, et le cas échéant dans quelle mesure, l'entente à laquelle avait participé la société Girod avait effectivement eu pour effet de " rigidifier " les parts de marché, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 464-2 du Code de commerce ; 2°) qu'en retenant tout à la fois, d'une part, que l'entente mise en œuvre dans le secteur de la signalisation routière avait " nécessairement conduit à une rigidification de leurs parts de marché respectives ou, à tout le moins, à une allocation sous-optimale de celles-ci au regard du seul mérite des entreprises " et d'autre part, que l'absence d'évolution significative des parts de marché à l'issue de l'éclatement du cartel ne remettait pas en cause cette " rigidification " des parts de marché, dans la mesure où " au vu de ses membres, de son ampleur, de sa durée et du caractère séquentiel de la demande, les effets de l'entente ont pu se poursuivre dans le temps ", la cour d'appel, qui s'est abstenue de rechercher les effets concrets de l'entente sur le secteur économique concerné, a derechef privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 464-2 du Code de commerce ;
Mais attendu qu'après avoir énoncé que le dommage causé à l'économie doit être démontré, l'arrêt relève que l'entente en cause a eu plusieurs conséquences sur l'économie prise dans son ensemble, d'abord par son effet d'éviction des petites et moyennes entreprises du fait des pratiques d'exclusion mises en œuvre à leur encontre par les membres du cartel, ensuite par le surprix résultant de la mise en œuvre de l'entente, estimé entre 6 et 7 % mesuré sur l'ensemble du marché des panneaux de signalisation verticale pendant la durée de l'entente ; qu'il relève encore que l'absence d'évolution significative des parts de marché constatée à l'issue de l'éclatement du cartel ne remet pas en cause le fait que ce cartel a " rigidifié " les parts de marché ou au moins conduit à une allocation sous-optimale de celles-ci au regard du seul mérite des entreprises, la seule évolution notable concernant la société Lacroix dont la part de marché s'est sensiblement accrue à partir de 2007, cette évolution pouvant s'expliquer par l'animation du jeu concurrentiel entre les principaux acteurs du marché, après que l'entente eut pris fin ; qu'ayant ainsi apprécié de manière concrète l'atteinte globale portée à l'économie, la cour d'appel a légalement justifié sa décision; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Et attendu que le premier moyen ne serait pas de nature à permettre l'admission de ce pourvoi ;
Par ces motifs : Donne acte à la société Aximum du désistement de son pourvoi ; Rejette les pourvois formés par les sociétés Lacroix signalisation et Signaux Girod.