ADLC, 28 mai 2013, n° 13-D-12
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Décision
Relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation de commodités chimiques
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré sur le rapport oral de Mmes Gaëlle Le Breton, Christine Miller, de M. Pierre Larcher, rapporteurs, , l'intervention orale de M. Éric Cuziat, rapporteur général adjoint, par M. Emmanuel Combe, vice-président, président de séance, Mmes Reine-Claude Mader-Saussaye, Laurence Idot, M. Yves Brissy, membres.
L'Autorité de la concurrence (section III) ;
Vu la décision n° 07-SO-02 du 5 avril 2007, enregistrée sous le numéro 07-0032 F, par laquelle le Conseil de la concurrence s'est saisi d'office de pratiques concernant le secteur des produits chimiques ; Vu la demande des sociétés Solvadis France et Quaron SA du 20 septembre 2006, enregistrée sous le numéro 06-0064 AC et tendant à obtenir le bénéfice du IV de l'article L. 464-2 du Code de commerce ; Vu la demande de la société Solvadis France du 20 septembre 2006, enregistrée sous le numéro 06-0065 AC et tendant à obtenir le bénéfice du IV de l'article L. 464-2 du Code de commerce ; Vu la demande de la société BC Partners et de ses filiales du 26 octobre 2006, enregistrée sous le numéro 06-0075 AC et tendant à obtenir le bénéfice du IV de l'article L. 464-2 du Code de commerce ; Vu la demande de la société Univar SAS du 5 décembre 2006, enregistrée sous le numéro 06-0092 AC et tendant à obtenir le bénéfice du IV de l'article L. 464-2 du Code de commerce ; Vu les avis conditionnels de clémence n° 07-AC-01 du 7 février 2007, n° 07-AC-02 du 8 février 2007, n° 07-AC-04 du 23 mars 2007 et n° 07-AC-05 du 7 mai 2007 ; Vu la décision de jonction du 13 octobre 2008 et la décision de disjonction du 2 juin 2009 ; Vu l'article 101 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) ; Vu le livre IV du Code de commerce ; Vu les décisions de secret des affaires n° 08-DSA-48 du 4 avril 2008 ; n° 08-DSA-51 du 17 avril 2008 ; n° 08-DSADEC-22 du 18 avril 2008 ; n° 08-DSA-55 du 23 avril 2008 ; n° 08-DSA-59 du 28 avril 2008 ; n° 08-DSA-61 du 30 avril 2008 ; n° 08-DSADEC-23 du 5 mai 2008 ; n° 08-DSA-66 du 6 mai 2008 ; n° 08-DSADEC-27 à 08-DSADEC-29, et 08-DSADEC-32 du 26 mai 2008 ; n° 08-DSADEC-38 du 27 juin 2008 ; n° 08-DSADEC-43 du 3 juillet 2008 ; n° 08-DSADEC-49 du 17 juillet 2008 ; n° 08-DSA-99 du 17 juillet 2008 ; n° 08-DSA-129 du 29 juillet 2008 ; n° 08-DSADEC-58 à 08-DSADEC-60, 08-DSADEC-65 et 08-DSA-142 du 1er septembre 2008 ; n° 09-DSA-208 du 27 octobre 2009 ; n° 09-DSA-311 et 09-DSA-312 du 9 décembre 2009 ; n° 09-DSA-326 et 09-DSA-327 du 28 décembre 2009 ; n° 10-DSA-33 du 8 février 2010 ; n° 10-DSA-65 du 15 mars 2010 ; n° 10-DSA-94 et 10-DSA-95 du 1er juin 2010 ; n° 12-DSADEC-04 du 10 juillet 2012 ; n° 10-DSA-140 et 10-DSA-141 du 26 juillet 2010 ; n° 10-DSA-145 du 30 juillet 2010 ; n° 10-DSA-146 du 3 août 2010 ; n° 12-DSADEC-05, 12-DSA-276, 12-DSA-277 et 12-DSA-292 du 20 août 2012 ; n°l0-DSA-175 et l0-DSA-177 du 6 septembre 2010 ; n° 12-DSA-324, 12-DSA-326 et 12-DSA-331 du 8 octobre 2012 ; n° 12-DSA-370 du 7 novembre 2012 ; n° 13-DSA-31 du 29 janvier 2013 ; et n° 13-DSA-44 et 13-DSA-45 du 31 janvier 2013 ; Vu les décisions de déclassement n° 10-DECR-12 du 14 avril 2010 ; n° 12-DECR-12 du 4 juin 2012 ; n° 12-DECR-14 du 6 juillet 2012 ; n° 12-DECR-28 et 12-DEC-52 du 6 novembre 2012 ; et n° 12-DEC-53 et 12-DEC-55 du 7 novembre 2012 ; Vu les procès-verbaux du 4 juillet 2012, du 5 juillet 2012, du 1er août 2012 et du 17 septembre 2012 par lesquels Solvadis France, Solvadis Holding SARL, Solvadis GmbH, Caldic Est SASU, Univar SAS, Univar France SNC, Univar France BV, Univar Europe Holdings BV, Univar NV, et GEA Group Aktiengesellschaft ont déclaré ne pas contester le grief qui leur a été notifié et ont demandé le bénéfice des dispositions du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce ; Vu les observations présentées par les sociétés Brenntag SA, Brenntag France Holding SAS, Brachem France Holding SAS, Brenntag Foreign Holding GmbH, Brenntag Beteiligungs Gmbh, Brenntag Holding GmbH, Caldic Est SASU, Chemco France SARL, Deutsche Bahn AG, DB Mobility Logistics AG, E.ON AG, GEA Group Aktiengesellschaft, Solvadis France, Solvadis GmbH, Solvadis Holding SARL, Univar SAS, Univar France SNC, Univar France BV, Univar Europe Holdings BV, Univar NV, et le commissaire du Gouvernement ; Vu le rapport du conseiller auditeur du 13 février 2013 ; Vu les autres pièces du dossier ; Les rapporteurs, le rapporteur général adjoint, le commissaire du Gouvernement et les représentants des sociétés Brenntag SA, Brenntag France Holding SAS, Brachem France Holding SAS, Brenntag Foreign Holding GmbH, Brenntag Beteiligungs Gmbh, Brenntag Holding GmbH, Caldic Est SASU, Chemco France SARL, Deutsche Bahn AG, DB Mobility Logistics AG, GEA Group Aktiengesellschaft, Solvadis France, Solvadis GmbH, Solvadis Holding SARL, Univar SAS, Univar France SNC, Univar France BV, Univar Europe Holdings BV, Univar NV entendus lors de la séance de l'Autorité de la concurrence du 26 février 2013 ;
Adopte la décision suivante :
I. Constatations
A. LA PROCÉDURE
1. La présente affaire a été portée à la connaissance du Conseil de la concurrence (ci-après le " Conseil ") par quatre distributeurs de commodités chimiques opérant sur le territoire français, qui ont successivement sollicité le bénéfice de la procédure de clémence sur le fondement du IV de l'article L. 464-2 du Code de commerce.
2. Ces demandes de clémence lui ont été présentées aux dates et dans l'ordre suivants :
- le 20 septembre 2006, par les sociétés Solvadis France (ci-après " Solvadis ") et Quaron SA (ci-après " Quaron "), repreneur de l'activité de Solvadis en octobre 2005 ;
- le 20 septembre 2006, par Solvadis ;
- le 26 octobre 2006, par la société BC Partners et ses filiales, en particulier Brenntag Holding GmbH et Brenntag SA (ci-après, s'agissant de Brenntag SA, " Brenntag " ou " Brenntag SA ") ;
- le 13 décembre 2006, par la société Univar SAS (ci-après " Univar " ou " Univar SAS ").
1. LES DEMANDES DE CLÉMENCE
a) Les demandes de Solvadis et de Quaron
3. Par procès-verbal du 20 septembre 2006, le rapporteur général du Conseil a reçu une demande de clémence présentée au bénéfice de Solvadis et Quaron, lesquelles souhaitaient porter à sa connaissance des informations établissant l'existence en France de pratiques prohibées par les articles L. 420-1 du Code de commerce et 81 du TCE (devenu 101 du TFUE) et impliquant également Brenntag et Univar dans le secteur de la distribution des commodités chimiques, sur la région du grand ouest (cote 2, 06-0064 AC). Les documents versés par Solvadis (cotes 4 à 7, puis 12 à 104, 106 à 108, 110 à 117 et 244 à 290, 06-0064 AC, notamment) ont complété sa déclaration, en précisant le champ géographique des pratiques dénoncées et en impliquant d'autres entreprises dans leur commission. Les pratiques décrites concernent principalement des répartitions de marchés, de clientèle et de lignes de produits, des hausses tarifaires concertées et des échanges d'informations. Elles se seraient déroulées entre 1999 et 2005 sur les grandes régions ouest, Rhône-Alpes, et nord. Il était fait état de réunions hebdomadaires puis trimestrielles entre les dirigeants et lors de nombreux contacts téléphoniques entre ceux-ci.
4. Le 7 février 2007, le Conseil a rendu l'avis n° 07-A-01 accordant à Solvadis et Quaron le bénéfice conditionnel de la clémence avec une exonération totale des sanctions encourues pour les pratiques dénoncées (cotes 412 à 415, 06-0064 AC). En effet, lors de la réception de la demande de clémence de Solvadis et Quaron, le Conseil ne disposait pas d'informations relatives aux pratiques dénoncées. En outre, il a considéré que les éléments communiqués par les demandeurs de clémence lui permettaient de procéder ou faire procéder à des opérations de visite et saisie, conformément à l'article L. 450-4 du Code de commerce.
5. Le bénéfice de cette exonération a été subordonné au respect des conditions suivantes :
- " la pertinence des éléments apportés par Solvadis et Quaron devra être vérifiée par les investigations ; ces éléments devront contribuer à établir la réalité des pratiques dénoncées, présentées comme étant anti-concurrentielles et à en identifier les auteurs ;
- Solvadis et Quaron devront apporter au Conseil de la concurrence et aux services d'enquête du ministre de l'économie une coopération totale, permanente et rapide tout au long de la procédure d'enquête et d'instruction éventuelle et leur fournir tout élément de preuve qui viendrait en leur possession ou dont elles disposent sur les infractions suspectées, dans l'hypothèse où le Conseil déciderait de se saisir des pratiques dénoncées ; en tout état de cause, Solvadis et Quaron devront tenir informé le Conseil de la concurrence de l'évolution et des résultats des procédures de clémence éventuellement introduites devant d'autres autorités de concurrence, ainsi que de l'évolution et des résultats des procédures engagées au fond, le cas échéant, par ces autorités sur les pratiques dénoncées ;
- Solvadis et Quaron devront mettre fin sans délai à toute participation aux activités illégales présumées ;
- Solvadis et Quaron ne devront pas avoir pris de mesures pour contraindre d'autres entreprises à participer à l'infraction ;
- Solvadis et Quaron ne devront pas avoir informé les autres entreprises susceptibles d'être mises en cause de la démarche de clémence qu'elles ont entreprise ni de la procédure engagée à la suite de leur demande, ni enfin de l'existence ou du contenu du présent avis " (cote 415, 06-0064 AC).
6. La seconde demande de Solvadis, qui a fait l'objet de l'avis n° 07-A-02, a dénoncé des pratiques d'entente sur la tarification des consignes et sur les frais techniques, qui n'ont pas été établies.
b) La demande de BC Partners et ses filiales
7. Par procès-verbal du 26 octobre 2006, le rapporteur général du Conseil a reçu une demande de clémence présentée au bénéfice de la société BC Partners et de ses filiales, en particulier Brenntag Holding GmbH et Brenntag, celles-ci souhaitant porter à sa connaissance des informations établissant l'existence de pratiques prohibées par les articles L. 420-1 du Code de commerce et 81 du TCE (devenu 101 du TFUE) et impliquant, outre Brenntag, les sociétés Quaron, Solvadis, Univar, Caldic, Platret, Beauseigneur et La Gloriette dans le secteur de la distribution de commodités chimiques en France (cote 2, 06-0075 AC). L'énumération des entreprises impliquées, des pratiques visées ainsi que des territoires concernés a été modifiée et/ou complétée par Brenntag lors de ses déclarations et remises de pièces ultérieures.
8. Selon le demandeur, les pratiques consistaient en des ententes horizontales portant sur :
- une entente générale sur la fixation des prix pour les consignes et les frais techniques ;
- des ententes régionales ou locales pour la répartition des clients et des marchés, et sur le niveau des prix lors de la passation des marchés par des utilisateurs de commodités chimiques, en particulier au travers d'offres de couverture et d'échanges d'informations préalables au dépôt des offres. A cet égard, Brenntag aurait recueilli des indices sur ce qu'elle nomme les zones nord (Ile de France, Picardie, Lorraine, Ardennes), la zone centre-ouest (Maine et Loire, Loire, Bretagne, Normandie et Val de Loire), la zone grand sud (Bourgogne, Dauphiné, Rhône-Alpes, Aquitaine, Midi Pyrénées, Provence-Méditerranée) ;
- des échanges d'informations entre concurrents portant sur le niveau des marges, la structure de prix, les volumes et les calendriers de commandes des clients.
9. Le 23 mars 2007, le Conseil a rendu l'avis n° 07-A-04, accordant à Brenntag le bénéfice conditionnel de la clémence pour des pratiques d'entente consistant en des répartitions de clientèle et de coordination de prix s'appuyant notamment sur des échanges d'informations dans le secteur de la distribution des commodités chimiques et qui se seraient déroulées entre 1998 et 2005 au plus tard (cotes 838 à 845, 06-0075 AC). Le Conseil a accordé au demandeur, pour les pratiques dénoncées, une exonération partielle des sanctions encourues pouvant aller de 15 à 35 % du montant de la sanction.
10. Le bénéfice de cette exonération a été subordonné au respect des conditions suivantes :
- " la pertinence des éléments apportés par Brenntag devra être vérifiée par les investigations ; ces éléments devront contribuer à établir la réalité des pratiques dénoncées, présentées comme étant anti-concurrentielles et à en identifier les auteurs ;
- Brenntag devra apporter au Conseil de la concurrence et aux services d'enquête du ministre de l'économie une coopération totale, permanente et rapide tout au long de la procédure d'enquête et d'instruction éventuelle et leur fournir tout élément de preuve qui viendrait en sa possession ou dont elle dispose sur les infractions suspectées, dans l'hypothèse où le Conseil déciderait de se saisir des pratiques dénoncées ; en tout état de cause, elle devra tenir informé le Conseil de la concurrence de l'évolution et des résultats des procédures de clémence introduites devant d'autres autorités de concurrence, ainsi que de l'évolution et des résultats des procédures engagées au fond, le cas échéant, par ces autorités sur les pratiques dénoncées ;
- elle devra mettre fin à sa participation aux activités illégales présumées ;
- elle ne devra pas avoir pris de mesures pour contraindre d'autres entreprises à participer à l'infraction ;
- elle ne devra avoir informé les autres membres du cartel ni de l'existence de sa démarche en vue d'obtenir la clémence, ni de l'existence ou du contenu du présent avis ".
11. En outre, dans le cadre de ses obligations de coopération, Brenntag a révélé, plusieurs mois après avoir reçu son avis de clémence, une pratique de répartition de clientèle entre elle-même et l'entreprise Chemco France SARL (ci-après " Chemco "). Cette entente s'est déroulée de janvier 2000 à mars 2007 et a été limitée à un seul client, GKN (cotes 14357 à 14360 - à défaut de précision du numéro de dossier, le dossier 07-0032 F est concerné).
c) La demande d'Univar
12. Par procès-verbal du 13 décembre 2006, le rapporteur général du Conseil a reçu une demande de clémence présentée au bénéfice d'Univar, celle-ci souhaitant porter à sa connaissance des informations établissant l'existence de pratiques prohibées par les articles L. 420-1 du Code de commerce et 81 du TCE (devenu 101 du TFUE), et impliquant, outre Univar, les sociétés Brenntag, Platret, Caldic et APC dans le secteur de la distribution de commodités chimiques en France, en particulier dans la région Rhône-Alpes (cote 2, 06-0092 AC).
13. Les pratiques dénoncées initialement par Univar, qui se seraient déroulées entre 1998 et 2005, auraient consisté en :
- la mise en place concertée de la facturation aux clients de frais techniques relatifs au traitement des emballages et à la gestion de consignes ;
- des ententes de prix pour répondre aux demandes des clients jusqu'en 2003, puis des ententes sur le niveau de marges après 2003 et jusqu'à l'été 2005, ces discussions permettant la répartition des clients et, en conséquence, le partage du marché en volume.
14. L'énumération des entreprises impliquées, des pratiques visées ainsi que des territoires concernés a été modifiée et/ou complétée par Univar lors de ses déclarations et remises de pièces ultérieures. Pour le demandeur, les pratiques dénoncées seraient constituées in fine :
- d'accords relatifs aux solvants et produits de chimie minérale sur les consignes et frais techniques, sur les prix et les marges et enfin, sur des répartitions de clients et gels de parts de marché en région Rhône-Alpes, antérieures pour certaines à 1996 ;
- d'accords analogues relatifs aux solvants et produits de chimie minérale, portant d'une part, sur les prix et marges des solvants et produits de chimie minérale, et d'autre part, sur des répartitions de clients et des gels de parts de marché, de manière plus isolée et ponctuelle sur certains clients ciblés ailleurs en France, dans les régions parisienne, ouest, Lorraine et nord ;
- de discussions et échanges sur les prix d'achat et de vente d'alcool, les volumes et les échanges sur les intentions et les souhaits futurs en matière de vente d'alcool en marge des réunions du syndicat national des dénaturateurs d'alcool (ci-après " SNDA "), sur tout le territoire national.
15. Le 7 mai 2007, le Conseil a rendu l'avis n° 07-A-05, accordant à Univar pour les pratiques dénoncées le bénéfice conditionnel de la clémence avec une exonération partielle des sanctions encourues pouvant aller de 10 à 20 % du montant de l'amende (cotes 611 à 616, 06-0092 AC).
16. Le bénéfice de cette exonération a été subordonné au respect des conditions suivantes :
- " la pertinence des éléments apportés par Univar devra être vérifiée par les investigations ; ces éléments devront contribuer à établir la réalité des pratiques dénoncées, présentées comme étant anti-concurrentielles et à en identifier les auteurs ;
- Univar devra apporter au Conseil de la concurrence et aux services d'enquête du ministre de l'économie une coopération totale, permanente et rapide tout au long de la procédure d'enquête et d'instruction éventuelle et leur fournir tout élément de preuve qui viendrait en sa possession ou dont elle dispose sur les infractions suspectées, dans l'hypothèse où le Conseil déciderait de se saisir des pratiques dénoncées ; en tout état de cause, elle devra tenir informé le Conseil de la concurrence de l'évolution et des résultats des procédures de clémence introduites devant d'autres autorités de concurrence, ainsi que de l'évolution et des résultats des procédures engagées au fond, le cas échéant, par ces autorités sur les pratiques dénoncées ;
- elle devra mettre fin à sa participation aux activités illégales présumées ;
- elle ne devra pas avoir pris de mesures pour contraindre d'autres entreprises à participer à l'infraction ;
- elle ne devra pas avoir averti les autres membres du cartel de la procédure de clémence ".
2. LA SAISINE D'OFFICE
17. Par décision n° 07-SO-02 du 5 avril 2007, le Conseil s'est saisi d'office de pratiques mises en œuvre dans le secteur des produits chimiques. Cette saisine d'office a été enregistrée sous le numéro 07-0032 F (cote 2).
3. LES OPÉRATIONS DE VISITE ET SAISIE
18. Par lettre en date du 6 avril 2007, le rapporteur général du Conseil a sollicité la DGCCRF afin de diligenter une enquête sur les pratiques dénoncées (cotes 71 à 77). Des opérations de visite et saisie ont été effectuées, le 26 avril 2007, aux sièges sociaux et dans certains établissements secondaires des sociétés Brenntag, Univar, Quaron, Charbonneaux-Brabant, Produits Chimiques Platret, APC, Ciron, Caldic Est SASU (ci-après " Caldic Est "), Caldic Centre, de l'Union française du commerce chimique (ci-après l'" UFCC ") et du SNDA.
19. Celles-ci se sont avérées, pour l'essentiel, infructueuses.
4. LES JONCTION PUIS DISJONCTION DES PROCÉDURES
20. Par décision du 13 octobre 2008, le rapporteur général a décidé de joindre la saisine n° 07-0032 F aux saisines enregistrées sous les numéros 06-0086 F, 07-0034 F, 07-0058 F, 07-0076 F et portant sur le même secteur, en application de l'article R. 463-3 du Code de commerce (cote 15192).
21. Par décision du 2 juin 2009, le rapporteur général adjoint a décidé de disjoindre la saisine n° 07-0032 F de l'instruction de ces autres saisines (cote 32776).
B. LE SECTEUR D'ACTIVITÉ
22. Les pratiques dénoncées par les demandeurs de clémence concernent la distribution des commodités chimiques en France.
1. LES COMMODITÉS CHIMIQUES
23. Les produits concernés par les pratiques dénoncées constituent l'une des catégories de produits chimiques, lesquelles regroupent :
- les commodités chimiques : matières premières de base, de composition fixe, vendues le plus souvent en gros volumes, avec des marges unitaires modérées, issues principalement de la chimie minérale et de la pétrochimie, utilisés par l'industrie et les services et impliquant des investissements lourds et des coûts élevés de logistique pour les distributeurs ;
- les spécialités chimiques : produits formulés en vue d'une performance particulière à l'intention de leurs utilisateurs professionnels finals. Elles sont en conséquence d'un prix plus élevé, et correspondent à un volume de commercialisation moindre que celui des commodités ;
- les produits chimiques fins : produits de composition fixe, notamment, des intermédiaires avancés obtenus par synthèse, des principes actifs et des additifs, intégrant une forte valeur ajoutée en recherche-développement. Ils sont par suite, plus coûteux et commercialisés en faible volume, auprès d'une clientèle professionnelle ciblée (laboratoires pharmaceutiques, producteurs agro-alimentaires, etc.) (arrêt de la Cour d'appel de Paris du 13 mars 2007, Gaches Chimie, BOCCRF n° 6 du 16 novembre 2007, p. 997).
24. Les commodités chimiques sont constituées d'un très large éventail de références notamment de produits minéraux liquides et solides et de solvants, dont les solvants pétroliers, les acétates, les glycols, les alcools, les éthers, la soude, les acides, la javel, le peroxyde d'hydrogène, le chlorure ferrique, le formol, les bisulfites, la potasse, etc.
25. Les fournisseurs, producteurs des produits concernés, sont les principaux groupes de la chimie, parmi lesquels figurent Exxon, Shell, BP, Lyondell, Solvay, Rhodia, Atochem, BASF, Bayer, Cerestar. Il s'agit de producteurs de dimension européenne voire mondiale.
2. LA DISTRIBUTION DES COMMODITÉS CHIMIQUES
a) Les différents modes de commercialisation des commodités chimiques
26. En matière de commodités chimiques, il convient de distinguer :
- la vente directe par les producteurs (au moins 95 % de la production) ;
- la vente par un distributeur ;
- la vente par un " trader " (arrêt de la Cour d'appel de Paris du 13 mars 2007 précité et décision de la Commission européenne du 16 janvier 2001, M. 2244, Royal Vopak/Ellis & Everard).
La vente directe par les producteurs
27. Les commodités chimiques sont, pour l'essentiel, directement fournies par les producteurs aux consommateurs finals, généralement les clients industriels utilisateurs, qui ont des besoins de commodités en grande quantité, généralement par camions ou par wagons complets.
La vente par un distributeur
28. La distribution de commodités chimiques est sujette à des contraintes réglementaires et logistiques qui rendent inefficace économiquement, pour les producteurs, la livraison de petites quantités de commodités chimiques. Dès lors, les producteurs de commodités livrent une partie résiduelle de leur production à des intermédiaires, les distributeurs, lesquels vendent à leur tour à leurs clients des quantités moins importantes, en général inférieures ou égales au camion complet (soit 24 tonnes). Eu égard notamment aux différences de quantités livrées, la vente par les distributeurs constitue pour les clients une offre complémentaire de celle opérée en direct par les producteurs.
29. Cette fonction de distribution est assortie de services, tels que le stockage, le mélange, la dilution, le conditionnement, la livraison ou le transport.
30. Les distributeurs de commodités chimiques recourent à deux modes de livraison :
- la livraison à partir du dépôt : la transaction commerciale a lieu entre le distributeur et le client, et les produits sont transportés des sites du distributeur à ceux du client ;
- la livraison directe, ou encore " droiture " : la transaction commerciale a lieu entre le distributeur et le client, mais les produits sont transportés (généralement par camions complets) directement des sites du fournisseur à ceux du client, sans passer par les dépôts du distributeur.
La vente par un " trader "
31. Les clients industriels peuvent également s'adresser à des " traders ", qui se distinguent des distributeurs en ce que les premiers limitent leur fonction à la simple transaction commerciale d'achat auprès des producteurs et de revente aux clients utilisateurs, sans que la marchandise ne transite physiquement par leur intermédiaire, et n'assurent généralement aucune autre prestation de service. Les produits sont généralement livrés directement par le fournisseur au client du trader.
32. Les pratiques relevées dans la présente affaire portent sur :
- la vente par les distributeurs ;
- la vente par les traders.
b) Les caractéristiques de la vente des commodités chimiques par les distributeurs
Les caractéristiques de la demande
33. Les clients des distributeurs de commodités chimiques exercent une grande variété d'activités. Ces clients, qui peuvent être de grands groupes industriels ou des petites et moyennes entreprises, sont notamment actifs dans des secteurs tels que l'industrie chimique, l'agro-alimentaire, l'automobile, les blanchisseries hospitalières et privées, le traitement des eaux, l'armement, l'industrie du béton et du liant routier, l'industrie de la désinfection et du nettoyage, les laiteries, la fabrication de peinture, les industries mécanique et aéronautique, le textile, etc.
La fourniture de services spécifiques
34. Les distributeurs apportent à leurs clients des services spécifiques que ne fournissent ni les producteurs, ni les autres intermédiaires de la distribution des commodités chimiques. A l'acte de revente s'ajoute ainsi un ensemble de services spécifiques dont certains sont directement liés au caractère dangereux de nombreux produits faisant l'objet de contraintes réglementaires spécifiques, notamment pour le stockage et le transport. Ces services comportent le conditionnement en fonction des besoins de la clientèle sous emballage perdu ou consigné, la réalisation de mélanges et dilutions et leur conditionnement, la gestion globale des approvisionnements du client (" global sourcing " ou " out sourcing "), l'information sur la mise en œuvre, la gestion de la sécurité, l'étiquetage, la gestion des produits chez l'utilisateur et enfin la gestion des effluents ainsi que des emballages.
35. Les distributeurs gèrent par ailleurs une multiplicité de fournisseurs et de clients ainsi qu'une large gamme de produits, essentielle à la compétitivité des distributeurs.
Un contexte réglementaire contraignant
36. Les commodités chimiques sont des produits plus ou moins dangereux (parfois inflammables, toxiques, explosifs, etc.) et, à ce titre, soumis à une réglementation stricte relative à la qualité et à la sécurité des produits mais aussi à la protection de l'environnement dans son ensemble. Cette réglementation concerne tant le produit lui-même que ses conditions de stockage, de transport et tous les services associés. Les exigences imposées par les fournisseurs conduisent les distributeurs à miser sur la certification de la qualité et du respect de l'environnement (voir notamment les multiples certifications : ISO 9000 à 9002 et 14001).
37. Les fabricants et distributeurs de produits chimiques sont notamment concernés par l'élargissement du nombre d'installations soumises à la directive 96-82-CE du Conseil du 9 décembre 1996 concernant la maîtrise des dangers liés aux accidents majeurs impliquant des substances dangereuses (JO L 10 du 14.1.1997, p. 13). Cette directive européenne a été mise en place en 1982 puis simplifiée et étendue en 1999, sous sa version " Seveso II ", à un plus grand nombre de sites, comprenant notamment des infrastructures de transport et de stockage. Elle implique des mesures de sécurité renforcées et une information auprès de la population sur les risques encourus. La Commission européenne a décidé de renforcer la directive Seveso II à la suite d'une série d'accidents industriels en Europe, parmi lesquels l'explosion de l'usine AZF à Toulouse, en septembre 2001. Au 31 décembre 2003, cette directive a ainsi été modifiée afin de répondre à de nouvelles exigences.
38. L'activité de distribution implique, dans ce contexte, de réaliser des investissements coûteux dans des équipements spéciaux. À titre d'exemple, la création d'un site Seveso nécessite actuellement un investissement de 15 millions d'euros environ, investissement lourd, à rentabilité lointaine. Il convient à cet égard de souligner que, au cours de la période 2003-2006, Brenntag est le seul distributeur de commodités chimiques, en France, à avoir réussi en 2005 à obtenir la qualification " Seveso II seuil haut " pour son site de Tournan-en-Brie (initialement " Seveso II seuil bas "). En outre, le 22 mai 2006, le nouveau site " Seveso II seuil haut " de Brenntag à Montville a été inauguré : celui-ci a nécessité un investissement de rénovation de 16,5 millions d'euros.
39. Ces différentes caractéristiques permettent d'identifier une activité spécifique de distribution de commodités chimiques, dont le chiffre d'affaires, en 2011, s'élève à près de 1,3 milliard d'euros (cotes 44918 à 44919).
C. LES ENTREPRISES CONCERNÉES
40. Les distributeurs concernés par les pratiques établies sont les entreprises suivantes :
- Brenntag ;
- Établissements Marce (devenu Brenntag en 2001) ;
- Univar (anciennement Lambert-Rivière, Quarréchim et Vaissière-Favre) ;
- Solvadis (anciennement Langlois-Chimie et RPC-Clément) ;
- Quaron (anciennement Districhimie) ;
- Caldic Est.
41. Ensemble, ces entreprises ont représenté pour l'année 2004 plus de 80 % (Brenntag [50-55 %], Univar [15-20 %], Solvadis [5-10 %], Caldic Est [0-5 %]) de la distribution des commodités chimiques en France (cotes 251, 288, et 309, 06-0064 AC, cotes 13157 à 13159, et 9692 à 9697).
42. Chemco, entreprise présente dans l'activité de " trading " des commodités chimiques, est également concernée pour une pratique mise en œuvre avec Brenntag. Elle est de taille modeste.
1. LE GROUPE BRENNTAG
43. Créé en Allemagne en 1874, le groupe Brenntag est aujourd'hui l'un des leaders mondiaux du commerce de gros de produits chimiques. Le groupe dispose de 400 implantations réparties dans 60 pays sur les 5 continents, pour un effectif de 11.000 personnes. Il met à la disposition de ses 150.000 clients un catalogue contenant plus de 10.000 références.
44. Le groupe Brenntag opère dans la distribution de produits chimiques et a connu deux changements de contrôle en trois ans : en février 2004, Deutsche Bahn a cédé le contrôle du groupe Brenntag au fonds d'investissement Bain Capital, puis, en septembre 2006, Bain Capital a cédé sa participation au fonds d'investissement allemand BC Partners. Avant son acquisition par la Deutsche Bahn en octobre 2002, le groupe Brenntag faisait partie du groupe énergétique allemand E.ON.
45. Brenntag SA est la filiale française du groupe Brenntag dont la holding est une société de droit luxembourgeois, Brachem SCA.
46. Brenntag SA résulte de l'acquisition de plusieurs sociétés actives sur le territoire français : Interdepot Le Prieur (1989), Distribution Chimie (Debauche) (1992), Orchidis (1994), Bonnave (1996), Marce (2001), APC (2007).
47. Ces sociétés, qui auparavant avaient le statut de filiales (pour les sites de l'ex-groupe Distribution Chimie et pour l'entité ex-Orchidis) ont été fusionnées dans Brenntag SA le 1er janvier 2000 (à l'exception des Établissements Marce, intégrés en 2001), pour devenir des " sites ", c'est-à-dire des établissements secondaires au sens de l'article R. 123-40 du Code de commerce. Brenntag dispose aujourd'hui de 17 sites distribuant des commodités et un site distribuant des spécialités (site de Sartrouville).
48. Brenntag a réalisé, au titre de l'exercice 2011, un chiffre d'affaires de 455 millions d'euros en France. Le chiffre d'affaires consolidé du groupe s'est, quant à lui, élevé pour l'année 2011 à 8,6 milliards d'euros.
49. Dès 1998, date de début des pratiques constatées, Brenntag disposait d'une implantation nationale avec 25 sites de stockage, lui conférant une position de leader sur le territoire français (cotes 23451 à 23453). Ses principaux concurrents, de taille plus modeste, ne disposaient que d'une implantation régionale ou, au mieux, multirégionale (cotes 23455 à 23460, 34283 à 34285, 35921, et 35922).
50. En 2003, dans la zone ouest, Brenntag détenait une position forte devant Langlois-Chimie (Solvadis), puis Univar (cotes 685, 06-0075 AC, 12069, 12075, 24332 et 22715). Dans la zone Bourgogne, Brenntag était suivi par Univar, puis par Caldic Est, puis par Beauseigneur (cotes 262, 06-0075 AC, 24333 et 32761). Dans la zone Rhône-Alpes, Brenntag était suivi par Univar, puis par Platret (cotes 574, 06-0075 AC, 12075, 14669, 14679 et 24333). Dans la zone nord, Brenntag était suivi par Univar, puis par Districhimie (Quaron) (cotes 698, 06-0075 AC, 12075 et 24334).
51. Aucune des parties n'a contesté cette hiérarchie des entreprises sur les zones géographiques considérées.
2. LE GROUPE UNIVAR
52. Fondé en 1924, Univar fait partie des leaders mondiaux de la distribution de produits chimiques. Présent aux États-Unis, au Canada, en Europe ainsi qu'en Chine, le groupe possède 170 sites de stockage et de distribution. Il dispose d'un portefeuille de 250 000 clients. Depuis octobre 2007, le groupe a été racheté par le fonds d'investissement CVC Capital Partners et n'est plus coté.
53. Le groupe Univar est présent en France au travers de sa filiale du même nom, située à Fontenay-sous-Bois.
54. Cette filiale résulte de la fusion, fin 2002, de trois sociétés : Lambert-Rivière, Quarréchim, et Vaissière-Favre. Lambert-Rivière et Quarréchim sont devenues respectivement société-mère et filiales en 1998 et faisaient toutes deux partie du groupe Vopak, qui a racheté fin 2000 le groupe Vaissière-Favre, de telle sorte qu'à partir de cette date, et jusqu'à leur fusion fin 2002, les trois sociétés étaient sous contrôle commun.
55. En France, Univar dispose de 17 sites localisés à Lille, Carquefou, Val de Fontenay, Riedisheim, Genay, Genas, Pierre-Bénite, Martigues, Rognac, Lavera, Muret, Blanquefort, Aurillac, Le Puy-en-Velay, Villeneuve-la-Garenne, Mitry-Mory et Lieu-Saint. Elle propose la totalité des produits du groupe.
56. En 2011, Univar a réalisé en France un chiffre d'affaires de 340 millions d'euros. Le chiffre d'affaires mondial consolidé du groupe Univar s'est élevé pour cette même année à 8 milliards de dollars (5,8 milliards d'euros).
3. LE GROUPE SOLVADIS
57. Fondée en 1925 à Rennes, la société de distribution de produits chimiques Langlois-Chimie est devenue, le 24 janvier 2002, Solvadis. À cette occasion, Solvadis a également pris en location-gérance le fonds de commerce de sa filiale, RPC-Clément, rachetée à Solvay par Langlois-Chimie en 1996, et qui exploitait deux sites de distribution de produits chimiques à Montereau et à Lille.
58. Solvadis opérait à partir de son site principal de Saint-Jacques de la Lande (35) et de cinq autres dépôts : Montereau (77), Niort (79), Cestas (33), Lille (59) et Lyon (69).
59. En octobre 2005, Solvadis a cédé son fonds de commerce à Quaron, entreprise également active dans le secteur de la distribution des commodités chimiques. Solvadis existe toujours en tant qu'entité juridique immatriculé au RCS de Rennes.
60. Solvadis, et avant elle Langlois-Chimie, fait partie du groupe Solvadis, détenu jusqu'en 2004 par la société de droit allemand MG Technologies AG, avant que cette dernière ne le cède au fonds d'investissement SSVP. En 2011, le groupe Solvadis a affiché un chiffre d'affaires de 960 millions d'euros.
4. LE GROUPE QUARON
61. Quaron est un distributeur de produits chimiques, issu de l'intégration au 1er octobre 2005 de Solvadis à Quaron, anciennement Districhimie située à Haubourdin (59).
62. Depuis le rachat des activités de Solvadis, Quaron opère à partir de 5 dépôts : Rennes (35), Haubourdin (59), Montereau-Fault-Yonne (77), Niort (79), Cestas (33), et dispose de 2 agences commerciales : Mions (69) et Riediesheim (68).
63. Quaron fait partie du groupe Quaron qui est l'un des leaders dans la distribution de produits chimiques aux Pays-Bas, en Belgique et en France. Quaron a réalisé en 2011 un chiffre d'affaires, en France, de 116,5 millions d'euros.
5. CALDIC EST
64. Caldic BV est un groupe fondé en 1970 aux Pays-Bas spécialisé dans la distribution des produits chimiques. Ce groupe s'est implanté en France par le rachat successif d'entreprises françaises :
- 1996 : rachat de Ducancel-Hébert qui devient Caldic France puis Caldic Est ;
- 1997 : rachat de Société Chimique de la Courneuve (SCC) qui devient Caldic Spécialités ;
- 2001 : rachat de la société Produits Chimiques d'Auvergne (PCA) qui devient Caldic Centre.
65. Caldic Est et Caldic Centre sont deux sociétés autonomes, appartenant toutes les deux au groupe Caldic depuis 2003. Caldic Est dispose de deux dépôts situés à Reims (51) et à Brazay-en-Plaine (21). Caldic Centre opère quant à lui à partir de son dépôt de Cournon d'Auvergne (63).
66. Le chiffre d'affaires mondial du groupe Caldic s'élevait, en 2010, à 626 millions d'euros pour un chiffre d'affaires réalisé en France, par Caldic Est, de 22 millions d'euros.
6. CHEMCO
67. Chemco, SARL créée en 1988, située à Poissy, dans les Yvelines, est active dans le " trading " de produits chimiques (commodités et spécialités).
68. Son dernier bilan arrêté au 31 décembre 2011 fait apparaître un chiffre d'affaires de 5,5 millions d'euros, contre 6,1 l'année précédente.
D. LES PRATIQUES EN CAUSE
69. Certaines des pratiques évoquées par les trois demandeurs de clémence n'ont pu être établies. Celles examinées par la présente décision sont présentées ci-dessous, après un rappel du contexte dans lequel elles sont intervenues.
1. UN CONTEXTE DIFFICILE
a) Le contexte économique et réglementaire
70. Les parties ont évoqué l'existence d'un contexte réglementaire, économique, financier et concurrentiel difficile auquel ont été confrontés, dans les années qui précèdent les pratiques, les principaux groupes de la distribution de commodités chimiques en France.
71. Le secteur a en effet été soumis à des exigences réglementaires accrues en termes de stockage, de sécurité, de transport et d'installation dès 1982, exigences qui se sont intensifiées jusqu'en 1999 avec la directive 96-82-CE précitée. Ainsi, les sites industriels de stockage de produits chimiques, nécessaires à l'activité des distributeurs, ont été rigoureusement encadrés par des autorisations spéciales et classés en site Seveso " seuil bas " et " seuil haut " pour les plus dangereux d'entre eux.
72. Cette réglementation a imposé de lourds investissements en immobilisations corporelles. Les distributeurs qui souhaitaient développer leurs activités ont dû mobiliser des moyens financiers importants et recourir à la recherche d'une taille optimale en matière de stockage afin de rentabiliser leurs dépôts, ce qui s'est traduit par un mouvement de concentration. Ainsi, entre 1990 et 2000, les petites structures se sont regroupées et/ou ont fait l'objet d'acquisition par des groupes industriels et financiers (cotes 24313 à 24320).
73. Cette course à la taille critique, ainsi qu'aux autorisations d'exploitation et de classement des dépôts, qui fonde ce modèle de concurrence par les infrastructures, a conféré aux distributeurs les plus importants un pouvoir de marché ainsi qu'un avantage concurrentiel durable et difficilement contestable. Dès lors, au moment de la commission des pratiques, les principaux distributeurs de commodités chimiques n'étaient plus de petits distributeurs locaux indépendants mais appartenaient désormais à des groupes industriels et financiers puissants. La stratégie de ces groupes imposait aux distributeurs de concilier simultanément différents impératifs : l'amélioration des résultats financiers, le financement des investissements liés aux nouvelles exigences réglementaires, et l'acquisition d'avantages concurrentiels nécessaires à leur maintien sur un marché arrivé à maturité.
b) Un contexte concurrentiel exacerbé induisant des résultats dégradés
74. Les demandeurs de clémence ou leurs représentants ont tous fait état de l'existence d'une situation concurrentielle difficile au cours des années qui ont précédé les pratiques en cause. Brenntag, dans un premier temps, a adopté une stratégie d'expansion à travers l'acquisition de certains sites de distribution concurrents, lui conférant une implantation nationale, puis, une politique de prix très bas qui a dégradé ses résultats et ceux de ses concurrents.
Brenntag
75. M. Daniel X., président de Brenntag SA, a déclaré que " [s]'agissant de Rhône Alpes, en 1998, le dépôt n'allait pas très bien, son efficacité n'était pas bonne, le contexte concurrentiel était dur (.) Jean-Marc Y. avait légué une culture du résultat avec des rémunérations assises sur les résultats (...) Dans ces conditions, cette culture du résultat a pu contribuer au démarrage des ententes " (cotes 13318 à 13322).
76. M. Olivier Z., directeur de la région sud comprenant les zones Bourgogne et Rhône-Alpes a déclaré que " [l]a première entente, à laquelle j'ai pris part, s'est tenue à Lyon, à la fin de l'été 1998, alors que les résultats de Brenntag Rhône-Alpes étaient très mauvais (de même que ceux de nos concurrents principaux sur le plan régional, tels que Quarréchim, Lambert Rivière, Vaissière), et tandis que Jean-Marc Y., président de Brenntag depuis 1994 et sur le départ (Daniel X. lui a succédé à l'automne 1998), avait légué une culture du résultat sous une forte pression " (cotes 14669 à 14674).
77. M. Pierre A., directeur commercial du site en Rhône-Alpes a déclaré qu'" [à] partir de 1999, des pratiques d'ententes se sont organisées à Lyon à l'initiative de Brenntag et d'Univar qui, confrontés à des résultats en baisse, souhaitaient restaurer leur marge " (cotes 10807 à 10810).
78. M. Jean-Yves B., directeur régional de la zone ouest, a déclaré que " Jean-Marc Y., deux fois par an, me rendait visite. En 1997, alors que j'avais déjà pris contact avec Pierre C., lors d'un tour d'horizon sur les concurrents, je lui ai fait part du développement important de Brenntag et de ce que Langlois se débattait. Je me rappelle lui avoir dit, soit on continue le travail de sape et on fait capoter le concurrent, soit on fait la "politique de la main tendue" (j'entendais par-là, 'on s'entend'). Jean-Marc Y. m'a répondu : 'la nature a horreur du vide '. Je ne suis pas sûr de ce que cela sous-entendait mais selon moi, cela pouvait signifier qu'il validait cette option d'entente que je proposais " (cotes 22503 à 22507).
79. M. Bruno D., ancien directeur de région pour l'Île-de-France chez Brenntag, a expliqué qu'" [à] Lyon, les résultats 1998 n'étaient pas bons (mauvaise gestion, trop de monde) lorsque M. Z. a pris la direction de la région. Le président d'alors, M. X., a fait pression sur lui pour qu'il améliore ses résultats " (cotes 13332 à 13334).
80. Du compte-rendu de direction de Brenntag du 26 juin 1998 analysant les résultats bruts par tonne de l'ensemble des sites de Brenntag en matière de commodités chimiques, il ressort que les sites à partir desquels sont organisées les pratiques dénoncées par Brenntag dans sa demande de clémence (Bourgogne, Rhône-Alpes, Ardennes, nord, Lorraine, Maine-Bretagne et Loire-Bretagne) sont ceux qui ont généré à la fois les plus faibles résultats (exprimés en deutsche marks par tonnes : DM/T) et les coûts logistiques les plus élevés rapportés aux résultats bruts, alors que ces sites sont confrontés à une vive concurrence de la part des principaux concurrents, fortement implantés sur ces zones (cotes 37285 à 37362). Ainsi :
- le site de Brenntag en Rhône-Alpes générait un résultat brut de 200 DM/T, alors qu'il devait affronter la concurrence de Lambert-Rivière (Univar), de Vaissière-Favre (Univar), de Quarréchim (Univar) et de Caldic Centre (1 site) ;
- le site de Brenntag en Maine-Bretagne générait un résultat brut de près de 250 DM/T, alors qu'il devait affronter principalement la concurrence de Langlois-Chimie (Solvadis) ;
- le site de Brenntag en Loire-Bretagne générait un résultat brut de près de 250 DM/T, alors qu'il était confronté essentiellement à la concurrence de Langlois-Chimie (Solvadis) et de Lambert-Rivière (Univar) ;
- le site de Brenntag dans le nord enregistrait un résultat brut de près de 250 DM/T, alors qu'il devait affronter essentiellement la concurrence de RPC-Clément (Solvadis), Districhimie et des livraisons de la société belge Holvoet (ci-après " Holvoet ") ;
- le site de Brenntag en Bourgogne générait un résultat brut de près de 250 DM/T, alors qu'il était confronté essentiellement à la concurrence de Vaissière-Favre (Univar) et de Caldic Est.
81. Par contraste, le site de Brenntag en Île-de-France, qui n'a pas participé aux pratiques dénoncées sur cette zone géographique générait à la même époque un résultat brut de 650 DM/T, qualifié de bon (cotes 10808, 11114, 13333, et 22691).
82. De plus, il ressort de ce compte-rendu que les autres sites de Brenntag dont les résultats étaient également insuffisants, mais à partir desquels Brenntag n'a pas organisé de pratiques similaires à celles qui ont été dénoncées, par exemple les sites de Normandie et de la région PACA, sont des sites isolés qui ne sont pas confrontés à la concurrence d'autres entreprises.
Univar
83. M. Michel E., directeur marketing et des ventes de la chimie minérale au sein du groupe Vaissière-Favre SA de 1998 à 2002 a déclaré que le directeur de la région sud " précisait que ses patrons lui avaient donné 6 mois pour redresser la barre et que sinon il serait licencié (...) Lorsque Brenntag est arrivé sur la zone de Lyon, il a appliqué une politique de prix très, très bas en dehors de toute cohérence de rentabilité. Il s'agissait, selon moi, d'éradiquer la concurrence ; nous n'étions pas aptes à affronter de tels prix (...) Comme je vous l'ai expliqué, dans la région lyonnaise, la chimie était tenue par des personnes qui se connaissaient toutes de longue date et qui, après l'arrivée de Brenntag, ont souhaité mettre fin à une guerre des prix potentiellement mortelle. A mon avis, M. Z., qui subissait la pression des résultats par sa direction, était en contact avec les dirigeants des autres entreprises locales pour démarrer les premières discussions sur une démarche d'entente des prix " (cotes 13312 à 13314). M. Michel E., a précisé qu'" [e]n 1993 (...) la société Brenntag venait de racheter la société Orchidis et s'est mise à pratiquer des prix très bas sur les commodités chimiques en espérant affaiblir les structures locales en vue d'éventuels rachats sur la zone Rhône-Alpes. Notamment afin de résister à la pression de la compétition, les structures Favre et Vaissière ont fusionné en 1995. Toutes les sociétés locales ont été contraintes d'entrer dans cette guerre des prix mais cette stratégie affaiblissait les différentes structures. Brenntag avait également des résultats en forte baisse sur la région. Selon moi, M. Olivier Z. qui connaissait les différents dirigeants des sites locaux et pour redresser les résultats de Brenntag, a pris l'initiative de réunir tous les interlocuteurs sur la région en vue d'une entente sur la minérale et pour l'application des frais techniques. Très vite, ont été évoqués les solvants, une entente sur les prix et les répartitions de volumes ont été mis en place (...) Progressivement nous avons remonté les prix afin de redresser les marges " (cotes 22787 à 22790).
Solvadis/Quaron
84. M. Bruno D., président du directoire de Quaron a indiqué ignorer les raisons pour lesquelles les concurrents de Brenntag se sont prêtés à ces ententes " mais, en ce qui concerne Solvadis/Quaron que je dirige aujourd'hui, ses résultats exécrables se sont encore dégradés et, en 2005, lorsque je suis arrivé, l'entreprise était au bord du dépôt de bilan " (cotes 13312 à 13314).
85. M. Pierre C., ancien directeur industrie en charge de la région ouest au sein de Solvadis a estimé que " Langlois était le leader incontesté sur l'Ouest et détenait 60 à 70 % du marché. Langlois a sous-estime l'arrivée sur le marché de Sodichem, et a perdu des parts de marché, de l'ordre de 20 à 30 % par manque de réactivité (.) Sodichem et Orchidis ont été rachetés par Brenntag qui a investi dans de nombreux sites régionaux à proximité. Langlois a manqué de réactivité : son actionnaire lui a refusé tout investissement dans les succursales de proximité et le choix a été fait de tout rapatrier à Rennes, les sites de Nantes, d'Angers, de Brest et de Caen ont été fermés " (cotes 13354 à 13356).
86. M. Marc-Antoine F., ancien président de Solvadis a précisé qu'" [u]ltérieurement à ma prise de fonction chez Langlois, j'ai été informé par M. C. des échanges qu'il avait avec M. B. lors d'un déjeuner organisé par M. C. et nous réunissant tous les trois en compagnie de M. G.. Le fond du débat, était de dire que la région ouest était sinistrée et dont l'activité nécessitait des investissements importants, et qu'il fallait trouver une solution afin de permettre la hausse des marges et favoriser ces investissements " (cotes 34049 à 34056).
87. Les déclarations des différents responsables de Brenntag, d'Univar et de Solvadis permettent ainsi de cerner les liens entre le contexte économique précédemment décrit et la stratégie collusive qui sera mise en œuvre à compter de 1998.
88. Brenntag a établi cette corrélation entre le contexte précité et les pratiques dénoncées : " En raison de la très grande dispersion des intervenants, de l'importance des investissements capitalistiques à réaliser localement pour exercer l'activité de grossiste / répartiteur de produits chimiques en conformité aux réglementations tant nationales que communautaires (directive Seveso II n° 96-82-CE, loi du 19 juillet 1976, décret du 21 septembre 1977), de la désindustrialisation, les conditions d'exercice, dans cette profession, sont devenues extrêmement difficiles. C'est dans ce contexte économique et réglementaire difficile pour la profession que certains intervenants grossistes distributeurs de produits chimiques (y compris de commodités) de certaines zones en France, ont décidé de s'entendre selon des modalités variables en fonction des zones géographiques concernées " (cote 256, 06-0075 AC).
2. LA POURSUITE D'UNE FINALITÉ COMMUNE AUX PRATIQUES EN CAUSE SUR LES DIFFÉRENTES ZONES
89. Dans ce contexte, les directeurs régionaux et les directeurs de sites des principaux distributeurs de commodités chimiques ont tenté de restaurer la rentabilité des sites dont ils avaient la responsabilité, sous la contrainte des objectifs de résultats fixés par leur direction générale. A cette fin, ils ont mis en place une série de pratiques concertées de répartition de clientèle et de coordination tarifaire, qui visait à stabiliser les parts de marché des uns et des autres et à améliorer les résultats des sites concernés par les pratiques.
90. La finalité des pratiques en cause sur les quatre zones a été exposée, de façon explicite et unanime, par les demandeurs de clémence dans leurs déclarations.
Sur la zone Bourgogne
91. Brenntag, qui a dénoncé une coordination entre elle-même et Caldic Est, à laquelle se serait jointe Univar, a précisé : " [s]'agissant de l'entente avec Univar, il semblerait que les membres s'entendaient afin de maintenir les volumes impartis à chacun d'entre eux. La répartition ne devait pas modifier la proportion de volumes sur lesquels les membres s'étaient accordés " (cote 26695). Brenntag a communiqué des pièces témoignant du suivi des volumes et des clients concernés par la pratique de répartition de clientèle et des réajustements opérés afin de maintenir les parts de marché de Brenntag et de Caldic Est sur cette zone (cotes 261 à 269, 361, 362, 365, et 366 à 368, 06-0075 AC).
Sur la zone Rhône-Alpes
92. Brenntag a expliqué que " [l]'objectif était d'harmoniser les hausses tarifaires - essentiellement à l'occasion des hausses décidées par les producteurs - et de maintenir les positions de chacun des participants " et, qu'à partir de 2000, " ont été mis en place des répartitions de clientèle, servis à tour de rôle par les participants " (cote 576, 06-0075 AC).
93. Ainsi, la stabilisation des parts de marché des différents membres concernant les solvants était assurée par une allocation des volumes. Cette allocation de " volume était principalement fonction des volumes de vente constatés chez chaque membre de l'entente à la fin de l'exercice 1999 étant rappelé que les volumes à fin 1999 étaient par hypothèse sensiblement identiques à ceux de l'exercice 1998, l'année 1999 ayant été une année au cours de laquelle les positions des concurrents ont été figées. Pour les clients nouveaux, la répartition de volumes était assurée de manière égalitaire " (cote 578, 06-0075 AC).
94. Concernant les produits de la chimie minérale, Brenntag a précisé que " l'entente sur les produits de la chimie minérale a consisté à figer et à maintenir les positions de chacun des membres telles qu'elles existaient au début de l'entente (la répartition de base étant, pour ces produits, celle constatée à la fin de l'année 1998) " (cote 579, 06-0075 AC).
95. M. Pierre A., directeur commercial de Brenntag à Chassieu, a déclaré qu'" [à] partir de 1999, des pratiques d'ententes se sont organisées à Lyon à l'initiative de Brenntag et d'Univar qui, confrontés à des résultats en baisse, souhaitaient restaurer leur marge " (cotes 10807 à 10810). Il a également confirmé l'existence d'un tarif et précisé que " [l]'objectif de cette concertation était de conserver un certain niveau de marge " (cotes 33114 à 33121).
96. M. Olivier Z., directeur de la région sud et directeur du site de Brenntag à Chassieu, a également expliqué que " [c]es concertations avaient pour objectif de maintenir nos marges car en raison du nombre d'offreurs sur le marché, les prix étaient tirés à la baisse (...) Parallèlement, début 2000, sur la base des tonnages de 1999 nous avons décidé de ne pas nous agresser. L'objet de la concertation étant de stabiliser les parts de marché de chacun... Ces concertations avaient pour objectif de maintenir nos marges car en raison du nombre d'offreurs sur le marché, les prix étaient tirés à la baisse " (cotes 32760 à 32764).
97. Univar, pour sa part, a précisé, qu'à compter de 1998 à fin 2002, qu'" [a]u cours de ces réunions était d'abord établi pour les solvants un tarif mensuel de base partagé, puis le sort de clients très disputés (essentiellement les clients peu fidèles et sensibles aux prix) était discuté avec pour objectif de préserver les parts de marché et maximiser la marge brute (voir tableaux) (...) Pour ce qui est de la chimie minérale, il s'agissait de geler les positions clients que chaque acteur livrait " (cote 574, 06-0075 AC).
98. Pour la période postérieure à 2002, Univar a indiqué que " [l]e respect des volumes et des parts de marchés par client/produit (base de référence 2002) (...) une réunion tous les mois 1/2 environ avait lieu pour discuter des réajustements à faire en fonction des parts de marchés de chacun (base année 2002), ainsi que le tarif des solvants et du niveau de marge par client. La chimie minérale était vue seulement à la fin, et uniquement pour le niveau des prix des produits qui bougeaient (...) L'objectif était de tenir un bon niveau de prix et de ne pas chercher à faire trop de volume afin de ne pas risquer de détériorer les marges " (cotes 575 et 576, 06-0092 AC).
99. M. Pascal H., ancien commercial de Quarréchim à Lyon, devenu responsable grands comptes puis chef des ventes chez Univar, a estimé qu'" [i]l s'agissait de préserver les parts de marché, les volumes " (cotes 11953 à 11954).
100. M. Loïc I., responsable de la région lyonnaise chez Lambert-Rivière, devenu responsable de la chimie au niveau national puis " Business Manager " et responsable grands comptes chez Univar, a déclaré que " [l]'intérêt de ces pratiques était de conserver les positions existantes " (cotes 14676 et 14677).
101. M. Michel E., directeur marketing et des ventes de la chimie minérale au sein du groupe Vaissière-Favre SA de 1998 à 2002, devenu directeur de la région Centre au sein d'Univar a indiqué qu'" [u]n tarif commun a été élaboré avec un mécanisme qui devait permettre d'accroître les prix tout en préservant les parts de marché (...) Progressivement nous avons remonté les prix afin de redresser les marges " (cotes 22787 à 22790).
102. Univar a communiqué des pièces exposant les outils de pilotage des pratiques, notamment pour les solvants sur la zone Rhône-Alpes. Il en ressort un tableau relatif à l'attribution des commandes en solvants et une base marketing (cotes 47, 48, et 128 à 393, 06-0092 AC). Ces documents témoignent de l'intérêt que les membres de la concertation attachaient au suivi des parts de marché (les années 1998 puis 2002, ayant été retenues successivement comme année de référence) et à leur stabilisation tout au long de la période.
Sur la zone ouest
103. Univar a déclaré qu'étaient organisées des " [c]oncertations par téléphone tous les 2-3 mois entre certains concurrents, avec pour objectif le maintien des positions et des marges " (cote 577, 06-0092 AC).
104. Mme Laurence J., chef de groupe " marketing " solvants chez Univar, anciennement responsable solvants chez Lambert-Rivière (Univar), a indiqué essayer " de maintenir, en accord avec mes concurrents, mes niveaux de vente. Je communiquais après le prix aux vendeurs situés dans les zones concernées, pour ces clients spécifiques " (cote 13352).
105. Univar a communiqué des pièces qui constituent des outils de pilotage des pratiques, notamment pour les solvants sur la zone ouest. Ils témoignent du suivi des ventes des concurrents participant à la pratique en cause et de la stabilisation des parts de marché (cote 415, 06-0092 AC).
106. M. Jean-Yves B., directeur région Bretagne Centre ouest chez Brenntag, a déclaré avoir " participé à ces ententes pour améliorer encore mes marges, pour ne pas laisser Solvadis perdre de l'argent, et pour garder un concurrent plutôt que de l'éliminer et/ou de voir un inconnu arriver, susceptible de remettre en cause notre équilibre (...) L'objectif était certes d'améliorer nos marges mais pas à outrance ; nous ne pouvions pas faire n'importe quoi et surtout nous ne pouvions pas livrer à n'importe quel prix. Notre métier est un métier de proximité et, si nos prix avaient été trop élevés, nous aurions couru le risque d'attirer les concurrents des autres régions " (cotes 22503 à 22507).
107. M. Alain K., directeur commercial du site de Brenntag Maine-Bretagne a confirmé les propos de son ancien directeur de site en ce qu'" [i]l s'agissait de se répartir les clients en fonction de l'historique des approvisionnements (.) L'objectif de l'entente était de continuer ce partage et d'améliorer les marges. Il s'agissait des plus gros clients qui représentaient environ 40 % de la marge du site " (cotes 37202 à 37207).
108. M. Jacques L., directeur de la région ouest à compter de 2002 de Langlois-Chimie (Solvadis), a déclaré avoir constaté dans l'ouest " que Brenntag s'était implanté et avait cassé la concurrence en pratiquant des prix très bas, puis s'était entendu avec la concurrence pour stabiliser les prix " (cotes 13348 à 13349).
109. M. Marc-Antoine F., président du directoire de Langlois-Chimie (Solvadis), a pour sa part estimé que " [l]e fond du débat, était de dire que la région ouest était sinistrée et dont l'activité nécessitait des investissements importants, et qu'il fallait trouver une solution afin de permettre la hausse des marges et favoriser ces investissements " (cotes 34049 à 34056).
110. M. Eric M., ex-directeur du site de Rennes de Langlois-Chimie (Solvadis) a reconnu que si " Langlois (devenu Solvadis puis Quaron) était historiquement bien implanté dans l'ouest, [mais] augmenter les marges de quatre à cinq points, c'est tentant " (cotes 12068 à 12070).
Sur la zone nord
111. Brenntag a souligné que " l'accord entre Brenntag-nord, Districhimie et Solvadis consistait en une coordination des prix et une répartition de clients qui portait uniquement sur un produit de chimie minérale représentant une part importante du volume des ventes des parties à l'entente, la lessive de soude " (cote 699, 06-0075 AC), accord qui avait été noué entre les trois entreprises, en réponse à la menace qu'aurait représentée l'entrée d'un concurrent belge, Holvoet. La pratique en cause sur la zone nord avait pour objectif de maintenir les positions de marché des unes et des autres, tout d'abord en empêchant l'arrivée de ce nouvel entrant, puis en gelant la concurrence sur le principal produit commercialisé par leurs sites, la lessive de soude. Dès que la société Districhimie, qui occupait une position importante sur cette zone, a mis un terme à sa participation à la pratique, cette dernière n'a pas pu perdurer entre Brenntag et RPC-Clément (Solvadis), car il n'était plus possible d'atteindre sans Districhimie l'objectif de stabilisation des parts de marché.
112. A cet égard, M. Jean-Pierre N., directeur de la région nord chez Brenntag a relevé que " [c]es pratiques ont été mises en place pour "régulariser" le marché soumis aux fluctuations des prix des matières premières et à l'arrivée d'un nouveau concurrent Holvoet ce qui donnait lieu à la fixation de prix très bas par les distributeurs " (cotes 14652 à 14654).
113. Dans le contexte ainsi décrit, les pratiques relevées, qui sont au nombre de quatre, correspondent aux quatre zones d'activité des sites de stockage ayant mis en œuvre les pratiques concertées par les demandeurs de clémence. Il est à noter que le périmètre, voire la dénomination de ces zones, peut varier d'un demandeur de clémence à l'autre. Les quatre pratiques seront décrites, pour simplifier la lecture, en utilisant le découpage propre à Brenntag :
- Brenntag, Districhimie (Quaron) et RPC-Clément (Solvadis) sur la zone nord ;
- Brenntag, Marce (Brenntag), Lambert-Rivière (Univar), Vaissière-Favre (Univar) et Quarréchim (Univar) sur la zone Rhône-Alpes ;
- Brenntag et Caldic Est sur la zone Bourgogne ;
- Brenntag, Langlois-Chimie (Solvadis) et Lambert-Rivière (Univar) sur la zone ouest.
3. LES PRATIQUES MISES EN OEUVRE PAR BRENNTAG À PARTIR DE SON SITE DE WATTRELOS (59), DISTRICHIMIE À PARTIR DE SON SITE DE HAUBOURDIN (59), ET RPC-CLÉMENT (SOLVADIS) À PARTIR DE SON SITE DE LOMME (59)
114. Sur la zone nord, une concertation, qui a été dénoncée par Brenntag dans sa note du 29 décembre 2006, a été mise en place entre cette dernière société, à partir de son site de Wattrelos, Districhimie (Quaron), à partir de son site de Haubourdin, et RPC-Clément (Solvadis), à partir de son site de Lomme (cotes 697 à 704, 06-0075 AC).
115. Cette concertation avait pour objet :
- de se répartir les livraisons de commodités chimiques, principalement de lessive de soude, chez les clients que ces sociétés avaient en commun, par le biais, d'une part, d'échanges d'informations, notamment, sur les offres de prix à remettre à ces clients et, d'autre part, d'un pacte de non-agression ;
- de coordonner les prix de vente par le biais d'augmentation en commun des hausses de tarifs des fournisseurs de commodités chimiques.
a) L'origine des pratiques
116. A la fin de l'année 1997 un nouveau concurrent, Holvoet, implanté en Belgique à 5 km de la frontière française, a cherché à développer ses ventes en France, sur la zone nord. Pour faire face à cette concurrence nouvelle et pour " "régulariser" le marché soumis aux fluctuations des prix des matières premières ", Brenntag a contacté Districhimie (Quaron) et RPC-Clément (Solvadis) afin d'entraver l'arrivée et le développement de ce nouvel entrant sur la zone nord (cote 14652).
117. Plusieurs mentions figurant dans les notes de M. Michel P. (cotes 2840 à 2866 et 2868 à 2877), ancien commercial de Brenntag à Wattrelos, saisies lors des opérations de visite et de saisie du 26 avril 2007, font référence à la stratégie des trois distributeurs en utilisant les termes : " contrer ", " contrecarrer Holvoet ", " attention Holvoet " ou " pbs Holvoet " (cotes 2840, 2847, 2850, 2871 et 2874).
118. Ce point est également mis en exergue par les déclarations des participants à la pratique en cause, M. Gilles O., directeur du site de Brenntag à Wattrelos, M. Michel P., commercial du site de Wattrelos et les anciens directeurs du site de RPC-Clément, MM. Jean-Marc Q. et Jean-Marc R. (respectivement cotes 11974 à 11976, 34824, 35668 à 35671, 34827 à 34830).
119. Il ressort de ces déclarations que Brenntag a pris l'initiative des réunions entre concurrents. Ainsi, M. Gilles O., directeur du site de Brenntag à Wattrelos a déclaré que " [s]elon mon souvenir et selon toute vraisemblance, c'est sur instruction/impulsion téléphonique de Jean-Pierre N., directeur de la région nord, donnée à mon attention, que ces réunions ont commencé : en aucun cas, en effet, pour la région nord, un commercial ne ferait ces réunions sans que la direction de la région nord ne le valide ou n'en prenne l'initiative " (cotes 11974 à 11976).
120. M. Jean-Pierre N., directeur de la région nord de Brenntag a confirmé que l'origine de la pratique relevée émanait de Brenntag, mais l'attribue à son directeur du site de Wattrelos : " Selon mon souvenir, je pense que c'est Gilles O., mon directeur de site, qui doit en avoir pris l'initiative, et je lui ai donné mon accord, mais je ne me rappelle pas qu'il l'a fait sur mon instruction " (cotes 14652 à 14654).
121. M. Philippe S., commercial de Brenntag à Wattrelos, a, pour sa part, déclaré que la pratique en cause a été initiée " sur instruction hiérarchique de la direction de la région Nord " (cote 13362).
122. Par conséquent, les trois distributeurs de commodités chimiques se sont réunis, à l'initiative de Brenntag, afin de contrecarrer le développement d'Holvoet et de limiter la concurrence qui s'exerçait entre eux. Cette concertation entre les trois sociétés précitées a débuté à compter, à tout le moins, du 17 décembre 1997, une réunion de concertation ayant eu lieu à cette date (cote 2869).
b) Les participants aux pratiques
123. Les participants aux différentes réunions et échanges entre les entreprises en cause étaient :
Pour Brenntag (cote 700, 06-0075 AC)
- M. Jean-Pierre N., directeur régional et membre du comité de direction de Brenntag ;
- M. Gilles O., directeur du site de Wattrelos ;
- M. Michel P., commercial du site de Wattrelos ;
- M. Philippe S., commercial puis directeur adjoint à partir de janvier 2003 du site de Wattrelos.
Pour Districhimie (Quaron) (cotes 34079 à 34081, et 35867 à 35869)
- M. Luc T., directeur général jusqu'en juillet 2001 ;
- Mme Claire U., responsable produit de chimie minérale de base liquide et solide pour le nord entre 1991 et avril 2002.
Pour RPC-Clément (Solvadis) (cote 34086)
- M. Jean-Marc Q., responsable des ventes de la région nord, puis responsable du site de Lomme et membre de l'équipe dirigeante (cote 34086) ;
- M. Jean-Marc R., commercial, devenu le 1er juillet 2001 responsable du site de Lomme.
c) L'objet des pratiques
Sur la pratique de répartition de clients
124. Brenntag, Districhimie (Quaron) et RPC-Clément (Solvadis) se sont réparties leur clientèle par le biais d'offres de couverture, certaines de ces offres ayant pour objet de " contrecarrer Holvoet ", de le " contrer " en proposant des prix inférieurs à ceux offerts par ce dernier, lorsqu'il démarchait certains clients de ces trois distributeurs.
125. Le compte rendu de la réunion du 15 décembre 1998 entre Brenntag, RPC-Clément (Solvadis) et Districhimie (Quaron) illustre cette pratique de répartition de clients (cotes 2846 à 2851). Sur ce document, sous la mention " Holvoet : Politique : réaction en fonction de celui qui livre ", figure une liste de clients en face desquels est indiqué le nom du/des distributeur(s) ainsi que les offres de prix.
126. La répartition de clientèle a pris deux formes :
- un pacte de non-agression auprès des clients les moins sensibles au prix, qui fige les positions initiales de chaque distributeur ;
- des offres de couverture afin d'orienter le choix des clients les plus sensibles au prix, vers le distributeur désigné.
La répartition des clients sous la forme d'un pacte de non-agression
127. Les notes manuscrites de M. Michel P., contemporaines des faits et saisies lors des opérations de visite et de saisie du 26 avril 2007, mettent en évidence une coordination des offres de prix de Brenntag, Districhimie (Quaron) et RPC-Clément (Solvadis) à des niveaux strictement identiques (cotes 2840, 2841, 2846 à 2848, et 2861).
128. La cote 2866 relative aux clients Smurfit Socar et Cartonnerie de Gravelines contient la mention : " faire 780 (idem Distri) " (cote 2866).
129. Il ressort des annotations que Brenntag et Districhimie (Quaron) ont convenu de proposer un prix identique. Par courriel du 14 juin 2010 et procès-verbal, M. Michel P. a confirmé que le client Cartonnerie de Gravelines (Gravelière dans le courriel) a été l'objet de la pratique de concertation et, par procès-verbal a indiqué qu'il en est de même concernant le client Smurfit Socar (cotes 34823 à 34826, 34086).
130. A la cote 2864, relative au client Teinturerie des Francs, on peut lire : " se mettre tous à 85 ".
131. Il en va de même pour la cote 2865 se reportant au client Vallys et qui mentionne : " faire 55 (tous les 3) ".
132. Les annotations de la cote 2865 relatives au client Delalys attestent enfin de l'existence d'un pacte de non-agression : " remettre 380 tous les 3 ".
133. Ainsi, Brenntag, Districhimie (Quaron) et RPC-Clément (Solvadis) neutralisent-elles la concurrence et figent-elles leurs parts de marché respectives pour les clients peu sensibles au prix.
La répartition des clients sous la forme d'offres de couverture
134. D'autres notes manuscrites de M. Michel P. ne faisant pas référence à Holvoet comportent des indications retranscrivant des offres de couverture entre Brenntag, RPC-Clément (Solvadis) et Districhimie pour la même période et concernant la lessive de soude. Ces offres de couverture permettaient de mettre en œuvre la répartition de clientèle décidée entre les trois concurrents, pour les clients les plus sensibles aux prix.
135. Il en va ainsi des notes suivantes :
- les annotations relatives au client Valaen : " Clément 83?94 couvrir 980 " (cote 2866) ;
- les annotations relatives au client St Gobain :
" Couvrir...
Lessive de soude 65 clément + distri 69
Javel BB... 198 clément + distri 77
A. phosph remettre 3250 (Clément) 3200)
Urée 175 (tous)
HCL faire 93 Clément 90 Distri 86
Lessive de soude BB 1280 en F (couvrir)
Ferrique confirme 98 (clément 110) " (cote 2866) ;
- les annotations relatives au client Bera :
" Brenntag Clément Distri
Bera faire 65 62 65 " (cote 2840) ;
- les annotations relatives au client Rozendal : " 485 clément : faire 550 " (cote 2865) ;
- le compte-rendu de réunion du 29 septembre 1999 sur lequel figurent des annotations concernant des offres de couverture pour plusieurs clients (cotes 2863 à 2866).
Sur la coordination tarifaire
136. Parmi les comptes-rendus manuscrits de réunions de M. Michel P., certains comportent par ailleurs de nombreuses indications d'offres de prix identiques aux trois distributeurs et de mentions relatives à des hausses du prix des fournisseurs en lessive de soude qui devaient être répercutées aux clients de manière concertée (cotes 2846, 2860 et 2877).
137. Cette coordination tarifaire ressort également de différentes déclarations, notamment les suivantes :
- M. Gilles O. a précisé qu'" [à] partir de 1998 et jusqu'à mi 2001, Brenntag, Clément (devenu Solvadis), et Districhimie (devenu Quaron) se réunissaient (...), afin d'échanger des informations sur les prix et de se répartir des clients sur la lessive de soude " (cotes 11974 à 11976) ;
- M. Philippe S. a confirmé que " [s]elon [s]on souvenir, de 1999 à début 2001, il y a eu des discussions entre Brenntag, Districhimie et Clément devenu Solvadis portant sur la lessive de soude. (...) Il s'agissait de discuter des prix, de fixer des prix planchers pour la vente de lessive de soude et de se répartir les clients " (cotes 13361 à 13363) ;
- M. Jean-Pierre N. a eu " connaissance de telles pratiques qui n'ont porté que sur la lessive de soude et ont consisté selon mes souvenirs, en la fixation de prix planchers entre 1998-1999 et 2000-2001, entre Brenntag, Districhimie et Solvadis. Ces pratiques ont été mises en place pour "régulariser" le marché soumis aux fluctuations des prix des matières premières " (cotes 14652 à 14654) ;
- Mme Claire U. a déclaré qu' " [o]nt été évoqués les thèmes suivants : les délais de paiement, le principe de la facturation des frais techniques, la répercussion de la hausse des prix des fournisseurs " (cotes 34079 à 34081) ;
- M. Jean-Marc Q. a confirmé avoir discuté " sur une trentaine de clients (...) Nous nous mettions d'accord sur le niveau de prix à appliquer en fonction du conditionnement et du lieu où le produit était livré " (cotes 35668 à 35671).
- M. Jean-Marc R. a déclaré : " Quand j'ai pris mes fonctions de responsable du site de Lille afin de remplacer M. J-M Q., ce dernier m'a tenu informé des pratiques. Cela m'a permis de mieux comprendre les instructions que M. Q. me donnait lorsque j'étais commercial. Il nous indiquait des niveaux de prix planchers qui étaient élevés pour remporter les marchés " (cotes 34827 à 34830).
d) Les produits concernés par les pratiques
138. Si la lessive de soude, qui est un produit générant de gros volumes de vente et sur lequel Holvoet pratiquait des prix agressifs, constituait l'objet principal de la concertation, d'autres produits de chimie minérale faisaient également l'objet de discussions entre concurrents (cotes 700, 06-0075 AC, et 23029).
139. Ainsi, les notes manuscrites de M. Michel P. précitées, retranscrivent, pour l'essentiel, des contacts téléphoniques et des réunions entre les trois distributeurs concernant la détermination des prix à remettre aux clients afin d'assurer la répartition de clientèle en matière de lessive de soude.
140. Cependant, certaines de ces notes manuscrites mettent en évidence que les trois distributeurs ont également évoqué concomittament, de manière moins systématique, d'autres produits de chimie minérale tels que la lessive de potasse, le HCL (chlorure d'hydrogène), la javel, l'urée liquide, le borax, l'acide phosphorique, le chlorure ferrique, H2O2, l'alcali, le sel, le chlorure de calcium, et le sulfate de calcium (cotes 2842, 2844, 2848, 2853, 2859, et 2868).
e) Les clients concernés par les pratiques
141. La pratique de répartition de clientèle dans la zone nord a consisté d'une part, à geler toute concurrence entre distributeurs, pour ce qui concerne les clients peu sensibles au prix et d'autre part, à organiser un partage de clientèle au travers d'offres de couverture, pour ce qui concerne les clients les plus sensibles à l'aspect tarifaire. En outre, les clients concernés par la pratique achetaient principalement de la lessive de soude, qui constituait le produit le plus important des sites engagés dans la concertation. Certains éléments cités plus haut montrent que ces mêmes clients passaient également des commandes pour d'autres produits de chimie minérale.
142. Par ailleurs, les objectifs assignés de stabilisation des positions de marché et de restauration des marges des sites concernés, exposés dans les demandes de clémence, et notamment par Brenntag (cotes 14652 à 14654), ne pouvaient être atteints qu'à la condition que les pratiques couvrent la quasi-totalité des ventes des sites en cause.
143. Enfin, Solvadis et ses sociétés mères n'ont pas contesté les griefs notifiés, lesquels portent sur une pratique d'entente n'ayant pas ciblé de clients particuliers.
f) Les modalités de mise en œuvre des pratiques
Sur la tenue de réunions régulières entre Brenntag, Districhimie et RPC Clément
144. Tous les acteurs de la concertation ont déclaré avoir participé à des réunions entre concurrents. Elles correspondaient aux réajustements de prix des trois participants, réajustements qui intervenaient chaque trimestre environ.
145. En ce qui concerne Brenntag, M. Gilles O. a déclaré qu'" [à] partir de 1998 et jusqu'à mi-2001, Brenntag, Clément (devenu Solvadis), et Districhimie (devenu Quaron) se réunissaient (à l'extérieur des entreprises, dans des hôtels par exemple), afin d'échanger des informations sur les prix et de se répartir des clients sur la lessive de soude (...) J'ai participé à certaines réunions, avec M. Michel P. et M. Philippe S. " (cotes 11974 à 11976).
146. La participation de RPC-Clément (Solvadis) est confirmée par les déclarations de M. Jean-Marc Q. qui a indiqué avoir participé " à des réunions en présence de mes concurrents à savoir Brenntag nord en la personne de M. Gilles O. ou M. Michel P., occasionnellement venait le responsable du site de la Somme, la société Districhimie en la personne de Mme Claire U., M. T. venait occasionnellement (...) Ces réunions se tenaient dans des restaurants de la région lilloise " (cotes 35668 à 35671).
147. Enfin, pour Districhimie, Mme Claire U. a expliqué qu'" [à] la demande de ma hiérarchie, j'ai assisté à des réunions à hauteur de 2 ou 3 dans le nord dans un restaurant entre 1999-2000 en présence des représentants de Brenntag (M. O., peut-être M. N. une fois), Solvadis (M. Q.) " (cotes 34079 à 34081). Par la suite, Mme Claire U. a estimé que " ces réunions avaient lieu à chaque modification de prix des bases/acides à savoir tous les trimestres " (cotes 35867 à 35869).
148. Outre ces déclarations, les réunions de concertation entre les trois sociétés sont établies par des notes manuscrites de M. Michel P., ainsi que l'indiquent :
- les cotes 2855 à 2857 : " Réunion du 25/03/99 ", concernant des prix de Brenntag, Districhimie et de RPC-Clément (Solvadis) à de nombreux clients et les indications suivantes : " remet ", " remettent ", " remet 86 pour prendre commande ", " remettre 84 pour contrer Holvoet " ;
- la cote 2843, (sans indication d'année) relative aux prix de RPC-Clément (Solvadis) et de Districhimie pour 23 clients et qui contient les termes suivants : " clément prend une commande à 64 ", " répondre à 80 " ou " remet " ;
- la cote 2844 : " prochaine réunion 17 décembre " placée avant la date du 26 octobre 1998.
Sur les appels téléphoniques entre Brenntag, Districhimie et RPC-Clément
149. En marge des réunions organisées régulièrement, les participants échangeaient parfois par téléphone. Ces contacts permettaient principalement de vérifier l'exactitude des prix proposés par les concurrents, et accessoirement de se répartir des clients.
150. Des notes manuscrites de M. Michel P., contemporaines des faits, permettent de retracer certains appels téléphoniques avec Districhimie, ainsi que l'illustrent les cotes suivantes :
- la cote 2869 : " Cart Gondardennes
Clément Ok pour 64
Distri : pas répondu
Vu Distri : aurait eu la cde à 65 " ;
- la cote 2849 : " le 6/1/99 Cartonnerie de Gravelines, 85 au lieu de 90, ? Appel U. " et " 4/2/99 Vu U. concernant Sisal à Lumbres ".
151. D'autres notes manuscrites de M. Michel P. permettent de retracer certains appels téléphoniques avec RPC-Clément (Solvadis) ainsi qu'en témoignent :
- la cote 2869 : " 17/12 appel M. Q. (Clément) Heineken ". Au regard des autres informations figurant sur ce document, ces mentions sont datées du 17 décembre 1997 ;
- les mentions de la cote 2875 : " 30/1 tel M. Q.
Montpellier Lille
Distri 90
DC 92 ok revenons à 90
Clément 92 ".
g) La surveillance des pratiques
152. Les parties ont également assuré la conception et la mise en œuvre des pratiques relevées. En particulier, Brenntag a pris l'initiative de la mise en œuvre des pratiques sur la zone nord et a procédé par des appels téléphoniques fréquents aux deux autres membres de la concertation, à une surveillance de la bonne application des décisions arrêtées en commun.
153. Ainsi, Brenntag a appelé Districhimie par téléphone dans les cas suivants :
- " Brasserie de Saint Omer (...) vu Distri (Térien) (...) Distri prend chlorure de calcium 25T/an, sulfate de calcium, sel (...) Clément + DC ne cotent pas ses pdts " (cote 2868) ;
- "12/1/98 Cart de Gondardennes (...) Distri : pas répondu (...) Vu distr : avait eu la cde à 65 " (cote 2869) ;
- " nouveau n° tel 12 déc changement 03 20 17 57 00 Mme Thérien " (cote 2845).
154. À cet égard, M. Michel P. a expliqué que " [d]ans le cadre des échanges d'informations entre concurrents, je devais appeler Mme U. " (cotes 34823 à 34826).
155. Sur la zone nord, Brenntag a également procédé à des vérifications auprès de certains clients et des deux autres participants aux pratiques. Les notes et les déclarations de M. Michel P. attestent que Brenntag a appelé à plusieurs reprises ses partenaires afin de s'assurer que ces derniers appliquaient bien les directives décidées en commun lors des réunions.
156. Ainsi qu'il ressort des notes suivantes, Brenntag a appelé certains clients afin de s'assurer des propositions de prix décidées en commun et formulées effectivement par Districhimie et RPC-Clément (Solvadis) :
- 10/07-1998 : " nordys ? lessive 79
Distri est à 75 ? remonte à 80
a dit la vérité " (cote 2842).
- 10/07-1998 : " Bellier dans 1 premier temps
Clément : remonte prix lessive de soude
H202 au 15/8....
a dit la vérité " (cote 2842).
- " Desailles : sommes à 98 Clément n'a pas fait la hausse toujours à 85 " (cote 2842).
- les mentions : " le 6/1/99 Cartonnerie de Gravelines, 85 au lieu de 90, ? Appel U. " (cote 2849).
157. M. Michel P. a confirmé que ces appels s'inscrivaient dans le cadre de la surveillance du respect de la concertation : " Dans le cadre des échanges d'informations entre concurrents, nous avions défini un prix à appliquer à la cartonnerie de Gravelines à la réunion précédente. Districhimie a coté 85 au lieu de 90, aussi avons-nous constaté que Districhimie n'avait pas communiqué cette information à ses commerciaux et ne respectait donc pas ce qui avait été défini " (cotes 34823 à 34826).
158. En outre, Brenntag a appelé directement RPC-Clément (Solvadis) et Districhimie (Quaron) afin de leur rappeler la nécessité de respecter les décisions prises en commun, ainsi qu'en attestent les notes suivantes :
- les mentions non datées de la cote 2840 relatives à des échanges d'informations et décisions de répartition entre Brenntag, RPC-Clément (Solvadis) et Districhimie (Quaron) concernant une quinzaine de clients communs : " Brenntag Clément Distri
Roquette W faire 66 68 65 ??
Mme U. rappelle " ;
- les mentions de la cote 2869 : " 17/12 appel M. Q. (Clément) Heineken (...)
Heineken H202 étions à 415 (Clément a remis 280)
Ok remonte ses prix à 480 ".
159. Au regard des autres informations figurant sur ce document, ces mentions sont datées du 17 décembre 1997. M. Michel P. a déclaré à ce sujet que " Brenntag a appelé M. Q. car RPC-Clément nous avait pris une commande en pratiquant des prix très bas chez Heineken. Nous voulions savoir ce qui se passait " (cote 34826).
h) La cessation des pratiques
160. Selon les explications de Brenntag fournies dans sa demande de clémence, les pratiques dénoncées et relatives à la lessive de soude entre Brenntag, Districhimie (Quaron) et RPC-Clément (Solvadis) ont pris fin en juillet 2001, du fait de tensions apparues entre Brenntag et Districhimie. Il était devenu impossible pour Brenntag de continuer à s'entendre avec Districhimie. La direction de Brenntag aurait alors décidé de cesser les pratiques (cote 701, 06-0075 AC).
161. De son côté, M. Stéphane V., directeur général, en 2001, de Districhimie, indique : " quelques mois après mon embauche chez Districhimie, ma responsable des achats en place depuis 16 ans m'a informé qu'elle rencontrait régulièrement des responsables commerciaux de Brenntag nord et Brenntag Picardie et Solvadis nord, dans le but de se mettre d'accord sur des niveaux de prix à pratiquer en clientèle. C'était en septembre ou octobre 2001. Je lui ai donné instruction de cesser immédiatement ces pratiques déloyales et de mettre un terme définitif aux contacts avec nos concurrents. Elle a quitté l'entreprise quelques mois après " (cotes 11942 à 11945).
162. Aucun élément matériel ne permet de mettre en évidence une continuation des pratiques en zone nord au-delà de septembre 2001.
4. LES PRATIQUES MISES EN OEUVRE PAR BRENNTAG À PARTIR DE SES SITES DE CHASSIEU (69), PAR MARCE (BRENNTAG) À PARTIR DE SON SITE D'ANDANCE (07), PAR LAMBERT-RIVIÈRE (UNIVAR) À PARTIR DE SON SITE DE PIERRE BÉNITE (69), PAR VAISSIÈRE-FAVRE (UNIVAR) À PARTIR DE SES SITES DE GENAY, LYON GERLAND ET GENAS (69), ET PAR QUARRÉCHIM (UNIVAR) À PARTIR DE SON SITE DE GENAS (69)
163. Dans leurs demandes de clémence respectives, Brenntag et Univar ont dénoncé des pratiques de concertation entre elles, à partir de leurs sites respectifs, implantés dans la zone Rhône-Alpes (cotes 573 à 582, 06-0075 AC, et 569 à 579, 06-0092 AC).
a) L'origine des pratiques
164. Univar (Vaissière-Favre, Lambert-Rivière et Quarréchim) et Brenntag s'accordent sur la tenue, à Paris à l'automne 1998 au Novotel de Bercy, d'une réunion de lancement des pratiques dans la zone Rhône-Alpes " en présence des représentants des sociétés Brenntag, Vaissière-Favre, Lambert-Rivière et Quarréchim " (cotes 573 à 582, 06-0075 AC). Sont présents à cette réunion :
Pour Brenntag :
- M. Olivier Z., membre du comité de direction de Brenntag, directeur régional de la région sud comprenant les sites Rhône-Alpes, Bourgogne, Dauphiné, Méditerranée, Côte d'Azur, Toulouse et Bordeaux et directeur du site Rhône-Alpes de 1997 à 2007 ;
- M. Daniel X., président du directoire de Brenntag.
Pour Vaissière-Favre (Univar) :
- M. Jean-Jacques W., président directeur général du groupe Vaissière-Favre.
Pour Lambert-Rivière (Univar) :
- M. Gilles 1., responsable des ventes France au siège de Lambert-Rivière de 1998 à 2000, puis directeur logistique de 2001 à 2005 ;
- M. François-Xavier 2., directeur commercial en 1998 puis directeur général adjoint à partir de 1999 chez Lambert-Rivière.
Pour Quarréchim (Univar) :
- M. Michel 3., directeur général Gazéchim, directeur général adjoint puis président directeur général de Quarréchim ;
- M. Jean-Claude 4., responsable de l'ensemble de l'activité commerciale de Gazéchim puis directeur régional pour la zone Centre.
165. L'objectif de cette réunion était de mettre fin à la guerre des prix initiée par Brenntag, mentionnée précédemment, et d'améliorer les résultats de chacun des sites (cotes 13312 à 13314, et 22787 à 22790). Les intervenants se sont mis d'accord sur le principe d'une concertation sur les prix des commodités chimiques et le gel des parts de marché de chacune des deux entreprises actives en Rhône-Alpes (ou " Centre ", selon l'appellation d'Univar). L'élargissement du cercle des participants aux pratiques en cause à Marce (Brenntag) serait intervenu à l'issue de cette réunion.
166. M. Daniel X., président de Brenntag au moment des pratiques, a déclaré : " A l'automne 1998, Olivier Z. et moi avons eu des discussions sur le marché et sur l'intérêt d'acquérir Vaissière ; c'était doubler la taille de la société Brenntag localement et la mettre en parité avec Univar sur cette région. Olivier Z. m'a alors parlé d'une réunion, sans en préciser l'ordre du jour, qui se tenait à Paris entre concurrents, ce qui ne m'a pas semblé anormal (des questions d'intérêt général du secteur pouvaient y être discutées), où serait présent M. W. avec lequel je pourrai évoquer la question de l'acquisition de sa société par Brenntag. Me rendant à la réunion, j'ai découvert qu'en fait, cette réunion était une tentative de pacification du marché. J'ai quitté cette réunion avant la fin et ai convenu avec M. W. que nous nous reverrions ultérieurement pour parler de l'acquisition de sa société par Brenntag (...) " (cotes 13318 à 13322).
167. M. Olivier Z., directeur de la région sud chez Brenntag, confirme ces éléments, à l'exception de l'initiative de cette pratique, qu'il attribue à Lambert-Rivière (Univar) :
" La première entente, à laquelle j'ai pris part, s'est tenue à Lyon, à la fin de l'été 1998, alors que les résultats de Brenntag Rhône-Alpes étaient très mauvais (de même que ceux de nos concurrents principaux sur le plan régional, tels que Quarréchim, Lambert-Rivière, Vaissière), et tandis que Jean-Marc Y., président de Brenntag depuis 1994 et sur le départ (Daniel X. lui a succédé à l'automne 1998), avait légué une culture du résultat sous une forte pression.
Gilles 1., directeur du site de Lyon de Lambert-Rivière, devenu Univar m'a téléphoné pour me proposer de rencontrer le nouveau directeur de Quarréchim (devenu Univar) à l'occasion d'un déjeuner, lors duquel il a proposé que l'on s'entende pour augmenter nos marges. Le directeur de Vaissière, contacté par la suite, a refusé dans un premier temps d'y participer, ce qui ne permettait pas de mettre en œuvre utilement l'entente (compte tenu de l'importance de ce concurrent), puis a finalement repris contact avec nous pour indiquer qu'il acceptait cette entente fin 1998. La première réunion a eu lieu fin 1998 (...)
J'ai informé Daniel X., alors président, de ces ententes, et celui-ci a été présent à une réunion au cours de laquelle a été acté le démarrage de la pratique " (cotes 14669 à 14674, et 32760 à 32764).
168. Comme indiqué par Univar dans sa demande de clémence, ces concertations auraient été mises en œuvre au niveau local avec la " bénédiction des directions parisiennes " des différentes sociétés (cote 573, 06-0092 AC).
b) Les participants aux pratiques
169. Les demandes de clémence, les éléments matériels communiqués par Univar, notamment en ce qui concerne les pratiques relatives aux solvants, mais également les éléments recueillis au cours de l'instruction ont permis d'établir la participation de Brenntag, Marce (Brenntag), Lambert-Rivière (Univar), Vaissière-Favre (Univar) et Quarréchim (Univar) (cotes 46 à 49, 06-0092 AC, et 128 à 393, 06-0092 AC).
170. Il ressort des éléments communiqués par les demandeurs de clémence que les participants aux différentes réunions et échanges entre les entreprises en cause étaient les personnes suivantes (cotes 45, et 569 à 579, 06-0092 AC) :
Pour Brenntag
- M. Olivier Z., directeur de la région sud comprenant les régions Rhône-Alpes, Bourgogne, Dauphiné, Méditerranée, Côte d'azur, Toulouse et Bordeaux, qui occupe également les fonctions de directeur du site Brenntag situé à Chassieu de 1997 à 2007, et membre du comité de direction de Brenntag ;
- M. Pierre A., directeur commercial du site de Brenntag à Chassieu précité.
Pour Lambert-Rivière (Univar)
- M. Gilles 1., responsable régional des ventes à Lyon, devenu responsable logistique pour Lambert-Rivière ;
- M. Loïc I., responsable de la région lyonnaise de Lambert-Rivière et responsable national de la chimie devenu " Business Manager " et responsable " grands comptes " ;
- M. Jérôme 5., responsable de la région Nantes/Bordeaux/Toulouse pour Lambert-Rivière à compter du mois de janvier 1999 ;
- M. Robert 6., responsable industrie ;
- Mme Laurence J., chef des produits solvants.
Pour Quarréchim (Univar)
- M. Jean-Claude 4., responsable de l'activité commerciale pour Gazéchim devenu, directeur régional pour la zone Centre chez Quarréchim ;
- M. Pascal H., commercial chez Quarréchim Lyon devenu successivement, responsable " grands comptes " puis chef des ventes chez Univar ;
- M. Michel 3., directeur général adjoint devenu président du groupe Quarréchim ;
- Mme Isabelle 7., assistante commerciale.
Pour Vaissière-Favre (Univar)
- M. Jean-Jacques W., président directeur général du groupe Vaissière-Favre ;
- M. Michel E., directeur marketing et des ventes pour la chimie minérale au sein du groupe Vaissière-Favre devenu directeur région pour la zone Centre chez Univar ;
- M. Gilbert 8., directeur marketing et des ventes pour les solvants pour le groupe Vaissière-Favre jusqu'à fin 2002.
Pour Univar
171. A partir de 2003, en raison de la fusion des entreprises Lambert-Rivière, Vaissière-Favre et Quarréchim dans l'entité Univar, les personnes physiques ont été moins nombreuses aux réunions de concertation, puisque désormais dans un premier temps, MM. Michel E., Loïc I., Pascal H., Christophe 9. et Mme Isabelle 7. représentent Univar et dans un second temps, seul M. Michel E. poursuit les rencontres avec M. Olivier Z. (cotes 26206 à 26209).
Pour Marce
- M. Bernard 34. (directeur du site de Marce).
c) L'objet des pratiques
La détermination de tarifs communs
La coordination tarifaire portant sur les solvants
172. Les explications et déclarations de Brenntag et d'Univar, ainsi que les documents communiqués par les demandeurs de clémence, font ressortir qu'une pratique de fixation de tarifs communs mensuels pour les solvants commercialisés en zone Rhône-Alpes a eu lieu entre 1998 et 2005 auprès de l'ensemble des clients de Brenntag, Marce (Brenntag), Lambert-Rivière (Univar), Vaissière-Favre (Univar), Quarréchim (Univar) et Univar.
173. Ainsi que Brenntag et Univar l'ont précisé dans leur demande de clémence respective (cotes 573 à 582, 06-0075 AC et cotes 569 à 579, 06-0092 AC), la pratique en cause portait sur l'existence d'un " tarif commun " par produit, indiquant le prix de référence de chacun des produits concernés. Ce tarif était révisé mensuellement, à l'occasion de réunions, en même temps que la liste des clients devant faire l'objet d'une répartition entre les deux distributeurs. Ce tarif commun servait de base à l'allocation des clients : il permettait de déterminer le prix à appliquer, à l'occasion d'une demande de cotation, soit pour " prendre " le client, soit pour " couvrir " un concurrent participant à la pratique en cause et, en conséquence, ne pas " prendre " le client et/ou la commande. La " couverture " d'un concurrent consistait, en réponse à une demande de cotation d'un client, à faire une offre de prix sur la base du tarif commun majoré de 10 à 15 la tonne, tandis que le distributeur " couvert " appliquait le tarif commun sans majoration.
174. Pour Brenntag, M. Olivier Z., directeur de la région sud et directeur du site de Chassieu a décrit la notion de " tarif commun " : " II s'agit des décisions de tarifs communs sur la base de livraisons en vrac pour les produits les plus importants. Les tarifs relatifs aux solvants étaient mensuels en raison de la volatilité des prix du pétrole. Ces concertations avaient pour objectif de maintenir nos marges car en raison du nombre d'offreurs sur le marché, les prix étaient tirés à la baisse (...) les tarifs communs relatifs aux solvants ont été appliqués qu'à partir de janvier 1999 " (cotes 32760 à 32764). Cette déclaration est confirmée par M. Pierre A., directeur commercial du site de Chassieu (cotes 33114 à 33121).
175. Pour Univar, M. Michel E., ancien directeur marketing et des ventes de Lambert-Rivière devenu directeur de la région Centre chez Univar, a déclaré, concernant l'existence d'un tarif commun pour les solvants : " Ont été élaborés les outils suivants : un tarif commun, la répartition des parts de marché par client (qui sera ultérieurement mise en œuvre dans la base marketing Univar centre Est) la base marketing qui était interne, et des réunions de concertations (...) Un tarif commun a été élaboré avec un mécanisme qui devait permettre d'accroître les prix tout en préservant les parts de marché " (cotes 22787 à 22790).
176. Cette déclaration rejoint celle de Mme Laurence J., ancien chef des produits solvants chez Lambert-Rivière, basée au siège de l'entreprise à Val de Fontenay, devenu chef de groupe marketing solvants chez Univar (cotes 22795 à 22799).
177. Brenntag et Univar ont remis des documents contemporains des faits dénoncés, qui témoignent de l'existence d'une coordination tarifaire entre elles aux fins d'établir des offres de couverture.
178. Brenntag a communiqué un document interne relatif à une demande de cotation du 2 février 2001 pour 10 produits parmi lesquels 2 solvants (IPA et ws " white spirit ") exprimée par le client Photowatt International lors de la visite d'un commercial de Brenntag le 29 janvier 2001, et sur laquelle figurent les mentions manuscrites " tarifs +10 " c'est-à-dire +10/T (cote 592, 06-0075 AC). Ce document atteste d'une fixation de prix en commun, et de sa majoration afin de permettre le dépôt d'une offre de couverture et l'allocation du client à l'entreprise désignée.
179. Univar a communiqué copie des tarifs " minimum " exprimés franco en /T pour 51 solvants en vrac, en fût perdu (FP) et fût consigné (FC) avec les dates d'application suivantes : 25 février 2002, 8 avril 2002, 6 mai 2002, 10 juin 2002, 10 juillet 2002, 26 juillet 2002, 9 septembre 2002, 15 novembre 2002 (en ayant retenu comme base de référence l'année 1998) (cotes 50 à 58, 06-0092 AC). Selon Univar, " [c]e tarif fixait un prix minimum régional sur les produits listés uniquement. (...) Il s'agit des prix de Lambert-Rivière mini franco région Lyon sur lesquels nous nous étions mis d'accord et qui devaient être pratiqués " (cotes 24754, 24755, et 33092).
180. Sur les tarifs du 25 février 2002, il est mentionné : " Tarif ou tarif -15 /T pour prendre Tarif +15 /T pour couvrir " (cote 58, 06-0092 AC).
La coordination tarifaire portant sur la chimie minérale
181. Les explications et déclarations de Brenntag et d'Univar, le document communiqué par Brenntag, à savoir la demande de cotation du 2 février 2001 exprimée par le client Photowatt précitée, les explications de Brenntag concernant ce document et ses déclarations sur le fonctionnement de la pratique de fixation de tarif commun pour les produits de la chimie minérale attestent de l'existence d'une pratique de coordination tarifaire pour les produits de la chimie minérale en vrac et conditionnés, commercialisés en zone Rhône-Alpes auprès de l'ensemble des clients que chaque membre de la concertation livrait, entre 1998 et 2005, ayant impliqué Brenntag, Marce (Brenntag), Lambert-Rivière (Univar), Vaissière-Favre (Univar), Quarréchim (Univar) et Univar.
182. Le " tarif commun " permettait ainsi de figer les positions de marché des distributeurs. Ce tarif était révisé une à deux fois par an, les variations de cours des produits de chimie minérale étant plus limitées que celles des solvants.
183. M. Olivier Z., a également expliqué la notion de " tarif commun " pour les produits de la chimie minérale : " II s'agit des décisions de tarifs communs sur la base de livraisons en vrac pour les produits les plus importants (...) Les prix de la chimie minérale étant plus stables, les décisions de fixation de prix concertées étaient moins rapprochées " (cotes 32760 à 32764).
184. M. Pierre A., directeur commercial du site de Chassieu et M. Grégory 10., commercial au sein du même site ont également confirmé l'existence d'une pratique de fixation de tarifs communs pour les produits de la chimie minérale sur la région lyonnaise (cotes 33114 à 33121, et 32908 à 32912).
La répartition de clientèle
185. Univar et Brenntag ont dénoncé une pratique de répartition de clientèle pour les solvants et pour la chimie minérale, dans la zone Rhône-Alpes, à laquelle elles ont participé. La pratique de répartition sous forme de " tours " aurait été rendue possible grâce à la fixation du " tarif commun " précité qui servait de base à l'allocation des clients en permettant de " prendre " un client ou une commande ou de " couvrir " l'un des concurrents, membre de la concertation.
La répartition de clientèle pour les solvants
186. Les déclarations d'Univar et de Brenntag, ainsi que certaines pièces remises par ces demandeurs de clémence, et les explications recueillies notamment auprès des clients des deux distributeurs, font ressortir l'existence d'une pratique de répartition de clientèle pour les solvants sur la zone Rhône-Alpes, ayant évolué au cours de deux périodes distinctes.
? Entre 1998 et 2003
187. Au cours de la période 1998-2003, Brenntag, Vaissière-Favre (Univar), Lambert-Rivière (Univar) et Quarréchim (Univar) ont mis en œuvre, pour les solvants, une pratique de répartition de clientèle sous la forme de " tours " pour les principaux clients. Cette pratique visait à assurer la stabilisation des volumes réalisés par chacun des membres et donc leur part de marché respective.
188. Au début de la période, les parties avaient dressé la liste des clients dont les volumes et commandes faisaient l'objet d'une pratique de répartition sous la forme d'allocation alternative entre les différentes entreprises participant à la concertation. Cette pratique de répartition sous forme de " tours " concernait " essentiellement les clients solvants peu fidèles et sensibles aux prix " qui étaient également ceux " qui ont pour habitude de consulter systématiquement Brenntag Rhône-Alpes, Quarréchim, Lambert-Rivière, Vaissière-Favre...avant chaque commande " (cotes 574, 06-0092 AC, et 578, 06-0075 AC). Lors des réunions de concertation, Brenntag et Univar procédaient au suivi des ventes réalisées par chacun avec l'indication de leurs parts de marché, l'année 1998 ayant été retenue comme année de référence (cote 46, 06-0092 AC).
189. MM. Olivier Z., Pierre A. et Grégory 10. se sont exprimés sur la pratique de répartition de clientèle pour les solvants (cotes 32760 à 32764, 32908 à 32912, et 33114 à 33121).
190. Le document précité (cote 592, 06-0075 AC), communiqué par Brenntag, relatif à une cotation du 2 février 2001, témoigne également de l'existence de la pratique de répartition de clientèle pour deux solvants (IPA et ws " white spirit ").
191. M. Michel E., directeur de la région Centre chez Univar, concepteur de la " base marketing " au sein de cette société, a expliqué qu'" [o]nt été élaborés les outils suivants : un tarif commun, la répartition des parts de marché par client (qui sera ultérieurement mis en œuvre dans la base marketing Univar centre Est) la base marketing qui était interne. La répartition des parts de marché par fournisseur : elle a permis de fixer les positions en volume de chacun sur la base de l'année 1998 qui a servi de référence à la base des accords (...) Il existait une liste de clients avec la répartition des parts de marché de chacun de 1998 à 2003, puis ces informations ont été reportées dans une base marketing interne à Univar centre Est afin de piloter ces ententes chez Univar Centre Est avec le minimum d'acteurs. Chacun devait prendre ses commandes en fonction de cette répartition. J'ai conçu cette base, sans l'aide de l'informatique " (cotes 22787 à 22790). Cette pratique de répartition de clientèle pour les solvants dans la zone Rhône-Alpes a été confirmée par Mme Laurence J., ancien chef des produits solvants chez Lambert-Rivière (Univar), devenu chef de groupe marketing solvants chez Univar (cotes 22795 à 22799).
192. Univar a communiqué trois pièces relatives à la pratique de répartition de clientèle concernant les solvants :
- Le tableau figurant en cote 46, 06-0092 AC
193. Ce tableau atteste du suivi minutieux des ventes de solvants de Brenntag, Quarréchim (Univar), Lambert-Rivière (Univar), Vaissière-Favre (Univar) et Marce (Brenntag) auprès de 46 clients, entre 1998 et 2001, afin de faciliter la répartition des commandes des clients concernés.
194. Univar a indiqué l'objet de ce tableau à savoir :
- " tableau de base permettant de voir la part de marché de chacun. En fonction des indications du tableau, les commandes étaient prises ou non " (cote 43, 06-0092 AC) ;
- " Un état des volumes vendus par tous les concurrents. Période 1998-2001 par client (...) Cet état a permis de fixer les parts de marché de chacun " (cotes 24754 à 24761, et 33089 à 33092) ;
- " Tableau de base couvrant les années 1998, 1999, 2000, 2001, permettant de voir la part de marché de chaque société impliquée avec 47 clients de la région Centre Est. En fonction des indications du tableau, les commandes étaient prises ou non " (cote 26221).
195. M. Michel E. a confirmé l'établissement d'un tableau de répartition des clients entre Brenntag et Univar (ou leurs anciennes structures) : " Parallèlement à ce tarif commun [le tarif commun pour les solvants], il existait une liste de clients avec la répartition des parts de marché de chacun de 1998 à 2003 " (cotes 22787 à 22790).
- Le tableau figurant en cotes 47 et 48, 06-0092 AC
196. Ce tableau non daté concerne la répartition des commandes de 59 clients entre Brenntag, Quarréchim (Univar), Lambert-Rivière (Univar), Vaissière-Favre (Univar) et Marce (Brenntag).
197. Parmi ces clients, 46 d'entre eux figurent déjà sur le tableau précédemment décrit en cote 46, 06-0092 AC. Les informations figurant sur ce deuxième tableau concernent les dates de livraison et l'identité du ou des distributeur(s) en charge de ces livraisons.
198. Concernant les 13 autres clients, 7 sont " libres " c'est-à-dire qu'ils ne font pas l'objet de la concertation, 3 clients font l'objet d'une attribution ponctuelle à chaque commande passée et doivent être appelés en raison de la mention " tel ", 1 client a fermé son établissement, 1 autre se voit appliquer le " tarif ". Enfin, la mention " délai " a été reportée pour un dernier client.
- Le tableau figurant en cote 49, 06-0092 AC
199. Ce tableau reprend les offres de prix pour l'acétone qui ont été remises par Brenntag, Lambert-Rivière (Univar), Vaissière-Favre (Univar), au cours de la période concernée, au client Lamberet qui figure dans le tableau de répartition de commandes précédent et qui devait faire l'objet d'appel téléphonique entre les membres de la concertation afin de coordonner les offres de prix en vue d'attribuer les commandes passées au distributeur qui avait été désigné.
- Entre 2003 et 2005
200. Plusieurs raisons ont été évoquées pour expliquer l'évolution de la pratique à partir de 2003 : la fusion de Lambert-Rivière, Vaissière-Favre, et Quarréchim en 2003 en Univar, une enquête de la DGCCRF conduisant à la prudence, l'augmentation des parts de marché de Brenntag malgré l'objectif initial de stabilisation des positions acquises en 1998. Le mode de fonctionnement de la pratique a évolué vers plus de discrétion et donc, moins de réunions et moins de participants. La pratique de répartition sous forme de " tours " a évolué vers un simple gel de la concurrence sur le marché. Selon la déclaration d'Univar dans sa demande de clémence, chacun devait désormais suivre ses volumes, et celui qui " en prenait trop " remontait au-dessus du niveau de marge (+10/15 ) et l'autre répondait alors à un tarif défini. L'objectif initial de stabilisation des parts de marché des membres de la concertation était ainsi préservé. Cependant, la base de référence était désormais l'année 2002. Une réunion tous les mois et demi avait alors lieu pour discuter des réajustements à faire en fonction des parts de marché de chacun, ainsi que du tarif des solvants et du niveau des marges par client.
201. M. Daniel X. a déclaré, concernant la pratique de répartition de clientèle en Rhône-Alpes sous la forme d'un pacte de non-agression, qu'à partir de 2003 " [c]es pratiques ont pris fin avec Marce, Caldic Centre et Platret, mais se sont poursuives avec Univar, afin de gérer la décroissance des prix, et donc de manière peu visible pour les clients et pour Yves 14., essentiellement sous la forme de pacte de non-agression " (cotes 13318 à 13322).
202. Selon la déclaration d'Univar dans sa demande de clémence corroborée au cours de l'instruction, le suivi des pratiques concernant les solvants a été réalisé, à partir de 2003, grâce à une application désignée " base marketing ", et qui était propre à cette entreprise (cotes 128 à 267, 06-0092 AC). Selon Univar, cette " base marketing " était alimentée lors de chaque consultation en matière de solvants et pour chaque client. Il était demandé aux vendeurs de renseigner la base, le distributeur qui avait remporté les commandes, les quantités et les prix. Cette base permettait ainsi d'obtenir un pourcentage de réussite sur l'activité et donc une part de marché.
203. La base marketing est constituée d'un fichier de 80 clients pour les solvants en vrac et conditionnés, tenu par Univar. Sur la plupart des fiches " client ", ont été reportées les parts de marché 2002 (année de référence pour la pratique de stabilisation des parts de marché) de Brenntag, Marce (Brenntag) et Univar. De plus, la fiche de chaque client retrace chronologiquement les ventes réalisées entre 2003 et 2006 avec l'indication des offres de prix et de la marge brute d'Univar et l'indication du fournisseur retenu. Dans certains cas, l'offre de prix remise par le concurrent est également indiquée. Ainsi, à travers ces fiches, Univar suit l'évolution des ventes réalisées auprès de chacun de ces clients avec, comme information initiale, la position des membres de la concertation auprès de ces mêmes clients, ce qui lui permet d'assurer un suivi des ventes auprès de ses clients.
La répartition de clientèle pour la chimie minérale
204. Les explications et déclarations des deux demandeurs de clémence, ainsi que les pièces contemporaines des pratiques alléguées, versées par Brenntag, pour les années 1998 à 2003, attestent pour cette période de l'existence d'une pratique de répartition de clientèle, sous la forme d'un pacte de non-agression entre Brenntag et Lambert-Rivière (Univar), Vaissière-Favre (Univar) et Quarréchim (Univar), puis Univar, pour la distribution de produits de chimie minérale dans la zone Rhône-Alpes, visant à figer les portefeuilles " clients " de chacun des participants à l'entente.
205. Le pacte de non-agression a consisté à maintenir les positions de chacun des membres telles qu'elles existaient au début de la pratique alléguée (la " répartition de base " étant, pour ces produits, celle constatée à la fin de l'année 1998 puis, dans un second temps, l'année 2002 afin de respecter le niveau effectif des ventes). Ainsi, les clients concernés n'étaient pas servis alternativement par chaque distributeur, mais restaient au contraire alloués au distributeur qui les fournissait au début des pratiques, les autres distributeurs se contentant de ne pas intervenir auprès de ces clients.
206. Parmi les documents communiqués par Brenntag, certaines pièces témoignent des pratiques de répartition de clientèle pour la chimie minérale sur la zone Rhône-Alpes au moins entre le 12 janvier 1999 et le 14 décembre 2003, parmi lesquelles à titre d'exemples :
- La pièce figurant en cote 599, 06-0075 AC, relative au client Dousselin (1999)
207. Cette pièce concerne la télécopie de Dousselin à Brenntag du 2 février 1999 qui indique les anciens et les nouveaux prix de Brenntag pour 5 produits de chimie minérale, sur laquelle ont été reportées par un salarié de Brenntag des annotations manuscrites concernant les prix de Vaissière-Favre (cote 599, 06-0075 AC).
208. Les commentaires de Brenntag ont été les suivants : " Les prix manuscrits (sous la colonne "V" pour Vaissière) ont été communiqués lors d'un contact téléphonique avec W. à la suite d'une offre de Brenntag Rhône-Alpes au client. Les prix proposés par Brenntag Rhône-Alpes sont, selon un responsable de Brenntag Rhône-Alpes, des prix de couverture : W. propose, le plus souvent, des prix plus bas car ce client lui est principalement dévolu " (cote 586, 06-0075 AC).
- Les pièces figurant en cotes 594 et 593, 06-0075 AC, relatives au client Labo Services (2000-2001)
209. La cote 594, 06-0075 AC, relative à une offre de prix de Brenntag au client Labo-Services du 11 septembre 2000 concernant notamment 6 produits de la chimie minérale, comporte des annotations manuscrites de M. Pierre A., relatives aux offres de prix de Brenntag mais également de Quarréchim (Univar) et Vaissière-Favre (Univar), les prix de Brenntag étant inférieurs à ceux des deux autres entreprises.
210. Cependant, M. Pierre A. a apporté les explications suivantes : " Dans le cas figurant en cote 594, M. 10. a réalisé une proposition de prix sans m'avoir consulté préalablement. Aussi, ces derniers sont-ils inférieurs à ceux remis ou qui seront remis par Quarréchim et Favre, ce qui contrevient aux prix fixés en concertation. Informé, j'apporte les modifications de prix à la hausse, afin que ce client demeure chez Quarréchim et Favre " (cotes 33114 à 33121).
211. La cote 593, 06-0075 AC, concernant la télécopie du 28 septembre 2001, de Mme Patricia 11., assistante commerciale chez Brenntag à Chassieu à M. Grégory 10., commercial au sein du même site, relative au client Labo Services sollicitant une proposition de prix, comporte les annotations manuscrites suivantes : " Position Q+F " (cote 593, 06-0075 AC).
212. M. Olivier Z. a commenté cette pièce de la façon suivante : " Q+F signifie que Brenntag ne doit pas concurrencer Quarréchim et Vaissière-Favre qui se partagent le client. Brenntag doit donc couvrir ses concurrents " (cotes 32760 à 32764).
- La pièce figurant en cote 609 relative au client DMC SA St Jean La Bussière (2001)
213. Cette pièce concerne des annotations manuscrites relatives au client DMC qui comparent les prix de Brenntag et de Quarréchim pour 16 produits de chimie minérale (cote 609, 06-0075 AC). M. Olivier Z. a précisé qu'" [i]l s'agit des prix de Brenntag afin de couvrir Quarréchim " (cotes 32760 à 32764).
214. M. Pierre A. a expliqué que " [c]e client faisait partie de la concertation. Il s'agit des prix convenus lors d'une réunion de concertation. Brenntag et Quarréchim ont figé les volumes par catégorie de produits réalisés chez ce client " (cotes 33114 à 33121).
- Les pièces figurant en cotes 596 et 598 relatives au client Labojal (2002)
215. La cote 596, 06-0075 AC, concerne une offre de prix de Brenntag au client Labojal, le 1er mars 2002, pour du " versene 100 " au prix unitaire de 580 /T alors qu'à cette date, pour ce même client et même produit, Brenntag a reporté les annotations manuscrites suivantes (cote 598, 06-0075 AC) :
" B F
516,80
1/3/02 580 609,80 ".
216. Brenntag a apporté les explications suivantes : " Favre couvre Brenntag Rhône-Alpes en cotant plus cher (609,80 /T). Brenntag Rhône-Alpes cote au tarif convenu (580/T) " (cote 586, 06-0075 AC).
217. M. Pierre A. a apporté les explications suivantes : " En cote 598, il s'agit de mon écriture. Ces notes manuscrites ont été apportées à l'issue de la réunion de concertation étant entendu que Brenntag devait remporter la commande. Cette information a été communiquée à M. 12. afin que ce dernier l'applique au client. Ce client faisait l'objet de la concertation " (cotes 33114 à 33121).
218. La pratique de gel de la concurrence sur les produits de la chimie minérale a été confirmée par Univar auprès d'au moins 21 clients (cotes 33917, et 33922 à 33924).
d) Les produits concernés par les pratiques
219. Les pratiques de répartition de clientèle sur la base d'une fixation de tarifs communs ont concerné la distribution dans la zone Rhône-Alpes des commodités chimiques (solvants et chimie minérale) en vrac et conditionnés.
220. Dans sa demande de clémence, Univar déclare que " [l]es marchés concernés demeurent principalement les commodités chimiques, et plus particulièrement les solvants et produits de chimie minérale en vrac, en fûts consignés et non consignés à partir des dépôts propres aux parties (et non les livraisons en vrac à partir des sites des producteurs par camions entiers de 24 tonnes) " (cotes 569 à 579, 06-0092 AC).
221. Les documents communiqués par Univar et Brenntag pour attester de l'existence des pratiques en cause mettent également en évidence que ces dernières ont concerné les solvants en vrac et conditionnés en fût perdu (FP) et en fût consigné (voir la base marketing, la copie des tarifs communs, et cote 592, 06-0075 AC).
e) Les clients concernés par les pratiques
222. Les pratiques de coordination tarifaire pour les solvants et les produits de la chimie minérale ont concerné tous les clients de Brenntag, Marce (Brenntag), Lambert-Rivière (Univar), Vaissière-Favre (Univar), et Univar, à la suite de la réunion de septembre 1998, puis jusqu'en juin 2005.
223. La pratique de répartition de clientèle a concerné, pour la distribution des solvants, à tout le moins les 59 clients figurant sur les tableaux communiqués par Univar afin d'attester de la réalité de la pratique de répartition de clientèle. Selon les deux demandeurs de clémence, cette pratique de répartition de clientèle aurait évolué à partir de juin 2003 sous la forme d'un pacte de non-agression qui, à cette période, aurait concerné l'ensemble des clients en matière de solvants.
224. Le pacte de non-agression en matière de produits de la chimie minérale a concerné l'ensemble des clients sur l'ensemble de la durée des pratiques.
225. Enfin, compte tenu des objectifs assignés à la concertation en termes de stabilisation des parts de marché et de restauration des marges décrits par les demandeurs de clémence, notamment par Brenntag (cote 576, 06-0075 AC) et Univar (cotes 574 à 576, 06-0092 AC), la coordination sur la zone Rhône-Alpes a porté sur l'ensemble des clients.
226. Il doit en outre être souligné qu'Univar n'a pas contesté les griefs notifiés, lesquels portent sur une pratique de partage de clients avec Brenntag ayant visé l'ensemble de leur clientèle respective.
f) Les modalités de mise en œuvre des pratiques
227. Univar et Brenntag ont révélé l'existence de réunions relatives aux pratiques qu'elles ont dénoncées. Elles ont dressé une liste de restaurants et d'hôtels où leurs représentants se sont rencontrés (cotes 45, 06-0092AC, 573 à 582, 06-0075 AC, et 26206 à 26209). A cet égard, plusieurs participants à ces réunions ont confirmé leur tenue ainsi que leur caractère secret (cotes 11143 à 11144, 13312 à 13314, et 33114 à 33121). La régularité des réunions, surtout pour les solvants en raison de la volatilité de leurs cours, était nécessaire afin de s'assurer du respect de l'objectif commun à savoir, la stabilisation des parts de marché des participants et la restauration du niveau de leurs marges.
228. Outre ces réunions secrètes, les demandeurs de clémence ont dénoncé l'existence de nombreux échanges téléphoniques entre eux. De plus, afin de garantir une confidentialité accrue des pratiques, les représentants de Brenntag et d'Univar ont utilisé des lignes téléphoniques dédiées à l'organisation de la concertation. Entre 2002 et 2005 au moins, pour permettre des échanges réguliers entre les parties, deux employées des deux entreprises (Mme Isabelle 7., assistante commerciale chez Univar, Mme Isabelle 13., assistante commerciale chez Brenntag) avaient ouvert à leur nom, à la demande de leur hiérarchie, une ligne fonctionnelle dédiée à la concertation, afin d'éviter que des traces de communication entre les deux concurrents n'apparaissent sur leurs relevés respectifs, témoignant ainsi de la conscience qu'ils avaient du caractère prohibé de leurs pratiques.
229. A cet égard, M. Pierre A. a confirmé qu'" [i]l y a avait un téléphone portable dédié à la concertation. L'abonne[me]nt était au nom de Mme Isabelle 13., assistante de M. Olivier Z.. M. Olivier Z. et moi-même utilisions ce téléphone afin de contacter nos concurrents dans le cadre de la concertation. L'objectif de cet abonne[me]nt était d'éviter qu'il n'apparaisse sur les relevés de Brenntag Rhône-Alpes " (cote 33116).
230. Dans sa demande de clémence, Univar a communiqué la carte SIM du téléphone portable qui aurait été utilisé par l'une des salariés d'Univar afin d'échanger des informations dans le cadre de la pratique alléguée. Mme Isabelle 7., assistante commerciale pour les solvants de l'ex-Quarréchim (Univar), assurait une grande partie de la concertation pour Univar (les 3 anciennes structures à savoir Quarréchim, Lambert-Rivière et Vaissière-Favre ayant fusionné), en utilisant un téléphone portable extérieur à l'entreprise, mais dédié aux échanges avec Brenntag.
231. Brenntag a confirmé l'utilisation d'un téléphone portable enregistré au nom de Mme Isabelle 13., assistante de M. Olivier Z., ayant servi dans le cadre des pratiques dénoncées (cotes 13855 à 13864). Cette ligne a été souscrite du 20 décembre 2002 au 31 décembre 2005. Mme Isabelle 13. a confirmé par procès-verbal l'ensemble de ces éléments (cotes 14645 et 14646).
g) La surveillance des pratiques
232. Les réunions et contacts téléphoniques ont eu également pour objet de vérifier la bonne exécution des pratiques, de s'assurer du respect de la stabilité des volumes et des parts de marché des différents membres et éventuellement de procéder aux réajustements nécessaires.
233. A cet égard, les deux demandeurs de clémence ont souligné la nécessité d'organiser des réunions et contacts téléphoniques réguliers afin de vérifier le bon fonctionnement de la concertation et plus particulièrement la préservation des volumes et des parts de marché de chacun des participants.
234. Brenntag indique à ce sujet que " [c]es réunions étaient l'occasion de définir un tarif commun, de contrôler les allocations de volumes pour le mois écoulé, de fixer les modalités de répartition des clients pour le mois suivant, et plus généralement de vérifier le respect de l'entente. En outre, et de façon plus ponctuelle, des appels téléphoniques pouvaient être passés entre les membres de l'entente, notamment entre deux réunions mensuelles " (cote 576, dossier 06-0075 AC).
235. Univar a confirmé la tenue de contacts réguliers : " En parallèle et entre les réunions, de nombreux coups de téléphone étaient échangés entre les différents intervenants, voire entre certains vendeurs plus avertis que d'autres, afin de régler le détail de fonctionnement des tours ou de mieux faire fonctionner ce qui ne marchait pas " (cotes 569 à 579, 06-0092 AC).
236. Outre ces déclarations, la surveillance de l'entente est établie par les comptes rendus fournis par Brenntag, tel celui concernant le client Rochex du 30 novembre 1999 : " pertes des marchés en potasse de soude et soude caustique, acide sulfurique, pris par Vaissière (action auprès de vay[i]ssière + cotation) " (cote 621, 06-0075 AC).
237. M. Grégory 10., auteur du compte-rendu précité, a apporté les éclaircissements suivants : " Je suis l'auteur de la phrase (...) M. A. m'avait indiqué que le client Rochex était réservé à Brenntag Rhône-Alpes or, lors de la visite chez ce client, je me suis rendu compte que W. avait pris les marchés. J'en ai fait part à M. A. afin qu'il s'approche de Vaissière Favre pour régler le problème : à savoir nous laisser le client. Ce type de litige n'était pas réglé au niveau des commerciaux mais par les Directeurs des ventes de chacun des sites des groupes concurrents " (cotes 32908 à 32912).
238. Il a également fourni des explications sur un autre compte-rendu qui atteste de la surveillance de la concertation :
- s'agissant du compte rendu de visite concernant le client SDEI du 2 janvier 1999, il a indiqué : " Annonce des hausses en minérale que les confrères n'ont a priori pas appliquées (...) Il n'est pas dupe des accords car traite avec nos fournisseurs en direct et connait aussi les prix de vente distributeur des autres régions. Actions à mener : modérer la hausse, s'assurer que les confrères l'appliquent et coter la javel 50 " (cote 620, 06-0075 AC).
239. Ces deux exemples montrent que les tentatives de déviation ont fait l'objet d'actions de rappel à l'ordre de la part de Brenntag.
240. De plus, les éléments communiqués par Univar tels que la base marketing précitée témoignent également de la volonté des parties de surveiller le bon déroulement de la concertation sur la zone Rhône-Alpes.
h) La cessation des pratiques
241. La cessation des pratiques alléguées en Rhône-Alpes est intervenue définitivement au cours du mois de juin 2005.
242. Selon les déclarations de Brenntag dans sa demande de clémence, à la suite de l'injonction de M. Yves 14., président de Brenntag, en mars 2003, de mettre fin à toutes les pratiques en cause susceptibles d'exister sur l'ensemble du territoire national et à l'issue des formations au droit de la concurrence organisées en avril 2003 par la direction de Brenntag, les contacts mensuels se sont espacés pour cesser à l'été 2003 (cotes 582 et 583, 06-0075 AC, et 14678 à 14692). À compter de l'automne 2003, une reprise de la concertation a eu lieu sous la forme d'un pacte de non-agression consistant à maintenir les positions de chacun. Cet accord de non-agression a donné lieu à nouveau et à compter de décembre 2003, à des contacts puis à des rencontres essentiellement entre M. Pierre A., directeur commercial du site de Chassieu pour Brenntag et M. Pascal H., chef des ventes pour la région Centre chez Univar. Ces contacts et ces échanges ont définitivement cessé au plus tard au cours du second trimestre 2005, après une rencontre entre M. Olivier Z., directeur de la région sud chez Brenntag et M. Michel E., directeur de la région Centre chez Univar (cotes 582, 06-0075 AC, et 33100).
243. La fin des pratiques dans la zone Rhône-Alpes est également établie par la déclaration d'Univar dans sa demande de clémence (cote 576, 06-0092 AC), les déclarations des personnes physiques ayant participé aux ententes chez Univar (cotes 11143 à 11144, et 13312 à 13317), ainsi que par M. Daniel X., qui a estimé que les pratiques " étaient clairement interrompues en 2003. J'ai été surpris et choqué d'apprendre (lors des investigations conduites dans le cadre de la clémence) qu'elles aient continué jusqu'en 2005 sur Rhône-Alpes " (cotes 13318 à 13322).
244. Les déclarations de M. Oliver Z. confirment la cessation des pratiques au cours de l'été 2005 : " Ces pratiques ont pris fin à la fin de l'été 2005, sous les réitérations de l'instruction d'Yves 14., et j'ai instruit Michel E. de ma décision d'y mettre un terme courant/fin d'été 2005 (je n'ai aucun document écrit prouvant cette rencontre) (...) Je n'ai pas de trace écrite des instructions ou réitérations des instructions d'Yves 14. " (cotes 14669 à 14674).
245. En effet, la cessation de l'entente dans la zone Rhône-Alpes en juin 2005 résulte de l'intervention de M. Yves 14., président du directoire de Brenntag SA depuis avril 2003. Il a ainsi déclaré avoir " pris diverses mesures pour identifier ces pratiques et pour les faire cesser. J'ai décidé de rencontrer (entre avril et juin 2003) les directeurs concernés, Olivier Z. et Jean-Yves B., lesquels m'ont confirmé l'existence des pratiques. Je leur ai demandé de mettre un terme aux pratiques et j'ai constamment réitéré cette demande, en réunion ou en tête-à-tête avec les intéressés " (cote 14680).
5. LES PRATIQUES MISES EN OEUVRE PAR BRENNTAG À PARTIR DE SON SITE DE TORCY (71) ET PAR CALDIC EST À PARTIR DE SON SITE DE BRAZEY-EN-PLAINE (21)
246. Brenntag a dénoncé une concertation entre elle-même et Caldic Est à partir de son site de Brazey-en-Plaine (cotes 261 à 269, 06-0075 AC). Cette concertation a eu pour objet une répartition de clientèle dans la zone Bourgogne réalisée grâce à des offres de couverture.
a) L'origine des pratiques
247. Selon la déclaration de Brenntag, une réunion s'est tenue le 5 juin 1998 à l'hôtel Mercure à Reims entre des responsables nationaux, régionaux ou locaux de Brenntag et Caldic Est. L'objet de cette rencontre était, au-delà de la concertation sur les frais techniques et de consignes, de mettre en place une répartition de clientèle entre les deux distributeurs. A la suite de cette réunion, une concertation entre Brenntag et Caldic Est s'est mise en place dans la zone Bourgogne. Elle a duré jusqu'en juin 2003.
248. Dans sa demande de clémence, Brenntag a communiqué un unique élément matériel relatif à la présence de M. Olivier Z., directeur de la région sud chez Brenntag, à la réunion de lancement. Il s'agit de la copie de l'extrait de l'agenda de M. Oliver Z. pour la période du 4 au 6 juin 1998 sur laquelle il est mentionné à la date du vendredi 5 juin 1998 : " Caldic Reims " (cote 337, 06-0075 AC). Ce document contemporain des faits a été communiqué avec l'explication suivante de Brenntag dans sa demande de clémence :
" agenda d'Olivier Z. - du 15 janvier 1998 au 8 juillet 1998- RDV- Caldic.
Mention manuscrite au 05 juin 1998 à 9 h : Caldic Reims.
Cette réunion qui s'est tenue entre Caldic et Brenntag marque le "coup d'envoi"' de l'entente en Bourgogne " (cote 317, 06-0075 AC).
L'initiative de la réunion du 5 juin 1998 à Reims
249. Brenntag n'a pas précisé l'identité de la personne ayant pris l'initiative de la réunion du 5 juin 1998. Cependant, il ressort de la lecture des procès-verbaux de ses représentants, M. Olivier Z., directeur de la région sud chez Brenntag et M. Paul 15., directeur du site de Brenntag à Torcy, qu'il s'agit d'une initiative de Brenntag (cotes 14658 à 14660, et 32760 à 32764).
Les entreprises et les personnes ayant participé à la réunion du 5 juin 1998 à Reims
250. Ont participé à cette réunion du 5 juin 1998 :
Pour Brenntag :
- M. Olivier Z., directeur de la région sud, regroupant les zones Rhône-Alpes, Bourgogne, Dauphiné, Méditerranée, Côte d'azur, Toulouse et Bordeaux, et M. Paul 15., directeur du site de Torcy ;
- M. Jean-Pierre N., directeur de la région nord, regroupant les zones Ardennes, Lorraine, nord et Picardie ;
- MM. Gilles O., Bernard 16. et Jean 17. respectivement directeurs des site du nord, Lorraine et Ardennes.
Pour Caldic Est :
- M. Christian 18., directeur général ;
- M. Serge 19., directeur commercial des dépôts de Reims, Nancy et Brazey-en-Plaine ;
- MM. Michel 20., David 21. et Jean-Louis 22., commerciaux.
251. MM. Olivier Z. et Paul 15. ont confirmé la présence des représentants de Caldic Est ainsi que celles de MM. Jean-Pierre N., Gilles O., Bernard 16. et Jean 17. à la réunion du 5 juin 1998 à Reims (cotes 14658 à 14660, et 32760 à 32764).
252. MM. Michel 20., David 21. et Jean-Louis 22., de Caldic Est, après l'avoir niée, ont confirmé leur présence, ainsi que celle de Brenntag et des autres représentants de Caldic Est à cette réunion (cotes 32880 à 32883, 32924 à 32933, et 34932 à 34933).
L'objet de la réunion du 5 juin 1998 à Reims
253. Dans sa note relative aux pratiques d'entente sur la zone Bourgogne annexée à sa demande de clémence, Brenntag a précisé, au point 2 concernant " l'origine de l'entente entre Brenntag Bourgogne, Caldic et Univar ", que l'entente a consisté " en des répartitions de clients, notamment par le biais d'échanges d'informations, et des coordinations de prix, initialement et principalement entre Brenntag Bourgogne et Caldic (...) l'entente aurait débuté par une réunion organisée dans l'hôtel Mercure à Reims (51) en 1998, vraisemblablement le 5 juin 1998 si l'on se réfère à la pièce 1 [cote 337, 06-0075 AC] portée à cette date sur l'agenda d'un salarié de Brenntag Rhône-Alpes. L'objectif de cette réunion, était de mettre en contact les représentants de Brenntag Bourgogne et de Caldic Est afin d'organiser leurs relations futures sur les principales zones sur lesquelles opère Caldic Est, à savoir sur les zones Picardie, Ardennes, Lorraine et Bourgogne ".
254. Concernant l'objet de cette réunion, M. Paul 15. a déclaré qu'elle leur " avait été présentée comme une réunion de présentation, pour que l'on se connaisse et que l'on s'entende ensuite sur le terrain. Oliver Z., qui présidait la réunion, ainsi que Jean-Pierre N. et les représentants de Caldic, ont incité les participants à se rencontrer "sur le terrain" pour s'entendre sur certains clients. Il s'agissait de présenter et de mettre en contact les représentants de Caldic avec les représentants de Brenntag afin d'organiser d'éventuelles relations futures dans les principales zones où Caldic était actif (...) Les modalités des ententes n'y ont pas été discutées (...) Pour ma part, je peux vous confirmer que à la suite de cette réunion, Brenntag Bourgogne s'est effectivement entendu avec Caldic Est pour se répartir les clients,(...) Après cette réunion de juin 1998, j'ai effectivement rencontré Caldic Est à peu près trois fois par an pour nous entendre sur quelques clients " (cotes 14658 à 14660).
255. M. Olivier Z. a précisé qu'" [a]u cours de cette réunion nous avons envisagé de ne pas nous agresser. Ma présence était justifiée par le fait que la région Bourgogne dont j'étais le directeur de région était limitrophe à la région nord " (cotes 32760 à 32764). En effet, selon le découpage interne de Brenntag, ces zones sont contigües.
256. Les participants de Caldic Est à la réunion du 5 juin 1998 ne confirment pas les déclarations de Brenntag concernant l'objet de cette réunion. Les déclarations de MM. Michel 20., David 21. et Jean-Louis 22., à l'époque tous trois commerciaux au sein de Caldic Est et ayant reconnu avoir assisté à cette réunion, évoquent uniquement des problèmes de sécurité, de facturation des frais de consigne et des frais techniques (cotes 32880 à 32883, 32924 à 32933, 34932, et 34933). Il convient toutefois de relever que ces mêmes personnes avaient initialement nié leur participation à cette réunion et qu'elles ont toujours nié l'existence des ententes de répartition de clientèle.
257. Les déclarations de Brenntag, sa demande de clémence, et les déclarations de ses salariés présents à la réunion du 5 juin 1998, mettent ainsi en évidence une corrélation entre cette réunion et la mise en œuvre d'une pratique de répartition de clientèle dans la zone Bourgogne.
b) Les participants aux pratiques
258. La participation de Caldic Est et de Brenntag aux pratiques dans la zone Bourgogne s'appuie notamment sur les déclarations de Brenntag et de ses salariés (M. Yves 14. cotes 22678 à 22682, M. Olivier Z. cotes 14669 à 14674, M. Paul 15. cotes 14658 à 14660 et M. Jean-Luc 23. cotes 32956 à 32964) mais aussi sur certaines des pièces communiquées par Brenntag lors de sa demande de clémence (cotes 337 à 555, 06-0075 AC). Certaines de ces pièces témoignent de l'existence de réunions, de contacts téléphoniques, d'échanges d'informations sur certains clients en matière de prix et de volumes mais également de concertation (répartition de commandes, de lignes de produits, de volumes par période) et d'offres de couverture entre Brenntag et Caldic Est.
Pour Brenntag
- M. Olivier Z., directeur de la région sud regroupant les zones Rhône-Alpes, Bourgogne, Dauphiné, Méditerranée, Côte d'azur, Toulouse et Bordeaux, au titre de l'initiation de la pratique ;
- M. Paul 15., directeur du site de Torcy ;
- M. Jean-Luc 23., commercial au sein du site de Torcy.
Pour Caldic Est
- M. Christian 18., directeur général ;
- M. Serge 19., directeur commercial des dépôts de Reims, Nancy et Brazey-en-Plaine ;
- MM. Michel 20., David 21. et Jean-Louis 22., au moins au lancement des pratiques au cours de la réunion du 5 juin 1998 ;
- MM. Michel 20. et David 21., lors de la mise en œuvre des pratiques.
c) L'objet des pratiques
259. Les pratiques mises en œuvre par Brenntag et Caldic Est dans la zone Bourgogne ont consisté en une répartition de clientèle, assise sur une coordination tarifaire.
260. La plupart des clients de la zone qui mettaient en concurrence Brenntag et Caldic Est ont fait l'objet d'une répartition entre les deux distributeurs. Ces derniers se sont très régulièrement concertés afin de se répartir ces clients et décider laquelle des deux entreprises emporterait les offres et, à cette fin, déterminaient en commun les prix de couverture. Il ressort des documents communiqués par Brenntag et des éléments recueillis au cours de l'instruction que les clients concernés par la pratique de répartition sous forme de partage des clients par volume, par produit, par période, sont ceux que MM. Jean-Luc 23. et Paul 15. suivaient, ainsi que ceux que M. Michel 20. avait en portefeuille chez Caldic Est, parmi lesquels se trouvent, à tout le moins, 42 clients cités en exemple et dont l'identité figure sur les pièces communiquées par Brenntag.
261. M. Jean-Luc 23. a déclaré : " [e]n arrivant chez Brenntag Bourgogne en 1999, j'ai remplacé M. Pierre A.. Apparemment, ce dernier consultait les concurrents pour quelques clients soit une dizaine sur 600. Pour ma part, j'ai continué sur cette dizaine de clients, cela concernait toute ou partie des lignes de produits. Cela ne concernait que la minérale. Je n'ai pas connaissance d'un partage de clients pour les solvants. Une telle pratique aurait été trop complexe en raison notamment de la volatilité des prix. Ces clients concernaient essentiellement Caldic Est et non Univar (...) Certains pouvaient être réservés tantôt à Brenntag et tantôt à Caldic Est " (cotes 32956 à 32964).
262. M. Paul 15., directeur du site de Brenntag à Torcy, a précisé la nature de la pratique sur la zone Bourgogne entre Caldic Est et Brenntag : " Après cette réunion de juin 1998, j'ai effectivement rencontré Caldic Est à peu près trois fois par an pour nous entendre sur quelques clients (...) Brenntag Bourgogne s'est effectivement entendu avec Caldic Est pour se répartir des clients " (cotes 14658 à 14660).
263. Dans sa demande de clémence, Brenntag a remis un certain nombre de tableaux ou de notes manuscrites internes à l'entreprise, qui ont été rédigés par MM. Jean-Luc-23. ou Paul 15., et qui mettent en évidence une répartition de clientèle entre Brenntag et Caldic Est avec le souci de maintenir la répartition des volumes décidée initialement notamment par le biais d'un suivi minutieux de la pratique et des réajustements de volumes.
Les éléments matériels relatifs à la répartition de clientèle
- Les cotes 121 et 415, 06-0075 AC
264. Il s'agit des notes manuscrites de M. Paul 15., directeur du site de Brenntag à Torcy de décembre 1998, indiquant " Suite RDV Michel 11/12/98 " et listant huit noms de clients, suivis entre parenthèses, des indications " Tous les 2 ", " Caldic " suivi d'une indication de période, ou " Nous ".
265. Brenntag a apporté les explications suivantes : " Smurfit Socar (Caldic 1er tr 99) : signifie que Caldic vendra à Smurfit Socar au trimestre 1999 (...) "Nous" signifie que le client est attribué à Brenntag. "Tous les 2" signifie que le client est partagé entre Brenntag et Caldic " (cote 325, 06-0075 AC).
- Les cotes 124 et 412, 06-0075 AC
266. Il s'agit des notes manuscrites de M. Paul 15., non datées, vraisemblablement de l'année 1999. Sur ce document figure en tête " Michel ", suivi d'une liste de clients et d'indications telles que " Voir Michel si consultation ", " Ne pas casser ce prix ", " Couvrir ", " Ne pas faire d'offre sans avoir consulté Michel ".
267. Brenntag a expliqué que " [c]es mentions signifient que Smurfit Socar était livré en soude et en Borax par Brenntag jusqu'à mars 1999, avec une offre faite aux prix de 0,96 et 4,35 au 1 janvier 1999 : échange d'informations entre Caldic et Brenntag et répartition de clients par période (...) CHR Semur-en-Auxois : voir Michel si consultation signifie consulter Michel 20..., responsable commercial de Caldic Est pour savoir si le client a fait une demande de cotation " (cotes 324 et 325, 06-0075 AC).
- Les cotes 129 et 413, 06-0075 AC
268. Il s'agit des notes manuscrites de M. Jean-Luc 23., rédigées au plus tard en 2000, qui a déclaré qu'" [i]l s'agit de la répartition des clients entre Brenntag Bourgogne et Caldic " (cotes 32956 à 32964).
269. Ce document contient une liste de clients ainsi que les mentions " Caldic Voir Michel Fin Mars ", " C'est nous ", " Accord Caldic ", " Michel. Voir ", " Caldic 100 % ".
- Les cotes 381 et 382, 06-0075 AC
270. Ce tableau non daté, réalisé par M. Jean-Luc 23., dresse la liste de 17 clients dont les noms sont suivis des annotations " B " et/ou " C ", avec l'indication des prix de Brenntag et de ceux de Caldic Est (cotes 381 et 382, 06-0075 AC).
271. Ce document contemporain des faits a été commenté comme suit par Brenntag dans sa demande de clémence : " Ce tableau formalise l'entente entre Brenntag ("B") et Caldic ("C") (...) Dans la colonne livraison, en face de chaque client et pour chaque produit mentionné, il est indiqué soit "B", "C" ou "?" : répartition de clientèle par produit, échanges d'informations sur les prix, offres de couverture " (cote 321, 06-0075 AC).
272. M. Jean-Luc 23. a confirmé qu'" [i]l s'agit des clients qui étaient soit partagés soit réservés. Les lettres "B" et "C" désignent le distributeur qui devait livrer le client " (cotes 32956 à 32964).
273. Les mentions relevées sur les documents ci-après montrent :
- une attribution de clientèle à chacune des deux entreprises (" nous " pour Brenntag et " caldic "), pour une période postérieure à la rédaction des notes, ce qui atteste d'une répartition préalable ;
- l'implication de " Michel " (M. Michel 20. de Caldic Est) dans la répartition de clientèle puisque son " accord " est soit mentionné (" offres 12/98 suite rdv Michel 11/12/98 "), soit attendu (" ne pas faire d'offre sans avoir consulté Michel ", " voir Michel dès consultation ") ;
- des instructions relatives aux pratiques à mettre en œuvre (" couvrir ", " ne pas casser les prix ") qui témoignent d'offres de couverture et de gel de la concurrence par les prix, propres à favoriser la répartition de clientèle.
Les éléments relatifs aux réajustements de volumes entre Brenntag et Caldic Est
274. Certains documents de travail de M. Jean-Luc 23. relatifs à la répartition des volumes entre Brenntag et Caldic Est mettent en évidence un suivi très précis de la répartition.
- Les cotes 361 et 362, 06-0075 AC
275. Un premier document évalue les gains et les pertes de l'année 2001 entre Brenntag et Caldic Est auprès d'une liste de clients ayant fait l'objet de " couverture " avec l'indication des tonnages et des marges (cotes 361 et 362, 06-0075 AC).
276. Brenntag a apporté les explications suivantes : " indication des pertes 2001, des gains 2001, des "couvertures" par Caldic et des clients servis par Brenntag Bourgogne en 2001 avec indication du tonnage et de la marge par produit - les mentions manuscrites portées sur ce document représentent les réajustements décidés pour rééquilibrer les volumes " (cotes 318 et 319, 06-0075 AC).
277. M. Jean-Luc 23. a confirmé que ce document était l'un des documents de travail utilisé dans la mise en œuvre de la pratique de la répartition des clients entre Brenntag et Caldic Est : " Il s'agit du bilan des clients partagés ou réservés entre Caldic et Brenntag Bourgogne. Il apparaît que ces accords n'avaient pas de sens et que nous perdions des tonnages au profit de Caldic (...) Les clients partagés ou réservés en tout ou partie figurant sur cette liste étaient les suivants : Acrodur (Caldic), CHR de Dijon (Brenntag), IFF, Mig Well (Caldic), Rem (Caldic), Remond (Caldic), Sagem (Caldic), Seb/Selongey (Caldic), Seb Ys/Till (Brenntag), Smurfit Socar (Brenntag), Sndce (Brenntag), Sodim (peut-être ) Caldic, Thomson (Caldic). Les annotations manuscrites relatives aux prix de Caldic l'ont été soit par le client soit par Caldic s'il s'agit de clients partagés " (cotes 32956 à 32964).
- Les cotes 365 à 368, 06-0075 AC
278. Un second document consiste en un tableau des tonnages réalisés avec les mêmes clients que ceux précités, entre 1998 et 2001 avec des annotations manuscrites de M. Jean-Luc 23., relatives à des prix de Brenntag et de Caldic Est, avec la mention " couverture Caldic 2002 " face au client CHR de Dijon (cotes 320, et 365 à 368, 06-0075 AC).
279. Ce dernier a précisé qu'il s'agit d'un tableau de travail permettant de suivre les tonnages effectivement réalisés auprès des clients mentionnés et a également identifié les clients ayant fait l'objet de la pratique de répartition alléguée entre Brenntag et Caldic Est : " Les clients partagés ou réservés en tout ou partie figurant sur cette liste étaient les suivants : Acrodur (Caldic), CHR de Dijon (Brenntag), IFF, Mig Well (Caldic), Rem (Caldic), Remond (Caldic) Sagem (Caldic), Seb Selongey (Caldic), Seb Is/Tille (Brenntag), Smurfit Socar (Brenntag), Sodim (peut-être Caldic) Thomson (Caldic) " (cotes 32956 à 32964).
d) Les modalités de mise en œuvre des pratiques
280. La concertation entre Brenntag et Caldic Est a été organisée sous la forme de réunions et d'appels téléphoniques réguliers entre les deux entreprises en vue de déterminer les niveaux de prix en commun lors des appels d'offres des clients et donc de se répartir les volumes et/ou clients. Les personnes contactées par MM. Jean-Luc 23. et Paul 15. sont MM. Michel 20. et David 21.. Les preuves de ces réunions et échanges téléphoniques consistent dans les déclarations du demandeur de clémence, les pièces qu'il a remises à l'occasion de sa demande, des auditions des représentants de Brenntag ainsi que des éléments d'information complémentaires communiqués par ces deux entreprises.
281. Dans sa demande de clémence, Brenntag a communiqué une liste de 11 clients avec des annotations manuscrites de M. Paul 15., directeur du site de Brenntag à Torcy, témoignant de contacts réguliers entre ce dernier et M. Michel 20., commercial chez Caldic Est, concernant à tout le moins ces clients : " voir Michel si consultation ", " voir Michel dès consultation ", " ne pas faire d'appel d'offre sans avoir consulté Michel ", " 100 % Caldic ", " consulté Michel ", " ? Michel ne pas casser ce prix ", " couvrir Michel en borax 10 H20 Bren 3,92 Michel 3,75 ", " Vu le 26/1/99 avec Michel " (cotes 124 et 412, 06-0075 AC).
Les réunions de concertation entre Brenntag et Caldic Est
282. Les différents documents et notes manuscrites communiqués par Brenntag dans sa demande de clémence, contemporains des faits, attestent de l'existence de rencontres entre des représentants de Brenntag, notamment M. Jean-Luc 23., et de Caldic Est, en la personne de M. Michel 20.. Elles sont désignées sous les termes " RV " (rendez-vous), " réunion avec Caldic ", " réunion Michel A ", " RDV Michel " ou " voir Michel ".
283. Les notes de M. Jean-Luc 23. du 21 juin 2001 s'intitulant " Préparation réunion avec Caldic " présentent des noms de clients (Smurfit, IFF, Acrodur, Unalit, Thomson, Remond, Seb, Dim, Sndce, PFC, St Gobain), des produits et des prix suivants :
" 21 juin 2001.
Préparation réunion Caldic :
Hausse soude : 15 cts à 20
chlo : 10 cts
Suif : 10 cts
Javel : 10 cts " (cotes 173, 334, et 509, 06-0075 AC).
284. Les annotations M. Paul 15. mentionnent : " offres 12/98 suite RDV Michel 11/12/98 ". Ces notes concernent les clients PFC, Smurfit Socar, CHR Dijon, Seb Is/ IS/Tille, Seb Selongey, IFF, Unalit et Dim, avec alternativement les mentions suivantes : " tous les 2 ", " Caldic 1er TR 99 ", " nous ", "Caldic ", " Caldic 1er semestre soude 30 % " (cotes 121 et 415, 06-0075 AC).
285. Les notes manuscrites de M. Jean-Luc 23. reprenant celles de M. Paul 15. indiquent la répartition des clients entre Brenntag et Caldic Est et la mention : " Smurfit Socar voir Michel fin mars " et, pour les clients Suntec, Sunstrand, MBO, Giepac : " voir Michel " (cotes 129, 413, et 415, 06-0075 AC).
286. Les notes de M. Paul 15. du 18 décembre 2000, relatives à plusieurs clients, mentionnent : " Réunion Michel A ". Elles précisent leur identité (Smurfit Socar, IFF, Remond, Acrodur, Unalit, Amora, Thomson, CHR Dijon) et des prix par produit (cotes 161 et 446, 06-0075 AC).
287. M. Jean-Luc 23. a confirmé avoir eu une réunion avec M. Michel 20., concernant les clients mentionnés : " Je reconnais mon écriture. J'ai eu une réunion peut-être téléphonique avec M. 20. au sujet des différents clients partagés entre Brenntag et Brenntag [erreur matérielle, correction Caldic] " (cotes 32956 à 32964).
288. Brenntag a communiqué les extraits de l'agenda professionnel de 1999 de M. Jean-Luc 23. mettant en évidence des rendez-vous avec l'un des commerciaux de Caldic Est à Brazey-en-Plaine, aux dates ci-après : 26 mars 1999 (" Prépa réunion Caldic avec Sylvie " et des annotations relatives aux clients FPC, FDI, et " tel Michel ") ; 30 mars 1999 (" Caldic Michel ") ; 17 juin 1999 (" Michel A ") ; 21 octobre 1999 (" resto Michel ") ; 23 décembre 1999 (" Michel ") (cotes 189, 190, et 430 à 435, 06-0075 AC).
Les appels téléphoniques et envois de télécopies entre Brenntag et Caldic Est
289. Des appels téléphoniques réguliers et parfois des envois de télécopies ont permis aux deux distributeurs de se concerter. À l'appui de sa déclaration de clémence, Brenntag a communiqué des documents internes à Brenntag, contemporains des faits qui, selon elle, témoignent de l'existence d'appels téléphoniques entre Brenntag et Caldic Est. Ont été appelés, à titre principal, M. Michel 20., et dans une moindre mesure, M. David 21..
290. M. Jean-Luc 23. a déclaré que " [d]ans [l]e cadre [des pratiques alléguées], j'ai appelé M. Michel 20. de Caldic Est qui était le seul interlocuteur que je connaissais au sein de cette société. M. Paul 15. pouvait également appeler M. 20.. Ce dernier pouvait également en retour nous appeler (...) J'avais des contacts uniquement avec M. Michel 20. de chez Caldic Est (...) Je téléphonais à M. 20. car ce dernier gérait les clients que nous avons précités au sein de chez Caldic " (cotes 32956 à 32964).
291. Les documents relatifs à des appels téléphoniques et envois de télécopies entre Brenntag et Caldic Est concernent MM. Michel 20. et David 21..
S'agissant de M. Michel 20.
292. Il ressort de l'ensemble des notes manuscrites de M. Jean-Luc 23. prises pendant la période des pratiques alléguées, des explications de Brenntag et des déclarations de M. Jean-Luc 23., que ce dernier a contacté à plusieurs reprises M. Michel 20., avant de prendre des décisions en matière de prix et de prises de commandes lors des consultations des clients par téléphone.
293. Brenntag a communiqué un extrait du répertoire téléphonique de M. Jean-Luc 23., dans lequel figure le nom de M. Michel 20., associé à Caldic Est et des coordonnées téléphoniques : " Caldic- Michel 20. (chez lui) 03 xx xx xx xx -06 xx xx xx xx " (cotes 327 et 436, 06-0075 AC).. Le commercial de Brenntag à Torcy a confirmé disposer " des coordonnées de M. 20. en cas de nécessité dans le cadre des répartitions de clients " (cotes 32956 à 32964).
294. Brenntag a communiqué des notes manuscrites relatives à des coordonnées téléphoniques faisant référence à des contacts téléphoniques avec M. Michel 20. :
" Caldic brazet [03 xx xx xx xx]
M. 20. [06 xx xx xx xx] " (cote 498, 06-0075 AC).
295. Brenntag a communiqué diverses notes manuscrites relatives à différents clients et portant sur des prix, parmi ces annotations figure la mention : " Mig Well voir avec Michel " (cote 369, 06-0075 AC).
296. Brenntag a communiqué une page entière d'annotations manuscrites de M. Jean-Luc 23. relatives à des clients parmi lesquels Acrodur et Mig Well, où figurent les mentions suivantes :
" tel Michel Caldic 2/04/99 :
- Acrodur : Perchlo, acide fluo relance Sylvie ?
- Mig Well : altene D6 il remet 6.10 d'ici 2 ou 3 mois refaire une offre ? " (cote 438, 06-0075 AC).
297. M. Jean-Luc 23. a confirmé avoir téléphoné à M. Michel 20. au sujet des deux clients mentionnés : " Il s'agit de mon écriture. La mention "tel Michel Caldic" : je devais téléphoner à M. 20. au sujet des deux clients cités à savoir Acrodur et Mig Well " (cotes 32956 à 32964).
298. Brenntag a communiqué des annotations de M. Jean-Luc 23. relatives aux clients St Florentin, Acrodur et St Gobain où figurent les mentions suivantes :
" 06 xx xx xx xx Michel Caldic
St Florentin ... HCL 500t/an
Acrodur acide fluo
St Gobain marché 2000 " (cotes 154 et 496, 06-0075 AC).
299. M. Jean-Luc 23. confirme avoir appelé M. Michel 20. au sujet des clients mentionnés : " Je reconnais mon écriture. J'ai contacté M. 20. au sujet des trois clients cités " (cotes 32956 à 32964).
300. Brenntag a communiqué les annotations de M. Jean-Luc 23. non datées relatives aux clients Thomson Genlis et Acrodur où figurent les mentions suivantes :
" Thomson Genlis Mme 38... acide chlo Caldic attendre
Ami perso de Michel
Acrodur Michel a dit qu'il ne travaille plus avec Caldic " (cotes 156 et 497, 06-0075 AC).
301. Concernant ce dernier document, M. Jean-Luc 23. a maintenu ses déclarations précédentes relatives aux contacts qu'il a pu avoir avec M. Michel 20., au sujet des clients successivement évoqués : " Je reconnais mon écriture. Toutes les fois où j'ai mentionné Michel, il s'agit de Michel 20. que je contactais au sujet des clients cités. S'agissant du client Acrodur, M. 20. m'a informé qu'il ne travaillait plus avec ce client " (cotes 32956 à 32964).
302. Brenntag a communiqué les annotations de M. Jean-Luc 23. du 20 mars 2002 relatives au client IFF où il y est écrit : " IFF cde 2960 sulfurique pas de soude Voir Michel " (cotes 184 et 515, 06-0075 AC). Jean-Luc 23. a confirmé avoir contacté Michel 20. pour le client IFF : " Je reconnais mon écriture. Voir Michel signifie contacter M. 20. " (cotes 32956 à 32964).
S'agissant de M. David 21.
303. Brenntag a communiqué copie d'une étiquette sur laquelle avait été noté par M. Paul 15. :
" Caldic M. 21. David
Tel : 03 xx xx xx xx
Port : 06 xx xx xx xx " (cote 491, 06-0075 AC).
304. M. Jean-Luc 23. a indiqué qu'" [i]l s'agit de l'écriture de M. Paul 15. " (cotes 32956 à 32964)..
305. Brenntag a communiqué des annotations de M. Jean-Luc 23. relatives au client Sndce qui indiquent : " Tel Caldic 21... pour soude Sndce " (cote 505, 06-0075 AC).
306. Brenntag a communiqué des annotations du 30 décembre 2001 relatives aux clients Acrodur et Remond, puis du 31 décembre 2001 sur lesquelles figurent la mention : " Tel Caldic le 5/01 21. offre Acrodur et Remond à préparer " (cote 499, 06-0075 AC). Sur ces documents, M. Jean-Luc 23., tout en reconnaissant son écriture, a indiqué avoir " peut-être appelé M. 21. en l'absence de M. 20.. Je téléphonais à M. 20. car ce dernier gérait les clients que nous avons précités au sein de Caldic. M. David 21. n'était peut-être pas en poste à mon arrivée " (cotes 32956 à 32964).
307. MM. Michel 20. et David 21. ont nié avoir participé aux pratiques dénoncées par Brenntag sans apporter d'éléments matériels à l'appui de leurs dénégations.
e) Les produits concernés par les pratiques
308. Il ressort des déclarations de Brenntag dans sa demande de clémence et des documents communiqués relatifs à la zone Bourgogne que les pratiques ont concerné l'ensemble de la distribution des commodités chimiques commercialisées par Brenntag à partir de son site de Torcy, même si les produits de la chimie minérale ont été principalement concernés. En effet, selon Brenntag, " [c]es pratiques auraient concerné la plupart des produits vendus par le site de Brenntag Bourgogne, en particulier ceux de la chimie minérale (javel, soude, etc.) " (cote 262, 06-0075 AC).
f) Les clients concernés par les pratiques
309. La pratique de répartition de clientèle mise en place par les parties dans la zone Bourgogne a visé, à titre principal, les clients dont avaient la charge les acteurs de l'entente, M. Paul 15., directeur du site de Torcy, et son commercial M. Jean-Luc 23. pour Brenntag, et M. Michel 20., commercial pour le site de Brazey, et son supérieur M. David 21. Pour Caldic Est. Cette dernière entreprise évalue ce portefeuille, pour l'année 2005, à moins de la moitié du chiffre d'affaires du site de Brazey-en-Plaine (cote 44575). Les salariés ou anciens salariés de Brenntag ont également déclaré que la répartition de clientèle portait sur un nombre limité de clients.
310. Ainsi, Brenntag, dans sa demande de clémence, puis dans des déclarations ultérieures, a soutenu que l'entente en Bourgogne " ne concernait pas l'ensemble des clients, mais seulement certains d'entre eux. Il n'existait pas de critères précis de sélection des clients concernés par l'entente. Les clients concernés étaient généralement les principaux clients communs qui consultaient les entreprises concernées par l'entente pour avoir une offre de prix (...). Un [tel ] gel des positions client par client n'a pas existé sur la zone Bourgogne notamment car l'entente consistait plutôt en une alternance, ou un partage des commodités entre concurrents " (cotes 37090 à 37092).
311. Le directeur du site de Brenntag à Torcy, M. Paul 15., a déclaré : " Olivier Z. qui présidait la réunion, ainsi que Jean-Pierre N. et les représentants de Caldic, ont incité les participants à se rencontrer sur le terrain pour s'entendre sur certains clients ". Le même a ajouté : " Pour ma part, je peux vous confirmer qu'à la suite de cette réunion, Brenntag Bourgogne s'est effectivement entendu avec Caldic Est pour se répartir des clients " (cotes 14658 à 14660).
312. M. Jean-Luc 23., commercial du site de Brenntag à Torcy a déclaré : " Apparemment, ce dernier [il s'agit de son prédécesseur] consultait les concurrents pour quelques clients soit une dizaine sur 600. Pour ma part, j'ai continué sur cette dizaine de clients (...) Ces clients concernaient essentiellement Caldic Est et non Univar " (cotes 32956 à 32964).
313. Ce même commercial du site de Brenntag à Torcy, lorsqu'il a été interrogé sur les tableaux qu'il avait rédigés en vue de la répartition, a cependant indiqué : " Les clients partagés ou réservés en tout ou partie figurant sur cette liste étaient les suivants (...) " (cotes 32956 à 32964). Ainsi, ce salarié de Brenntag distingue parmi les clients, objets de la concertation, des clients " partagés ", qui font l'objet d'offres de couverture mais aussi des clients " réservés " que le concurrent ne démarche pas. Par conséquent, un pacte de non-agression pour certains clients est bien ici reconnu.
314. M. Olivier Z., directeur de la région sud de Brenntag, a confirmé : " Paul 15., qui en est le directeur de site [il s'agit du site de Torcy], a eu des contacts avec Caldic-Est sur quelques clients " (cotes 14669 à 14674).
315. Il résulte de ces différentes déclarations que la pratique de répartition de clientèle n'aurait porté que sur un nombre limité de clients, qui est évalué à 10 sur 600. Il s'agirait uniquement des principaux clients communs, ceux qui mettaient Brenntag et Caldic Est en concurrence par les prix.
316. Toutefois, sur la base d'autres éléments matériels figurant au dossier, il apparaît que la pratique n'a pas affecté un nombre aussi limité de clients des sites des deux entreprises.
317. Tout d'abord, M. Olivier Z., directeur de la région sud de Brenntag, responsable des régions Rhône-Alpes et Bourgogne, a déclaré : " Au cours de cette réunion [il s'agit de la réunion du 5 juin 1998 à Reims] nous avons envisagé de ne pas nous agresser " (cotes 32760 32764). Il s'agit donc d'un objectif de caractère général qui est ici défini et qui correspond aux buts affichés par la concertation, à savoir stabiliser les parts de marché des partenaires et restaurer les marges des sites en difficulté, avancés par les demandeurs de clémence, dont Brenntag.
318. Ensuite, la consultation des 183 documents remis par Brenntag dans sa demande de clémence permet d'établir que la concertation a au moins concerné deux listes de 31 et 11 clients. Ainsi, 42 clients ont-ils été identifiés à partir de tableaux ou documents rédigés par le commercial du site de Brenntag à Torcy.
319. Ces éléments viennent relativiser les premières déclarations. En effet, la répartition de clientèle a couvert un nombre de clients plus important qu'annoncé initialement par les auteurs des pratiques. Elle a concerné des partages de clients qui ont fait l'objet d'offres de couverture mais aussi un gel de certaines positions, de sorte que les concurrents " ne s'agressent pas ", pour reprendre les propos du directeur de la région sud de Brenntag.
320. Ainsi, compte tenu des objectifs assignés à la concertation en termes de stabilisation des parts de marché et de restauration des marges, abondamment décrits par les demandeurs de clémence, et notamment par Brenntag (cote 26695), les principaux clients, sensibles aux prix, ont constitué la cible principale de la concertation.
321. Dès lors, compte tenu des objectifs de stabilisation des parts de marché et de restauration des marges, du contenu des échanges entre Brenntag et Caldic Est lors de la réunion du 5 juin 1998 à Reims, de l'implication des directeurs de sites, des directeurs régionaux (Brenntag) et nationaux (Caldic Est), notamment lors de cette réunion de lancement, puis au cours de la commission des pratiques, les clients peu sensibles au prix des deux sites de Torcy et de Brazey-en-Plaine ont été affectés par la pratique de concertation entre Brenntag et Caldic Est.
322. Il convient enfin de souligner que Caldic Est n'a pas contesté le grief notifié qui soutient que la pratique de répartition de clientèle dans la zone Bourgogne a concerné tout ou partie de la clientèle des sites de Brenntag et Caldic Est et, à tout le moins, les 42 clients identifiés à partir des documents remis par Brenntag.
g) La surveillance des pratiques
323. La concertation faisait l'objet d'un contrôle de la part de Brenntag afin de s'assurer que les décisions initiales de répartition de volumes et de clientèle étaient bien respectées. Ainsi, Brenntag a déclaré vérifier " que cette répartition de clientèle était bien respectée " et a communiqué 4 documents internes attestant de la réalité de ce contrôle (cote 267, 06-0075 AC).
- La cote 361, 06-0075 AC
324. Brenntag a fourni un document de 2001 sur lequel sont listés 27 clients et les mentions " pertes 200 ", " gains 2001 " et " couverture ". Elle a expliqué que " ce document qui indique par client, en termes de volumes et de marge par produit, les "pertes 2001", les "gains 2001", les "couvertures" et BBOU (pour Brenntag Bourgogne) est un document interne de Brenntag Bourgogne montrant le contrôle effectué. Les explications fournies par un représentant de Brenntag Bourgogne sont les suivantes : "couverture" représente les couvertures de Brenntag Bourgogne au bénéfice de Caldic Est et "BBOU" le tonnage sur lequel Caldic Est a couvert Brenntag Bourgogne. Cette synthèse permet de constater que Brenntag Bourgogne a, en 2001, couvert Caldic Est sur 382 T de plus que Caldic Est n'a couvert Brenntag Bourgogne. Ce document indique également que les accords en 2001, sur les clients listés se seraient traduits pour Brenntag Bourgogne par une diminution des tonnages ("308" : 308 tonnes "perdues") et de la marge ("200" : 200 000 euros "perdus") "abandonnés" à Caldic Est " (cotes 318 à 319, 06-0075 AC).
- La cote 362, 06-0075 AC
325. Il s'agit d'une copie de la cote 361, 06-0075 AC, sur laquelle ont été barrés certains clients et 7 autres clients ont été ajoutés. Brenntag a expliqué que ce document " illustre les ajustements décidés pour rééquilibrer cette situation, en faveur de Brenntag (Bourgogne), à la suite du constat effectué sur la pièce 8 " (cote 268, 06-0075 AC).
- La cote 370, 06-0075 AC
326. Ce document concerne une offre de prix de Brenntag au client PFC du 26 février 2002 sur laquelle figurent les mentions manuscrites " non ", " ok ", " ? " alternativement face aux différentes lignes de produits.
327. Pour Brenntag et " [s]elon un responsable de Brenntag Bourgogne, ces mentions manuscrites témoignent de vérifications faites pour s'assurer que les prix de couverture étaient bien respectés (suivi/contrôle des ententes) " (cote 268, 06-0075 AC). Brenntag a précisé que " les mentions manuscrites sont une indication du contrôle exercé pour vérifier que les prix de couverture étaient respectés (comparaison des prix de Brenntag Bourgogne et de ceux de Caldic) " (cote 321, 06-0075 AC).
- La cote 386, 06-0075 AC
328. Brenntag a remis un tableau concernant les volumes réalisés pour différents produits auprès du client Eurochimic avec les mentions : " Visite du 14/03/02 " et " RV Caldic 9/04 ". Brenntag a expliqué : " la mention "visite du 24/03/02" signifie que Caldic Est est passé à cette date sur le site de Brenntag Bourgogne et que des contrôles communs ont été effectués. Des décisions communes auraient été arrêtées à cette occasion " (cote 268, 06-0075 AC).
h) La cessation des pratiques
329. Les pratiques de répartition de clientèle entre Brenntag et Caldic Est ont commencé à la suite de la réunion du 5 juin 1998 à Reims.
330. Dans sa demande de clémence, Brenntag indique que les pratiques alléguées auraient pris fin au printemps 2003 et au plus tard en 2004, à la suite de l'injonction du président de Brenntag ayant pris ses fonctions effectives en mars 2003, de cesser toutes les pratiques en cause susceptibles d'exister sur l'ensemble du territoire national et des formations au droit de la concurrence organisées en avril 2003 par la direction (cote 269, 06-0075 AC). Ces éléments d'information sont identiques à ceux concernant la région Rhône-Alpes pour laquelle la première phase des pratiques s'est achevée en juin 2003. Dès lors, les pratiques alléguées relatives à la zone Bourgogne ont cessé en juin 2003.
6. LES PRATIQUES MISES EN OEUVRE PAR BRENNTAG (À PARTIR DE SES SITES DE GREZ EN BOUERE - 53 ET SAINT HERBLAIN - 44), LANGLOIS-CHIMIE (SOLVADIS), À PARTIR DE SON SITE DE RENNES -35) ET LAMBERT-RIVIÈRE (UNIVAR) (À PARTIR DE SON SITE DE CARQUEFOU -44)
331. Dans cette zone, les parties ont mis en œuvre deux pratiques consistant, d'une part, en une concertation trilatérale organisée par Brenntag à partir de ses sites de Maine Bretagne et Loire Bretagne, Langlois-Chimie (Solvadis) à partir de son site de Rennes et Lambert-Rivière (Univar) à partir de son site de Carquefou et, d'autre part, une concertation bilatérale entre les deux premières de ces entreprises. Ces pratiques ont été dénoncées, entre autres, par Brenntag (cotes 12 à 13, dossier 06-0064 AC, cotes 684 à 688, 06-0075 AC, cotes 576 à 577 dossier 06-0092 AC).
a) L'origine des pratiques
332. Il ressort des explications et déclarations fournies par Brenntag que la concertation, sur la zone ouest, a débuté lors des journées régionales de la chimie qui s'étaient tenues en 1998 à Dinard (Ille-et-Vilaine) (cote 33835). Ainsi que le rapporte ce demandeur de clémence, l'entente a commencé " par la rencontre de Jean-Yves B. (Directeur de région de Brenntag "centre ouest" avec le directeur de Langlois Chimie, M. Pierre C., lors de la journée régionale de la chimie en octobre 1997 ou 1998 " (cote 686, 06-0075 AC).
333. L'analyse de l'agenda de M. Pierre C., directeur de région chez Langlois-Chimie (Solvadis), permet de confirmer que plusieurs réunions ont bien eu lieu en 1998 entre ce dernier et M. Jean-Yves B.. Une réunion s'est notamment tenue le 6 octobre 1998, date à laquelle ont eu lieu les journées régionales de la chimie à Dinard (cote 33824).
334. La concertation s'est élargie à l'entreprise Lambert-Rivière (Univar) ainsi que l'a confirmé M. Jean-Yves B., ancien directeur de la région ouest de Brenntag : " De mémoire, celles-ci ont été initiées début octobre 1997 à l'occasion des journées régionales de la Chimie (organisées par l'UFCC). A cette occasion, j'ai rencontré pour la première fois Pierre C. (de chez Langlois), nous avons échangé et, notamment sur quelques cas, nous nous sommes reproché nos marges respectives. J'ai proposé sur le ton de la boutade que l'on s'appelle pour se concerter sur un client, dont je n'arrive pas à me souvenir de l'identité (...) Nous avons mis en œuvre cette résolution et l'avons élargi peu à peu à d'autres clients (...) Cette entente bilatérale s'est élargie à Lambert-Rivière à l'initiative de Pierre C., qui avait un contact chez Lambert-Rivière, quand Lambert-Rivière était concerné. Cela se passait toujours par téléphone " (cote 22504). Ce fait est corroboré par M. Pierre C. (cote 33821).
335. Univar ne précise pas dans sa demande de clémence l'origine des ententes mais rapporte que " des accords isolés qui concernaient les solvants et non la chimie minérale ont couvert la période de 1999 (ou peut-être avant) à fin 2002 " (cote 576, 06-0092 AC). Toutefois, M. Manuel 24., ancien directeur commercial de Lambert-Rivière (cote 13316) et M. Jérôme 5., à l'époque responsable de la région Nantes/Bordeaux/Toulouse pour cette même entreprise, confirment que les ententes remontaient à l'année 1998 (cote 13352).
336. Ces éléments font apparaître qu'une concertation entre plusieurs sites de distributeurs de commodités chimiques installés dans l'ouest a débuté, à tout le moins, au cours de la journée régionale de la chimie, à Dinard, le 6 octobre 1998. Il convient en outre d'observer que M. Jean-Yves B. (Brenntag) s'attribue la responsabilité de l'initiative de la concertation.
b) Les participants aux pratiques
337. Les participants aux différentes réunions et échanges entre les entreprises en cause étaient notamment les personnes suivantes (cotes 18 à 19, 06-0064 AC, cote 687, 06-0075 AC et 577, 06-0092 AC) :
Pour Brenntag
- M. Jean-Yves B., directeur du site de Grez-en-Bouère, directeur régional et membre du comité de direction de Brenntag ;
- M. Alain K., directeur commercial de Maine-Bretagne ;
- M. Dominique G., directeur du site Loire-Bretagne depuis 2001 ;
- M. Michel 25., directeur du site de Loire-Bretagne avant 2001 ;
Pour Langlois Chimie (Solvadis)
- M. Marc-Antoine F., directeur commercial puis, à compter de 2003, Président (cote 34049) ;
- M. Pierre C., directeur de la région ouest jusqu'en 2002, (cote 13355) ;
- M. Jacques L., directeur de la région sud ouest puis région ouest en 2002 ;
- M. Pascal 26., responsable industrie agro-alimentaire (cote 33192)
Lambert-Rivière (Univar)
- Mme Laurence J., chef de groupe marketing solvants ;
- M. Robert 6., directeur du site de Carquefou ;
- M. Jérôme 5., responsable de la région Nantes/Bordeaux/Toulouse pour Lambert-Rivière à compter de janvier 1999.
c) L'objet des pratiques
338. Dans la zone ouest, deux pratiques ont été mises en œuvre, d'une part, sur les solvants, une concertation entre Brenntag, Langlois-Chimie (Solvadis), et Lambert-Rivière (Univar) ayant pour objet de se répartir les clients, les commandes ou les lignes de produits de leurs clients et, d'autre part, sur les produits de chimie minérale, une concertation entre Brenntag et Langlois-Chimie (Solvadis), visant également à se répartir les clients, les commandes ou les lignes de produits de leurs clients mais aussi à coordonner leurs politiques tarifaires, notamment en répercutant sur leurs clients respectifs la hausse des tarifs imposée par leurs fournisseurs de chimie minérale.
339. Ainsi que l'a expliqué M. Jean-Yves B., directeur de la région ouest de Brenntag, et directeur du site de Brenntag de Grez-en-Bouère, l'objectif de ces pratiques était d'accroitre la rentabilité des sites même si " [s]on site marchait très bien et celui de Solvadis se dégradait parallèlement. (...) J'ai participé à ces ententes pour améliorer encore nos marges, pour ne pas laisser Solvadis perdre de l'argent, et pour garder un concurrent plutôt que de l'éliminer et/ou de voir un inconnu arriver, susceptible de remettre en cause notre équilibre (...) l'objectif était certes d'améliorer nos marges mais pas à outrance ; nous ne pouvions pas faire n'importe quoi et surtout nous ne pouvions pas livrer à n'importe quel prix (...)" (cote 22505).
340. Le directeur commercial du site de Brenntag Maine-Bretagne, M. Alain K. a confirmé les propos de son directeur de site : " [a]u cours de ces réunions étaient établies en commun des listes de clients. Il s'agissait de se répartir les clients en fonction de l'historique des approvisionnements, c'est-à-dire que ces clients se fournissaient pour certaines lignes de produit ou intégralement quasiment exclusivement chez un seul distributeur. L'objectif de l'entente était de continuer ce partage et d'améliorer les marges. Il s'agissait des plus gros clients qui représentaient environ 40 % de la marge du site. Il faut comprendre que les directeurs commerciaux et de directeurs de sites avaient une part variable de leur rémunération en fonction de la marge obtenue par le site " (cote 37204).
Sur la concertation trilatérale portant sur les solvants
341. Les demandeurs de clémence ont indiqué dans leurs déclarations qu'une pratique avait été mise en œuvre afin de se répartir certains clients se fournissant en solvants. Brenntag a indiqué à ce sujet que " s'agissant des solvants, l'entente consistait en une répartition d'une quinzaine de clients qui, généralement, consultaient Brenntag Maine-Bretagne, Brenntag Loire-Bretagne, Langlois Chimie et Lambert-Rivière lors de leurs appels d'offres " (cote 687, 06-0075 AC).
342. Mme Laurence J., ancienne responsable marketing solvants pour Lambert-Rivière a précisé : " Région Bretagne : clients Socoplan, Applix, Benetteau, site de Nantes Carcquefou (pour Lambert-Rivière) avec Brenntag (M. G., site Brenntag Maine, je ne suis pas sûre), Langlois (site Rennes ou Niort, je ne suis pas sûre) (...) J'étais chef de produits Solvants et j'étais l'interlocuteur des différents concurrents sur les régions Est, nord et Bretagne pour ces clients, et nous échangions par téléphone, et j'essayais de maintenir, en accord avec mes concurrents, mes niveaux de vente. Je communiquais après le prix aux vendeurs situés dans les zones concernées, pour ces clients spécifiques, et dans le cadre occasionnel précisé ci-avant " (cote 13352).
343. En ce qui concerne les " tableaux relatifs aux accords " communiqués dans sa demande de clémence, Univar a expliqué que " [c]es tableaux sont des documents internes qui ont été élaborés par Mme Laurence J. pour "suivre" les clients dont l'identité figure sur les tableaux " (cote 415, 06-0092 AC).
344. Mme Laurence J. a résumé comme suit les modalités de fonctionnement de la concertation : " j'échangeais par téléphone le prix de vente à pratiquer en accord avec les concurrents pour garder un volume d'affaires chez ces clients. Chaque mois, je notais le prix à faire pour prendre ou non la commande. Les prix reportés dans le tableau montraient celui qui avait eu la commande [prix le plus bas] " (cotes 35806 à 35808).
345. Les éléments communiqués par Univar tels qu'interprétés par leurs auteurs, permettent d'établir qu'une concertation entre les entreprises Brenntag et Langlois-Chimie (Solvadis) a eu lieu. Le tableau reproduit ci-dessous illustre la mise en œuvre de la concertation sur les clients Beneteau, Socoplan et Applix.
<Emplacement tableau 1>
346. Les déclarations de Brenntag et Lambert-Rivière (Univar) et de Langlois-Chimie (Solvadis) mettent donc en lumière l'existence d'une pratique de répartition de clientèle pour ce qui concerne la distribution de solvants dans la zone ouest.
Sur la concertation bilatérale concernant la chimie minérale
La répartition des clients communs pour la chimie minérale
347. Une concertation a également eu lieu entre Brenntag et Langlois-Chimie (Solvadis) visant à se répartir des clients qui les consultaient tous les deux pour des produits de chimie minérale. Cette pratique ne concernait pas Univar qui ne disposait pas d'un dépôt de chimie minérale dans la région ouest.
348. Les principaux acteurs ont ainsi reconnu cette concertation :
- M. Pierre C., directeur région ouest jusqu'en 2002 de Langlois-Chimie (Solvadis) : " Il est arrivé que quelque fois nous discutions sur des clients tels que SIPSY (49) ou Alcatel (Coutances). En ce qui me concerne, la liste dont nous discutions devait comprendre une dizaine de clients " (cote 33189).
- M. Marc-Antoine F., président du directoire de Langlois-Chimie (Solvadis) : " Ultérieurement à ma prise de fonction chez Langlois, j'ai été informé par M. C. des échanges qu'il avait avec M. B. lors d'un déjeuner organisé par M. C. et nous réunissant tous les trois en compagnie de M. G.. (...) Il m'a été expliqué que chez certains clients, Brenntag ou Solvadis était leader c'est-à-dire que le concurrent ne livrera pas le client désigné, cette pratique étant rendue possible par des offres de couverture " (cote 34050).
- M. Jacques L., directeur de la région ouest à compter de 2002 de Langlois-Chimie (Solvadis) : " au cours de mes fonctions j'ai été informé des pratiques en marge des comités de direction de Solvadis. En effet, M. C., directeur de Rennes et M. 26., responsable IAA m'ont rapporté les contacts téléphoniques qu'ils avaient avec M. B. " (cote 34106).
- M. Pascal 26., responsable Industrie Agro-alimentaire de Langlois-Chimie (Solvadis) : " En ce qui concerne les ententes j'ai toujours été plus ou moins au courant, on me disait qu'il n'était pas la peine d'agresser les concurrents, que le marché n'était pas extensible. C'était un comportement historique " (cote 13325). " [J]'ai rencontré quelque fois en dehors de l'UFCC et avais eu téléphone M. B., président de Brenntag ouest, mais c'était avant l'arrivée de M. Marc-Antoine F. " (cotes 33193 à 33194).
- M. Jean-Yves B., directeur région ouest chez Brenntag : " À l'issue de la première expérience de concertation entre Brenntag et Solvadis avec le client SIPSY, de par la connaissance du terrain, nous avions identifié les clients sur lesquels nous étions potentiellement deux à pouvoir livrer. Petit à petit des clients sont venus se greffer sur le système " (cote 34074).
349. Si les demandeurs de clémence n'ont fourni aucun élément matériel permettant d'étayer leurs déclarations, M. Alain K., ancien directeur commercial du site Brenntag Maine-Bretagne, a fourni, à la suite de son audition, une note manuscrite datée selon son auteur du 13 décembre 2000 prise au cours d'une réunion de concertation avec Langlois-Chimie (Solvadis) (cotes 37209 et 37210).
350. On peut lire, en haut à droite de la pièce, les prénoms " Pierre " et " Pascal " qui font selon toute vraisemblance référence à MM. Pierre C. et Pascal 26., de Langlois-Chimie (Solvadis) confortant les déclarations de son auteur, à savoir que ce document constitue bien un compte-rendu d'une réunion avec les représentants de Langlois-Chimie (Solvadis).
351. En ce qui concerne l'objet de la réunion, on constate que ce document comporte une liste de clients dont, entre autres, " Entremont ", " Teyssier ", et " Mazal ".
352. Devant la mention du client " EPI Bretagne ", on note l'inscription " Nitrique : Langlois (1,05) Nous (1,10) ". Eu égard aux déclarations des différents participants à la concertation, il se déduit de cette annotation que lors de cette réunion, il a été décidé que pour la livraison du client Epi Bretagne en acide nitrique, Langlois-Chimie (Solvadis) remettra une offre de 1,05 alors que Brenntag couvrira avec une offre plus élevée à 1,10.
La coordination tarifaire
353. Cette pratique n'a porté que sur les produits de chimie minérale et, comme indiqué précédemment, n'a donc concerné que les entreprises Brenntag et Langlois-Chimie (Solvadis) puisque le dépôt d'Univar, à Carquefou, ne stocke pas de chimie minérale.
354. M. Pierre C., ancien directeur régional de Langlois-Chimie (Solvadis), a expliqué, de la façon suivante, l'objet des contacts avec son concurrent : " Il s'agissait avant tout de respecter l'évolution tarifaire des marchés, principalement en ce qui concerne la minérale, le marché le plus dur en termes de suivi et de faiblesse de marges : lorsque les matières premières augmentaient, on répercutait chez les clients les hausses de nos prix d'achat et nos concurrents étaient censés faire de même. C'était uniquement ça, c'était quelque chose de logique et ce n'était vraiment rien. Nos clients ne se sont jamais plaints et des indicateurs nationaux mensuels existent qui permettaient de justifier des hausses tarifaires (...) Je pense que la direction régionale était au courant, mais je n'ai jamais essuyé de reproche sur ma façon de gérer " (cote 13356).
355. Lors de sa seconde audition, M. Pierre C. a confirmé que " [l]ors de ces réunions, nous discutions des hausses des tarifs pratiqués par nos fournisseurs et de la répercussion de ces évolutions chez nos clients " (cotes 33188 et 33189).
356. M. Pascal 26., responsable industrie agro-alimentaire chez Langlois-Chimie (Solvadis), affirme également que la concertation entre les entreprises susnommées portait sur la répercussion tarifaire des hausses vers les clients : " Il est arrivé que nous discutions également de la répercussion des hausses de prix des fournisseurs vers nos clients. Il s'agissait d'harmoniser les mouvements tarifaires entre les concurrents " (cote 33194). Il ajoute : " J'avais peu de contact avec Brenntag, un ou deux coups de fil par an en début d'année (sauf les deux dernières années car beaucoup d'anciens de Brenntag étaient rentrés chez Solvadis et les contacts se faisaient à ce niveau là). Quand M. B. m'appelait, il m'encourageait à monter les prix et je suivais le mouvement à la hausse " (cote 13326).
357. M. Jean-Yves B., ancien directeur de la région ouest pour Brenntag, confirme également avoir échangé avec ses confrères sur la répercussion des hausses tarifaires (cote 22505).
358. Ces déclarations rejoignent le compte-rendu de réunion remis par M. Alain K. (cote 37210). On remarque sur ce document que figure en face des noms de plusieurs clients la mention " Hausses ". Par ailleurs, en face du client " Entremont " on remarque l'inscription " HCL 0,85 ? 0,92 ". Il se déduit de ces annotations que lors de cette réunion du 12 décembre 2000, il a été décidé entre Brenntag et Langlois-Chimie (Solvadis) de passer, à tout le moins chez les clients mentionnés, les hausses des prix de la chimie minérale.
d) Les produits concernés par les pratiques
359. L'entente entre Brenntag Maine-Bretagne, Brenntag Loire-Bretagne, Langlois-Chimie (Solvadis) et Lambert-Rivière (Univar) a concerné l'ensemble des solvants, tandis que l'entente entre Brenntag Maine-Bretagne, Brenntag Loire-Bretagne et Langlois-Chimie (Solvadis) a concerné l'ensemble des produits de la chimie minérale.
e) Les clients concernés par les pratiques
360. La coordination tarifaire (répercussion des hausses des fournisseurs) vise tous les clients de Brenntag et Langlois-Chimie (Solvadis) pour les produits de chimie minérale.
361. Les déclarations de Brenntag, Solvadis et Univar ou celles de leurs salariés, ainsi que les éléments matériels communiqués par l'ancien directeur commercial de Brenntag Maine-Bretagne attestent du fait que les deux pratiques de répartition de clientèle n'auraient concerné que les clients en mesure d'être livrés par les différents distributeurs qu'ils mettaient en concurrence, notamment par le biais d'appels d'offres. Le nombre de clients impliqués varie selon que l'on retienne la version de Solvadis (tous les clients, cotes 36962 et 36963), Brenntag (une quinzaine de clients non identifiés, cote 567, 06-0075 AC) et Univar (4 à 5 clients dont 3 seulement identifiés, cote 576, 06-0092 AC). L'ancien directeur commercial de Brenntag Maine-Bretagne souligne toutefois qu'il s'agissait des plus gros clients représentant environ 40 % du chiffre d'affaires de Brenntag.
362. Cependant, eu égard aux objectifs de stabilisation des parts de marché et de restauration des marges, rappelés par les participants et notamment par les représentants de Brenntag (cote 256, 06-0075 AC, cotes 22503 à 22507) et Univar (cotes 577, 06-0092 AC), ainsi qu'à l'implication des directeurs de sites des trois distributeurs en cause, les clients peu sensibles au prix de ces sites ont également été affectés par les pratiques mises en place entre Brenntag, Langlois-Chimie (Solvadis) et Lambert-Rivière (Univar). En effet, les pratiques de répartition de clientèle par le biais d'offres de couverture n'auraient pas résisté dans la durée si l'un ou l'autre des distributeurs avait tenté de conquérir les parts de marché des autres, en attaquant leurs clients moins sensibles au prix.
363. Il doit en outre être souligné que Solvadis et Univar n'ont pas contesté les griefs notifiés, lesquels portent sur une pratique de répartition ayant visé l'ensemble de leur clientèle.
f) Les modalités de mise en œuvre des pratiques
364. Il ressort des explications et déclarations des demandeurs de clémence et des éléments au dossier qu'outre des échanges téléphoniques qui ont pu avoir lieu entre Langlois-Chimie (Solvadis) et Brenntag jusqu'en octobre 2003, des réunions ont également eu lieu entre Brenntag et Langlois-Chimie (Solvadis). Les éléments matériels réunis par Solvadis permettent d'identifier deux réunions en 1998, deux réunions en 2001, une réunion en 2002, et une réunion en 2003. Les déclarations de Brenntag, non corroborées par des pièces ou par les déclarations de Solvadis ou Univar, permettent d'envisager, en outre, la tenue d'une réunion en 1998, deux réunions en 1999-2000, et une réunion en 2001 ou 2002, deux de ces réunions ayant eu lieu à l'Hôtel Ibis de Laval, attesté comme lieu de rendez-vous par une note de frais remise par Solvadis pour la dernière réunion de 2003. En revanche, Lambert-Rivière (Univar) n'a vraisemblablement pas participé à des réunions mais a pris part à la concertation au travers de contacts téléphoniques. Ces échanges téléphoniques ou réunions ont été l'occasion pour les mises en cause de se concerter sur les objectifs de maintien des positions acquises passant par des pratiques dénoncées : coordination tarifaire et répartition de clientèle.
365. À cet égard, Brenntag a déclaré dans sa demande de clémence qu' " [e]n pratique, à chaque appel d'offres, Brenntag Maine-Bretagne, Brenntag Loire-Bretagne, Langlois-Chimie et Lambert-Rivière se contactaient par téléphone pour se répartir les commandes (soit par client, soit par ligne de produits) et se communiquaient les prix qu'ils avaient l'intention de proposer au client (offres de couverture) " (cote 687, 06-0075 AC).
366. La pratique entre les entreprises Brenntag et Solvadis a ensuite été étendue aux produits de la chimie minérale et a revêtu, selon les déclarations du demandeur de clémence, deux formes :
" - d'une part, en pratique, dès que les producteurs augmentaient leurs prix sur les principaux produits de la chimie minérale (lessive de soude, acide chlorhydrique, acide nitrique, extrait de javel, etc...) Brenntag et Solvadis s'appelaient au téléphone pour décider ensemble de la hausse à répercuter sur leurs clients ;
- d'autre part, pour les dix plus gros clients en chimie minérale, lesquels s'approvisionnaient annuellement ou semestriellement, Brenntag et Solvadis s'entendaient pour (i) soit se répartir le client (ii) soit pour se partager les lignes de produits commandés par un client à l'occasion d'une même commande.
Le non-respect de l'accord donnait lieu à un simple rappel à l'ordre par voie téléphonique mais à aucune autre conséquence " (cote 688, 06-0075 AC).
367. Univar, qui n'a participé qu'à la concertation ayant porté sur les solvants, a confirmé que les contacts n'avaient eu lieu entre les entreprises que par téléphone (cote 26212).
368. Solvadis a produit les relevés téléphoniques de M. Marc-Antoine F., ancien PDG de Langlois-Chimie (Solvadis), indiquant que ce dernier a joint plusieurs dizaines de fois entre janvier 2002 et octobre 2003 M. Jean-Yves B., directeur de la région ouest de Brenntag (cotes 190 à 242, 06-0064 AC).
369. En outre, le dossier fait état de certaines réunions, mais uniquement entre les représentants de Brenntag et ceux de Langlois-Chimie (Solvadis). Ainsi, il ressort des extraits des agendas de M. Pierre C., de Langlois-Chimie (Solvadis), communiqués par ce dernier que :
- MM. Pierre C., Pascal 26., et Jean-Yves B. se sont retrouvés le 17 avril 1998 dans un restaurant non identifié situé à " La Guerche de Bretagne " (cote 33823). Une autre réunion s'est déroulée entre MM. Pierre C. et Jean-Yves B. le 6 octobre 1998, vraisemblablement lors de la journée de la chimie qui s'est tenue à Dinard (cote 33824) ;
- deux rencontres ont également eu lieu entre MM. Pierre C. et Jean-Yves B. les 24 juin et 19 novembre 2001 (cotes 33825 et 33826).
370. Outre les réunions précitées, les notes de frais communiquées par Solvadis ont permis de reconstituer les réunions suivantes :
- une réunion le 18 mars 2002 à l'Hôtel Restaurant " Au pont d'Anjou " situé à La Guerche-de-Bretagne, entre MM. Marc-Antoine F. et Pierre C. de Solvadis et MM. Jean-Yves B. et Daniel G. de Brenntag (cote 33045). C'est à l'occasion de ce déjeuner que M. Marc-Antoine F., nouvellement nommé président de Solvadis, a été informé des échanges existant entre Solvadis et Brenntag (cotes 34050 et 34055) ;
- une réunion à l'Hôtel Ibis de Laval, entre MM. Jean-Yves B. et Jacques L., successeur de M. Pierre C. à Rennes lors de son arrivée, soit vraisemblablement au début de l'année 2003 (cote 11103). L'objet de cette réunion était de discuter de la poursuite des accords, ainsi que l'a rapporté M. Jacques L. : " Lors de cet entretien, nous avons discuté du fonctionnement général de nos sociétés vu que j'étais un ancien Brenntag. J'ai pris acte des pratiques mises en place antérieurement et en ai accepté le principe " (cote 34106).
371. De plus, dans sa demande de clémence, Brenntag fait état de 4 réunions qui ont eu lieu afin de mettre en place et discuter de l'accord :
" - réunion en 1998 à l'hôtel Ibis de Laval à laquelle participaient D. G. (Brenntag Loire-Bretagne), M. J-Y B. (Brenntag Maine-Bretagne), M. P. 26. (Langlois Chimie) et M. P. C. (Langlois Chimie) ;
- deux réunions en 1999-2000 au restaurant "La calèche" à Rennes à laquelle participaient : D. G. (Brenntag Loire-Bretagne), M. J-Y B. (Brenntag Laine-Bretagne), M. P. 26. (Langlois Chimie) et M. P. C. (Langlois Chimie) ;
- réunion en 2001 ou 2002 à l'hôtel Ibis de Laval à laquelle participaient : M. J-Y B. (Brenntag Maine-Bretagne), M. P. 26. (Langlois Chimie) et M. J. L. (Langlois Chimie) " (cote 686, 06-0075 AC).
372. Alain K., directeur commercial de Brenntag pour le site de Maine-Bretagne, a confirmé la tenue de réunions avec les représentants de Langlois-Chimie (Solvadis) au siège de Brenntag mais également à l'extérieur des entreprises : " En ce qui concerne MM. C. et 26., ces contacts ont eu lieu au cours de visites dans les locaux de Brenntag Maine-Bretagne. Pour M. Jacques L., les contacts ont eu lieu à l'extérieur : dans des cafés ou des restaurants " (cote 37203).
g) La surveillance des pratiques
373. Dans sa demande de clémence, Brenntag a indiqué que : " [l]e non-respect de l'accord donnait lieu à un simple rappel à l'ordre par voie téléphonique mais à aucune autre conséquence " (cote 688, 06-0075 AC).
374. De plus, les tableaux remis par Univar illustrent le suivi par cette entreprise de la répartition de clientèle convenue entre les trois mises en cause.
h) La cessation des pratiques
375. Si les pratiques ont débuté le 6 octobre 1998 à l'occasion des journées régionales de la chimie à Dinard, une distinction, quant à leur durée, doit être opérée entre la concertation ayant eu lieu entre Brenntag, Solvadis et Univar et celle ne concernant que les deux premières de ces entreprises.
Sur la concertation trilatérale
376. La pratique entre Brenntag, Langlois-Chimie (Solvadis) et Lambert-Rivière (Univar), s'est poursuivie jusqu'à la toute fin de l'année 2002.
377. Tout d'abord, M. Jérôme 5., ancien directeur régional de la région Nantes/Bordeaux/Toulouse chez Lambert-Rivière, a admis qu'il avait participé à des concertations avec ses concurrents. En effet, " [l]es six mois suivant mon arrivée, je faisais équipe avec Robert 6., mon prédécesseur qui partait à la retraite. Les ententes existaient déjà, mais ne concernaient que 5 ou 6 clients de commodités, produits d'appel aux prix très serrés sur lesquels on ne gagne pas d'argent. Je savais que ça existait sur Lyon et que ce n'était pas légal. J'ai continué durant les deux ans que j'ai passés à Nantes. Il y a eu des tentatives des deux concurrents pour accroître les ententes, mais j'ai refusé, ce qui a entraîné des prises de bec. En partant, je n'ai pas laissé de consignes et je pense que ça s'est éteint tout seul " (cote 13352).
378. Il ressort des déclarations de M. Jérôme 5. que la concertation entre Lambert-Rivière, Brenntag et Langlois-Chimie (Solvadis) s'est poursuivie à tout le moins jusqu'à mi-2001.
379. De plus, Mme Laurence J., chef des produits solvants pour Lambert-Rivière, a déclaré avoir repris les pratiques en 2001 à la demande de M. Manuel 24., à l'époque directeur commercial de Lambert-Rivière, : " A la demande de Manuel 24., j'ai par ailleurs et au même moment, été l'interlocuteur de mes concurrents pour des pratiques d'ententes (chaque fois concernant le prix d'un seul produit pour un seul client déterminé, soit moins d'1 % de mes ventes en solvants) par échanges téléphoniques occasionnels (une à trois fois par an) dans les régions suivantes (...) -région Bretagne : clients Socoplan, Applix, Benetteau, site de Nantes Carcquefou (pour Lambert Rivière) avec Brenntag (M. G., site Brenntag Maine (je ne suis pas sûre), Langlois (site Rennes ou Niort, je ne suis pas sûre) " (cote 22796).
380. Elle indique également avoir mis fin aux pratiques en 2002 : " J'ai arrêté en 2002 les pratiques sur Lyon, en raison de la fusion. Mes supérieurs hiérarchiques étaient Philippe 27. et Jean-Claude 4., ainsi que Manuel 24.. C'est l'une de ces trois personnes qui m'a donné l'instruction de cesser les pratiques. Sans instruction expresse sur les autres régions, j'ai également cessé les pratiques sur ces autres régions. Il convient de rappeler également le contexte de l'époque, avec la fusion qui avait changé l'organisation, et les responsables de régions " (cote 22798).
381. Il se déduit de ces différentes déclarations que la concertation trilatérale sur les solvants entre Brenntag, Langlois-Chimie (Solvadis) et Lambert-Rivière (Univar) a cessé au moment de la création d' Univar, soit le 31 décembre 2002.
Sur la concertation bilatérale
382. En revanche, la concertation bilatérale entre Solvadis et Brenntag sur la chimie minérale s'est achevée en 2003.
383. Selon les déclarations de Brenntag, les pratiques ont cessé en raison, d'une part, des instructions du président de Brenntag, M. Yves 14., et, d'autre part, de la politique commerciale initiée par le président de Solvadis, M. 28. : " [Il a été] décidé de mettre fin à l'entente avec Langlois Chimie au premier semestre 2003 à la suite, d'un part, des formations en droit de la concurrence organisées par la Direction générale de Brenntag SA en avril 2003 et, d'autre part, de l'injonction de Yves 14. - désigné président de Brenntag SA en décembre 2002 avec prise effective des fonctions en mars 2003 - de cesser toutes les pratiques anticoncurrentielles susceptibles d'exister sur le territoire français (...) lors de sa prise de fonction en octobre 2003 le nouveau président de Solvadis, M. Jean-Marie 28., aurait donné l'ordre à ses équipes de récupérer des tonnes à n'importe quel prix, en d'autres termes de se livrer à une concurrence frontale avec les autres opérateurs " (cote 688 du dossier 06-0075 AC).
384. De plus, une réunion téléphonique entre MM. Yves 14., Jean-Yves B. et Olivier Z. a eu lieu afin que le président de Brenntag s'assure de la cessation des pratiques. Ce dernier, commentant une pièce au dossier, a expliqué : " [c]et ordre du jour de réunion téléphonique entre directeurs de région (JYD : Jean-Yves B. ; OP : Olivier Z.) me permettait de vérifier que les pratiques avaient bien cessé. En effet, fin 2005, j'ai eu des doutes et ai demandé à nos avocats (...) de refaire une formation, laquelle a eu lieu en février 2006 " (cotes 14683).
385. M. Alain K. reconnait également que les pratiques ont pris fin au cours de l'année 2003 sans en connaître la raison : " Ces réunions se sont arrêtées au cours de l'année 2003, une fois que les interlocuteurs chez Langlois-Solvadis étaient partis. M. Jean-Yves B. nous a dit qu'on arrêtait mais il ne m'a pas expliqué les raisons " (cote 37203).
386. Du point de vue des responsables de Solvadis, les contacts avec Brenntag auraient effectivement cessé au cours de l'année 2003. M. Jacques L., successeur de M. Pierre C., a, à cet égard, déclaré aux enquêteurs avoir mis un terme définitif aux pratiques au cours de l'année 2003, pendant la présidence de M. Marc-Antoine F. (cote 37203).
387. Cependant, les déclarations de Brenntag et les relevés téléphoniques de M. Marc-Antoine F. qui attestent d'échanges avec M. Jean-Yves B. (Brenntag), font ressortir que les pratiques ont cessé à l'arrivée du successeur de M. Marc-Antoine F., soit après le mois d'octobre 2003. A défaut d'élément plus précis apporté par les entreprises, il peut être raisonnablement conclu que les concertations entre Brenntag et Solvadis ont définitivement cessé à compter du mois d'octobre 2003.
388. Par conséquent, dans la zone ouest, Brenntag, au travers de ses sites de Maine-Bretagne et Loire-Bretagne, et Langlois-Chimie (Solvadis) ont mis en œuvre du 6 octobre 1998 à octobre 2003, les pratiques suivantes :
- répartition de clientèle pour la chimie minérale ;
- répercussion concertée des hausses de prix des fournisseurs dans les prix de revente des produits de chimie minérale.
7. LES CARACTÉRISTIQUES COMMUNES AUX PRATIQUES
a) Chacune des pratiques présente un objet identique
389. Les éléments de contexte ayant présidé à la mise en œuvre des différentes pratiques sur chacune des zones sont identiques. Les principaux distributeurs de commodités chimiques subissaient des contraintes de marché très difficiles (réglementation Seveso) induisant de lourds investissements en immobilisation et conditionnant leur maintien sur le marché alors que, parallèlement, la concurrence de Brenntag à travers des prix très agressifs avait érodé l'ensemble de leurs résultats et menaçait la pérennité de leurs structures.
390. Dans chacune des quatre zones géographiques (nord, Rhône-Alpes, Bourgogne et ouest) où se sont déroulées les pratiques de répartition de clientèle et/ou de coordination tarifaire, l'objectif poursuivi par les entreprises concernées était identique, à savoir, la préservation de leurs parts de marché et, à tout le moins, la restauration du niveau de leur marge.
391. Cet objectif commun des pratiques en cause doit être distingué de leurs modalités de mise en œuvre.
b) Les caractéristiques matérielles des pratiques
Les caractéristiques des zones géographiques concernées par les pratiques
392. Les sites de Brenntag implantés dans les zones nord, Rhône-Alpes, Bourgogne, Ouest (Maine Bretagne et Loire Bretagne) ont généré en 1998 les résultats bruts parmi les plus faibles du groupe, dans un contexte économique et réglementaire difficile.
393. Ces sites étaient confrontés principalement à la concurrence des entreprises suivantes qui, elles-mêmes, devaient faire face aux difficultés rencontrées par Brenntag :
- dans la zone nord : Districhimie (Quaron) et RPC-Clément (Solvadis) ;
- dans la zone Rhône-Alpes : Quarréchim (Univar), Lambert-Rivière (Univar), et Vaissière-Favre (Univar);
- dans la zone Bourgogne : Caldic Est ;
- dans la zone Ouest (Maine-Bretagne et Loire-Bretagne) : Lambert-Rivière (Univar) et Langlois-Chimie (Solvadis).
394. De plus, les sociétés précitées disposaient d'une position historiquement très forte dans ces zones et, à ce titre, étaient les premiers concurrents de Brenntag en termes de parts de marché dans les zones considérées (cotes 32761 et 24332 à 24334). Ainsi, les sites les plus importants de Lambert-Rivière, Vaissière Favre et Quarréchim (devenues Univar) étaient implantés dans la zone Rhône-Alpes, tandis que les sites les plus importants de Langlois Chimie (devenue Solvadis) étaient implantés dans l'ouest et le nord de la France et celui de Districhimie dans le nord.
395. La caractéristique commune aux quatre zones géographiques concernées par les pratiques est la situation difficile des sites de stockage de commodités chimiques, en raison des nouvelles contraintes réglementaires, mais également des difficultés financières des entreprises, en raison des conditions de concurrence très vives liées à l'implantation historique très forte des leaders sur lesdites zones. A travers les pratiques en cause, ces entreprises ont cherché à s'abstraire des conditions de marché et à améliorer la situation financière de leurs sites en difficulté, répondant ainsi à un objectif économique de stabilisation des parts de marché et de restauration des marges.
Les caractéristiques des entreprises concernées par les pratiques
396. Les pratiques en cause sont le fait d'un nombre limité d'entreprises : Brenntag, les filiales du groupe Vopak (les sociétés Lambert-Rivière, Quarréchim et Vaissière-Favre devenues Univar en 2002), Langlois-Chimie et sa filiale à 100 %, la société RPC-Clément, qui deviendront Solvadis, ainsi que Districhimie et Caldic Est.
397. Ces entreprises présentent des caractéristiques particulières. Il s'agit de distributeurs de commodités chimiques qui disposaient d'une forte implantation au niveau national pour Brenntag, et régional pour les autres. Eu égard à leur poids économique respectif dans chacune des zones concernées, ils ont joué un rôle stratégique pour chacune des pratiques régionales.
398. Si l'une des entreprises principales de la zone géographique concernée refusait de participer à la concertation, il était impossible de la mettre en œuvre. Ainsi, dans la région Rhône-Alpes, la direction de Vaissière-Favre (Univar) a initialement décliné l'offre de concertation de Brenntag et Lambert-Rivière (Univar). La répartition de clientèle n'a alors pas pu être engagée. Comme l'a expliqué M. Olivier Z., le refus du dirigeant de Vaissière-Favre (Univar) " ne permettait pas de mettre en œuvre utilement l'entente (compte tenu de l'importance de ce concurrent) ". Quelques semaines plus tard, Vaissière-Favre (Univar) se ravisa et la concertation dans la zone Rhône-Alpes put commencer.
399. En outre, M. Olivier Z. a souligné que les concurrents avec lesquels Brenntag s'était concertée dans la région Rhône-Alpes étaient ses principaux concurrents dans la zone : " La première entente, à laquelle j'ai pris part, s'est tenue à Lyon, à la fin de l'été 1998, alors que les résultats de Brenntag Rhône-Alpes étaient très mauvais (de même que ceux de nos concurrents principaux sur le plan régional, tels que Quarrechim, Lambert Rivière, Vaissière), (...) " (cote 14669).
400. De même, lorsque l'une d'entre elles quittait l'une des pratiques régionales en cause, cette dernière cessait. Ainsi, quand Districhimie a cessé de participer à la pratique en cause dans la zone nord, en raison de l'arrivée d'un nouveau dirigeant, la pratique en vue de stabiliser les parts de marché de Brenntag, Districhimie et RPC-Clément dans cette zone n'a pu perdurer car la concurrence exercée de nouveau par Districhimie était de nature, eu égard à son poids sur le marché, à remettre en cause la concertation. De la même façon, lorsque Brenntag a mis fin aux pratiques à la suite des instructions de M. Yves 14., président de Brenntag en 2003, toutes les pratiques en cause ont cessé, seule la pratique sur la zone Rhône-Alpes a repris avec Univar.
401. Les quatre pratiques régionales se caractérisent par l'omniprésence de Brenntag, qui assure le lien entre elles, et par le statut des co-auteurs des pratiques dans chacune des zones. Ces derniers sont en effet, après Brenntag, le (ou les) principaux distributeurs de la zone géographique. Les participants aux pratiques constituent ainsi dans chaque zone, un couple (ou trio, pour l'ouest) de " leaders " de marché :
- dans le nord : Brenntag, Districhimie et Solvadis (cotes 698 06-0075 AC, 24334 et 12075) ;
- dans l'ouest : Brenntag, Solvadis, Univar (cotes 685, 06-0075 AC, 22715, 24332 et 12075, 12069) ;
- en Rhône-Alpes : Brenntag, Univar (cotes 574, 06-0075 AC, 24333, 12075, 14669 et 14679) ;
- en Bourgogne : Brenntag, Caldic-Est (cotes 262, 06-0075 AC, 24333 et 32761).
Le rôle pivot de Brenntag
402. En raison de son omniprésence dans les quatre zones géographiques concernées et de son rôle dans le fonctionnement des pratiques, Brenntag a joué une fonction de pivot, facilitée par son organisation qui se caractérise par un découpage du territoire national en quatre grandes zones, chacune pilotée par un directeur de région : M. Jean-Pierre N., directeur de la région nord (Ardennes, Lorraine, nord et Picardie), M. Olivier Z., directeur de la région sud (Rhône-Alpes, Bourgogne Méditerranée, Dauphiné, et Côte d'Azur), M. Jean-Yves B., directeur de la région ouest (Loire-Bretagne, Maine-Bretagne, Aquitaine et Midi-Pyrénées) et M. Bruno D., directeur de la région Ile-de-France (Ile de France, Normandie et Val de Loire). Dans ces 4 zones, 3 directeurs régionaux (MM. Olivier Z., Jean-Pierre N. et Jean-Yves B.) ont pris part aux pratiques. Cette organisation a permis à Brenntag de surveiller l'ensemble du territoire et donc d'harmoniser les pratiques dans les zones qu'elle a sélectionnées.
403. Sur l'ensemble des quatre zones, Brenntag a joué un rôle central dans l'organisation des pratiques, sachant qu'à leur commencement, elle détenait une position prééminente sur le marché de la distribution des commodités chimiques en France, en raison de l'implantation nationale que lui conféraient ses 25 sites de stockage, et de son appartenance à un grand groupe industriel et financier.
404. En effet :
- Brenntag a pris l'initiative des réunions de lancement des pratiques dans les zones nord, Bourgogne et ouest ;
- Brenntag est la seule entreprise qui ait pris part aux pratiques sur l'ensemble des quatre zones géographiques identifiées. Elle représente le pivot et le moteur de l'ensemble de ces pratiques de concertation ;
- Brenntag a exercé une surveillance des pratiques en cause dans les zones nord, Bourgogne, Rhône-Alpes et ouest, en s'assurant, par le biais des réunions et d'appels téléphoniques, du bon respect des volumes et clients répartis ainsi que des parts de marché des différents membres ;
- les instructions de M. Yves 14., président de Brenntag de mettre un terme à ces pratiques, marquent l'arrêt de ces dernières dans les zones Bourgogne, Rhône-Alpes et, en ce qui concerne la concertation bilatérale, dans la zone ouest.
Certaines personnes physiques interviennent dans plusieurs zones géographiques concernées par les pratiques
405. S'agissant des personnes physiques ayant pris part aux concertations dans plus d'une zone, il a été établi que :
- M. Olivier Z., directeur de la région sud chez Brenntag, a participé aux réunions de lancement des pratiques de concertation dans la zone Bourgogne (réunion du 5 juin 1998 à Reims), et dans la zone Rhône-Alpes (réunion de septembre 1998 à Paris) et aux suivantes dans cette dernière zone ;
- M. Jean-Pierre N., directeur de la région nord chez Brenntag, qui a au moins donné son accord pour le lancement des pratiques dans la zone nord et a participé avec le directeur du site de Brenntag à Wattrelos, à la réunion de lancement des pratiques de concertation dans la zone Bourgogne, réunion du 5 juin 1998 à Reims ;
- Mme Laurence J., MM. Jérôme 5., Robert 6. tous les trois de Lambert-Rivière (Univar) puis Univar, ont participé régulièrement aux réunions de concertation en Rhône-Alpes et ouest.
406. Si le nombre des personnes physiques participant aux réunions dans plusieurs zones est en l'espèce limitée, en revanche, les fonctions hiérarchiques exercées par chacun des représentants des quatre entreprises concernées étaient identiques ou similaires, puisqu'il s'agit des responsables régionaux détenant des responsabilités au sein des organes centraux des entreprises. Dès lors, les participants aux réunions ou aux autres modalités de la concertation engagent de façon systématique les entreprises auxquelles ils appartiennent.
L'implication de l'ensemble des directions générales des groupes en concertation
407. Les pratiques ont été mises en œuvre par les sites identifiés précédemment dans chacune des quatre zones géographiques. Cependant, les dirigeants d'Univar (Lambert-Rivière, Vaissière-Favre et Quarréchim), Brenntag, Solvadis (Langlois-Chimie, Districhimie et RPC-Clément) avaient tous connaissance de la mise en œuvre des pratiques alléguées par les trois demandeurs de clémence, au sein de leur groupe respectif, sur les différentes zones concernées. En effet, ils ont été informés de leur mise en œuvre à l'occasion de réunions de concertation auxquelles certains dirigeants ont participé directement ou bien lors des comités de direction, dans le cas de Brenntag. Il est enfin notable que certains dirigeants ont décidé personnellement de la cessation des pratiques (M. Stéphane V. pour Districhimie ou M. Yves 14. pour Brenntag).
Les décisions de concertation ont été prises par les directeurs régionaux de Brenntag et le siège de Brenntag en était parfaitement informé
408. Les pratiques ont été décidées et mises en œuvre par les directeurs de région. De plus, la direction générale de Brenntag était informée de ces pratiques, en raison de son implication directe, à travers la participation de son président à la réunion de lancement des pratiques dans la zone Rhône-Alpes, mais également à travers les remontées d'informations relatives aux pratiques de concertation par les directeurs de région lors des comités de direction au sein de Brenntag, et aux résultats financiers générés par les pratiques alors même que ces sites avaient été justement identifiés en raison de la faiblesse de leur rentabilité.
- Les décisions de concertation ont été prises par les directeurs régionaux de Brenntag
409. Les directeurs régionaux et les directeurs de site de Brenntag dans les zones nord, Bourgogne, Rhône-Alpes et ouest ont initié et/ou pris une part active aux pratiques de concertation établies. Ces directeurs de région et directeurs de site, étaient les anciens directeurs des sociétés rachetées par Brenntag (cotes 337 et 686, 06-0075 AC, 573, 06-0092 AC, et 34075). Par conséquent, la plupart des responsables locaux de Brenntag qui apparaissent à l'origine des pratiques alléguées sont issus du groupe Debauche, acquis par Brenntag, groupe dans lequel ils exerçaient déjà des fonctions de direction. Toutes ces personnes se connaissaient donc déjà professionnellement, avant la mise en œuvre des concertations. Il existait par conséquent une grande proximité entre elles. Ainsi, le directeur de la région nord a assisté à la réunion de lancement des pratiques en cause sur la zone Bourgogne (cote 263, 06-0075 AC).
- Les directeurs régionaux de Brenntag ayant pris part aux réunions de concertation et aux pratiques établies sont également membres du comité de direction de Brenntag
410. Le comité de direction de Brenntag était composé, outre le président M. Daniel X. et le directeur général, M. Philippe 29., des directeurs régionaux des quatre zones géographiques résultant du découpage de Brenntag (cote 35435) :
- de 1996 à 2004, MM. Jean-Pierre N., Olivier Z., Jean-Yves B., Stéphane V. et Bruno D.. M. Yves 14., directeur de Brenntag spécialités jusqu'en 2002, qui est devenu le président de Brenntag en 2003 ;
- de 2004 à 2006, MM. Jean-Pierre N., Olivier Z., Jean-Yves B., et Bruno D..
411. MM. Bruno D., Daniel X., Jean-Yves B. et Stéphane V., ont indiqué que, à l'exception de M. Bruno D. pour la région Île-de-France, 3 des 4 directeurs régionaux de Brenntag, également membres du comité de direction, ont informé les autres membres de ce comité de direction de Brenntag des pratiques de concertation mises en œuvre dans leur région respective sans qu'aucune instruction d'y mettre un terme ne soit donnée avant celle de M. Yves 14. en mars 2003 (cotes 11942 à 11945, 13318 à 13322, 13332 à 13334, et 22503 à 22507). Ainsi, M. Jean-Yves B., qui a mis en œuvre les pratiques dans la zone ouest, a déclaré qu'il avait connaissance des pratiques dans les autres zones, en raison des échanges qu'il avait avec les autres directeurs de région (MM. Olivier Z. et Jean-Pierre N.) sur ce sujet (cotes 34073 à 34078). M. Olivier Z., qui a mis en œuvre les pratiques dans les zones Rhône-Alpes et Bourgogne, a déclaré avoir pris connaissance des pratiques dans la zone nord, lors de la réunion du 5 juin 1998, à Reims (cotes 32760 à 32764). M. Jean-Pierre N., qui a mis en œuvre les pratiques dans la zone nord, a indiqué ne pas se souvenir d'avoir échangé sur les pratiques concernant cette zone avec les autres directeurs de région ou sa hiérarchie, mais a admis que, raisonnablement, il ne pouvait en avoir été autrement (cotes 14652 à 14654).
412. Dans sa note relative aux pratiques dans la zone Bourgogne, à propos de l'origine des pratiques, Brenntag a précisé que " [l]'entente aurait débuté par une réunion organisée dans l'hôtel Mercure à Reims (51) en 1998, vraisemblablement le 5 juin 1998 " (cote 262, 06-0075 AC). Il est établi qu'étaient présents à cette réunion des représentants de Brenntag de la région sud (MM. Olivier Z. et Paul 15.) et de la région nord (MM. Jean-Pierre N., Gilles O., Bernard 16. et Jean 17.). Les représentants de la région nord ont donc à tout le moins été informés, à cette occasion, des pratiques qui allaient être mises en œuvre dans la région Bourgogne.
413. Les autres directeurs de région, membres du comité de direction de Brenntag mais qui ne participaient pas aux pratiques, ont également déclaré avoir été informés de l'existence des pratiques collusives. Ainsi, M. Bruno D. a précisé connaître les pratiques des directeurs des régions ouest et sud de Brenntag, à l'occasion des comités de direction (cotes 13332 à 13334). En outre, M. Stéphane V. a fait une déclaration dans le même sens (cotes 11942 à 11945). Enfin, M. Yves 14., alors qu'il n'était encore que directeur de Brenntag spécialités et membre du comité de direction de Brenntag a déclaré avoir " eu vent de ces pratiques par des rumeurs en 1998/1999, alors que j'étais en poste à Lyon " (cotes 14678 à 14692).
- La présidence et la direction générale de Brenntag avait connaissance des pratiques
414. M. Daniel X., président de Brenntag, a assisté à la réunion de lancement des pratiques de concertation dans la zone Rhône-Alpes à l'automne 1998 au Novotel à Paris en présence des représentants de Lambert-Rivière (Univar), Vaissière-Favre (Univar) et Quarréchim (Univar) (cote 573, 06-0092 AC). A l'issue de cette réunion, aucune mesure d'interdiction de ces pratiques illicites n'a été prise par ce dernier. De plus, M. Daniel X. a été tenu informé du déroulement de ces pratiques au cours des comités de direction auxquels il participait. Il a reconnu avoir eu connaissance des pratiques collusives dans au moins deux zones, à savoir la zone Rhône-Alpes et la zone ouest (cotes 13318 à 13322).
415. Ainsi, à travers M. Daniel X., son président, des membres du comité de direction parmi lesquels M. Yves 14... et de son directeur général, M. Philippe 29., Brenntag était informée de la mise en œuvre de l'ensemble des pratiques de concertation. M. Daniel X. avait connaissance du déroulement des pratiques de concertation en cause comme cela ressort des déclarations des membres du comité de direction de Brenntag (cotes 13318 à 13322, 13332 à 13334, 14652 à 14654, 14658 à 14660, 14669 à 14674, 14678 à 14692, et 22521 à 22527).
416. Les pratiques ont cessé, dans un premier temps, à la suite des instructions de M. Yves 14., qui a succédé à M. Daniel X. à la présidence de Brenntag en avril 2003.
La participation directe de la direction générale de Lambert-Rivière (Univar) aux pratiques de concertation
417. La direction générale de Lambert-Rivière (Univar) a participé directement aux pratiques de concertation alléguées dans les zones Rhône-Alpes et ouest.
Dans la zone Rhône-Alpes
418. Entre 1998 et 2000, M. Gilles 1., responsable des ventes France pour les solvants au siège de Lambert-Rivière (Univar) a participé aux réunions de concertation (cotes 571, 06-0092 AC, 26207, 37147 et 37148).
419. Entre 1998 et 2002, M. Loïc I. qui a été successivement responsable industrie pour la chimie/pétrochimie et les solvants au plan national à la direction générale, et directeur régional dans la zone Rhône-Alpes et PACA, de Lambert-Rivière (Univar), a participé aux réunions de concertation (cotes 26207, 37147 et 37148).
420. Entre 2000 et 2002, ont participé aux réunions de concertation Mme Laurence J., chef des produits solvants, MM. Marc 37. et Robert 6., responsables industrie, M. François Xavier 2., directeur général, toutes ces personnes exerçant leur activité au siège de Lambert-Rivière, sous l'autorité de M. Manuel 24., directeur commercial du groupe Lambert-Rivière (Univar) (cote 26207).
421. Mme Laurence J. a ainsi indiqué que M. Manuel 24. était non seulement au courant des pratiques mais qu'il lui avait demandé d'y prendre part : " A la demande de Manuel 24., j'ai par ailleurs et au même moment, été l'interlocuteur de mes concurrents pour des pratiques d'ententes " (cotes 22795 à 22799).
422. Univar a confirmé, dans sa demande de clémence, la connaissance de ces pratiques par le siège de Lambert-Rivière (Univar) : " Ainsi, à l'initiative des responsables locaux, il fut décidé en 1998 de réunir les principaux acteurs, à savoir Lambert-Rivière, Brenntag, Quarréchim, et Vaissière-Favre à Paris (au Novotel de Bercy) en présence des dirigeants de chaque société (...) Il s'agissait d'une volonté locale réalisée avec la bénédiction des directions parisiennes desdites entreprises " (cotes 569 à 578, 06-0092 AC).
Dans la zone ouest
423. Les pratiques de concertation ont été organisées pour la zone ouest uniquement par téléphone et à l'occasion de chaque appel d'offres pour des achats de solvants. Pour ce qui concerne Lambert-Rivière (Univar), les personnes responsables de ces appels ont été, entre 1999 et 2001, M. Jérôme 5., responsable régional ouest au siège de Lambert-Rivière (Univar) qui a participé aux pratiques dans la zone Rhône-Alpes, et entre 2001 et 2002, le chef des produits solvants au siège de Lambert-Rivière (Univar) (cotes 577, 06-0092 AC, et 22796).
424. Par conséquent, les pratiques de concertation, tant pour la zone Rhône-Alpes que pour la zone ouest, ont été mises en œuvre, pour Lambert-Rivière (Univar), par des responsables du siège de l'entreprise situé à Val de Fontenay.
La participation directe de la direction générale de Vaissière-Favre (Univar) aux pratiques de concertation
425. Entre 1998 et 2002, le président directeur général de Vaissière-Favre (Univar) a participé personnellement aux réunions de lancement des réunions de concertation dans la zone Rhône-Alpes (cotes 45, 06-0092 AC, 26207 et 26208).
426. L'adhésion de la direction générale de Vaissière-Favre (Univar) à travers M. Jean-Jacques W..., son président, a été effective après la seconde réunion de lancement des pratiques au cours du mois de septembre 1998, au restaurant " Le blason " à Saint Priest (69), comme a pu l'indiquer Brenntag dans sa demande de clémence.
427. Parallèlement, de 1998 à fin 2002, les responsables marketing et des ventes de solvants (M. Gilles 8.) et de la chimie minérale (M. Michel E.) à la direction générale du groupe Vaissière-Favre (Univar) ont également assisté à ces réunions et mis en œuvre les pratiques de concertation.
428. Les qualités et fonctions des représentants de Vaissière-Favre (Univar) aux réunions ou leur responsabilité dans la mise en œuvre des pratiques alléguées attestent de l'implication directe du siège de l'entreprise dans la concertation.
La participation directe de la direction générale de Quarréchim (Univar) aux pratiques de concertation
429. La direction générale de Quarréchim (Univar) a participé directement aux pratiques de concertation alléguées dans la zone Rhône-Alpes.
430. Entre 1998 et 2002, ont participé aux réunions de concertation les représentants de la direction générale de Quarréchim (Univar) : M. Michel 3. successivement directeur général adjoint puis président du groupe, M. Jean-Claude 4., responsable des ventes, et Mme Isabelle 7., son assistante commerciale, et M. Pascal H. commercial sur le site de Genas devenu responsable " grands comptes " en 2002 (cotes 572, 06-0092 AC, 27147, 37148, 37165, 37175, 37185, et 37196).
431. Les qualités et fonctions des représentants de Quarréchim (Univar) aux réunions ou leur responsabilité dans la mise en œuvre des pratiques alléguées attestent de l'implication directe du siège de l'entreprise dans la concertation.
La participation directe de la direction générale d'Univar aux pratiques de concertation
432. Le 1er janvier 2003, Univar est créée à la suite de la fusion des trois sociétés françaises : Lambert-Rivière, Quarréchim, et Vaissière-Favre. La direction générale d'Univar a participé directement aux pratiques en assistant aux réunions de concertation et à la mise en œuvre des pratiques alléguées.
433. Il convient de rappeler que les pratiques de Lambert-Rivière (Univar) ont cessé dans l'ouest, à la fin de l'année 2002. Au moment de la création d'Univar, les seules pratiques qu'elle a poursuivies étaient localisées dans la zone Rhône-Alpes.
- Le directeur général d'Univar était informé de l'existence des pratiques de concertation
434. M. Manuel 24., directeur général Univar, a reconnu être " au courant du sujet des ententes à Lyon rapidement après mon arrivée chez Lambert Rivière, mais cette société était peu présente sur les solvants. C'est mon collaborateur Loïc I., business manager, qui participait en tant que représentant Lambert Rivière aux discussions locales " (cotes 13315 à 13317).
435. M. Michel E., directeur de la région Centre a confirmé la connaissance du directeur général : " M. Manuel 24. était au courant de l'existence des ententes même si aucun reporting ne lui a été communiqué. De plus, après analyse aux environs de 2004, il est apparu que les résultats d'Univar dans la région centre Est, que le pourcentage de marge commerciale était plus élevé que dans les autres régions " (cotes 22787 à 22790).
436. M. Nicolas 30., vice-président d'Univar EMEA et ancien directeur commercial France, a estimé que " [s]on patron, M. 24. était au courant de ces pratiques qu'il n'avait pas cherché à arrêter. Je pense qu'il était d'abord préoccupé par la fusion des trois sociétés ayant donné Univar et qu'il avait laissé de côté cette difficulté " (cotes 11163 à 11165).
437. Mme Laurence J. a indiqué que M. Manuel 24. était informé des pratiques et lui a demandé d'y prendre part (cotes 22795 à 22799).
- La participation de la direction générale d'Univar aux réunions de concertation
438. Les cadres et dirigeants d'Univar, en partie issus des anciennes structures, ont poursuivi les pratiques de concertation initiales et participé aux réunions de concertation sur la période du 1er janvier 2003 au 30 juin 2005 dans la zone Rhône-Alpes.
439. Entre 2003 et 2005, M. Michel E., directeur de la zone Centre, comprenant la zone Rhône-Alpes, a participé aux réunions de concertation (cote 45, 06-0092 AC et cotes 26206 à 26209). Entre 2003 et 2004, M. Pascal H., responsable industrie puis chef des ventes de la zone Centre d'Univar, a participé aux réunions de concertation (cote 45, 06-0092 AC et cotes 26206 à 26209). En 2003, M. Loïc I., responsable " grands comptes " au sein d'Univar, a participé aux réunions de concertation.
440. La participation de ces personnes, membres de la direction générale d'Univar, aux réunions de concertation attestent de l'implication directe du siège d'Univar dans les pratiques en cause.
La participation directe de la direction générale de la société Marce jusqu'en 2001 (date du rachat de Brenntag) aux pratiques de concertation
441. Entre 1998 et 2000, M. Bernard 34., directeur de Marce, a participé aux réunions de concertation dans la zone Rhône-Alpes (cote 33116).
La participation directe de la direction générale de Districhimie aux pratiques de concertation
442. Entre décembre 1997 et 2001, M. Luc T. directeur général de Districhimie jusqu'en 2001, a participé aux réunions de concertation avec RPC-Clément et Brenntag dans la zone Nord (cotes 37200, 37169, 37179 et 37189)
443. Entre le 24 octobre 1998 et l'automne 2001, Mme Claire U., commercial et responsable des achats au sein de Districhimie jusqu'en 2002, a participé aux réunions de concertation avec RPC-Clément et Brenntag à la demande de M. Luc T. (cotes 34079 et 34080).
La participation directe de la direction générale de RPC-Clément aux pratiques de concertation
444. Entre le 17 décembre 1997 et le 28 juin 2001, M. Jean-Marc Q., responsable du site de Lomme et membre de l'équipe dirigeante de RPC-Clément et Langlois-Chimie, a participé dans la zone nord aux réunions de concertation jusqu'en juin 2001. M. Jean-Marc R. lui a succédé jusqu'en 2003 (cotes 24735, 34492, 33902, 37119 à 37120 et 37188).
445. De plus, la société RPC-Clément était une filiale de Langlois-Chimie dont certains membres de l'équipe dirigeante participaient et/ou étaient informés des pratiques de concertation telles que MM. Pascal 26., Pierre C., Marc-Antoine F., et Jacques L. (cotes 37199, 37168, 37178 et 37188).
La participation directe de la direction générale de Langlois-Chimie (Solvadis) aux pratiques de concertation
446. Entre octobre 1998 et décembre 2002, M. Pierre C., directeur industrie en charge de la région ouest, rattaché à la direction générale et membre du comité de direction de Langlois-Chimie entre 1998 et 2002, et M. Pascal 26., directeur industrie agro-alimentaire rattaché à la direction générale et membre du comité de direction de cette même société, ont participé aux réunions de concertation et aux échanges téléphoniques avec leurs concurrents dans la zone ouest (cotes 13355, 33192 à 33195, 37115 à 37120, 37167, 37177, 37187 et 11103).
La participation directe de la direction générale de Solvadis aux pratiques de concertation
447. M. Marc-Antoine F., président du directoire de Solvadis entre juin 2002 et octobre 2003, a reconnu avoir été informé des pratiques lors d'une réunion avec M. Jean-Yves B. de Brenntag (cotes 34049, 34056 et 11103).
448. Entre février 2003 et janvier 2004, M. Jacques L., directeur de la zone ouest au sein de la direction générale, membre du comité de direction de Solvadis et membre de l'équipe dirigeante, a reconnu ne pas avoir mis un terme à la participation de son entreprise à la concertation instaurée par son prédécesseur, M. Pierre C., et avoir participé à des réunions et contacts téléphoniques avec son concurrent (cotes 34105, 34110 et 11103).
La participation de la direction générale de Caldic Est aux pratiques de concertation
449. Les représentants de Caldic Est, M. Christian 18., directeur général, et M. Serge 19., directeur des achats et des ventes, ont participé le 5 juin 1998 à Reims à la réunion de lancement des pratiques de concertation dans la zone Bourgogne (cotes 263, 06-0075 AC, 37166, 37176, 37186, et 37197).
450. M. David 21., commercial devenu à compter de 2000 directeur des ventes et membre de l'équipe dirigeante, a participé à la réunion de lancement des pratiques de concertation dans la zone Bourgogne et les a mises en œuvre (cotes 32880 à 32883).
451. En outre, M. Marc-Antoine F., directeur général de 2000 à 2001, a déclaré avoir contacté ses concurrents afin d'éviter toute réaction négative de ces derniers (cotes 37216 à 37219).
Les pratiques concernent la distribution des commodités chimiques
452. Les quatre pratiques régionales concernent l'activité de distribution de commodités chimiques, comprenant les produits de la chimie minérale et les solvants, exercée par l'ensemble des entreprises ayant pris part aux pratiques en cause.
453. La distribution de commodités chimiques, qu'il s'agisse de solvants ou de chimie minérale, se caractérise par la fourniture de services spécifiques :
- les distributeurs de commodités chimiques gèrent une multiplicité de fournisseurs et de produits tant de solvants que de chimie minérale ;
- ils assurent la logistique de l'ensemble de ces produits (notamment le stockage au sein des dépôts, et le transport) ;
- ils fournissent des services spécifiques (conditionnement en fonction des besoins, réalisation de mélanges, étiquetage, information sur la sécurité).
454. Les clients peuvent acheter simultanément des solvants et des produits de la chimie minérale auprès d'un même distributeur de commodités chimiques.
455. Les sociétés Brenntag, Univar (Lambert-Rivière, Vaissière-Favre, et Quarréchim), Solvadis (Langlois-Chimie et sa filiale RPC-Clément), Caldic Est et Districhimie, qui exercent toutes sur le même marché de la distribution des commodités chimiques en France, sont donc concurrentes sur ce marché, quelles que soient les catégories de produits vendus : produits de la chimie minérale ou solvants.
456. Brenntag a dénoncé, dans sa demande de clémence, l'existence de pratiques dans le secteur de la distribution de commodités chimiques et non sur un marché de la commercialisation de solvants ou de produits de la chimie minérale et moins encore, de lessive de soude, de javel ou d'acide ferrique. Ainsi, dans ses observations sur le rapport de clémence, du 5 mars 2007, " Brenntag a formé auprès du Rapporteur Général une demande de mise en œuvre de la procédure de l'article L. 464-2 du IV du Code de commerce, pour des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution de produits chimiques " (cote 803, 06-0075 AC). Par conséquent, dans sa demande de clémence, Brenntag a dénoncé des pratiques dans le secteur de la distribution de produits chimiques, qui sera circonscrit aux seules commodités. Même si Brenntag a, par la suite, décrit les produits, objets des pratiques, et à l'exception du cas de la lessive de soude, produit de la chimie minérale, dans la zone nord, il a toujours raisonné par grandes catégories de produits : soit commodités chimiques, soit produits de la chimie minérale, soit produits solvants, qui recouvrent un nombre très important de produits chimiques différents, aux usages distincts.
457. En outre, dans ses observations au rapport de clémence du 5 mars 2007, Brenntag a évoqué des " pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution des commodités chimiques " et se réfère à " cinq ententes régionales " qui combinent des pratiques sur différentes catégories de produits chimiques. Brenntag souligne encore qu'elle a " révélé en premier cinq des six ententes sur les produits à votre Conseil ", c'est-à-dire sur les commodités chimiques, envisagées dans leur ensemble (cotes 802, 805 et 808, 06-0075 AC).
458. L'avis de clémence conditionnel du Conseil n° 07-AC-04 du 23 mars 2007, relatif aux pratiques dénoncées par Brenntag, a été rendu pour des pratiques dans le secteur des commodités chimiques sans aucune distinction des pratiques selon les produits concernés.
459. Dès lors, au regard des pratiques en cause dans les zones nord, Bourgogne, Rhône-Alpes et ouest, des déclarations de clémence, et des observations du 5 mars 2007 de Brenntag, cette dernière a dénoncé des pratiques régionales affectant le secteur de la distribution de commodités chimiques qui constitue l'activité ayant été affectée par les pratiques en cause.
La nature et les modalités de fonctionnement des pratiques en cause
460. L'ensemble des pratiques en cause ont pris deux formes, quelle que soit la zone géographique concernée :
- une répartition de clientèle dont l'objectif était de préserver les parts de marché de chacun des membres et qui se déclinait différemment selon les catégories de clients : les clients stratégiques pour les sociétés (les plus importants mais également ceux qui étaient sensibles aux prix et qui risquaient de déstabiliser les parts de marché des distributeurs en cas de situation concurrentielle du marché) faisaient l'objet d'une attention particulière sous la forme d'un partage minutieux des volumes, des produits ou par période. Les autres clients, ceux qui contactaient régulièrement le même distributeur, et qui étaient moins sensibles aux prix, faisaient l'objet d'un pacte de non-agression entre les membres ;
- une coordination tarifaire dans le but d'accroître le niveau des marges, et donc les résultats et la performance des sociétés, mais également de faciliter la pratique de répartition des clients, fixant ainsi les prix minimum à partir desquels étaient formulées les offres de couverture.
461. Ces deux modalités de la concertation sont complémentaires. En effet, pour les participants, il s'agissait de figer la concurrence pour restaurer les résultats de leurs sites en difficulté. Cela passait par une répartition de clients qui seraient d'autant plus fidèles à l'attributaire désigné que les prix sur le marché résulteraient des coordinations tarifaires.
462. La coordination tarifaire a été plus ou moins été structurée selon les zones. Ainsi dans la zone Rhône-Alpes, les sociétés concernées par les pratiques élaboraient un " tarif cartel " mensuel pour les solvants et un " tarif cartel " pour la chimie minérale. Même si Brenntag rapporte dans sa demande de clémence qu'un " tarif cartel " a été communiqué par son site situé à Chassieu (69) à celui situé à Torcy (7l), il n'a pas été possible d'établir l'existence d'un " tarif cartel " pour la zone Bourgogne, d'autant que certaines des pièces communiquées par Brenntag témoignent que son site de Torcy et Caldic Est s'appelaient régulièrement par téléphone afin de déterminer en commun des prix à pratiquer. Cette modalité de fixation des prix a également été utilisée dans les zones nord et ouest.
Les pratiques observent une même chronologie et continuité
463. Le point de départ de ces pratiques est directement corrélé au contexte réglementaire, économique, et financier dégradé, tel qu'énoncé précédemment et à la volonté de s'abstraire de ces conditions de marché.
464. Les pratiques ont débuté dans la zone nord ; à tout le moins à compter du 17 décembre 1997, une concertation a été initiée entre Brenntag à partir de son site de Wattrelos (59), RPC-Clément (devenu Solvadis) à partir de son site de Lomme (59) et Districhimie (devenue Quaron) à partir de son site de Haubourdin (59) (cote 2869) ; les pratiques se sont progressivement étendues aux autres régions.
465. Elles ont commencé dans la zone Bourgogne, à l'issue de la réunion du 5 juin 1998 à Reims, à laquelle ont participé Brenntag et Caldic Est.
466. Les pratiques dans la zone Rhône-Alpes ont été initiées à l'issue de la réunion qui s'est tenue en septembre 1998 à Paris, entre Brenntag, Marce, Lambert-Rivière et Vaissière-Favre.
467. Enfin, dans la zone ouest, le 6 octobre 1998, à l'issue des journées régionales de la chimie à Dinard, Brenntag et Langlois Chimie (devenue Solvadis) ont engagé les pratiques.
468. Ainsi, le début des pratiques dans les quatre zones s'inscrit dans un continuum temporel, courant sur quelques mois (décembre 1997-octobre 1998).
469. Sur l'évolution des pratiques dans la durée, il apparaît que dans chacune des zones concernées :
- les pratiques en cause dans chacune des zones géographiques concernées ont porté sur la distribution de commodités chimiques, alors que certains de ces distributeurs commercialisaient également d'autres produits, tels des spécialités qui n'ont pas été l'objet des pratiques ;
- les parties se sont concertées selon les mêmes modalités ;
- les pratiques en cause ont visé le même objectif : la stabilisation des parts de marché des membres de la concertation et la restauration de leur niveau de rentabilité ;
- les principaux distributeurs de commodités chimiques des différentes zones concernées ont participé aux pratiques.
470. Pendant toute la période couverte par les pratiques, Brenntag a joué un rôle particulier, en raison de son implantation dans chacune des zones géographiques concernées.
471. Même si les pratiques ont cessé en septembre 2001 dans la zone nord, en raison d'un facteur exogène, c'est-à-dire l'arrivée d'un nouveau dirigeant, et en décembre 2002, en ce qui concerne la pratique tripartite dans l'ouest, l'année 2003 marque le point d'arrêt des pratiques dans les autres zones géographiques, à la suite notamment de l'initiative du président de Brenntag qui, lors de sa prise de fonction en mars 2003, a ordonné la cessation des pratiques et organisé, au cours du mois d'avril de la même année au sein de son entreprise, des formations au droit de la concurrence. A la suite de ces instructions, Brenntag a interrompu les pratiques dans la zone Bourgogne avec Caldic Est, à compter du mois de juin 2003.
472. Parallèlement, et à la suite de ces instructions, le directeur de la région sud chez Brenntag et celui de la région Centre chez Univar auraient cessé également au cours du mois de juin 2003 les pratiques mises en œuvre initialement sur la zone Rhône-Alpes et adopté un pacte de non-agression à compter de l'automne 2003 consistant à maintenir les positions de chacun. A compter de décembre 2003, ce pacte tacite a donné lieu à une reprise des concertations. Les pratiques entre Brenntag et Univar ont cessé définitivement en juin 2005.
473. Brenntag, Langlois Chimie (Solvadis) et Lambert-Rivière (Univar) ont cessé les pratiques en deux étapes : pour la concertation tripartite sur les solvants en décembre 2002, à la suite de la fusion des sociétés Lambert-Rivière, Quarréchim et Vaissière-Favre en Univar et, pour la concertation bipartite en octobre 2003, pour les produits de la chimie minérale.
474. Par conséquent, entre juin 2003 et juin 2005, les pratiques en cause cessent par ruptures successives. Une telle situation s'explique par le caractère décentralisé de la mise en œuvre de la concertation. Cependant, même si entre décembre 2003 et juin 2005, seules Brenntag et Univar poursuivent leurs actions de coordination dans la seule zone Rhône-Alpes, les pratiques qui perdurent sont similaires à celles qui ont eu cours pendant la période antérieure.
475. La période de suspension évoquée par Brenntag ne dure que d'avril 2003 à septembre 2003. Selon les propos de Brenntag, il semble que des contacts aient continué entre des représentants de Brenntag et d'Univar jusqu'à l'été 2003. En septembre 2003, Brenntag a identifié le retour à un " pacte de non-agression " qui, à partir de décembre 2003, a conduit à une nouvelle concertation, matérialisée par des rencontres entre responsables de Brenntag Rhône-Alpes et Univar et par " une surveillance du pacte de non-agression " (Mémorandum de Brenntag du 29 décembre 2006, cote 582, 06-0075 AC). Par conséquent, la durée de la suspension a été de six mois environ sur un total de près de huit ans.
8. LES PRATIQUES MISES EN OEUVRE PAR BRENNTAG (À PARTIR DE SON SITE DE MAINE BRETAGNE) ET CHEMCO
476. Brenntag a mis en œuvre une concertation avec l'entreprise Chemco. La pratique mise en place entre ces deux entreprises a consisté en un partage des livraisons en méthanol chez le client GKN Driveline (auparavant GKN Glaenzer - Spicer, ci-après dénommé " GKN "), qui s'est doublé d'une concertation tarifaire (cotes 13424 à 13425).
477. Cette concertation ne se rattache pas aux pratiques précédemment décrites. En effet, la pratique mise en œuvre par Brenntag et Chemco concerne un secteur distinct de celui de la commercialisation de commodités chimiques par les distributeurs, à savoir celui de la vente en vrac de commodités chimiques ou " trading " tel que défini aux points 26 et suivants de la présente décision. En outre, elle ne s'inscrit pas dans le même cadre temporel puisqu'elle débute en 2000 et s'achève en 2007.
a) L'origine de la concertation
478. Cette concertation a été mise en œuvre au début de l'année 2000 à l'initiative de M. Alain K., directeur commercial du site Maine-Bretagne, entre Brenntag et Chemco. Avant la mise en œuvre de la concertation, GKN achetait alternativement du méthanol par camions complets à Brenntag et à Chemco, à raison de 3 camions par trimestre.
479. Ainsi, M. Alain K. a déclaré lors de son audition avoir initié, à la demande de son supérieur et directeur de région, M. Jean-Yves B., la concertation en contactant son homologue de Chemco : " Chemco était en charge du client GKN et j'avais trouvé ce client en tant que commercial. L'année suivante j'ai perdu ce client. M. Jean-Yves B. m'a demandé de contacter la concurrence pour livrer chez ce client. J'ai donc contacté M. Jean-Louis 31. pour convenir des prix à remettre lors de demandes de cotations trimestrielles de GKN et déterminer lequel d'entre nous allait remporter la commande. Nous nous concertions surtout par téléphone " (cote 37205).
b) L'objet de la concertation
480. La pratique a consisté, d'une part, à se répartir les commandes de méthanol passées par leur client et, d'autre part, à s'entendre sur les tarifs à pratiquer vis-à-vis de GKN. En outre, les entreprises ont convenu de s'acheter alternativement et mutuellement, chaque trimestre, un camion de méthanol au prix négocié en concertation entre les deux sociétés et consenti à GKN.
481. Ainsi, au cours d'un trimestre, celui des deux distributeurs qui livrait le client pour le trimestre devait rétrocéder la marge obtenue sur une des livraisons en achetant un camion de méthanol à l'autre distributeur qui ne livrait pas le client pendant ce trimestre (cotes 13424 à 13426). De cette manière, sur les trois livraisons effectuées par l'un des participants au cours d'un trimestre, un camion provenait de l'autre distributeur, ce qui garantissait à ces entreprises des revenus de l'entente sur l'année entière.
482. Ainsi que l'a expliqué Brenntag : " Sur un trimestre considéré, trois camions étaient ainsi livrés (à raison environ un par mois) à Glaenzer. Ils étaient tous les trois livrés par Brenntag Maine Bretagne à Glaenzer, mais l'un des 3 camions étaient acheté par le site Maine Bretagne à Chemco, à un prix plus élevé, ce qui permettait de rétrocéder à Chemco une partie de la marge perçue au titre de la vente d'un camion sur trois. Un système inverse (livraison de trois camions par Chemco à Glaenzer et achat par Chemco d'un camion à Brenntag) pouvait également exister, et peut notamment être observé dans une certaine mesure sur les documents disponibles à compter de 2003 " (cote 14364).
483. Les éléments recueillis confirment les déclarations du demandeur de clémence relatives à l'existence d'une concertation entre les entreprises Brenntag et Chemco visant à se répartir les commandes de méthanol auprès du client GKN.
484. En premier lieu, il existe une parfaite régularité dans l'alternance des prises de commandes entre les deux fournisseurs de GKN entre janvier 2000 et mars 2007, ainsi que l'illustre le tableau ci-dessous, établi à partir des factures des sociétés Brenntag et Chemco (cotes 27001 à 27002 et 13429 à 13447).
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2000 : Janv., Févr., Mars, Juill., Août, Sept.
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2004 : Avr., Oct.
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2006 : Avr., Juin, Août, Sept., Déc.
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2002 : Avr., Mai, Juin, Nov., Déc.
2003 : Jan., Mars, Avr., Juin, Sept., Oct., Déc.
2004 : Févr., Mars, Mai, Juin, Août, Sept., Nov.
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485. En second lieu, il ressort des comptes fournisseurs communiqués par les parties que des livraisons croisées entre Brenntag et Chemco ont effectivement eu lieu. Toutefois, ces livraisons croisées entre fournisseurs concurrents se sont arrêtées au cours de l'année 2004.
486. À titre d'exemple, Brenntag a livré Chemco (cote 27001):
- en 2000 : un camion de méthanol aux mois de mai et novembre ;
- en 2001 : un camion de méthanol aux mois de mai et décembre ;
- en 2002 : un camion de méthanol au mois de mai ;
- en 2003 : 2 camions de méthanol aux mois d'avril et octobre (cotes 27115 et 27134) ;
- en 2004 : 1 camion de méthanol au mois de juin (cote 27139).
487. Sur la même période, Chemco a fourni du méthanol à Brenntag :
- en 2000 : un camion aux mois de février et septembre (cotes 27049 et 27053) ;
- en 2001 : un camion aux mois de février et octobre (cotes 27026 et 27072) ;
- en 2002 : un camion au mois de mars (cote 27078).
488. Par conséquent, des livraisons croisées ont bien eu lieu entre Brenntag et Chemco entre 2000 et 2004.
489. M. Alain K., directeur commercial du site de Maine-Bretagne et acteur principal de la concertation pour Brenntag, a confirmé lors de son audition les déclarations de clémence : " Nous avons mis en place des livraisons croisées qui ont consisté à acheter à Chemco un camion de méthanol lorsque Brenntag Maine-Bretagne livrait le client GKN " (cote 37205).
490. Par ailleurs, il ressort du tableau récapitulatif des livraisons et achats de méthanol fourni par Chemco que les montants en euros des achats de méthanol à Brenntag pour la période considérée sont systématiquement plus élevés que les commandes passées postérieurement et antérieurement auprès d'autres fournisseurs (voir tableau ci-dessous et cote 27001).
Tableau récapitulatif des différences de prix entre les achats à Brenntag et aux autres fournisseurs
Date de commande / Prix de la commande en euros (Brenntag) / Prix de la commande précédente en euros (Fournisseur) / Prix de la commande suivante en euros (Fournisseur)
05/05/2000 / 4482 / 3393,94 (Aectra) / 3455,85 (Aectra)
24/11/2000 / 7077,54 / 6181,04 (Aectra) / 5970,02 (Aectra)
31/05/2001 / 7557,89 / 6060,59 (GMS) / 5853,27 (GMS)
17/12/2001 / 6204,90 / 3595,95 (GMS) / 2855 (Metanolo Med)
30/05/2002 / 6126,48 / 3492,62 (GMS) / 3676,04 (GMS)
15/04/2003 / 7533 / 5027,63 (GMS) / 6186,96 (GMS)
27/10/2003 / 6890,40 / 4610,92 (GMS) / 4578,05 (GMS)
15/04/2004 / 7528,50 / 4895,80 (GMS) / 5237,79 (GMS)
491. Ce tableau corrobore les déclarations de Brenntag selon lesquelles les deux distributeurs s'accordaient pour fixer en commun un prix supra compétitif à GKN et dédommager celui des deux qui n'avait pas livré le client, par le biais de livraison à des prix élevés. M. Alain K., ancien directeur commercial du site de Maine-Bretagne, a déclaré lors de son audition acheter " le méthanol à Chemco plus cher qu'à nos autres fournisseurs " (cote 37205).
492. Par ailleurs, il a été relevé que, selon le site de Brenntag livré, les prix d'un camion de méthanol pouvaient varier fortement. À cet égard, il ressort du tableau récapitulatif fourni par Chemco que ce dernier a fourni plusieurs sites de Brenntag en gros porteur de méthanol, entre le 26 février et 19 avril 2002, soit dans un laps de temps très court (voir tableau ci-dessous et cotes 27001 et 27002).
Date de livraison / Site de Brenntag / Montant (en euros) / Quantité (en tonnes)
26/02/2002 / Brenntag Méditerranée / 2992,04 / 22,840
04/03/2002 / Brenntag Cote d'Azur / 2957,98 / 22,580
05/03/2002 / Brenntag Méditerranée / 3031,34 / 23,140
21/03/2002 / Brenntag Maine Bretagne / 6237,14 / 23,976
19/04/2002 / Brenntag Cote d'Azur / 3525 / 23,5
493. Il peut ainsi être observé que, sur cette courte période, Chemco a livré le site de Brenntag, pour des quantités similaires, à un prix près de deux fois supérieur à celui facturé aux autres sites.
494. Enfin, il ressort des factures adressées par Chemco à Brenntag que l'adresse de livraison était systématiquement celle de GKN (cotes 27026, 27049, 27053, 27072, et 27078).
495. De manière parallèle, les factures adressées par Brenntag à Chemco, communiquées à l'Autorité par ce dernier portent la mention manuscrite du client GKN (cotes 27088, 27095, 27115, 27134 et 27139). De même, deux factures adressées à Chemco par GMS, fournisseur en méthanol, comportent la mention manuscrite : " Brenntag ?GKN 72 " ou " Brenntag pour GKN " (cotes 27086 et 27092).
496. Interrogé sur cette pratique consistant pour un fournisseur à indiquer à un concurrent l'adresse de livraison de son propre client ainsi que le prix final facturé, M. Alain K., ancien directeur commercial du site de Maine-Bretagne, a indiqué qu'" [i]l n'est pas usuel dans la profession d'indiquer à un concurrent qui vous fournit l'adresse du client final. A ma connaissance, Brenntag n'a jamais fait cela " (cote 37206).
497. Enfin, interrogée sur ces pratiques, l'entreprise GKN a déclaré s'être approvisionnée jusque mi-2007 chez Brenntag et Chemco. Puis, après qu'une troisième entreprise se fut manifestée, ce client a constaté que les prix pratiqués par Brenntag et Chemco n'étaient pas compétitifs et a, en conséquence, cessé toute commande auprès de ces deux fournisseurs. Pour GKN, " il y avait clairement une entente entre les sociétés Brenntag et Chemco sur la tarification du méthanol. Il n'y avait pas de concurrence mais un partage de marché " (cote 11016).
498. Il convient de noter que Chemco a reconnu l'existence d'une répartition des livraisons entre elle et Brenntag et admis qu'elle connaissait les prix de son concurrent (cotes 38271 à 38275). Toutefois, cette entreprise conteste que la pratique puisse être qualifiée de pratique anticoncurrentielle.
499. Il ressort des comptes clients communiqués par Brenntag et Chemco que le montant des livraisons de méthanol par ces deux entreprises à GKN s'est élevé, pendant la période des pratiques, à près de 800 000 euros (cotes 13431 à 13439, 27001, et 27002).
c) La durée de la concertation
500. Comme il est établi ci-dessus, à partir des comptes clients et des comptes fournisseurs, Brenntag (Maine Bretagne) et Chemco ont effectivement procédé entre janvier 2000 et mars 2007 à des livraisons alternées de méthanol à l'entreprise GKN et ont effectué entre elles des livraisons croisées, pour une période plus courte. Ces constats corroborent les déclarations de Brenntag dans sa demande de clémence et permettent d'établir une pratique concertée du 31 janvier 2000 à mars 2007.
E. RAPPEL DES GRIEFS
501. Par courrier en date du 12 juin 2012, la rapporteure générale de l'Autorité a notifié aux sociétés Solvadis, Solvadis GmbH, Solvadis Holding SARL, GEA Group Aktiengesellschaft, Brenntag, DB Mobility Logistics AG, E.ON AG, Deutsche Bahn AG, Brenntag France Holding SAS, Brenntag Foreign Holding GmbH, Brenntag Beteiligungs GmbH, Brenntag Holding GmbH, Univar, Univar France SNC, Univar France BV, Univar Europe Holdings BV, Univar NV, et Caldic Est, le grief consistant à avoir :
" participé à une entente complexe et continue sur le marché de la distribution des commodités chimiques en France, en mettant en œuvre, dans plusieurs zones géographiques du territoire français, des accords et pratiques concertées participant au même objectif global visant, d'une part, à fixer en commun les prix de vente de l'ensemble des commodités chimiques en répercutant simultanément les hausses tarifaires de leurs fournisseurs respectifs en matière de solvants et de chimie minérale et, d'autre part, la stabilisation de leurs parts de marché par le biais de pratiques de répartition de clientèle (attribution des clients, répartition des commandes par volumes ou par périodes, offres de couverture).
En poursuivant cet objectif anticoncurrentiel, les destinataires des griefs ont imposé sur le marché français de la distribution des commodités chimiques, dans plusieurs zones géographiques du territoire français, un mode d'organisation substituant au libre jeu de la concurrence, à l'autonomie et l'incertitude, une collusion généralisée entre distributeurs de commodités chimiques portant atteinte à la fixation des prix par le libre jeu du marché et en organisant une répartition des marchés. Ces accords et pratiques ont eu pour objet et sont de nature à avoir eu notamment pour effet un maintien des prix de vente artificiellement élevé et à avoir fait obstacle au libre choix des consommateurs de commodités chimiques quant à leur fournisseur.
Ces accords et pratiques ont été mis en œuvre depuis au moins le 17 décembre 1997 et jusqu'à juin 2005. Les griefs seront notifiés aux sociétés suivantes selon les périodes ci-après :
Solvadis
- du 17 décembre 1997 à octobre 2003 : Solvadis France SA, Solvadis GmbH, Solvadis Holding SARL, et GEA Group Aktiengesellschaft.
Brenntag
- du 17 décembre 1997 à juin 2005 : Brenntag ;
- du 17 décembre 1997 au 17 octobre 2002 : les sociétés Brenntag France Holding SAS, DB Mobility Logistics AG et E.ON AG ;
- du 18 octobre 2002 à janvier 2004 : les sociétés Brenntag France Holding SAS, DB Mobility Logistics AG et Deutsche Bahn AG ;
- à partir de février 2004 : Brenntag France Holding SAS ; Brenntag Foreign Holding GmbH ; Brenntag Beteiligungs GmbH ; Brenntag Holding GmbH.
Univar
- du 1er septembre 1998 à juin 2005 : Univar SAS ainsi que ses maisons-mère Univar France SNC, Univar Europe Holdings BV, Univar NV.
Caldic
- du 5 juin 1998 à juin 2003 : Caldic Est SASU ".
502. La rapporteure générale a, par courrier en date du 12 juin 2012, notifié un second grief aux sociétés Brenntag, DB Mobility Logistics AG, E.ON AG, Deutsche Bahn AG, Brenntag France Holding SAS, Brachem France Holding SAS, Brenntag Foreign Holding GmbH, Brenntag Beteiligungs GmbH, Brenntag Holding GmbH, et Chemco France SARL consistant à avoir :
" de janvier 2000 à mars 2007, période non couverte par la prescription, participé à une entente unique et continue, en mettant en œuvre une pratique concertée visant à se répartir les livraisons des commandes de la commodité chimique méthanol de la société GKN Driveline et à fixer en commun les prix pratiqués à l'égard de ce client, ayant pour conséquence de tromper le client sur la réalité et l'étendue de la concurrence sur le marché, pratique contraire aux dispositions de l'article L. 420-1, notamment 2° et 4° du Code de commerce, prohibant les ententes anticoncurrentielles.
Les griefs seront notifiés aux sociétés suivantes selon les périodes ci-après :
Brenntag
- de janvier 2000 à mars 2007 : la société Brenntag ;
- de janvier 2000 à octobre 2002 : les sociétés Brenntag France Holding SAS, DB Mobility Logistics AG et E.ON AG ;
- de novembre 2002 à janvier 2004 : les sociétés Brenntag France Holding SAS, DB Mobility Logistics AG et Deutsche Bahn AG ;
- à partir de février 2004 à août 2006 : Brenntag France Holding SAS; Brenntag Foreign Holding GmbH; Brenntag Beteiligungs GmbH; Brenntag Holding GmbH;
- à compter de septembre 2006 : Brenntag France Holding SAS, Brachem France Holding SAS, Brenntag Holding GmbH.
Chemco
- de janvier 2000 à mars 2007 : la société Chemco France SARL ".
F. LA MISE EN OEUVRE DU III DE L'ARTICLE L. 464-2 DU CODE DE COMMERCE
503. Solvadis, Solvadis GmbH, Solvadis Holding SARL, GEA Group Aktiengesellschaft, Univar, Univar France SNC, Univar France BV, Univar Europe Holdings BV, Univar NV, et Caldic Est ont sollicité le bénéfice des dispositions du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce, selon lesquelles : " Lorsqu'un organisme ou une entreprise ne conteste pas la réalité des griefs qui lui sont notifiés, le rapporteur général peut proposer à l'Autorité de la concurrence, qui entend les parties et le commissaire du Gouvernement sans établissement préalable d'un rapport, de prononcer la sanction pécuniaire prévue au I en tenant compte de l'absence de contestation. Dans ce cas, le montant maximum de la sanction encourue est réduit de moitié. Lorsque l'entreprise ou l'organisme s'engage en outre à modifier son comportement pour l'avenir, le rapporteur général peut proposer à l'Autorité de la concurrence d'en tenir compte également dans la fixation du montant de la sanction ".
504. La mise en œuvre de ces dispositions a donné lieu à l'établissement de procès-verbaux signés le 4 juillet 2012, pour Solvadis, Solvadis GmbH, et Solvadis Holding SARL, le 5 juillet 2012, pour Caldic Est, le 1er août 2012, pour Univar, Univar France SNC, Univar France BV, Univar Europe Holdings BV, et Univar NV, et le 17 septembre 2012, pour GEA Group Aktiengesellschaft.
505. Par le procès-verbal du 4 juillet 2012, Solvadis, Solvadis GmbH, et Solvadis Holding SARL ont déclaré ne pas contester le grief notifié. Pour tenir compte de la non-contestation du grief, le rapporteur général adjoint a proposé que la sanction pécuniaire encourue, le cas échéant, par ces sociétés soit réduite de 10 % du montant qui leur aurait normalement été infligé.
506. Par le procès-verbal du 5 juillet 2012, Caldic Est a déclaré ne pas contester le grief notifié, d'une part, et a proposé des engagements, d'autre part. Pour tenir compte de la non-contestation des griefs et des engagements proposés, qui ont été considérés comme substantiels, crédibles et vérifiables, le rapporteur général adjoint a proposé que la sanction pécuniaire encourue, le cas échéant, par Caldic Est soit réduite dans une proportion allant de 10 à 15 % du montant qui lui aurait été normalement infligé.
507. Par le procès-verbal du 1er août 2012, Univar, Univar France SNC, Univar France BV, Univar Europe Holdings BV, et Univar NV ont déclaré ne pas contester le grief notifié, d'une part, et ont proposé des engagements, d'autre part. Pour tenir compte de la non-contestation des griefs et des engagements proposés, qui ont été considérés comme substantiels, crédibles et vérifiables, le rapporteur général adjoint a proposé que la sanction pécuniaire encourue, le cas échéant, par Univar, Univar France SNC, Univar France BV, Univar Europe Holdings BV, et Univar NV soit réduite dans une proportion allant de 10 à 15 % du montant qui lui aurait été normalement infligé.
508. Par le procès-verbal du 17 septembre 2012, GEA Group Aktiengesellschaft a déclaré ne pas contester le grief notifié, d'une part, et a proposé des engagements, d'autre part. Pour tenir compte de la non-contestation des griefs et des engagements proposés, qui ont été considérés comme substantiels, crédibles et vérifiables, le rapporteur général adjoint a proposé que la sanction pécuniaire encourue, le cas échéant, par GEA Group Aktiengesellschaft soit réduite dans une proportion allant de 10 à 15 % du montant qui lui aurait été normalement infligé.
II. Discussion
509. Seront successivement abordés ci-après :
- l'applicabilité des règles de concurrence de l'Union ;
- la régularité de la procédure ;
- le secteur en cause ;
- les griefs notifiés ;
- l'imputabilité des pratiques en cause ;
- les sanctions.
A. SUR L'APPLICABILITÉ DES RÈGLES DE CONCURRENCE DE L'UNION
1. LES PRINCIPES APPLICABLES
510. Le premier grief a été notifié sur le fondement des articles L. 420-1 du Code de commerce et 101 du TFUE et le second uniquement sur celui de l'article L 420-1 du Code de commerce.
511. L'article 101, paragraphe 1, du TFUE prohibe notamment les accords ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à la concurrence et qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres.
512. La question de l'affectation du commerce entre États membres est une question distincte et préalable à celle de l'analyse de la restriction de concurrence. Elle est indépendante de la définition des marchés géographiques en cause, car le commerce entre États membres peut être affecté même dans des cas où le marché est national ou régional. C'est l'accord concerné ou la stratégie générale examinée faisant l'objet du grief qui doit être susceptible d'affecter le commerce entre États membres, peu important que les différentes parties de l'accord soient susceptibles ou non de le faire isolément.
513. Se fondant sur la jurisprudence constante de l'Union, et à la lumière de la communication de la Commission européenne portant lignes directrices relatives à la notion d'affectation du commerce figurant aux articles 81 et 82 du traité [devenus les articles 101 et 102 du TFUE] (JOUE C 101, du 27 avril 2004, p. 81), l'Autorité considère avec constance que trois éléments doivent être réunis pour que des pratiques soient susceptibles d'affecter sensiblement le commerce entre États membres : l'existence d'échanges entre États membres portant sur les produits ou les services en cause, l'existence de pratiques susceptibles d'affecter ces échanges et le caractère sensible de cette possible affectation.
514. Concernant le premier élément, dans les cas d'entente s'étendant à l'intégralité ou à la vaste majorité du territoire d'un État membre, le Tribunal de l'Union européenne a jugé " qu'il existe, à tout le moins, une forte présomption qu'une pratique restrictive de la concurrence appliquée à l'ensemble du territoire d'un État membre soit susceptible de contribuer au cloisonnement des marchés et d'affecter les échanges intracommunautaires. Cette présomption ne peut être écartée que si l'analyse des caractéristiques de l'accord et du contexte économique dans lequel il s'insère démontre le contraire " (arrêt du 14 décembre 2006, Raiffesen Zentralbank Österreich e.a./Commission, T-259-02 à T-264-02 et T-271-02, Rec. p. II-5169, point 181). Sur pourvoi, la Cour de justice a précisé à cet égard, dans un arrêt du 24 septembre 2009, Erste Group Bank/Commission, que " le fait qu'une entente n'ait pour objet que la commercialisation des produits dans un seul État membre ne suffit pas pour exclure que le commerce entre États membres puisse être affecté. En effet, une entente s'étendant à l'ensemble du territoire d'un État membre a, par sa nature même, pour effet de consolider des cloisonnements de caractère national, entravant ainsi l'interpénétration économique voulue par le traité CE " (C-125-07 P, C-133-07 P, C-135-07 P et C-137-07 P, Rec. p. I-8681, point 38).
515. Concernant le deuxième élément, pour être susceptible d'affecter le commerce entre États membres, une décision, un accord ou une pratique concertée " doivent, sur la base d'un élément de fait et de droit, permettre d'envisager avec un degré de probabilité suffisant qu'ils puissent exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d'échanges entre États membres " (arrêts de la Cour de justice du 21 janvier 1999, Bagnasco e.a., C-215-96 P et C-216-96, Rec. p I-135, point 47, et du 25 octobre 2001, Ambulanz Glöckner, C-475-99, Rec. 2001 p. I-8089, point 48). La Cour de cassation a également rappelé que les termes " susceptibles d'affecter " énoncés par les articles 101 et 102 du TFUE " supposent que l'accord ou la pratique abusive en cause permette, sur la base d'un ensemble d'éléments objectifs de droit ou de fait, d'envisager avec un degré de probabilité suffisant qu'il puisse exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d'échanges entre États membres, sans que soit exigée la constatation d'un effet réalisé sur le commerce intracommunautaire " (arrêt du 31 janvier 2012, France Télécom, n° 10-25.772, 10-25.775 et 10-25.882, p. 6).
516. Enfin, s'agissant du troisième élément, la Cour de cassation a jugé dans l'arrêt France Télécom précité que la démonstration du caractère sensible de cette possible affectation, dans les cas où les pratiques en cause sont commises sur une partie seulement d'un État membre, " résulte d'un ensemble de critères, parmi lesquels la nature des pratiques, la nature des produits concernés et la position de marché des entreprises en cause " sont amenés à être prises en compte, " le volume de ventes global concerné par rapport au volume national n'étant qu'un élément parmi d'autres ".
517. Le paragraphe 52 des lignes directrices précitées se réfère à deux seuils cumulatifs en deçà desquels un accord est présumé, du point de vue de la Commission européenne, ne pas affecter sensiblement le commerce entre États membres :
- la part de marché totale des parties sur le marché communautaire affecté par l'accord n'excède pas 5 % ;
- et, dans le cas d'accords horizontaux, le chiffre d'affaires annuel moyen réalisé dans l'Union par les entreprises en cause avec les produits concernés par l'accord n'excède pas 40 millions d'euros.
2. APPRÉCIATION DE L'AUTORITÉ
a) En ce qui concerne le grief n° 1
518. Les pratiques visées par le grief n° 1 sont de toute évidence susceptibles d'affecter sensiblement le commerce entre États membres, pour les raisons qui seront détaillées ci-dessous.
519. En premier lieu, il convient de constater que certains distributeurs de commodités chimiques établis dans d'autres États membres livraient des clients installés sur le territoire français. Ainsi, la société Holvoet, implantée en Belgique, livrait à tout le moins la région Nord-Pas-de-Calais. De même, dans le nord de la France, les sociétés Brenntag et Univar commercialisaient des commodités chimiques en provenance de Belgique (cotes 23029 et 24338).
520. Par conséquent, il existe bien des courants d'échanges, réels et potentiels, entre États membres relatifs à la distribution de commodités chimiques.
521. En deuxième lieu, les pratiques en cause ont consisté, d'une part, en une stabilisation des parts de marché des participants par le biais de pratiques de répartition de clientèle et, d'autre part, en une coordination tarifaire entre ces mêmes concurrents. Elles couvrent, sinon l'ensemble du territoire national, du moins une part très importante comprenant plusieurs zones géographiques, dont le " nord ", l'" ouest ", la " Bourgogne " et " Rhône-Alpes ".
522. La nature et l'objectif mêmes de ces pratiques, qui tendent à cloisonner le marché national ou une proportion significative de celui-ci, font qu'elles sont susceptibles d'affecter les échanges entre États membres. En particulier, les pratiques de coordination tarifaire peuvent empêcher les clients des distributeurs de commodités chimiques installés dans d'autres États membres de bénéficier de prix inférieurs dans le cadre du marché intérieur de l'Union. Tel serait particulièrement le cas des entreprises consommatrices de commodités chimiques situées près des zones frontalières de la France.
523. En troisième lieu, eu égard au territoire qu'elles concernent et aux acteurs qu'elles impliquent, ces pratiques sont de nature, non seulement à affecter les échanges entre États membres, mais encore à les affecter sensiblement. Elles regroupent en effet les plus grands acteurs du secteur de la distribution des commodités chimiques qui en représentaient en 2004 plus de 80 %, et qui étaient, pour la plupart, adossés à des groupes européens, voire mondiaux.
524. Il résulte de ce qui précède que les pratiques visées par le grief n° 1 sont susceptibles d'affecter de manière sensible le commerce entre États membres et doivent, par conséquent, être analysées au regard des règles de concurrence tant internes que de l'Union, ce que les parties ne contestent du reste pas.
b) En ce qui concerne le grief n° 2
525. Les pratiques visées par le grief n° 2 consistent en une pratique de répartition de clientèle couplée à une concertation tarifaire entre les sociétés Brenntag et Chemco sur les livraisons de méthanol par camion complet au client GKN.
526. L'Autorité a constaté au paragraphe 499 de la décision que les livraisons concernées sur la période couverte par cette pratique se sont élevées à un peu moins d'un million d'euros.
527. Par ailleurs, la distribution de commodités chimiques en France étant d'environ 500 millions d'euros, les ventes concernées par la pratique en représentent moins de 0,2 %.
528. Enfin, aucun autre élément figurant au dossier ne permet d'établir que ces pratiques seraient susceptibles d'affecter sensiblement les échanges entre États membres.
529. Dans ces conditions, les pratiques visées par le grief n° 2 seront examinées au regard des seules dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
B. SUR LA RÉGULARITÉ DE LA PROCÉDURE
1. SUR LA NULLITÉ ALLÉGUÉE DU PROCÈS-VERBAL DE CLÉMENCE DE SOLVADIS POUR DÉFAUT DE MANDAT
530. Brenntag SA et ses sociétés-mères estiment que le procès-verbal de clémence de la société Solvadis du 20 septembre 2006 est nul en ce que la demande de clémence a été présentée par un conseil qui ne disposait pas d'un mandat pour la représenter.
531. Elles soutiennent en effet que le mandat ad litem consenti à un conseil émane soit de la société Solvadis GmbH, non-demanderesse de clémence, soit de M. Y. qui ne disposait alors d'aucun pouvoir pour représenter ni engager la société Solvadis. Brenntag SA et ses sociétés-mères estiment que Solvadis devait justifier, au plus tard lorsque le Conseil a statué sur son rang de clémence, le 7 février 2007, de l'existence d'un pouvoir spécial et temporaire donné à M. Y. au 20 septembre 2006 ou d'un mandat donné à l'avocat.
532. Pour autant, le décret n° 2002-689 du 30 avril 2002 fixant les conditions d'application du livre IV du Code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence et notamment son article 44 (JORF du 3 mai 2002, p. 8055), d'une part, et le communiqué de procédure du 11 avril 2006, d'autre part, ne soumettent la représentation de l'entreprise ou de l'organisme effectuant une demande de clémence à aucun formalisme.
533. En l'espèce, la demande de clémence a été présentée par un représentant de Solvadis. En effet, le conseil qui l'a présentée a été mandaté par M. Udo 32., président de Solvadis GmbH, société qui détient la totalité du capital de la société Solvadis, ainsi que ce dernier l'a déclaré le 18 octobre 2012. Ces sociétés forment une seule et même entreprise, sujet visé tant par le décret n° 2002-689, précité, que par le communiqué de procédure du 11 avril 2006.
534. En tout état de cause, ce conseil et M. Y. ont, par pouvoir du 6 octobre 2006, été mandatés par M. Christian 33., directeur gérant de Solvadis, pour remettre toutes pièces et présenter toutes explications utiles dans le cadre de la procédure engagée. Ce mandat, donné avant que le Conseil ne délivre son avis de clémence, a régularisé la procédure, si besoin était.
2. SUR L'INÉLIGIBILITÉ PRÉTENDUE DE SOLVADIS À L'IMMUNITÉ EN RAISON DE LA RÉVÉLATION PAR CETTE DERNIÈRE DE SA DÉMARCHE À DES TIERS
535. Brenntag SA et ses sociétés-mères ainsi que Deutsche Bahn AG et DB Mobility Logistics invoquent l'inéligibilité à l'immunité de Solvadis en raison de la révélation par cette dernière de sa démarche à des tiers, emportant la nullité de sa demande de clémence.
536. Comme l'indique le communiqué de procédure du 11 avril 2006 relatif au programme de clémence français, applicable en l'espèce, " [o]utre les conditions d'éligibilité énoncées précédemment, les conditions cumulatives suivantes doivent être remplies dans tous les cas pour ouvrir droit à une exonération totale ou partielle des sanctions pécuniaires : (...) l'entreprise ne doit pas avoir informé de sa demande les entreprises susceptibles d'être mises en cause dans le cadre des pratiques dénoncées " (point 18).
537. À cet égard, il résulte des pièces communiquées qu'aucune révélation au sens du communiqué de procédure précité ne peut être constatée. En effet, ces pièces ne font état que de propos de Solvadis relatifs à un dossier ou de possibles projets de plaintes de sa part et ne font pas apparaître que Solvadis aurait explicitement évoqué une démarche de clémence auprès d'interlocuteurs autres que des tiers à la procédure.
3. SUR LA NULLITÉ ALLÉGUÉE DE L'AVIS DE CLÉMENCE DE SOLVADIS EN RAISON DE LA VIOLATION DU PRINCIPE DE LOYAUTÉ DANS L'ADMINISTRATION DE LA PREUVE
538. Brenntag SA et ses sociétés-mères font état de l'atteinte au principe de loyauté dans l'administration de la preuve ainsi qu'au principe du droit au respect de la vie privée. Ces sociétés soutiennent, en premier lieu, que 15 pièces et leurs annexes contreviennent au principe de loyauté dans l'administration de la preuve, au droit au respect de la vie privée, et seraient des faux intellectuels ou de fausses attestations.
539. Elles estiment, en second lieu, que les pièces transmises par M. Y. les 22 décembre 2006 et 24 janvier 2007, postérieurement pour la première de ces dates au délai dans lequel Brenntag SA et ses sociétés-mères devaient avoir complété leur demande de clémence du 26 octobre 2006, à savoir le 29 décembre 2006, ne pouvaient pas figurer au nombre des éléments permettant à Solvadis d'obtenir l'immunité.
540. Selon Brenntag SA et ses sociétés-mères, comme elles ont bénéficié d'un délai de deux mois pour transmettre des pièces au soutien de leur demande de clémence et que Solvadis a déposé sa demande de clémence antérieurement à la leur, la date à laquelle Solvadis devait avoir déposé les pièces à l'Autorité était, sous peine de violer le principe d'égalité de traitement, nécessairement antérieure au 29 décembre 2006.
541. En conséquence, l'avis de clémence de Solvadis du 7 février 2007 serait irrémédiablement vicié par le visa des pièces, accueillies comme des éléments de preuve annexes, ainsi que des témoignages recueillis par le demandeur, ou encore produites pour Solvadis postérieurement à tout le moins à la fin du délai de marqueur accordé à Brenntag SA et ses sociétés-mères, et serait en conséquence frappé de nullité.
542. Les allégations de ces sociétés se bornent, sous couvert d'une atteinte au principe de loyauté dans l'administration de la preuve et du droit au respect de la vie privée, à discuter la valeur probante des documents remis par Solvadis. Les rapporteurs n'ont en outre jamais utilisé les informations relevant de la vie privée des personnes citées.
543. Concernant le délai de marqueur accordé à Brenntag SA et à ses sociétés-mères, il convient de rappeler que l'avis de clémence délivré à Solvadis ne se réfère pas qu'aux seuls éléments matériels communiqués les 22 décembre 2006 et 24 janvier 2007, qui en tout état de cause ne constituent pas l'essentiel des informations transmises entre le 20 septembre 2006 et le 20 octobre de cette même année. En outre, le point 27 du communiqué de procédure du 11 avril 2006 sur le programme de clémence français, en précisant que " [l]'entreprise transmet aux autorités de concurrence françaises les informations et preuves relatives à l'entente présumée nécessaires à l'examen de sa demande de clémence par le Conseil de la concurrence ", n'empêche pas la communication de documents postérieurement au délai de marqueur, mais seulement avant l'avis de clémence. Dès lors, les pièces versées par Solvadis les 22 décembre 2006 et 24 janvier 2007 ont été recueillies régulièrement.
4. SUR LES IRRÉGULARITÉS QUI AURAIENT ÉTÉ COMMISES AU COURS DE LA PROCÉDURE D'INSTRUCTION
a) Sur l'irrégularité de la procédure reprochée en raison de la réception par les rapporteurs de certaines déclarations
544. La société Brenntag SA et ses sociétés-mères soutiennent que la réception par les services d'instruction dans le cadre d'une procédure de clémence de propos sans lien avec la démonstration d'une pratique anticoncurrentielle a porté une atteinte irrémédiable à leurs droits de la défense, entraînant la nullité de la procédure d'instruction.
545. À l'appui de cette prétention, il est fait état de 22 écrits prétendument " infamants et mensongers " à l'égard d'un avocat de Brenntag SA et de ses sociétés-mères, admis et cotés au dossier de la procédure, et repris dans la notification de griefs puis dans le rapport. Ces actes de procédure auraient eu pour objet manifeste et annoncé, par leur violence, de faire renoncer cet avocat à son intervention dans l'affaire et, à tout le moins, à son assistance libre et indépendante.
546. Pour autant, conformément aux dispositions du IV de l'article L. 464-4 du Code de commerce relatif à la procédure de clémence, un demandeur de clémence " apporte des éléments d'information dont l'Autorité ne disposait pas antérieurement ". Le communiqué de procédure du 11 avril 2006 relatif au programme de clémence français précise que " [l]'entreprise transmet aux autorités de concurrence françaises les informations et preuves relatives à l'entente présumée nécessaires à l'examen de sa demande de clémence " (point 27).
547. Les éléments matériels remis aux rapporteurs par le demandeur à la clémence dans le cadre de l'instruction de sa demande le sont sous son entière responsabilité. Le procès-verbal, rédigé conformément aux dispositions de l'article L. 450-2 du Code de commerce, qui liste les documents remis et qui est signé par le rapporteur, atteste seulement du fait que l'entreprise détentrice des documents les a remis au rapporteur. Ce dernier ne dispose d'aucune compétence pour écarter telle ou telle pièce transmise par l'entreprise ou décider de leur nullité.
548. En l'espèce, les pièces remises comportent à la fois des informations intéressant directement la procédure pendante et d'autres indissociables concernant un avocat. Par ailleurs, les propos dénoncés n'ont jamais été utilisés dans le cadre de la procédure. Il apparaît dès lors que les rapporteurs ont suivi les règles de procédure s'imposant à eux. L'accusation formulée à cet égard constitue une simple allégation dépourvue de toute justification.
b) Sur l'irrégularité de la procédure reprochée en raison de la violation des principes de loyauté, des droits de la défense et du procès équitable
549. Deutsche Bahn AG et DB Mobility Logistics soutiennent que la procédure est entachée de diverses irrégularités commises en violation des principes de loyauté, des droits de la défense et du procès équitable.
550. Elles invoquent, en premier lieu, le fait que des éléments de preuve ont été collectés de manière irrégulière, en violation du principe de loyauté. En effet, M. Y. aurait remis des pièces obtenues déloyalement par l'instrumentalisation des relations personnelles tissées au sein de Brenntag SA et en incitant des cadres de cette société à violer leur obligation de confidentialité.
551. Ces sociétés estiment, en second lieu, que le déroulement de la procédure les a mises dans l'impossibilité de se défendre en raison du manque de clarté des griefs, de la longueur de la procédure et de l'insuffisance du délai accordé pour répondre à la notification de griefs adressée en français alors qu'elles sont de nationalité allemande.
552. En ce qui concerne le prétendu comportement déloyal dans l'obtention par M. Y. de documents versés au dossier, l'argument de Deutsche Bahn AG et DB Mobility Logistics ne constitue qu'une simple allégation dépourvue de tout fondement. S'il est fait état de procédures pénales dirigées contre M. Y., il n'est pas justifié des éventuelles suites données aux plaintes déposées.
553. Sur l'argument relatif au manque de clarté des griefs, la jurisprudence retient avec constance " qu'un grief [étant] un ensemble de faits juridiquement qualifiés et imputés à une entreprise (...) il faut et il suffit que la formulation des griefs permette d'informer précisément les entreprises poursuivies des pratiques qui leur sont reprochées " (arrêt de la Cour d'appel de Paris du 27 janvier 2011, société française de la radiotéléphonie e.a., n° 2010-08945, p. 8).
554. Sur ce point, l'argument développé par Deutsche Bahn AG et DB Mobility Logistics tend en substance à contester l'existence d'une infraction unique, complexe et continue et non pas à démontrer l'imprécision ou l'ambiguïté des griefs notifiés. Aucun fait ne permet de remettre en cause la clarté et la cohérence de ces griefs.
555. Par ailleurs, le caractère raisonnable du délai de la procédure s'apprécie au regard de la complexité et de l'ampleur de l'affaire en cause comme du comportement des autorités compétentes (arrêts de la Cour de cassation du 6 mars 2007, Demathieu et Bard SA, n° 06-13501, p. 13 et de la Cour d'appel de Paris du 26 janvier 2012, Beauté prestige international, n° 2010-23945, p.18). En outre, la sanction qui s'attache à la violation de l'obligation pour l'Autorité de se prononcer dans un délai raisonnable n'est pas l'annulation de la procédure ou sa réformation, mais la réparation du préjudice résultant éventuellement du délai subi, sous réserve que ce délai n'ait pas causé à chacune des entreprises, formulant un grief à cet égard, une atteinte personnelle, effective et irrémédiable à son droit de se défendre (arrêts de la Cour de cassation du 6 mars 2007, précité, et du 23 novembre 2010, Ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi, n° 09-72031, p. 5).
556. Dans le cas d'espèce et contrairement à ce qui est soutenu par Deutsche Bahn AG et DB Mobility Logistics, la complexité et l'ampleur du dossier doivent être soulignées. Par ailleurs, le fait que des demandes de clémence aient été déposées n'a pas permis un allègement de l'instruction. Ainsi, des opérations de visite et saisie ont été effectuées sur 15 sites à travers le territoire français et plus de 42 000 pièces ont été recueillies au cours de la procédure. En tout état de cause, Deutsche Bahn AG et DB Mobility Logistics n'établissent pas concrètement en quoi l'écoulement du délai de la procédure aurait causé une atteinte personnelle, effective et irrémédiable à leur droit de se défendre.
557. Sur l'insuffisance alléguée du délai accordé pour répondre à la notification de griefs adressée en français à des entreprises étrangères, il doit être rappelé que toute entreprise est régulièrement informée de l'accusation portée contre elle dès la notification de griefs, acte à compter duquel la procédure devient contradictoire (arrêts de la Cour d'appel de Paris, 30 juin 2011, société Aximum, n° 2011-06373, p. 4 et du 26 janvier 2012, Beauté prestige international e.a., n° 2010-23945, p. 25). Par ailleurs et conformément aux exigences issues de l'article 2 de la Constitution, reprises, s'agissant notamment des services publics, à l'article 1er de la loi n° 94-665 du 4 août 1994, relative à l'emploi de la langue française (JORF du 5 août 1994, p. 11392), la langue de procédure devant l'Autorité est le français, comme le rappelle l'article 26 de son règlement intérieur.
558. La Cour européenne des droits de l'homme a précisé la portée de l'alinéa a) du paragraphe 3 de l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, aux termes duquel " [t]out accusé a droit notamment à : a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui (...) e) se faire assister gratuitement d'un interprète, s'il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience ", dans le cas d'une personne physique mise en cause dans le cadre d'une instruction pénale en Italie. Elle a conclu, dans des circonstances sans rapport avec la présente affaire, à la violation de cette disposition par l'Italie. En effet, le requérant, personne physique qui n'était pas d'origine italienne ni ne résidait en Italie, avait fait savoir aux autorités judiciaires italiennes compétentes de manière non univoque que, faute de connaître l'italien, il comprenait mal leur communication et leur en demandait une traduction dans sa langue maternelle. Celles-ci auraient dû, dans ce contexte spécifique, procéder à l'envoi d'une traduction de l'acte d'accusation, " sauf à établir qu'en réalité le requérant possédait assez l'italien pour saisir la portée de l'acte lui notifiant les accusations formulées contre lui " (arrêt du 19 décembre 1989, Brozicek/Italie, Req. n° 10964-84, point 41).
559. En l'espèce, il est constant que Deutsche Bahn AG et DB Mobility Logistics ont été destinataires de la notification de griefs. Ces sociétés ont par ailleurs bénéficié, à leur demande, de la totalité du délai supplémentaire d'un mois fixé par l'article L. 463-2 du Code de commerce. Au vu de l'octroi de ce délai supplémentaire, le conseiller auditeur a estimé dans son rapport du 13 février 2013 que " les droits de la défense des sociétés Deutsche Bahn et DBML, tels que la loi en prévoit l'exercice, ont été respectés ".
560. Le délai donné pour produire leurs observations en réponse leur a permis de faire procéder à des traductions et de rencontrer les services d'instruction. Elles ont ainsi pu préparer leur défense et formuler de longues et précises observations de 75 pages et 12 annexes, comportant pour ces dernières pas moins de 260 pages. L'irrégularité alléguée n'est donc pas fondée.
c) Sur la nullité de la procédure reprochée en raison du défaut d'impartialité des services d'instruction, des inégalités de traitement dans l'appréciation de la coopération des entreprises et de la violation du principe de confiance légitime
561. Brenntag SA et ses sociétés-mères estiment, d'une part, que le principe d'impartialité objective et celui d'égalité de traitement auraient été violés en raison du délai de marqueur plus court dont elles auraient bénéficié, du recours discrétionnaire, artificiel et partial à la notion d'infraction unique, complexe et continue, de la participation de M. Y. à la séance du 30 janvier 2007 précédant l'avis de clémence de la société Solvadis, des jonctions d'instance avec les procédures initiées par Gaches Chimie, du manque d'impartialité manifeste des rapporteurs dans la notification de griefs et le rapport. Elles estiment, d'autre part, que retenir la notion d'infraction unique, complexe et continue contreviendrait au principe de confiance légitime. Ces sociétés prétendent en substance que le principe de confiance légitime a été violé par l'instruction en retenant la notion d'infraction unique, complexe et continue alors qu'elles avaient estimé dans leur demande de clémence avoir participé à des ententes locales.
562. Les arguments relatifs au non-respect des principes d'impartialité objective et d'égalité de traitement constituent de simples allégations dénuées de tout fondement et reposant sur une analyse en droit et en fait erronée du travail des rapporteurs.
563. Tel est notamment le cas de l'allégation selon laquelle les rapporteurs n'auraient jamais demandé au représentant de Solvadis, qui aurait eu, selon Brenntag, " un véritable statut d'enquêteur ", de mettre un terme à ses accusations contre l'un des défenseurs de Brenntag SA.
564. Or, les rapporteurs, en présence du rapporteur général du Conseil, ont rappelé le représentant de Solvadis à ses obligations de discrétion à l'égard des procédures ordinales et pénales en cours dont ils n'avaient pas à connaître et lui ont fait savoir que le Conseil ne lui donnait " aucun mandat " dont il pourrait se prévaloir, comme en atteste le procès-verbal du 19 septembre 2008 (cotes 14711 à 14713).
565. Tel est encore le cas de l'allégation selon laquelle M. Y. aurait bénéficié d'une large audience en étant entendu au cours de l'instruction pas moins de 7 fois tandis qu'aucune autre personne n'aurait été entendue au-delà de trois fois.
566. Or, il ressort de la procédure que M. Y., seul représentant de Solvadis pendant l'instruction, a été entendu à six reprises, alors que Brenntag SA et ses sociétés-mères l'ont été à trente reprises, soit cinq fois plus. En outre, M. Yves 14., président-directeur général de Brenntag SA, a été entendu quatre fois par les rapporteurs.
567. En ce qui concerne la prétendue violation du principe de confiance légitime, il suffit de rappeler qu'il n'appartient pas au demandeur de clémence mais à l'Autorité, sous le contrôle juridictionnel de la Cour d'appel de Paris, elle-même placée sous celui de la Cour de cassation, de qualifier des pratiques d'" anticoncurrentielles ".
5. SUR LES IRRÉGULARITÉS DE PROCÉDURE QUI AURAIENT ÉTÉ COMMISES AU COURS DE LA SÉANCE
568. Dans une note en délibéré du 8 mars 2013, Brenntag SA et ses sociétés-mères soutiennent que tant l'organisation que la tenue de la séance ont porté atteinte à leurs droits de la défense et au principe du contradictoire.
569. Elles estiment en effet que les 90 minutes allouées pour développer oralement leurs arguments constituent une restriction de leur temps de parole, car manifestement insuffisantes pour exposer leur défense.
570. En outre, la projection sur écran d'une présentation ainsi que sa distribution papier par les services d'instruction auraient contrevenu aux principes du contradictoire et des droits de la défense en ce que cette présentation exposait d'importants éléments nouveaux.
571. Si Brenntag SA et ses sociétés-mères listent les différents points qu'elles n'ont pas selon elles eu le temps d'aborder pour exposer leur défense, elles n'en tirent aucune conséquence sauf à avancer qu'il appartiendra à l'Autorité de répondre aux moyens développés dans leurs écritures.
572. Alors qu'il revient aux entreprises d'organiser le temps de parole alloué pour exposer leur défense, celui de 90 minutes donné à Brenntag SA et à ses sociétés-mères n'est en outre, pas manifestement insuffisant en ce qu'il constitue, au regard des usages en vigueur à l'Autorité, y compris dans des affaires longues ou/et complexes, un temps de parole très supérieur à la moyenne des temps de parole alloués en règle générale. De plus, le temps accordé à Brenntag SA et à ses sociétés-mères a été le plus long de la séance et les intéressées ont librement décidé d'en consacrer l'essentiel à quelques questions, au détriment de tous les autres sujets qu'elles auraient pu évoquer dans ce délai.
573. Par ailleurs, il doit être relevé que par le biais de leur note en délibéré, particulièrement longue - 17 pages -, Brenntag SA et ses sociétés-mères ont eu l'occasion de revenir sur l'ensemble des points soulevés en séance, en particulier sur ceux qui seraient, selon elles, nouveaux.
C. SUR LE SECTEUR EN CAUSE
1. LES PRINCIPES APPLICABLES
574. Il résulte d'une jurisprudence constante de l'Union que l'obligation d'opérer une délimitation du marché en cause dans une décision adoptée en application de l'article 101 du TFUE s'impose aux autorités de concurrence uniquement lorsque, sans une telle délimitation, il n'est pas possible de déterminer si l'accord, la décision d'association d'entreprises ou la pratique concertée en cause a pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun (arrêt du Tribunal du 12 septembre 2007, William Prym/Commission, T-30-05, Rec. p. II-107, point 86, et la jurisprudence citée).
575. De même en droit interne, lorsque les pratiques en cause sont examinées au titre de la prohibition des ententes, comme c'est le cas en l'espèce, il n'est pas nécessaire de définir le marché avec précision dès lors que le secteur a été suffisamment identifié pour qualifier les pratiques observées et permettre de les imputer aux opérateurs qui les ont mises en œuvre (décision n° 05-D-27 du 15 juin 2005 relative à des pratiques relevées dans le secteur du thon blanc, paragraphe 28 et n° 12-D-09 du 13 mars 2012 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des farines alimentaires, paragraphe 406).
2. APPRÉCIATION EN L'ESPÈCE
a) Sur le grief n° 1
Sur l'activité en cause
576. Il convient en premier lieu de distinguer les commodités chimiques, les spécialités chimiques et les produits chimiques fins, chacun constituant une catégorie de produits chimiques, comme cela a déjà été fait à plusieurs reprises (arrêt de la Cour d'appel de Paris du 13 mars 2007, Gaches Chimie, RG n° 2006-08337, p. 2 ; voir, dans le même sens, décisions de la Commission européenne du 16 janvier 2001, Royal Vopak/Ellis&Everard, COMP/M.2244, point 11, et du 16 juillet 2010, CVC/Univar Europe/Eurochem, COMP/M.5814, point 10).
577. Selon la définition retenue par la Commission européenne, les commodités chimiques concernent principalement des matières premières de base et de composition fixe telles que les alcools, la soude, les acides, la javel ou les solvants pétroliers (décision de la Commission du 16 juillet 2010, CVC/Univar Europe/Eurochem, précitée, point 9). Issues principalement de la chimie minérale et de la pétrochimie, elles sont utilisées par l'industrie et les services. Elles sont faciles à manipuler et ne nécessitent pas, pour leur revente par des distributeurs, de connaissances spécifiques sur l'industrie de leurs clients.
578. S'agissant en second lieu de la commercialisation des commodités chimiques, il a été constaté au paragraphe 26 ci-dessus que, pour l'essentiel, la vente de ces produits est réalisée directement par les producteurs aux clients industriels utilisateurs et, pour le reste, par un distributeur qui livre aux industriels par petites quantités sous forme de gamme complète, ou par un " trader ".
579. Il a également été constaté aux paragraphes 30 et suivants ci-dessus que la transaction commerciale a lieu entre le distributeur et le client et que, dans ce cadre, le distributeur peut recourir à deux modes de livraison, la livraison à partir du dépôt ou la livraison directe, également appelée " droiture ".
580. La livraison à partir du dépôt est l'objet de contraintes logistiques et réglementaires importantes nécessitant de lourds investissements par les distributeurs et constituant de fortes barrières à l'entrée. Elle est assortie de services tels que le stockage, le mélange, la dilution, le conditionnement, la livraison ou le transport.
581. Conformément aux principes rappelés aux paragraphes 574 et suivants ci-dessus, il n'est pas nécessaire de préciser plus avant la définition du marché en cause, le fait de retenir la distribution de commodités chimiques par les dépôts permettant d'identifier, de qualifier et d'imputer les pratiques visées par le grief n° 1, qui sont intervenues dans ce seul secteur.
Sur la dimension géographique
582. Si l'Autorité a constaté ci-dessus que les pratiques en cause étaient déclinées au niveau de zones géographiques infranationales en fonction de l'implantation des dépôts des différents acteurs de l'entente, cette déclinaison peut s'expliquer par des considérations historiques (implantation de dépôts appartenant à l'origine à des PME/PMI, puis progressivement intégrés à des structures multirégionales ou nationales), techniques (cadres réglementaires limitant la multiplication des dépôts de stockage pour des raisons de sécurité et environnementales) et économiques (coûts de transport, service de proximité).
583. Cette déclinaison est en outre à relativiser au vu des différentes caractéristiques communes à l'ensemble des pratiques en cause, telles que rappelées aux paragraphes 389 à 475.
584. Enfin, indépendamment de leurs caractéristiques communes, ces pratiques ont concerné un ensemble de zones géographiques du territoire français, à tout le moins le " nord ", l'" ouest " et une large zone allant de la " Bourgogne " à la région " Rhône-Alpes ". Les demandeurs de clémence ont également dénoncé des pratiques dans d'autres zones géographiques, notamment l'est de la France, sans qu'elles puissent être établies. En définitive, il semble que seuls l'Île-de-France et le sud-ouest aient échappé à l'emprise de la concertation. En conséquence, une très grande partie du territoire français est couverte par l'entente horizontale.
585. Eu égard à ces éléments, le marché circonscrit par les pratiques peut être défini dans la présente affaire comme celui de la distribution des commodités chimiques en France par les dépôts.
b) Sur le grief n° 2
586. La pratique en cause a porté sur les livraisons de méthanol par camion complet au client GKN, situé dans la région " Ouest ".
587. Conformément aux principes rappelés aux paragraphes 574 et suivants ci-dessus, il n'est pas nécessaire de préciser plus avant la définition du marché de services en cause, le fait de retenir un marché de la distribution en vrac ou " trading " de méthanol au client GKN sur la région Ouest permettant d'identifier, de qualifier et d'imputer les pratiques visées par le grief n° 2, qui sont intervenues sur ce seul marché.
D. SUR LE BIEN-FONDÉ DES GRIEFS
588. Seront successivement abordés ci-après :
- les conséquences de la mise en œuvre de la procédure de non-contestation des griefs ;
- le grief n° 1 ;
- le grief n° 2.
1. SUR LES CONSÉQUENCES DE LA MISE EN OEUVRE DE LA PROCÉDURE DE NON-CONTESTATION DES GRIEFS
a) Rappel des principes
589. L'organisme ou l'entreprise qui choisit de solliciter le bénéfice de la mise en œuvre du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce doit respecter les conditions imposées à cet égard, en ne contestant pas la réalité des griefs qui lui ont été notifiés.
590. L'intéressé doit ainsi renoncer à contester, non seulement la réalité de l'ensemble des pratiques visées par la notification des griefs, mais également la qualification qui en a été donnée au regard des dispositions du droit de l'Union et du Code de commerce, ainsi que sa responsabilité dans la mise en œuvre de ces pratiques (voir, en ce sens, arrêt de la Cour d'appel de Paris du 29 mars 2012, Lacroix Signalisation e.a., n° 2011-01228, p. 23). Cette renonciation doit, sur l'ensemble de ces points, être claire, complète et dépourvue d'ambiguïté (décisions n° 04-D-42 du 4 août 2004 relative à des pratiques mises en œuvre dans le cadre du marché de la restauration de la flèche de la cathédrale de Tréguier, paragraphe 15, n° 06-D-09 du 11 avril 2006 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la fabrication des portes, paragraphe 303 ; voir également, en ce sens, décisions n° 10-D-39 du 22 décembre 2010 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la signalisation routière verticale, paragraphes 226, 228 et 425, et n° 11-D-07 du 24 février 2011 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des travaux de peinture d'infrastructures métalliques, paragraphe 113).
591. Une telle renonciation à contester les griefs suffit pour permettre à l'Autorité de considérer que l'ensemble des infractions en cause sont établies à l'égard des parties qui ont fait ce choix procédural (voir, en ce sens, arrêt de la Cour d'appel de Paris du 26 janvier 2010, Adecco France e.a., n° 2009-03532, p. 10, et sur pourvoi arrêt de la Cour de cassation du 29 mars 2011, Manpower France e.a., n° 10-12.913 ; voir également décisions n° 04-D-42, précitée, paragraphe 12, et n° 11-D-07, précitée, paragraphe 113).
b) Application en l'espèce
592. En l'espèce, le grief n° 1 rappelé au paragraphe 501 ci-dessus et relatif aux pratiques décrites aux paragraphes 70 à 475 ci-dessus n'a pas été contesté par les entreprises Solvadis, Solvadis GmbH, Solvadis Holding SARL, GEA Group Aktiengesellschaft, Univar SAS, Univar France SNC, Univar France BV, Univar Europe Holdings BV, Univar NV, et Caldic Est. Il est donc établi à leur égard. Ce n'est dès lors que par un souci de clarté que l'Autorité en rappellera la teneur ci-après.
593. Il demeure en revanche nécessaire de démontrer la participation individuelle à cette infraction de chacune des parties n'ayant pas fait ce choix procédural (arrêt de la Cour de cassation, Manpower France e.a., précité, p. 5).
594. Il s'agit, en l'espèce, de Brenntag SA, Brenntag France Holding SAS, DB Mobility Logistics AG, E.ON AG, Deutsche Bahn AG, Brenntag Foreign Holding GmbH, Brenntag Beteiligungs GmbH, et Brenntag Holding GmbH.
595. Le grief n° 2, rappelé au paragraphe 502 ci-dessus et relatif aux pratiques décrites aux paragraphes 476 à 500 ci-dessus, a été contesté par Brenntag SA, DB Mobility Logistics AG, E.ON AG, Deutsche Bahn AG, Brenntag France Holding SAS, Brachem France Holding SAS, Brenntag Foreign Holding GmbH, Brenntag Beteiligungs GmbH, Brenntag Holding GmbH, et Chemco.
2. SUR LE GRIEF N° 1
a) Sur l'existence d'une infraction unique, complexe et continue
Sur la nature des pratiques
Rappel des principes
596. En vertu de l'article 101, paragraphe 1, du TFUE, sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence au sein du marché intérieur.
597. L'article L. 420-1 du Code de commerce prohibe, de façon similaire, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites entre entreprises lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché.
598. La notion d'entente au sens de l'article 101, paragraphe 1, du TFUE renvoie à " l'expression, par les entreprises participantes, de la volonté commune de se comporter sur le marché d'une manière déterminée " (arrêts de la Cour de justice du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni, C-49-92 P, Rec. p. I-4125, point 130, et du Tribunal du 20 avril 1999, LVM/Commission, T-305-94, T-306-94, T-307-94, T-313-94 à T-316-94, T-318-94, T-325-94, T-328-94, T-329-94 et T-335-94, Rec. p. II-931, point 715).
599. La notion de pratique concertée vise, quant à elle, " une forme de coordination entre entreprises qui, sans avoir été poussée jusqu'à la réalisation d'une convention proprement dite, substitue sciemment une coopération pratique entre elles aux risques de la concurrence (...). Les critères de coordination et de coopération retenus par la jurisprudence de la Cour, loin d'exiger l'élaboration d'un véritable "plan", doivent être compris à la lumière de la conception inhérente aux dispositions du Traité relatives à la concurrence et selon laquelle tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu'il entend suivre sur le marché commun. S'il est exact que cette exigence d'autonomie n'exclut pas le droit des opérateurs économiques de s'adapter intelligemment au comportement constaté ou à escompter de leurs concurrents, elle s'oppose cependant rigoureusement à toute prise de contact, directe ou indirecte entre de tels opérateurs, ayant pour objet ou pour effet soit d'influencer le comportement sur le marché d'un concurrent actuel ou potentiel soit de dévoiler à un tel concurrent le comportement que l'on est décidé à, ou que l'on envisage de, tenir soi-même sur le marché " (arrêt de la Cour de justice du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission, 40-73 à 48-73, 50-73, 54-73 à 56-73, 111-73, 113-73 et 114-73, Rec. p. 1663, points 26, 173 et 174). Cette définition rejoint celle donnée à la notion d'action concertée par la jurisprudence interne (arrêt de la Cour d'appel de Paris du 28 juin 2012, Deloitte Conseil, n° 2012-04990, p. 7).
600. Lorsque sont en cause des comportements pouvant être qualifiés pour partie d'entente et pour partie de pratique concertée, les juridictions de l'Union admettent, en premier lieu, que ceux-ci puissent être considérés comme constituant une infraction unique et complexe (arrêt Commission/Anic Partecipazioni précité, point 114).
601. Cette jurisprudence, loin de créer une nouvelle catégorie d'infractions, se borne à relever qu'une infraction peut être constituée par des comportements revêtant des formes différentes et répondant à des définitions différentes, mais tous visés par la même disposition et tous également interdits (voir arrêt Commission/Anic Partecipazioni précité, points 112, 113 et 133).
602. Elle précise ainsi de façon constante qu'une violation de l'article 101, paragraphe 1, TFUE peut résulter " non seulement d'un acte isolé, mais également d'une série d'actes ou bien encore d'un comportement continu, quand bien même un ou plusieurs éléments de cette série d'actes ou de ce comportement continu pourraient également constituer en eux-mêmes et pris isolément une violation de ladite disposition " (voir, en dernier lieu, arrêt de la Cour de justice du 6 décembre 2012, Commission/Verhuizingen Coppens, C-441-11 P, non encore publié au Recueil).
603. L'autorité de concurrence, appelée à apprécier et à qualifier une telle infraction, n'a pas à le faire exclusivement au regard de l'une ou de l'autre des différentes formes de comportement illicite envisagées par l'article 101 du TFUE. Le Tribunal de l'Union a ainsi précisé que, dans le cadre d'une infraction complexe, ayant impliqué plusieurs producteurs pendant plusieurs années, on ne saurait exiger de l'autorité de concurrence qu'elle qualifie précisément l'infraction, pour chaque entreprise et à chaque instant donné, d'entente ou de pratique concertée, dès lors que, en toute hypothèse, l'un et l'autre de ces comportements sont prohibés par l'article 101, paragraphe 1, du TFUE (arrêt LVM/Commission précité, point 696).
604. La qualification d'infraction unique et complexe doit donc être comprise, non comme exigeant simultanément et cumulativement la preuve que chacun de ces comportements répond aux caractéristiques d'une entente et d'une pratique concertée, mais bien comme désignant un tout réunissant des éléments dont certains peuvent être qualifiés d'entente et d'autres de pratique concertée (arrêt LVM/Commission précité, point 698).
605. Il résulte, en deuxième lieu, de la jurisprudence constante de l'Union que, pour pouvoir considérer qu'un ensemble de comportements donnés constitue une infraction unique et complexe, il est nécessaire que ces différentes actions s'inscrivent dans un " plan d'ensemble ", en raison de leur objet identique faussant le jeu de la concurrence au sein du marché intérieur. Si tel est le cas, l'autorité de concurrence est en droit de les considérer dans leur ensemble et d'en imputer la responsabilité aux entreprises qui y ont pris part (arrêts de la Cour de justice du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C-204-00 P, C-205-00 P, C-211-00 P, C-213-00 P, C-217-00 P et C-219-00 P, Rec. p. I-123, point 258, et du 6 décembre 2012, Commission/Verhuizingen Coppens, précité, point 41).
606. L'existence d'un tel objectif commun doit être appréciée au regard du seul contenu des accords ou pratiques en cause, et ne doit pas être confondue avec l'intention subjective des différentes entreprises de participer à une infraction unique et complexe (arrêt du Tribunal du 3 mars 2011, Siemens/Commission, T-110-07, Rec. p. II-477, point 246). Au contraire, il ressort de la jurisprudence que cette intention subjective ne doit être prise en compte qu'au stade de l'appréciation de la participation individuelle des entreprises en cause à une telle infraction unique et complexe (voir ci-dessous).
607. Afin d'étayer l'existence de ce " plan d'ensemble ", la jurisprudence s'appuie traditionnellement sur un faisceau d'indices graves, précis et concordants pouvant porter notamment, en fonction des circonstances propres à chaque cas d'espèce, sur la similarité et la complémentarité des comportements, des acteurs et de la chronologie des pratiques.
608. Dès lors que les conditions énoncées par la jurisprudence sont réunies, l'existence d'une infraction unique et complexe ne saurait être utilement contestée au motif que les différents accords ou pratiques qui la constituent différeraient sur certains points. Il résulte en effet de la nature même d'une infraction unique et complexe que des pratiques susceptibles de comporter de telles différences puissent être appréhendées sous cette même qualification (voir, par exemple, arrêts du Tribunal du 8 juillet 2008, BPB/Commission, T-53-03, Rec. p. II-1333, points 256 et 258, et du 30 novembre 2011, Quinn Barlo e.a./Commission, T-208-06, point 137).
609. Lorsque les exigences énoncées par la jurisprudence sont réunies, l'existence d'une infraction unique et complexe ne peut pas davantage être contestée au motif qu'un ou plusieurs éléments de cette série d'actes ou de comportements pourraient également constituer en eux-mêmes, pris isolément, une infraction aux règles de concurrence (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission précité, point 258).
610. Concernant, en troisième et dernier lieu, la preuve des pratiques prohibées par l'article 101 du TFUE, la Cour de justice a rappelé que l'interdiction de participer à des pratiques concertées et à des ententes anticoncurrentielles ainsi que les sanctions que les contrevenants peuvent encourir à ce titre étant notoires, il est usuel que les activités auxquelles ces pratiques concertées ou ces ententes donnent lieu se déroulent de manière clandestine, que les réunions se tiennent secrètement et que la documentation y afférente soit réduite au minimum (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission précité, point 55).
611. Même si l'autorité de concurrence découvre des pièces attestant de manière explicite de l'existence d'une prise de contact illégitime entre des opérateurs, telles que les comptes rendus d'une réunion, celles-ci ne seront normalement que fragmentaires et éparses, de sorte qu'il apparaît souvent nécessaire de reconstituer certains éléments par le biais de déductions (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission précité, point 56).
612. Dans la plupart des cas, l'existence d'une infraction à l'article 101 du TFUE doit donc être inférée d'un certain nombre de coïncidences et d'indices qui, considérés ensemble, peuvent constituer, en l'absence d'une autre explication cohérente, la preuve d'une violation des règles de la concurrence (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission précité, point 57).
613. La Cour de cassation et la Cour d'appel de Paris ont de la même manière reconnu la valeur probatoire d'un tel faisceau d'indices : " à l'évidence, l'existence et l'effectivité d'une entente (...) ne sont normalement pas établies par des documents formalisés, datés et signés, émanant des entreprises auxquelles ils sont opposés (...) ; la preuve ne peut résulter que d'indices variés dans la mesure où, après recoupement, ils constituent un ensemble de présomptions suffisamment graves, précises et concordantes " (arrêt de la Cour de cassation du 8 décembre 1992, Établissements Phibor e.a., n° 90-20258 ; voir également arrêts de la Cour d'appel de Paris du 19 janvier 1999, Gerland Routes e.a., et du 25 février 2009, Transeuro Desbordes Worldwide Relocations e.a., n° 2008-02003, p. 9, et sur pourvoi arrêt de la Cour de cassation du 7 avril 2010, AGS, n° 09-13838).
Arguments des parties
614. Brenntag SA et ses sociétés-mères ont contesté, d'une part, le standard de preuve retenu par les services d'instruction pour qualifier les pratiques en cause d'infraction unique, complexe et continue et l'opposabilité de cette notion, d'autre part.
615. Concernant le standard de preuve, Brenntag SA et ses sociétés-mères n'ont pas contesté dans leurs observations sur la notification de griefs l'existence des ententes en cause. Ces sociétés ont en revanche contesté qu'elles puissent recevoir la qualification d'infraction unique, complexe et continue.
616. Trois éléments cumulatifs devraient selon elles être réunis pour qu'une infraction unique, complexe et continue puisse être démontrée. Ces éléments feraient défaut en l'espèce, aucune entreprise n'ayant participé à une telle infraction.
617. En premier lieu, l'autorité de concurrence devrait établir l'existence d'un lien objectif entre les différentes ententes, entendu comme un lien d'identité d'une part et de complémentarité d'autre part. S'agissant du lien d'identité objectif, il imposerait de démontrer l'identité matérielle des ententes entendue comme une très forte identité entre, notamment, les produits en cause, les personnes physiques ayant pris part aux pratiques, les entreprises concernées, les dates de commencement et de cessation des pratiques, ainsi que les modalités de fonctionnement des pratiques. Pour ce qui concerne le lien de complémentarité objectif, il impliquerait de démontrer que les ententes ou pratiques en cause interagissent entre elles ou présentent des liens de réciprocité ou d'interdépendance.
618. Ces entreprises relèvent à cet égard que les ententes constatées ne présentent pas d'identité suffisante. Dans ce cadre, elles soutiennent notamment que les produits concernés ne sont pas les mêmes selon les régions, que les modalités de fonctionnement des pratiques diffèrent selon les zones, que les dates de début et de fin des pratiques sont différentes, et qu'il n'existe pas d'interaction, de compensation, ou de réciprocité entre les ententes.
619. En deuxième lieu, il devrait être démontré un lien subjectif entre l'ensemble des ententes ou pratiques en cause, entendu comme la conscience qu'auraient les entreprises concernées de participer à une infraction globale. Brenntag estime notamment que, " pour qu'existe une entente complexe et continue, il faut qu'au moins deux entreprises identiques aient participé à l'ensemble des ententes individuelles et qu'au moins deux entreprises identiques sur l'ensemble des zones aient conscience de concourir à la réalisation d'un plan global dans toutes ses composantes " (cote 38872). Selon Brenntag, ces deux entreprises devraient avoir ainsi manifesté un accord de volontés sur le plan d'ensemble.
620. En l'espèce, Brenntag SA soutient n'avoir eu, tant à l'échelon régional que national, qu'une connaissance parcellaire des ententes mises en œuvre. Une telle connaissance parcellaire serait démontrée par l'implication des seuls directeurs de région et de site dans les pratiques, à l'exclusion de toute participation de la direction générale de Brenntag SA. Ces éléments seraient confortés par le fait que les directeurs de région ignoraient l'existence des ententes mises en œuvre dans les régions autres que la leur. La présence de M. Jean-Pierre N., directeur de la région nord, à la réunion de Reims du 5 juin 1998, ayant initié l'entente sur la " zone Bourgogne ", ne permettrait pas de déduire la connaissance de cette entente à son égard. En effet, les discussions ayant eu lieu au cours de cette réunion n'auraient pas porté sur l'entente mise en œuvre.
621. De plus, n'ayant pas participé au fonctionnement des ententes, la direction générale de Brenntag SA n'aurait eu également qu'une connaissance parcellaire des ententes. Si les sociétés mises en cause ne contestent pas la participation de M. Daniel X., président de Brenntag SA de juin 1998 à 2000, à la réunion de Paris en septembre 1998 ayant initié les pratiques dans la " zone Rhône-Alpes ", elles précisent qu'il l'a quittée dès qu'il s'est rendu compte de son objet anticoncurrentiel.
622. La direction générale de Brenntag SA n'aurait en outre pas même eu connaissance de l'existence de l'ensemble des éléments constitutifs de l'infraction. Ainsi, Brenntag estime que M. Daniel X. n'a pas été informé des ententes sur la " zone nord " et sur la " zone Bourgogne ", tandis que sur la " zone ouest ", il n'aurait entendu que des rumeurs.
623. Par ailleurs, Brenntag SA et ses sociétés-mères soutiennent qu'aucune des ententes constatées n'a été révélée au comité de direction. Ces membres n'avaient pas non plus une connaissance globale des pratiques. M. Daniel X., M. Yves 14... et M. Philippe 29. avaient tout au plus une connaissance parcellaire des ententes sur la " zone Rhône-Alpes " et sur la " zone ouest ".
624. Enfin, la connaissance par la direction générale de l'ensemble des ententes ne saurait être inférée de la demande de clémence effectuée par Brenntag SA et ses sociétés-mères.
625. En troisième et dernier lieu, si un plan global poursuivant un objectif commun devait, selon les entreprises en cause, être constaté, la distorsion de concurrence ne devrait pas être considérée comme un objectif anticoncurrentiel suffisant permettant de caractériser cet objectif unique.
626. En tout état de cause, la qualification d'infraction unique, complexe, et continue leur serait inopposable en ce qu'elle constituerait en fait une nouvelle infraction qui n'existait pas à la date de commission des ententes, et violerait de ce fait les principes de légalité, de prévisibilité et de sécurité juridique.
627. Cette qualification contreviendrait également au principe de confiance légitime en ce que Brenntag SA et ses sociétés-mères ont dénoncé des ententes locales, d'une part, et au principe in dubio pro reo car les différents avis de clémence ne retiendraient pas à tout le moins clairement cette qualification démontrant le doute de l'Autorité quant à sa pertinence, d'autre part.
628. Le principe de la responsabilité personnelle en matière pénale serait de même violé en ce que tant " la conscience, c'est-à-dire l'intentionnalité, de participer à un objectif commun, à un plan global " que la connaissance des pratiques infractionnelles ne serait pas démontrée.
629. Retenir cette qualification leur causerait un préjudice en ce que Brenntag SA et ses sociétés-mères seraient privées d'une immunité totale de sanction sur les ententes dans les zones " Bourgogne " et " Rhône-Alpes " et du bénéfice de la prescription pour l'entente dans la " zone nord ".
Appréciation de l'Autorité
630. Seront successivement abordés ci-après :
- l'existence de l'infraction ;
- le contexte ayant présidé à l'éclosion du " plan d'ensemble " ;
- l'existence d'un plan d'ensemble visant un objectif unique ;
- les liens de similarité et de complémentarité entre les pratiques.
- Sur l'existence de l'infraction
L'entente dans la " zone nord "
631. L'entente dans la " zone nord " a été dénoncée par Brenntag SA dans sa note du 29 décembre 2006 (cotes 697 à 704, 06-0075 AC).
632. Il ressort des constatations effectuées aux paragraphes 114 et suivants que Brenntag SA, Districhimie et RPC Clément se sont entendues du 17 décembre 1997, date à laquelle une réunion de concertation s'est tenue, à septembre 2001. Cette entente a porté sur la lessive de soude et, concomitamment à l'achat de ce produit par un client déterminé, sur d'autres produits comme la javel, commercialisés en vrac sans exclure les produits conditionnés. M. Gilles O., directeur du site de Brenntag à Wattrelos, a déclaré à cet égard qu'" [à] partir de 1998 et jusqu'à mi 2001, Brenntag, Clément (...) et Districhimie (...) se réunissaient (...) afin d'échanger des informations sur les prix et de se répartir des clients sur la lessive de soude (produit de chimie minérale) " (cotes 11974 et 11975).
633. Les participants à l'entente ont arrêté deux modalités de concertation. En premier lieu, une répartition de clientèle a été mise en œuvre par l'adoption d'un pacte de non-agression auprès des clients les moins sensibles aux prix, figeant ainsi les positions des participants, d'une part, et par la soumission d'offres de couverture afin d'orienter le choix des clients les plus sensibles au prix, d'autre part, avec au soutien une coordination tarifaire. En second lieu, la répercussion des hausses de prix des fournisseurs sur la lessive de soude a été arrêtée entre eux. M. Jean-Pierre N., directeur de Brenntag SA sur la " zone nord ", a confirmé que les pratiques ont consisté " en la fixation de prix planchers entre 1998-99 et 2000-2001, entre Brenntag, Districhimie et Solvadis. Ces pratiques ont été mises en place pour "régulariser" le marché soumis aux fluctuations des prix des matières premières et à l'arrivée d'un nouveau concurrent Hoelvoet " (cote 14652).
634. Cette entente a été rendue possible par l'organisation de réunions et d'appels téléphoniques. Par ailleurs, comme établi plus haut, tant la répartition de clientèle que la répercussion des hausses de prix ont affecté l'ensemble des clients (paragraphes 141 et suivants).
635. Enfin, Brenntag SA a pris l'initiative de l'entente et a également participé activement à la surveillance de la bonne application des décisions arrêtées par l'ensemble des participants.
L'entente dans la " zone Rhône-Alpes "
636. L'entente dans la " zone Rhône-Alpes " a été dénoncée par Brenntag SA dans sa note du 29 décembre 2006 et par Univar dans un procès-verbal du 15 janvier 2007 (cotes 573 à 582, 06-0075 AC, et 569 à 579, 06-0092 AC).
637. Sur le fondement des constatations effectuées aux paragraphes 163 et suivants, les sociétés Brenntag SA, Lambert-Rivière, Vaissière-Favre, Quarréchim puis, en raison de la fusion de ces trois dernières sociétés le 1er janvier 2003, Univar SAS se sont entendues sur les produits de la chimie minérale et les solvants commercialisés en vrac et conditionnés suite à une réunion à Paris en septembre 1998. Il n'est pas contesté que M. Daniel X., président de Brenntag SA, a assisté à cette réunion (cote 575, 06-0075 AC). Bien que Marce n'y ait pas participé, elle a rejoint l'entente au cours de l'année 1998 et en a été partie prenante jusqu'à son absorption par Brenntag SA le 12 octobre 2001. Cette entente a cessé en juin 2005.
638. L'entente a permis la fixation de tarifs communs ainsi que la répartition des clients des participants. La fixation de tarifs communs a concerné les solvants et les produits de la chimie minérale distribués en vrac et conditionnés auprès de l'ensemble de leurs clients. En ce qui concerne la répartition de clientèle et plus particulièrement pour les solvants, une évolution des modalités de mise en œuvre a été relevée au cours de l'année 2003. Ainsi, de septembre 1998 jusqu'au cours de l'année 2003, un système de répartition des principaux clients par tours a été arrêté affectant l'ensemble des clients (paragraphes 187 et suivants). Par la suite, ce système a été remplacé par un pacte de non-agression visant l'ensemble des clients des participants. Pour ce qui est des produits de la chimie minérale, un pacte de non-agression a été mis en œuvre entre les participants durant l'intégralité de la durée de la pratique et qui visait la totalité de leurs clients.
639. L'entente a fonctionné par le biais de réunions et de contacts téléphoniques. Il a ainsi été relevé 27 réunions entre septembre 1998 et juin 2005. La régularité de ces réunions a été rendue nécessaire en raison de la particulière volatilité du cours des solvants. En outre, Brenntag SA et Univar SAS ont respectivement fait souscrire une ligne téléphonique au nom d'un de leurs employés entre l'année 2002 et 2005 afin de communiquer avec leurs concurrents tout en garantissant la confidentialité de leurs échanges. M. Pierre A., directeur des ventes à Lyon à compter de 1998 pour Brenntag SA, a confirmé qu'" [i]l y a avait un téléphone portable dédié à la concertation. L'abonnement était au nom de Mme Isabelle 13., assistante de M. Olivier Z.. M. Olivier Z. et moi-même utilisions ce téléphone afin de contacter nos concurrents dans le cadre de la concertation. L'objectif de cet abonnement était d'éviter qu'il n'apparaisse sur les relevés de Brenntag Rhône-Alpes " (cote 33116).
640. Brenntag SA a par ailleurs vérifié, en collaboration avec Univar SAS, la bonne exécution des décisions arrêtées.
L'entente dans la " zone Bourgogne "
641. Brenntag SA, par courrier en date du 5 décembre 2006, a dénoncé l'entente dans la " zone Bourgogne " (cotes 261 à 269, 06-0075 AC).
642. Dans son mémoire en réponse sur le rapport, Brenntag a fait valoir que la réunion de Reims du 5 juin 1998 n'avait trait qu'à la seule concertation dénoncée sur les frais techniques et de consignes et ne concernait pas l'entente de répartition de clientèle en zone Bourgogne (cote 45660). Brenntag a maintenu cette affirmation en séance.
643. Or, comme indiqué précédemment au paragraphe 253, Brenntag a expliqué dans sa déclaration d'entreprise que l'entente en zone " Bourgogne ", consistant notamment en des répartitions de clients " aurait débuté par une réunion organisée dans l'hôtel Mercure à Reims, en 1998, vraisemblablement le 5 juin 1998 ".
644. En outre, comme mentionné plus haut au paragraphe 254, l'un des représentants de Brenntag à la réunion du 5 juin 1998, M. Paul 15., a clairement expliqué dans un procès-verbal du 13 juin 2008 que l'objet de cette réunion était d'" incit[er] les participants à se rencontrer " sur le terrain " pour s'entendre sur certains clients " (soulignement ajouté, cotes 14658 à 14660).
645. Brenntag a exposé les modalités de cette entente avec Caldic Est et communiqué 183 documents afin de corroborer ses déclarations sans qu'aucun élément matériel n'évoque l'existence d'une pratique relative à des frais techniques et de consignes. L'examen de certains des documents communiqués par Brenntag concernant la zone Bourgogne et des éléments recueillis au cours de l'instruction montre que des pratiques d'échanges d'informations, de répartition de clientèle, d'offres de couverture entre Brenntag et Caldic Est ont effectivement eu lieu au moins à partir de décembre 1998, postérieurement et corrélativement à la réunion du 5 juin 1998 (cote 415, 06-0075 AC).
646. Sur la base de l'ensemble de ces éléments factuels, la notification de griefs a établi que la réunion du 5 juin 1998, qui s'est tenue à Reims entre Brenntag et Caldic Est, constituait le point de départ de l'entente de répartition de clientèle entre ces deux entreprises, en " zone Bourgogne ".
647. Dans ses observations sur la notification de griefs, " Brenntag confirme et maintient l'ensemble des déclarations qu'elle a faites dans le cadre de sa demande de clémence. A ce titre, elle ne conteste pas sa participation dans les ententes mises en œuvre dans le Nord (ce cartel étant déjà prescrit à la date de sa révélation), l'Ouest, la Bourgogne et en Rhône-Alpes, et telles que décrites par la Notification dans la Section II. En outre et plus généralement, Brenntag confirme l'ensemble de ses déclarations faites au cours de l'instruction s'agissant des pratiques régionales concernées, des entreprises impliquées, de la durée et de la nature des pratiques " (page 82, cote 38864).
648. Brenntag ajoute : " ainsi que le retient la notification, et conformément aux déclarations de M. 15. : "(...) cette réunion avait été présentée comme une réunion de présentation, pour que l'on se connaisse et que l'on s'entende ensuite sur le terrain" (...) et "sur certains clients" " (page 121 - cote 38903).
649. Ainsi, les déclarations fournies par Brenntag au stade de sa demande de clémence, celles de M. Paul 15., puis les écritures de Brenntag en réponse à la notification de griefs, ayant établi l'objet de la réunion du 5 juin 1998, permettent de démontrer à suffisance que la pratique de répartition de clientèle entre Brenntag et Caldic Est sur la " zone Bourgogne " a été décidée au cours de cette réunion.
650. Au regard des constatations effectuées aux paragraphes 253 et suivants, Brenntag SA et Caldic Est ont mis en œuvre une entente qui a débuté par une réunion qui s'est tenue à Reims le 5 juin 1998 et qui a cessé au cours du mois de juin 2003. Des représentants de Brenntag SA pour la région sud, comprenant la " zone Rhône-Alpes " et la " zone Bourgogne ", et pour la région nord, tel que M. Jean-Pierre N., ont assisté à la réunion de lancement (cote 263, 06-0075 AC). L'entente en cause portait, pour l'essentiel, sur les produits de la chimie minérale et, à titre marginal, sur les solvants commercialisés en vrac et conditionnés.
651. L'entente consistait, par le biais d'offres de couverture, en une répartition de clientèle sous forme de partage des clients par volume, par produit ou par période. Cette modalité de fonctionnement a nécessairement impliqué une coordination tarifaire entre les deux entreprises en cause. L'entente a visé l'ensemble des clients comme constaté aux paragraphes 309 et suivants.
652. Son fonctionnement a été permis, d'une part, par la tenue de réunions entre notamment M. Jean-Luc 23. et M. Paul 15. de Brenntag SA et M. Michel 20. de Caldic Est et, d'autre part, par des appels téléphoniques de M. Jean-Luc 23. à M. Michel 20. et M. David 21. de Caldic Est.
653. Il convient enfin de relever que cette entente a été initiée par Brenntag SA. Cette dernière société s'est également chargée en collaboration avec Caldic Est du suivi des décisions prises.
Les deux ententes dans la " zone ouest "
654. Deux ententes dans la " zone ouest ", dénoncées par Brenntag SA, doivent être distinguées : l'une constitue une entente trilatérale à laquelle Brenntag SA, Langlois-Chimie et Lambert-Rivière ont participé ; l'autre est une entente bilatérale, formée par Brenntag SA et Langlois-Chimie (cotes 684 à 688, 06-0075 AC).
655. Ces deux ententes, constatées aux paragraphes 331 et suivants, ont débuté au cours de la journée régionale de la chimie du 6 octobre 1998 à l'initiative de Brenntag SA et ont cessé, pour la première, le 31 décembre 2002, date de la fusion ayant donné lieu à Univar SAS, et, pour la seconde, en octobre 2003. Alors que l'entente trilatérale portait sur les solvants, l'entente bilatérale avait trait aux produits de la chimie minérale.
656. Il ressort des pièces au dossier que l'entente trilatérale avait pour objet de procéder à une répartition de clientèle en ce qui concerne uniquement les solvants. Cette entente a affecté l'ensemble des clients des participants (paragraphes 360 et suivants). L'entente bilatérale a permis une répartition de clientèle et une coordination tarifaire. La répartition de clientèle a porté sur les produits de la chimie minérale et a visé l'ensemble des clients (paragraphe 359). La coordination tarifaire, pour sa part, a permis une répercussion des hausses de prix des fournisseurs sur les prix de revente des produits de la chimie minérale. Pour être effective, cette coordination a nécessairement concerné l'ensemble des clients des participants.
657. Afin de mettre en œuvre les ententes constatées, Brenntag SA et Langlois-Chimie se sont réunies à plusieurs reprises, en sus d'échanges téléphoniques. Il a pu ainsi être relevé la tenue de six réunions entre 1998 et 2003. Quatre réunions supplémentaires n'ont pu être établies avec une certitude absolue (paragraphe 364). Si Lambert-Rivière n'a jamais participé à ces réunions, il est établi qu'elle a eu à tout le moins avec Brenntag SA et Langlois-Chimie des échanges téléphoniques.
658. Enfin, Brenntag SA indique, dans sa note du 29 décembre 2006, avoir procédé à la surveillance des pratiques. Cette société a également pris l'initiative des ententes (paragraphe 334).
659. L'existence de l'ensemble de ces ententes n'a pas été contestée par Solvadis, Univar et Caldic Est (paragraphes 503). Brenntag SA et ses sociétés-mères, bien que n'étant pas entrées en voie de non-contestation de griefs, ont fait le choix dans leurs observations de ne pas les contester non plus, à l'exception de la date de lancement des pratiques dans la " zone Bourgogne ".
- Sur le contexte ayant présidé à l'éclosion du " plan d'ensemble "
660. Les pratiques en cause ont vu le jour dans un contexte économique et réglementaire particulier, marqué par une politique de prix agressive initiée par Brenntag SA ainsi que par l'émergence de nouvelles contraintes réglementaires. Ces éléments de contexte ont conduit à dégrader la rentabilité des principaux acteurs du secteur, ouvrant ainsi la voie à la mise en œuvre d'un plan global destiné à stabiliser les parts de marché et à restaurer les marges.
661. En premier lieu, plusieurs déclarations font état de la stratégie de Brenntag SA consistant, antérieurement à la mise en œuvre des pratiques en cause, en une tentative d'éviction de ses concurrents par le biais d'une politique de prix agressive. Ce n'est que face à l'échec de cette stratégie que Brenntag SA a recouru aux ententes en cause, afin de restaurer ses marges.
662. À cet égard, M. Michel E., coordinateur des ventes pour les produits de la chimie minérale chez Vaissière-Favre, a estimé que " [l]orsque Brenntag est arrivé sur la zone de Lyon, il a appliqué une politique de prix très, très bas en dehors de toute cohérence de rentabilité. Il s'agissait, selon moi, d'éradiquer la concurrence ; nous n'étions pas aptes à affronter de tels prix " (cote 13313). Par la suite, M. Michel E. a précisé que cette politique tarifaire avait pour objectif d'" affaiblir les structures locales en vue d'éventuels rachats sur la zone Rhône-Alpes. (...) Toutes les sociétés locales ont été contraintes d'entrer dans cette guerre des prix mais cette stratégie affaiblissait les différentes structures. Brenntag avait également des résultats en forte baisse sur la région. Selon moi, M. Olivier Z. (...) a pris l'initiative (...) d'une entente (...). Progressivement nous avons remonté les prix afin de redresser les marges " (cote 22788). En ce sens, M. Jacques L., directeur régional à Bordeaux puis à compter de 2002 directeur de la région ouest chez Langlois-Chimie, a " constaté que Brenntag s'était implanté et avait cassé la concurrence en pratiquant des prix très bas, puis s'était entendu avec la concurrence pour stabiliser les prix " (cote 13349).
663. De même, M. Jean-Yves B., directeur de la région centre ouest depuis 1999 chez Brenntag SA, a constaté qu'" [e]n 1997, alors que j'avais déjà pris contact avec Pierre C..., lors d'un tour d'horizon sur les concurrents, je lui (Jean-Marc Y.) ai fait part du développement important de Brenntag et de ce que Langlois se débattait. Je me rappelle lui avoir dit, soit on continue le travail de sape et on fait capoter le concurrent, soit on fait la "politique de la main tendue" (j'entendais par là, "on s'entend"). Jean-Marc Y. m'a répondu : "la nature a horreur du vide". Je ne suis pas sûr de ce que cela sous-entendait mais selon moi, cela pouvait signifier qu'il validait cette option d'entente que je proposais " (cote 22505).
664. En second lieu, comme rappelé dans les constatations effectuées aux paragraphes 36 et suivants, le secteur de la distribution des commodités chimiques a été soumis, à la suite de l'adoption de la directive dite " Seveso II " (directive 96-82-CE du Conseil du 9 décembre 1996 concernant la maîtrise des dangers liés aux accidents majeurs impliquant des substances dangereuses, JO L 10 du 14.1.1997, p. 13), à des exigences législatives et réglementaires plus contraignantes concernant notamment la sécurité des sites. Adoptée le 9 décembre 1996, la transposition de cette directive était fixée au 3 février 1999. À cet égard, il convient de relever que l'ensemble des ententes a débuté entre l'adoption et l'expiration du délai de transposition de la directive " Seveso II " (paragraphe 37).
665. Ces nouvelles contraintes législatives et réglementaires ont logiquement conduit les distributeurs à procéder à des investissements importants. Pour ceux qui se trouvaient dans l'impossibilité financière d'y faire face, la recherche d'une taille critique s'est imposée. Ceci s'est traduit soit par des regroupements, soit par des acquisitions de la part de groupes industriels ou financiers, comme en attestent les multiples fusions qui ont eu lieu durant la période précédant les pratiques, notamment de la part des entreprises mises en cause (cotes 24313 à 24320). Le groupe Bonnave a été ainsi acquis en 1996 par Brenntag SA.
666. Ces deux éléments de contexte se sont traduits par une dégradation marquée de la rentabilité des entreprises en cause. Ainsi, dans son " Introduction - Des ententes horizontales par zone géographique ", Brenntag SA a estimé qu'" [e]n raison de la très grande dispersion des intervenants, de l'importance des investissements capitalistiques à réaliser localement pour exercer l'activité de grossiste/répartiteur de produits chimiques en conformité aux réglementations tant nationales que communautaires (directive SEVESO II n° 96-82-CE, loi du 19 juillet 1976, décret du 21 septembre 1977), de la désindustrialisation, les conditions d'exercice, dans cette profession, sont devenues extrêmement difficiles. C'est dans ce contexte économique et réglementaire difficile pour la profession que certains intervenants grossistes distributeurs de produits chimiques (y compris de commodités) de certaines zones en France, ont décidé de s'entendre selon des modalités variables en fonction des zones géographiques concernées " (cotes 255 et 256, 06-0075 AC).
667. Sur la " zone nord ", M. Bruno D., président du directoire de Quaron, à la question des raisons ayant conduit son entreprise à participer à des ententes, a répondu qu'" en ce qui concerne Solvadis/Quaron que je dirige aujourd'hui, ses résultats exécrables se sont encore dégradés " (cote 13333). Qui plus est, l'entente a débuté en raison de l'arrivée d'un nouveau concurrent, Holvoet, mais également, selon Brenntag SA, " pour "régulariser" le marché soumis aux fluctuations des prix des matières premières " (cote 14652).
668. Sur la " zone Rhône-Alpes ", des résultats dégradés ont été également constatés. À cet égard, M. Daniel X., président de Brenntag SA de juin 1998 à 2002, a déclaré qu'" en 1998, le dépôt n'allait pas très bien, son efficacité n'était pas très bonne, le contexte concurrentiel était dur " (cote 13320). M. Olivier Z..., directeur de la région sud et du site de Chassieu chez Brenntag SA, a expliqué que " [l]a première entente, à laquelle j'ai pris part, s'est tenue a Lyon, à la fin de l'été 1998, alors que les résultats de Brenntag Rhône-Alpes étaient très mauvais (de même que ceux de nos concurrents principaux sur le plan régional, tels que Quarrechim, Lambert Rivière, Vaissière) " (cote 14669). M. Pierre A., anciennement directeur commercial et directeur des ventes à Lyon à compter de 1998 chez Brenntag SA, a déclaré qu'" [à] partir de 1999, des pratiques d'ententes se sont organisées à Lyon à l'initiative de Brenntag et d'Univar qui, confrontés à des résultats en baisse, souhaitaient restaurer leur marge " (cote 10808).
669. Sur la " zone Bourgogne ", le compte-rendu de direction de Brenntag SA du 26 juin 1998, analysant les résultats bruts par tonne de l'ensemble de ses sites dans le secteur des commodités chimiques, démontre que son site en Bourgogne générait un résultat de 250 deutsche mark par tonne (cotes 37287 à 37362). Ce montant apparaît particulièrement faible en comparaison de celui d'Ile-de-France (650 DM/T) mais similaire à ceux de ses sites qui ont mis en œuvre les ententes (" zone nord " : 250 DM/T, " zone Rhône-Alpes " : 200 DM/T, et " zone ouest " : 250 DM/T).
670. Sur la " zone ouest ", M. Marc-Antoine F., ancien président de Solvadis, a estimé que " [l]e fond du débat, était de dire que la région ouest était sinistrée et dont l'activité nécessitait des investissements importants, et qu'il fallait trouver une solution afin de permettre la hausse des marges et favoriser ces investissements " (cote 34050). En ce sens, M. Jean-Yves B., directeur régional de la " zone ouest " chez Brenntag SA, a déclaré que " [s]on site marchait très bien et celui de Solvadis se dégradait parallèlement (...) J'ai participé à ces ententes pour améliorer encore mes marges, pour ne pas laisser Solvadis perdre de l'argent, et pour garder un concurrent plutôt que de l'éliminer et/ou de voir un inconnu arriver, susceptible de remettre en cause notre équilibre " (cote 22505).
671. C'est donc dans un contexte de résultats financiers dégradés et jugés insuffisants que les ententes ont vu le jour. Ainsi, M. Daniel X., président de Brenntag SA, de juin 1998 à 2002, a déclaré : " Jean-Marc Y. avait légué une culture du résultat avec des rémunérations assises sur les résultats (...). Dans ces conditions, cette culture du résultat a pu contribuer au démarrage des ententes " (cote 13321).
672. Pour autant, ces difficultés économiques et financières n'ont pas affecté l'ensemble des distributeurs sur la totalité du territoire et ne les ont pas tous conduits à s'engager dans une pratique d'entente. Il ressort des pièces au dossier qu'aucune entente n'a été relevée dans les régions sur lesquelles les résultats des sites de Brenntag SA étaient jugés satisfaisants. Ainsi, aucune entente n'a été relevée sur la " zone Ile-de-France caractérisée par les bons résultats des sites de Brenntag SA (cotes 10808, 11114, et 22691).
- Sur l'existence d'un plan d'ensemble visant un objectif unique
673. Il ressort des constatations effectuées aux paragraphes 89 et suivants que les entreprises participantes aux différentes ententes relevées ci-dessus ont poursuivi le double objectif de préserver leur part de marché et d'améliorer leur marge. Ce faisant, elles ont faussé la concurrence sur le secteur en cause par le recours à des pratiques de répartition de clientèle et de coordination tarifaire.
674. Sur la " zone nord ", Brenntag SA, par l'intermédiaire de M. Jean-Pierre N., directeur de la région nord, a déclaré que les ententes " ont été mises en place pour "régulariser" le marché soumis aux fluctuations des prix des matières premières et à l'arrivée d'un nouveau concurrent Holvoet " (cote 14652).
675. Sur la " zone Rhône-Alpes ", Univar a pour sa part déclaré que les réunions avaient en ce qui concerne les solvants " pour objectif de préserver les parts de marché et maximiser la marge brute (...) Pour ce qui est de la chimie minérale, il s'agissait de geler les positions clients que chaque acteur livrait " (cote 574, 06-0092 AC). Cette déclaration est confirmée par les outils, tels que " la base marketing ", assurant la bonne mise en œuvre des décisions arrêtées (paragraphe 175). D'autres déclarations vont dans le même sens. M. Pascal H., responsable grands comptes chez Univar SAS jusqu'en 2003, a ainsi déclaré qu'" [i]l s'agissait de préserver les parts de marché, les volumes " (cote 11954). Son successeur a estimé que " [l]'intérêt de ces pratiques était de conserver les positions existantes " (cotes 14677).
676. Brenntag SA a également confirmé à plusieurs reprises que l'entente sur la " zone Rhône-Alpes " avait pour objectif la restauration des marges des participants. M. Pierre A., anciennement directeur commercial et directeur des ventes à Lyon à compter de 1998, a relevé qu'" [à] partir de 1999, des pratiques d'ententes se sont organisées à Lyon à l'initiative de Brenntag et d'Univar qui, confrontés à des résultats en baisse, souhaitaient restaurer leur marge " (cote 10808). Par la suite, il a confirmé que " [l]'objectif de la concertation était de conserver un certain niveau de marge " (cote 33116). M. Olivier Z., directeur de la région sud comprenant la " zone Rhône-Alpes " et la " zone Bourgogne ", a déclaré que le directeur du site de Lyon de Lambert Rivière lui a " téléphoné pour me proposer de rencontrer le nouveau directeur de Quarrechim (devenu Univar) à l'occasion d'un déjeuner, lors duquel il a proposé que l'on s'entende pour augmenter nos marges " (cote 14670). Selon, M. Pierre A., ancien directeur des ventes au sein de Brenntag SA en Rhône-Alpes, " [l]'objectif de la concertation était de conserver un certain niveau de marge " (cote 33116).
677. Sur la " zone Bourgogne ", Brenntag SA a dénoncé une entente qui devait permettre aux membres " de maintenir les volumes impartis à chacun d'entre eux. La répartition ne devait pas modifier la proportion de volumes sur lesquels les membres s'étaient accordés " (cote 267, 06-0075 AC). Les déclarations de M. Olivier Z. concernant la " zone Rhône-Alpes " valent également pour la " zone Bourgogne ", car les ententes sur ces zones sont semblables, ont été initiées à trois mois d'intervalle, et relèvent du même directeur régional.
678. Sur la " zone ouest ", Univar a également déclaré que les ententes en cause avaient " pour objectif le maintien des positions et des marges " (cote 577, 06-0092 AC). M. Jean-Yves B. a confirmé la déclaration d'Univar en justifiant la participation de Brenntag SA aux ententes afin d'" améliorer encore [s]es marges (...) L'objectif était certes d'améliorer nos marges mais pas à outrance " (cote 22505). Solvadis a pour sa part indiqué que " [l]e fond du débat, était de dire que la région ouest était sinistrée et dont l'activité nécessitait des investissements importants, et qu'il fallait trouver une solution afin de permettre la hausse des marges et favoriser ces investissements " (cote 34050).
- Sur les liens de similarité et de complémentarité entre les pratiques
679. Les différentes pratiques constatées relèvent d'un plan d'ensemble visant un objectif anticoncurrentiel concret. Elles comportent des similarités et des complémentarités, qui seront successivement évoquées ci-après.
Sur les participants à l'infraction
680. Les participants aux pratiques en cause sont constitués à chaque fois du leader national, Brenntag SA, et des principaux opérateurs locaux, disposant d'une implantation historique sur les zones en cause (paragraphes 40 et suivants). En ce qui concerne plus particulièrement Brenntag SA, il doit être relevé qu'il s'agit, en raison de son implantation nationale, de la seule entreprise en concurrence avec l'ensemble des autres participants.
681. Le fonctionnement et l'effectivité des pratiques nécessitant la participation des principaux acteurs sur chaque zone, l'arrêt de la participation d'un d'entre eux a entraîné leur cessation au sein de la zone considérée (paragraphes 699 et suivants).
Sur le rôle pivot de Brenntag SA
682. Il ressort des constatations et des pièces au dossier que Brenntag SA, outre sa participation à l'ensemble des ententes relevées, assurant ainsi le lien et la complémentarité entre elles, a joué un rôle central dans l'organisation et la mise en œuvre de l'infraction unique, et en prenant l'initiative des ententes dans trois des quatre zones, ainsi qu'en assurant la surveillance de ces ententes et en les faisant cesser dans la plupart des cas.
683. En ce qui concerne le rôle d'initiateur de Brenntag SA, plusieurs de ses salariés se rejettent la responsabilité de l'initiative de l'entente sur la " zone nord ". Ainsi, M. Gilles O., directeur de site à Wattrelos, a déclaré que " [s]elon mon souvenir et selon toute vraisemblance, c'est sur instruction/impulsion téléphonique de Jean-Pierre N., directeur de la région Nord, donnée à mon attention, que ces réunions ont commencé " (cote 11975). Jean-Pierre N., pour sa part, a déclaré que " [s]elon mon souvenir, je pense que c'est Gilles O., mon directeur de site, qui doit en avoir pris l'initiative, et je lui ai donné mon accord " (cote 14652). M. Philippe S., directeur adjoint à Wattrelos, a déclaré que l'entente a été initiée " sur instruction hiérarchique de la direction de la région Nord " (cote 13362).
684. Sur la " zone Rhône-Alpes ", M. Michel E., chargé de la chimie minérale chez Vaissière-Favre de 1998 à fin 2002, a indiqué que Brenntag SA avait été l'initiateur de l'entente. Il a ainsi déclaré que c'est " M. Olivier Z. [qui] a pris l'initiative de réunir tous les interlocuteurs sur la région en vue d'une entente sur la minérale et pour l'application des frais techniques " alors que, selon Brenntag, une telle responsabilité incombe à Lambert-Rivière (cotes 14670 et 22788).
685. Sur la " zone Bourgogne ", M. Paul 15. de Brenntag SA a déclaré que l'initiative de l'entente incombait à M. Olivier Z. qui lui aurait " demandé de rencontrer mes concurrents et mes collègues à Reims en juin 1998 " (cote 14658).
686. Sur la " zone ouest ", M. Jean-Yves B., ancien directeur de la région centre ouest chez Brenntag SA, a déclaré à propos des journées régionales de la chimie qu'" [à] cette occasion, j'ai rencontré pour la première fois Pierre C... (de chez Langlois), nous avons échangé et, notamment sur quelques cas, nous nous sommes reprochés nos marges respectives. J'ai proposé sur le ton de la boutade que l'on s'appelle pour se concerter sur un client (...) Nous avons mis en œuvre cette résolution et l'avons élargie peu à peu à d'autres clients " (cote 22504).
687. Si la responsabilité de l'initiative de l'entente sur la " zone Rhône-Alpes " ne peut être clairement imputée à Brenntag, en raison de déclarations contradictoires, une telle responsabilité ne fait aucun doute pour les zones " nord ", " Bourgogne ", et " ouest ", quelle que soit l'identité des personnes précises qui, en son sein, ont matérialisé ce comportement.
688. En ce qui concerne la surveillance des décisions prises en concertation, il a été constaté pour la " zone Nord " les mentions suivantes sur une pièce :
" 17/12 appel M. Q. (Clément) Heineken ...
Heineken H202 étions à 415 (Clément a remis 280)
Ok remonte ses prix à 480 " (cote 2869).
689. Au regard des autres informations figurant sur ce document, ces mentions sont datées du 17 décembre 1997. M. Michel P. a déclaré à ce sujet que " Brenntag a appelé M. Q. car RPC-Clément nous avait pris une commande en pratiquant des prix très bas chez Heineken. Nous voulions savoir ce qui se passait " (cote 34826).
690. Sur la " zone Rhône-Alpes ", Brenntag SA a déclaré que les réunions " étaient l'occasion (notamment et) plus généralement de vérifier le respect de l'entente " (cote 576, 06-0075 AC). Univar a déclaré sur ce point qu'à compter de 2003, " [u]ne réunion tous les mois 1/2 environ avait lieu pour discuter des réajustements à faire en fonction des parts de marchés de chacun (base année 2002), ainsi que le tarif des solvants et du niveau de marge par client. La chimie minérale était vue seulement à la fin, et uniquement pour le niveau des prix des produits qui bougeaient " (cote 575, 06-0092 AC).
691. À cet égard, un compte-rendu du 30 novembre 1999 de M. Grégory 10. concernant le client Rochex figure au dossier, sur lequel il est indiqué des " pertes des marchés en potasse de soude et soude caustique, acide sulfurique, pris par Vaissière (action auprès de Vaissière + cotation " (cote 621, 06-0075 AC). L'intéressé a déclaré à ce sujet que " M. A. m'avait indiqué que le client Rochex était réservé à Brenntag Rhône-Alpes or, lors de la visite chez ce client, je me suis rendu compte que Vaissieres avait pris les marchés. J'en ai fait part à M. A. afin qu'il s'approche de Vaissieres Favre pour régler le problème : à savoir nous laisser le client. Ce type de litige n'était pas réglé au niveau des commerciaux mais par les Directeurs des ventes de chacun des sites des groupes concurrents " (cote 32911).
692. Sur la " zone Bourgogne ", Brenntag SA a déclaré qu'il vérifiait " que cette répartition de clientèle était bien respectée " (cote 267, 06-0075 AC). Au soutien de cette affirmation, Brenntag SA a communiqué quatre documents démontrant la surveillance de la correcte application des décisions arrêtées (cotes 361, 362, 370, et 386, 06-0075 AC).
693. Sur la " zone ouest ", Brenntag SA a déclaré que " [l]e non-respect de l'accord donnait lieu à un simple rappel à l'ordre par voie téléphonique mais à aucune autre conséquence " (cote 688, 06-0075 AC).
694. Il ressort de ces éléments que Brenntag SA a, à tout le moins, participé activement à la surveillance des pratiques.
695. En ce qui concerne le rôle de Brenntag dans la cessation de l'infraction, il convient de relever qu'elle résulte, dans la " zone nord ", d'un événement exogène, à savoir la prise de fonction de M. V. au sein de Districhimie, lequel a exprimé la volonté de mettre un terme à sa participation à l'entente (cote 11943).
696. Pour ce qui est de la " zone Rhône-Alpes ", la suspension de l'entente en juin 2003 résulte de l'intervention de M. Yves 14., président du directoire de Brenntag SA depuis avril 2003. Il a ainsi déclaré avoir " pris diverses mesures pour identifier ces pratiques et pour les faire cesser. J'ai décidé de rencontrer (entre avril et juin 2003) les directeurs concernés, Olivier Z. et Jean-Yves B., lesquels m'ont confirmé l'existence des pratiques. Je leur ai demandé de mettre un terme aux pratiques et j'ai constamment réitéré cette demande, en réunion ou en tête-à-tête avec les intéressés " (cote 14680).
697. En ce qui concerne la " zone Bourgogne ", l'intervention de M. Yves 14. décrite ci-dessus a fait cesser l'entente en juin 2003 (cote 269, 06-0075 AC).
698. Pour ce qui est de la " zone ouest ", la concertation trilatérale a pris fin en raison de la fusion de Lambert-Rivière, Vaissière-Favre et Quarréchim (cote 22798). La concertation bilatérale a cessé, pour sa part, en raison de l'action répétée de M. Yves 14.. Ce dernier, commentant une pièce au dossier, a expliqué : " [c]et ordre du jour de réunion téléphonique entre directeurs de région (JYD : Jean-Yves B. ; OP : Olivier Z.) me permettait de vérifier que les pratiques avaient bien cessé. En effet, fin 2005, j'ai eu des doutes et ai demandé à nos avocats (...) de refaire une formation, laquelle a eu lieu en février 2006 " (cote 14683).
Sur la chronologie de l'infraction
699. À l'exception de l'entente sur la " zone nord " qui a débuté le 17 décembre 1997, l'ensemble des pratiques a eu l'année 1998 pour point de départ :
- 5 juin 1998 pour la " zone Bourgogne " ;
- septembre 1998 pour la " zone Rhône-Alpes " ;
- 6 octobre 1998 pour la " zone ouest ".
700. Ces différentes ententes, bien qu'ayant cessé pour certaines d'entre elles à des périodes différentes, ont pour point de rupture l'année 2003. En effet, la cessation en septembre 2001 des pratiques sur la " zone nord " est due à l'arrivée au sein de Districhimie de M. V. qui s'est opposé à leur maintien (cote 11943).
701. Si l'entente sur la " zone Rhône-Alpes " n'a cessé qu'en juin 2005, l'année 2003 est marquée par sa suspension en juin, puis par sa reprise en décembre. C'est également en juin 2003 que les pratiques sur la " zone Bourgogne " ont cessé. En ce qui concerne la " zone ouest ", comme indiqué ci-dessus, la concertation a pris fin, d'une part, pour la concertation trilatérale le 31 décembre 2002 en raison de la fusion de Lambert-Rivière, Vaissière-Favre et Quarréchim dans Univar et, d'autre part, pour la concertation bilatérale en octobre 2003.
702. Mars 2003 est marqué par l'arrivée à la tête de Brenntag SA de M. Yves 14., lequel a ordonné de mettre fin à toutes les ententes auxquelles la société participait (cote 582, 06-0075 AC). Parallèlement à cette injonction, la direction de Brenntag SA a organisé un mois plus tard une formation au droit de la concurrence (cote 582, 06-0075 AC).
Sur le secteur d'activité visé par l'infraction
703. Les ententes ont dans leur ensemble porté sur la distribution des mêmes produits : les commodités chimiques. Étaient ainsi en cause les solvants et les produits de la chimie minérale conditionnés ou en vrac. Brenntag SA et ses sociétés-mères, dans leurs observations en réponse au rapport, rappellent à cet égard avoir " formé auprès du Rapporteur Général une demande de mise en œuvre de la procédure de l'article L. 464-2 IV du Code de commerce, pour des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution de produits chimiques " (cote 46112).
704. Si, pour certaines ententes, les participants centraient leur concertation en priorité sur les solvants ou sur les produits de la chimie minérale, il apparaît que ce choix résulte des spécificités des sites impliqués. Ainsi, pour l'entente sur la " zone Bourgogne " qui portait principalement sur les produits de la chimie minérale, le site de Brenntag SA à Torcy a une " capacité de stockage : environ 6 000 m3 de minérale et 870 m3 de solvants " (cote 262, 06-0075 AC).
705. Le mode de distribution en cause est également identique. En effet, l'ensemble des entreprises participantes sont des distributeurs. Comme exposé aux paragraphes 576 et suivants, le service de distribution offert par ces derniers se distingue de celui proposé par les producteurs ou par les traders.
Sur les modalités de mise en œuvre de l'infraction
706. Les différentes ententes présentaient également des similitudes dans leur mise en œuvre. L'ensemble des ententes constatées aux paragraphes 114 et suivants se sont ainsi matérialisées par une double pratique de répartition de clientèle et par une coordination tarifaire, interdépendantes l'une de l'autre.
707. La première de ces modalités consistait à préserver les parts de marché de chacun des participants. Les déclinaisons relevées dans les constatations n'étaient dues qu'à une nécessaire adaptation en fonction de la catégorie de clients visée, plus ou moins sensibles aux prix. La seconde tendait à accroître le niveau des marges ou à faciliter la première de ces modalités par la fixation d'un prix minimum. À cet égard, il est constant que les entreprises mises en cause ont procédé à une coordination tarifaire dans les zones Rhône-Alpes, nord et ouest.
708. Par ailleurs et comme cela a été constaté dans le procès-verbal de réception de demande de clémence, Brenntag SA est venue dénoncer notamment des ententes régionales ou locales pour la répartition des clients et des marchés, et sur le niveau des prix lors de la passation de marchés par des utilisateurs de commodités chimiques, en particulier par des offres de couverture et des échanges d'information préalables au dépôt des offres (cote 2, 06-0075 AC). Brenntag SA a, dans le même sens, révélé pour chacune des zones en cause des ententes consistant en des répartitions de clientèle et en des coordinations de prix (cotes 698 pour la " zone nord ", 574 pour la " zone Rhône-Alpes ", 262 pour la " zone Bourgogne ", et 685 pour la " zone ouest ", 06-0075AC).
Sur l'implication des directions générales des entreprises
709. Les éléments au dossier révèlent que les directions des entreprises mises en cause avaient connaissance des différentes ententes relevées. Cette implication participe à la mise en évidence de la complémentarité des pratiques voulues par les participants.
RPC Clément
710. M. Jean-Marc Q., membre de l'équipe dirigeante de RPC-Clément et Langlois-chimie, a participé aux réunions de concertation jusqu'en juin 2001 sur la " zone nord " (paragraphes 412 et suivants).
Langlois-Chimie
711. Entre octobre 1998 et décembre 2002, M. Pierre C., directeur de la région ouest en charge de l'industrie, et M. Pascal 26., responsable national des ventes, ont participé aux réunions de concertation et aux échanges téléphoniques sur la " zone ouest " (paragraphes 412 et suivants).
Solvadis
712. M. Marc-Antoine F., président du directoire de Solvadis entre juin 2002 et octobre 2003, a reconnu avoir été mis au courant des ententes lors d'une réunion avec Brenntag SA (paragraphes 412 et suivants). M. Jacques L., notamment membre du comité de direction et de l'équipe dirigeante de Solvadis entre février 2003 et janvier 2004, a reconnu avoir participé à des réunions et eu des contacts téléphoniques avec ses concurrents (paragraphes 412 et suivants).
Brenntag SA
713. Les ententes sur l'ensemble des zones ont été initiées ou approuvées par les différents directeurs de région. Sur la " zone nord ", M. Jean-Pierre N., comme il l'a déclaré, a, à tout le moins, donné son accord au lancement de l'entente (paragraphes 412 et suivants). Ce dernier a en outre assisté à la réunion de lancement de l'entente sur la " zone Bourgogne " (paragraphes 412 et suivants). M. Olivier Z., directeur de la région sud comprenant la " zone Rhône-Alpes " et la " zone Bourgogne ", a participé aux réunions de lancement des ententes sur ces zones et à celles qui ont suivi (paragraphes 412 et suivants). Sur la " zone ouest ", M. Jean-Yves B. a initié les ententes (paragraphes 412 et suivants). Ce dirigeant connaissait l'existence d'ententes sur les autres zones. En effet, il a déclaré savoir " qu'il existait des pratiques similaires sur les autres régions, mais je ne connaissais pas le fonctionnement de ces concertations. À l'époque, il y avait 4 directeurs de région : O. Z., JP N., moi-même et M. B. D.. Nous nous voyons régulièrement tous les 4 lors des comités de direction. Nous échangions sur les pratiques sans rentrer dans les détails, en marge des comités de direction " (cote 34075).
714. Les pièces révèlent également que la direction de Brenntag SA avait été informée de ces ententes. A cet égard, M. Daniel X., président de Brenntag SA de juin 1998 à 2000, a déclaré : " J'avais conscience en 1998-1999 qu'il existait quelque chose sur Rhône-Alpes. Plus tard, j'ai eu des doutes sur la Bretagne " (cote 13320). À cet égard, M. Jean-Yves B. a précisé qu'" [e]n 2001-2002, Daniel X. m'a interrogé sur ces pratiques : je lui ai confirmé que de telles pratiques existaient bien mais l'ai rassuré en lui indiquant que ces pratiques étaient peu importantes " (cote 22506). M. Yves 14., président de Brenntag SA à compter d'avril 2003, a pour sa part déclaré que son prédécesseur, M. Daniel X., l'a " informé de l'existence des pratiques sur le site Rhône-Alpes et sur le site Maine-Bretagne, qu'il m'a présentées comme l'un des problèmes que j'aurai à régler " (cote 14680).
715. Par ailleurs, M. Bruno D., anciennement directeur régional de Brenntag pour l'Ile-de-France et membre du comité de direction de Brenntag jusqu'en 2004, a déclaré faire " partie du comité de direction composé des quatre directeurs de région (Ile-de-France, Nord, Ouest, Lyon), du Président, des deux directeurs généraux et d'une ou deux autres personnes). (...) Les ententes ont dû commencer en 1999 en Bretagne et à Lyon, j'ai été au courant en 2001 et le sommet a été atteint en 2003. Le groupe était extrêmement décentralisé, cloisonné. (...) MM X., 29. et N. m'expliquaient que ces pratiques étaient dans l'intérêt de Brenntag. (...) En comité de direction, MM B. et Z. se vantaient de leurs agissements " (cote 13333).
716. Les déclarations de M. Stéphane V. confirment la connaissance de ces ententes par le comité de direction de Brenntag SA car " au Comité de Direction de Brenntag en janvier 2000, j'ai appris qu'il existait bien des ententes illicites sur les régions Lyonnaise et Ouest. C'était notoire, évoqué librement (même si ce sujet n'invitait pas à des débats collectifs) par les personnes concernées (2 Directeurs de Région) lors de déjeuners, de discussions diverses, etc. " (cote 11944).
717. Enfin, la présence de M. Daniel X., président de Brenntag SA, à la réunion de lancement de l'entente sur la " zone Rhône-Alpes " corrobore leur connaissance par la direction (paragraphes 412 et suivants). À cet égard, M. Olivier Z., directeur de la région sud comprenant les zones " Rhône-Alpes " et " Bourgogne " depuis 1997, confirme avoir " informé Daniel X., alors Président, de ces ententes, et celui-ci a été présent à une réunion au cours de laquelle a été acté le démarrage de la pratique " (cote 14670).
Marce
718. Il n'est pas contesté que le directeur de la société Marce, M. Bernard 34., a participé aux réunions de concertation sur la " zone Rhône-Alpes " (paragraphes 412 et suivants).
Lambert-Rivière
719. Sur la " zone Rhône-Alpes ", Univar SAS a reconnu la connaissance par les directions de Lambert-Rivière, Vaissière-Favre et Quarréchim de leur participation à l'entente. Univar SAS a ainsi déclaré qu'" à l'initiative des responsables locaux, il fut décidé en 1998 de réunir les principaux acteurs, à savoir Lambert-Rivière, Brenntag, Quarréchim, et Vaissière-Favre à Paris (au Novotel de Bercy) en présence des dirigeants de chaque société (...) Il s'agissait clairement d'une volonté locale réalisée avec la bénédiction des directions parisiennes desdites entreprises " (cote 573).
720. Sur la " zone ouest ", les appels téléphoniques ont été passés entre 1999 et 2001 par M. Jérôme 5., responsable régional au siège, et entre 2001 et 2002 par Mme Laurence J., chef des produits solvants également au siège, à la demande pour cette dernière du directeur commercial (paragraphes 412 et suivants). Cette dernière a également participé entre 2000 et 2002 aux réunions de concertation sur la " zone Rhône-Alpes " et sur la " zone ouest " (paragraphes 412 et suivants).
Vaissière-Favre
721. Entre 1998 et 2002, M. Jean-Jacques W..., président de Vaissière Favre, a participé personnellement aux réunions de lancement sur la " zone Rhône-Alpes " (paragraphes 412 et suivants). Si sa participation n'a débuté qu'à compter de la seconde réunion au cours de laquelle il ne se serait pas montré favorable aux pratiques, il aurait par la suite pris l'initiative de contacter ses concurrents afin que se tienne une nouvelle réunion pour faire débuter l'entente.
Quarréchim
722. Entre 1998 et 2002, les représentants de la direction générale ont participé aux réunions de concertation dont notamment, M. Michel 3., successivement directeur général adjoint puis président de Quarréchim (paragraphes 412 et suivants).
Univar SAS
723. Il ressort des pièces au dossier que la direction d'Univar SAS était informée des ententes en cause. Ainsi M. Michel E., directeur régional sur la zone centre comprenant la " zone Rhône-Alpes ", a estimé que " Manuel 24. (directeur général d'Univar) était au courant de l'existence des ententes même si aucun reporting ne lui a été communiqué. De plus, après analyse aux environs de 2004, il est apparu que les résultats d'Univar dans la région centre Est, que le pourcentage de marge commercial était plus élevé que dans les autres régions " (cote 22788). Nicolas 30., directeur commercial France à compter de 2005, a indiqué pour sa part que " [m]on patron, M. 24. était au courant de ces pratiques qu'il n'avait pas cherché à arrêter. Je pense qu'il était d'abord préoccupé par la fusion des trois sociétés ayant donné Univar et qu'il avait laissé de côté cette difficulté " (cote 11164).
Caldic-Est
724. Les pièces au dossier établissent que les représentants de Caldic Est, en les personnes de M. Christian 18., directeur général, et M. Serge 19., directeur des achats et des ventes, ont participé à la réunion de lancement de l'entente sur la " zone Bourgogne " (paragraphes 412 et suivants). M. David 21., commercial puis à compter de 2000 directeur des ventes et membre de l'équipe dirigeante, a également participé à la réunion de lancement de l'entente (paragraphes 412 et suivants).
725. En conclusion, les différentes pratiques constatées en l'espèce s'inscrivent dans un plan d'ensemble visant, de manière concrète, à restreindre la concurrence dans le secteur de la distribution de commodités chimiques, et sont en outre caractérisées par des points communs significatifs concernant, en particulier, leur chronologie, leurs modalités de conception et de mise en œuvre, les entreprises y ayant participé et le rôle pivot de Brenntag dans leur fonctionnement. L'existence d'une infraction unique et complexe est donc établie, comme ne le contestent d'ailleurs ni Solvadis, ni Univar SAS ni Caldic Est (paragraphes 503 et suivants).
726. Les différences entre les ententes développées dans leurs écritures par Brenntag SA et ses sociétés-mères ne sont pas suffisantes pour remettre en cause l'existence du plan d'ensemble visant un objectif anticoncurrentiel concret constaté ci-dessus, non plus que l'ensemble des points communs significatifs exposés ci-dessus.
727. Le standard de preuve que prétendent imposer Brenntag SA et ses sociétés-mères pour pouvoir retenir la qualification d'infraction complexe et continue n'est pas celui issu de la jurisprudence rappelée aux paragraphes 596 à 613 ci-dessus, qui est rempli en l'espèce pour les raisons exposées aux paragraphes 630 à 726 ci-dessus. Leurs arguments à cet égard doivent donc être écartés. En particulier, comme rappelé ci-dessus, il n'est en aucune manière exigé une identité parfaite entre les ententes appréhendées. Il n'est pas non plus exigé par la jurisprudence de démontrer, d'une part, la conscience qu'auraient les entreprises concernées de participer à une infraction globale et, d'autre part, l'existence d'un accord de volontés sur le plan d'ensemble. Au contraire, le Tribunal a relevé à cet égard que la jurisprudence " ne fait pas mention d'un critère subjectif par rapport à l'appréciation du caractère unique d'une infraction. Dès lors, la question de savoir si un ensemble d'accords et de pratiques contraires à l'article [101, paragraphe 1, TFUE] constitue une infraction unique et continue est, au contraire, une question qui dépend uniquement de facteurs objectifs, parmi lesquels l'objectif commun desdits accords et pratiques. Ce dernier est un critère qui doit être apprécié au regard du seul contenu de ces accords et pratiques et qui ne doit pas être confondu, ainsi que Siemens semble le faire, avec l'intention subjective des différentes entreprises de participer à une entente unique et continue. En revanche, cette intention subjective ne peut et ne doit être prise en compte que dans le cadre de l'appréciation de la participation individuelle d'une entreprise à un tel accord unique et continu " (arrêt Siemens, précité, point 246 ; voir également, en ce sens, arrêt de la Cour de justice 6 décembre 2012, Commission/Verhuizingen Coppens, C-441-11 P, point 41).
Sur l'objet de l'infraction
Rappel des principes
728. L'objectif essentiel du droit de la concurrence consiste à ce que tout opérateur économique détermine de manière autonome la politique qu'il entend suivre sur le marché (voir, en ce sens, arrêts de la Cour de justice du 14 juillet 1981, Züchner, 172-80, Rec. p. 2021, point 13, et du 4 juin 2009, T-Mobile Netherlands e.a., C-8-08, Rec. p. I-4529, point 32).
729. Dans le cas d'accords se manifestant lors de réunions d'entreprises concurrentes, une infraction aux règles de la concurrence est constituée lorsque ces réunions ont pour objet ou pour effet de restreindre, d'empêcher ou de fausser le jeu de la concurrence et visent ainsi à organiser artificiellement le fonctionnement du marché (voir, en ce sens, arrêt de la Cour de justice du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, Rec. 2002, p. II-1681, point 145).
730. L'article 101, paragraphe 1, TFUE vise expressément comme étant restrictifs de concurrence et incompatibles avec le marché intérieur les accords et les pratiques concertées consistant, d'une part, à fixer de façon directe ou indirecte les prix ou d'autres conditions de transaction et, d'autre part, à répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement.
731. De la même façon, l'article L. 420-1 du Code de commerce prohibe expressément les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites entre les entreprises lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, notamment lorsqu'elles tendent, d'une part, à faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse et, d'autre part, à répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement.
732. Enfin, il résulte des termes mêmes des dispositions qui précèdent que l'objet et l'effet anticoncurrentiel de telles pratiques sont des conditions alternatives et non cumulatives pour apprécier si celles-ci peuvent être sanctionnées en application de ces dispositions (arrêts de la Cour de justice du 4 juin 2009, T-Mobile Netherlands e.a., précité, points 28 et 30, et du 6 octobre 2009, GlaxoSmithKline Services/Commission, C-501-06 P, C-513-06 P, C-515-06 P et C-519-06 P, Rec. p. I-9291, point 55 ; arrêt de la Cour d'appel de Paris du 15 juin 2010, Veolia Transports, n° 2009/20624, p. 13).
Appréciation de l'Autorité
733. Les différents aspects des pratiques constatées en l'espèce revêtent bien un objet anticoncurrentiel, rappelé ci-après.
- Sur les répartitions de clientèle
734. L'article 101, paragraphe 1, sous c), du TFUE prévoit expressément que constituent des restrictions de concurrence les mesures qui consistent à se répartir les marchés. Il en va de même de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
735. Comme exposé ci-dessus, l'infraction unique et complexe en cause en l'espèce comprenait plusieurs ententes consistant en des répartitions de clientèle. De telles pratiques ont ainsi été relevées sur les zones suivantes :
- " zone nord " : pacte de non-agression et soumission d'offres de couverture ;
- " zone Rhône-Alpes " : système de tours remplacé par un pacte de non-agression pour les solvants et pacte de non-agression pour les produits de la chimie minérale ;
- " zone Bourgogne " : répartition de clientèle et soumission d'offres de couverture ;
- " zone ouest " : allocation de clients tant en ce qui concerne la concertation trilatérale pour les solvants que bilatérale pour les produits de la chimie minérale.
736. Ces pratiques de répartition de clientèle, qui s'inscrivent dans la même infraction unique et complexe décrite aux paragraphes 630 à 726, contreviennent aux dispositions des articles 101, paragraphe 1, TFUE et L. 420-1 du Code de commerce, ce qui n'est pas contesté par Solvadis, Univar SAS et Caldic Est (paragraphes 503 et suivants).
- Sur la fixation de tarifs communs et la coordination tarifaire
737. L'article 101, paragraphe 1, sous a), du TFUE prévoit expressément que constituent des restrictions de concurrence les mesures qui consistent à fixer de façon directe ou indirecte les prix d'achat ou de vente. Il en va de même de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
738. Il a été constaté, sur la " zone nord ", que les participants à l'infraction ont procédé à une coordination tarifaire afin de mettre en œuvre la répartition de clientèle décrite ci-dessus, d'une part, et de répercuter les hausses de prix des fournisseurs, d'autre part. Sur la " zone Rhône-Alpes ", une entente consistant en une fixation de tarifs communs ayant permis la répartition de clientèle sous la forme d'allocation des volumes et de gel des parts de marché des participants a été arrêtée. Sur la " zone Bourgogne ", les participants ont recouru à une coordination tarifaire lors des soumissions d'offres de couverture. Sur la " zone ouest " enfin, les participants ont coordonné leur politique tarifaire dans le dessein de répercuter conjointement les hausses de prix des fournisseurs sur les prix de revente des produits de la chimie minérale, et de faciliter les répartitions de clientèle.
739. Ces ententes consistant en une fixation de tarifs communs et en une coordination tarifaire, qui s'inscrivent dans la même infraction unique et complexe décrite aux paragraphes 630 à 726, contreviennent aux dispositions des articles 101, paragraphe 1, TFUE et L. 420-1 du Code de commerce, ce qui n'est pas contesté par Solvadis, Univar, et Caldic Est (paragraphes 503 et suivants).
Sur la durée et la continuité de l'infraction
Rappel des principes
740. Pour déterminer la durée d'une infraction aux règles de la concurrence, il convient de rechercher la période qui s'est écoulée entre la date de sa conclusion et la date à laquelle il y a été mis fin (arrêts du Tribunal du 27 juillet 2005, Brasserie nationale e.a./Commission, T-49-02 à T-51-02, Rec. p. II-3033, point 185, et du 5 décembre 2006, Westfalen Gassen Nederland/Commission, T-303-02, Rec. p. II-4567, point 138). En l'absence d'éléments de preuve susceptibles d'établir directement la durée de cette infraction et sa continuité, l'autorité de concurrence doit se fonder, au moins, sur des éléments de preuve se rapportant à des faits suffisamment rapprochés dans le temps, de façon qu'il puisse être raisonnablement admis que cette infraction s'est poursuivie de façon ininterrompue entre deux dates précises (arrêts du Tribunal du 7 juillet 1994, Dunlop Slazenger/Commission, T-43-92, Rec. p. II-441, point 79, et du 16 novembre 2006, Peróxidos Orgánicos/Commission, T-120-04, Rec. p. II-4441, point 51).
741. Il convient de souligner qu'en vertu de la jurisprudence, la suspension d'une pratique anticoncurrentielle pendant une période déterminée n'empêche pas cette dernière de revêtir la qualification d'infraction continue dès lors que, après son interruption, elle a été reprise selon les mêmes modalités (arrêts du Tribunal du 20 mars 2002, Dansk Rørindustri/Commission, T-21-99, Rec. p. II-1681, points 53 à 56, du 5 avril 2006, Degussa/Commission, T-279-02, Rec. p. II-897, point 178, et du 19 mai 2010, IMI e.a./Commission, T-18-05, Rec. p. II-1769, points 96 et 97, et de la Cour d'appel de Paris du 29 mars 2012, Lacroix signalisation e.a., n° 2011-01228, p. 10).
742. S'agissant de la preuve de la durée de cette infraction et de sa continuité, le juge de l'Union a considéré qu'entre deux dates précises pour lesquelles elle était établie, des déclarations d'entreprises sur leur continuité pouvaient constituer des éléments de preuve suffisants (arrêt du Tribunal du 5 avril 2006, Degussa/Commission, précité, point 153).
Appréciation de l'Autorité
- Sur le point de départ de l'infraction
743. Sur la " zone nord ", il est constant que Brenntag SA, Districhimie et RPC Clément se sont entendues à compter du 17 décembre 1997 (paragraphes 116 et suivants). Sur la " zone Rhône-Alpes ", l'entente a été mise en œuvre par Brenntag SA, Lambert-Rivière, Vaissière-Favre et Quarréchim à compter de la réunion qui s'est tenue à Paris en septembre 1998 (paragraphes 164 et suivants). Sur la " zone Bourgogne ", elle l'a été à partir du 5 juin 1998, date à laquelle Brenntag SA et Caldic Est ont participé à une réunion à Reims (paragraphes 247 et suivants). Sur la " zone ouest ", elle l'a été à l'issue des journées régionales de la chimie, le 6 octobre 1998, par Brenntag SA, Langlois Chimie, et Lambert-Rivière (paragraphes 332 et suivants).
744. L'infraction unique et complexe englobant ces différentes pratiques est donc établie à compter du 17 décembre 1997. À cet égard, il doit être rappelé qu'il importe peu et qu'il est même inhérent à la notion d'infraction complexe et continue, que, au vu des preuves figurant au dossier, les dates de mises en œuvre des différentes pratiques que recouvre une telle infraction ne soient pas nécessairement les mêmes (arrêt BPB/Commission, précité, point 256).
- Sur la date de fin de l'infraction
745. Sur la " zone nord ", l'infraction a cessé en septembre 2001 (paragraphes 160 et suivants). Sur la " zone Rhône-Alpes ", bien qu'elle ait été suspendue au mois de juin 2003, elle a été reprise selon les mêmes modalités, comme cela n'a pas été contesté en séance par Brenntag SA et ses sociétés-mères, en décembre de la même année pour cesser en juin 2005 (paragraphes 241 et suivants). Sur la " zone Bourgogne ", sa mise en œuvre est avérée jusqu'en juin 2003 (paragraphes 329 et suivants). Sur la " zone ouest ", elle est établie, s'agissant des solvants, jusqu'au 31 décembre 2002 et, s'agissant des produits de la chimie minérale, jusqu'en octobre 2003 (paragraphes 375 et suivants).
746. L'infraction unique, complexe et continue englobant ces différentes pratiques est donc établie jusqu'en juin 2005.
- Conclusion sur la durée de l'infraction
747. La durée de l'infraction est donc démontrée pour une période de 7 ans, 5 mois et 15 jours, ce qui n'est pas contesté par Solvadis, Univar SAS et Caldic Est (paragraphes 503 et suivants).
Sur la participation individuelle des mises en cause à l'infraction complexe et continue
Sur la preuve de la participation individuelle
- Rappel des principes
748. La jurisprudence de l'Union rappelle que les infractions uniques, complexes et continues résultent " nécessairement du concours de plusieurs entreprises, qui sont toutes coauteurs de l'infraction, mais dont la participation peut revêtir des formes différentes, en fonction notamment des caractéristiques du marché, des buts poursuivis et des modalités d'exécution choisies ou envisagées ", et que ces différences ne suffisent pas à exonérer les entreprises participantes de leur responsabilité, y compris " pour les comportements qui sont matériellement mis en œuvre par d'autres entreprises participantes, mais qui partagent le même objet ou le même effet anticoncurrentiel " (arrêt Commission/Anic Partecipazioni, précité, points 79 et 80). Dans une telle hypothèse, l'entreprise participante est responsable, " pour toute la période de sa participation à ladite infraction, des comportements mis en œuvre par d'autres entreprises dans le cadre de la même infraction. Tel est, en effet, le cas lorsqu'il est établi que l'entreprise en question connaissait les comportements infractionnels des autres participants ou qu'elle pouvait raisonnablement les prévoir et qu'elle était prête à en accepter le risque " (arrêt Commission/Anic Partecipazioni, précité, point 83 ; voir également arrêts de la Cour de cassation du 9 octobre 2007, Véolia transport e.a., n° 06-12446 et de la Cour d'appel de Paris du 11 octobre 2012, Entreprise H. Chevalier nord, n° 2011-03298, p. 45).
749. Ainsi, une entreprise peut avoir directement participé à l'ensemble des comportements anticoncurrentiels composant l'infraction unique, complexe et continue, auquel cas l'autorité de concurrence est en droit de lui imputer la responsabilité de tous ces comportements et, partant, de ladite infraction dans son ensemble (arrêt Commission/Verhuizingen Coppens, précité, point 43).
750. Une entreprise peut également n'avoir directement participé qu'à une partie des comportements anticoncurrentiels composant l'infraction unique, complexe et continue, mais avoir eu connaissance de l'ensemble des autres comportements infractionnels envisagés ou mis en œuvre par les autres participants à l'entente dans la poursuite des mêmes objectifs, ou avoir pu raisonnablement les prévoir et avoir été prête à en accepter le risque. Dans un tel cas, l'autorité de concurrence est également en droit d'imputer à cette entreprise la responsabilité de l'ensemble des comportements anticoncurrentiels composant une telle infraction et, par suite, de celle-ci dans son ensemble (arrêt Commission/Verhuizingen Coppens, précité, point 43).
751. En revanche, si une entreprise a directement pris part à un ou plusieurs des comportements anticoncurrentiels composant une infraction unique, complexe et continue, mais s'il n'est pas établi que, par son propre comportement, elle entendait contribuer à l'ensemble des objectifs communs poursuivis par les autres participants à l'infraction et qu'elle avait connaissance de l'ensemble des autres comportements infractionnels envisagés ou mis en œuvre par lesdits participants dans la poursuite des mêmes objectifs ou qu'elle pouvait raisonnablement les prévoir et était prête à en accepter le risque, l'autorité de concurrence n'est en droit de lui imputer la responsabilité que des seuls comportements auxquels elle a directement participé et des comportements envisagés ou mis en œuvre par les autres participants dans la poursuite des mêmes objectifs que ceux qu'elle poursuivait et dont il est prouvé qu'elle avait connaissance ou pouvait raisonnablement les prévoir et était prête à en accepter le risque (arrêt Commission/Verhuizingen Coppens, précité, point 44).
752. Dans cette dernière hypothèse, la Cour de justice a néanmoins précisé que cela ne saurait " conduire à exonérer cette entreprise de sa responsabilité pour les comportements dont il est constant qu'elle y a pris part ou dont elle peut effectivement être tenue pour responsable " (arrêt Commission/Verhuizingen Coppens, précité, point 45).
- Arguments des parties
753. Brenntag SA et ses sociétés-mères estiment que, pour pouvoir imputer une infraction unique, complexe et continue à une entreprise qui a participé uniquement à certains de ses éléments constitutifs, il devrait être apporté la preuve, d'une part, qu'elle avait conscience de participer à un plan global et, d'autre part, qu'elle avait connaissance des comportements infractionnels mis en œuvre par les autres membres de l'entente.
- Appréciation de l'Autorité
754. Sera successivement examinée la participation individuelle de RPC Clément, Langlois-Chimie, Solvadis, Brenntag SA, Lambert-Rivière, Quarréchim, Vaissière-Favre, Univar SAS, et Caldic Est.
RPC Clément, Langlois-Chimie et Solvadis
755. Il a été démontré aux paragraphes 123 et suivants que RPC Clément a participé directement à l'entente sur la " zone nord " et aux paragraphes 337 et suivants que Langlois-Chimie a été l'un des acteurs des ententes sur la " zone ouest ".
756. Ces sociétés, puis Solvadis, ont eu connaissance des ententes sur la " zone Rhône-Alpes " et la " zone Bourgogne ". M. Pierre C., directeur grands comptes de 2003 à avril 2004, a déclaré qu'" [e]n outre, il y a eu beaucoup de recrutements à la concurrence : chez Solvadis, les directeurs des régions Ile-de-France, Nord, Sud-Ouest venaient de Brenntag, je ne pouvais pas ne pas savoir ce qui se passait chez Brenntag " (cote 13356). Solvadis a en outre dénoncé des pratiques sur l'ensemble des zones retenues. Ainsi, cette connaissance des pratiques sur la " zone Rhône-Alpes " et la " zone Bourgogne " n'est pas contestée par Solvadis.
757. Ainsi, Solvadis, qui ne l'a pas contesté, doit être tenue pour responsable de l'ensemble des comportements anticoncurrentiels composant l'infraction unique, complexe et continue en cause en l'espèce et, par suite, de celle-ci dans son ensemble.
Brenntag SA
758. Brenntag SA a participé à l'ensemble des ententes constatées sur les zones " nord ", " Rhône-Alpes ", " Bourgogne " et " ouest ", qu'elle a en outre dénoncées (paragraphes 7 et suivants). Il a par ailleurs été démontré que la direction de Brenntag SA en avait connaissance (paragraphes 713 et suivants). Il n'y a pas lieu, eu égard à la jurisprudence rappelée plus haut, de démontrer en sus sa conscience de participer à un plan global.
759. Ainsi, Brenntag SA doit être tenue pour responsable de l'ensemble de ces comportements et, partant, de l'infraction unique, complexe et continue dans son ensemble.
Lambert-Rivière et Quarréchim
760. Il a été démontré que Lambert-Rivière a directement participé aux ententes relevées sur la " zone Rhône-Alpes " aux paragraphes 169 et suivants et la " zone ouest " aux paragraphes 337. Quarréchim, pour sa part, a mis en œuvre l'entente sur la " zone Rhône-Alpes ". Cette dernière société était détenue à 100 % par Lambert-Rivière de 1998 au 1er janvier 2003.
761. Sur la " zone nord ", Mme Laurence J., chef de produits solvants, a été la correspondante de Lambert-Rivière pour les ententes mises en œuvre sur plusieurs territoires. Elle a en effet déclaré être " l'interlocuteur des différents concurrents sur les régions Est, Nord et Bretagne pour ces clients, et nous échangions par téléphone, et j'essayais de maintenir, en accord avec mes concurrents, mes niveaux de vente. Je communiquais après le prix aux vendeurs situés dans les zones concernées, pour ces clients spécifiques, et dans le cadre occasionnel précisé ci-avant " (cote 22796).
762. Lambert-Rivière et Quarréchim n'ont pas délimité de " zone Bourgogne " mais une " zone centre " qui recouvre les zones " Rhône-Alpes " et " Bourgogne " circonscrites par Brenntag SA. Dès lors, l'entente entre Brenntag SA et Caldic Est sur la zone " Bourgogne " affectait la concurrence sur la " zone centre " tel qu'identifiée par Lambert-Rivière et Quarréchim. Ainsi, Mme Laurence J. avait notamment pour périmètre géographique d'activité les zones " Rhône-Alpes " et " Bourgogne ".
763. Dès lors, Lambert-Rivière et Quarréchim ont pu raisonnablement prévoir les ententes sur la " zone nord " et la " zone Bourgogne " et en accepter le risque. Ces deux sociétés ne contestent pas la connaissance des ententes dans les zones où elles n'étaient pas présentes.
764. Ainsi, Lambert-Rivière et Quarréchim doivent donc se voir imputer la responsabilité de l'infraction unique, complexe et continue dans son ensemble, ce qu'Univar n'a pas contesté.
Vaissière-Favre
765. Comme cela a été constaté aux paragraphes 169 et suivants, Vaissière-Favre a directement participé à l'entente relevée sur la " zone Rhône-Alpes ". Cette société a été acquise en 2000 par le groupe Vopak qui détenait notamment la société Lambert-Rivière (paragraphes 860 et suivants).
766. Vaissière-Favre a donc pu raisonnablement prévoir les ententes sur la " zone nord ", la " zone Bourgogne ", et la " zone ouest ", et en accepter le risque. La connaissance de ces ententes n'est pas contestée par l'entreprise mise en cause.
767. Ainsi, Vaissière-Favre doit donc se voir imputer la responsabilité de l'infraction unique, complexe et continue dans son ensemble, ce qu'Univar n'a pas contesté.
Univar SAS
768. Résultant de la fusion de Lambert-Rivière, Quarréchim et Vaissière-Favre, soit plusieurs entreprises ayant participé aux ententes sur la " zone Rhône-Alpes " et la " zone ouest ", et ayant elle-même continué à les mettre en œuvre, Univar SAS en avait connaissance.
769. En ce qui concerne la connaissance des ententes relevées sur la " zone nord " et la " zone Bourgogne ", la même conclusion qu'à l'égard de Lambert-Rivière, Quarréchim, et Vaissière-Favre s'impose pour Univar SAS.
770. Dès lors, Univar SAS a pu raisonnablement prévoir les ententes sur la " zone nord " et la " zone Bourgogne " et en accepter le risque. Cette société ne conteste pas la connaissance des ententes dans les zones où elle n'était pas présente.
771. Ainsi, Univar SAS doit donc se voir imputer la responsabilité de l'infraction unique, complexe et continue dans son ensemble, ce qu'elle n'a pas contesté.
Caldic Est
772. Comme cela a été démontré aux paragraphes 258 et suivants, Caldic Est a directement participé à l'entente relevée sur la " zone Bourgogne ".
773. En outre, pendant la commission de l'entente, M. Michel 20. a été en contact, par le biais de réunions et appels téléphoniques, avec M. Olivier Z., responsable de la " zone Bourgogne " et de la " zone Rhône-Alpes " chez Brenntag SA, M. Jean-Pierre N., responsable de la " zone nord " chez cette même société. Il doit être rappelé que M. Oliver Z. et M. Jean-Pierre N. étaient également membres du comité de direction de Brenntag SA. Caldic-Est ne pouvait donc ignorer que l'entente à laquelle elle participait ne se limitait pas à la " zone Bourgogne ". Cette connaissance des ententes sur la " zone nord " et sur la " zone Rhône-Alpes " n'est pas contestée par l'entreprise mise en cause.
774. Ainsi, Caldic Est doit être tenue pour responsable de l'ensemble des comportements anticoncurrentiels composant l'infraction unique, complexe et continue en cause en l'espèce à l'exception des ententes dans la " zone ouest " et, par suite, de celle-ci dans son ensemble.
Sur la durée de participation individuelle des entreprises en cause
- Rappel des principes
775. En vertu de la jurisprudence, les entreprises en cause doivent être tenues pour responsables de l'infraction pour toute la période de leur participation à celle-ci (arrêt Commission/Anic Partecipazioni, précité, point 83 ; voir également arrêt du Tribunal du 6 mars 2012, UPM-Kymmene/Commission, T-53-06, non encore publié au Recueil, point 52). La jurisprudence interne est dans le même sens (voir arrêt Lacroix Signalisation e.a., précité, p. 32).
- Appréciation de l'autorité
776. Sera successivement examinée la durée de participation individuelle à l'infraction de RPC Clément, Langlois-Chimie, Brenntag SA, Marce, Lambert-Rivière, Vaissière-Favre, Quarréchim, Univar SAS, Caldic Est et Districhimie.
RPC Clément
777. Étant partie prenante à l'entente dans la " zone nord ", RPC Clément a participé à l'infraction unique, complexe et continue du 17 décembre 1997 à septembre 2001.
Solvadis
778. Étant partie prenante aux ententes dans la " zone ouest ", et ayant absorbé RPC Clément le 10 octobre 2005, Langlois-Chimie, renommée le 1er janvier 2002 Solvadis, a participé à l'infraction unique, complexe et continue du 17 décembre 1997 à octobre 2003.
Brenntag SA
779. Il est constant que Brenntag SA a participé à l'ensemble des ententes relevées aux paragraphes 114 et suivants ci-dessus pendant les durées suivantes :
- " zone nord " : du 17 décembre 1997 à septembre 2001 ;
- " zone Rhône-Alpes " : de septembre 1998 à juin 2003 puis de décembre 2003 à juin 2005 ;
- " zone Bourgogne " : du 5 juin 1998 à juin 2003 ;
- " zone ouest " : du 6 octobre 1998 au 31 décembre 2002 pour la concertation trilatérale et à octobre 2003 pour la concertation bilatérale.
780. Brenntag a donc participé à l'infraction unique, complexe et continue du 17 décembre 1997 à juin 2005.
Marce
781. Étant partie prenante à l'entente dans la " zone Rhône-Alpes ", Marce a participé à l'infraction unique, complexe et continue du 1er janvier 1999 au 11 octobre 2001, date de son absorption par Brenntag SA.
Lambert-Rivière
782. Il est constant que Lambert-Rivière a participé à l'entente dans la " zone Rhône-Alpes " et, pour la seule entente trilatérale, dans la " zone ouest ".
783. Lambert-Rivière a donc participé à l'infraction unique, complexe et continue de septembre 1998 au 31 décembre 2002, date de la fusion ayant donné naissance à Univar SAS.
Vaissière-Favre
784. Étant partie prenante à l'entente dans la " zone Rhône-Alpes ", Vaissière-Favre a participé à l'infraction unique, complexe et continue de septembre 1998 au 31 décembre 2002, date de la fusion ayant donné naissance à Univar SAS.
Quarréchim
785. Étant partie prenante à l'entente dans la " zone Rhône-Alpes ", Quarréchim a participé à l'infraction unique, complexe et continue de septembre 1998 au 31 décembre 2002, date de la fusion ayant donné naissance à Univar SAS.
Univar SAS
786. Étant partie prenante à l'entente dans la " zone Rhône-Alpes ", Univar SAS a participé à l'infraction unique, complexe et continue du 1er janvier 2003, date de sa création, à juin 2003 puis de décembre 2003 à juin 2005.
Caldic Est
787. Étant partie prenante à l'entente dans la " zone Bourgogne ", Caldic Est a participé à l'infraction unique, complexe et continue du 5 juin 1998 à juin 2003.
3. SUR LE GRIEF N° 2
788. Au cours de la procédure, Brenntag a dénoncé une pratique d'entente avec Chemco, distincte de celles faisant l'objet du grief n° 1.
789. Seront examinés successivement l'objet anticoncurrentiel des pratiques constatées, puis la participation individuelle des entreprises mises en cause et la durée des pratiques.
a) L'objet anticoncurrentiel des pratiques constatées
790. Pour le rappel des principes applicables, il est renvoyé à ceux exposés aux paragraphes 728 et suivants ci-dessus.
791. En l'espèce, il convient de constater que Chemco ne nie pas s'être concertée avec Brenntag. En revanche, Chemco considère que cette concertation ne saurait avoir pour objet ou effet de restreindre la concurrence dans la mesure où elle n'aurait pas porté sur une répartition de clientèle mais uniquement sur une répartition des livraisons chez ce client. En outre, Chemco conteste avoir participé à une entente tarifaire dans la mesure où GKN était libre de choisir un autre fournisseur et a accepté sans aucune contrainte les conditions tarifaires proposées par Brenntag ou Chemco.
792. Il ressort cependant du dossier que Chemco et Brenntag se sont entendues pour se répartir les commandes de méthanol livrées par camions complets auprès du client GKN, tout en se concertant sur les prix facturés à ce client.
793. Ainsi, l'Autorité a constaté au paragraphe 484 de la décision une parfaite régularité dans l'alternance des prises de commande de méthanol entre Brenntag et Chemco à l'égard de GKN.
794. Afin de mettre en œuvre cette pratique, l'Autorité a constaté aux paragraphes 485 et suivants de la décision que les entreprises en cause avaient organisé entre elles des livraisons croisées de méthanol leur permettant de lisser les commandes faites par GKN sur toute l'année. Ces constatations sont corroborées par les déclarations de Brenntag (cote n° 14364).
795. Ce faisant, les parties se communiquaient les tarifs auxquels elles facturaient in fine le client GKN, chaque livraison effectuée dans cet objectif étant payée au prix fixé au client GKN. Par ailleurs, il a été constaté au paragraphe 479 de la décision que Chemco et Brenntag se concertaient par téléphone sur les propositions tarifaires à remettre à GKN pour chacune de ses demandes de cotation (cote 37205).
796. L'Autorité a en effet constaté aux paragraphes 490 et suivants de la décision que les parties avaient mis en œuvre ces livraisons croisées à un prix supra compétitif, et ce, sans avoir pu justifier de l'intérêt économique qu'il pourrait y avoir pour un acheteur à s'approvisionner auprès d'un fournisseur qui est systématiquement plus cher, de manière limitée mais continue, alors qu'il existait des prestataires moins onéreux, avec lesquels il se trouvait déjà en affaire.
797. Ces constatations sont corroborées par les déclarations de Brenntag selon lesquelles d'une part, les deux distributeurs s'accordaient pour alterner les commandes de méthanol auprès de GKN, tout en fixant en commun un prix supra compétitif au client, et, d'autre part, le fait que les livraisons croisées permettaient de dédommager celle des deux parties qui n'avait pas livré le client, par le biais de livraisons à prix élevés.
798. Par ailleurs, le fait qu'en l'espèce GKN ait accepté les prix proposés par Brenntag et Chemco est un argument inopérant au regard de la qualification juridique des pratiques constatées.
799. Enfin, les arguments de Chemco relatifs à l'existence d'une concurrence résiduelle sur le marché de la fourniture de méthanol, qui portent en réalité sur la question du dommage causé à l'économie, seront traités aux paragraphes 1088 et suivants de la décision.
800. Il en résulte que les pratiques constatées ont eu pour objet de faire obstacle à la libre fixation des prix et de mettre en œuvre une répartition du marché contrevenant ainsi aux dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.
b) Sur la participation des entreprises en cause
801. En ce qui concerne le standard de preuve de la participation d'une entreprise à une entente horizontale, il convient de rappeler qu'une entreprise doit s'abstenir rigoureusement de participer à des prises de contact, directes ou indirectes, avec ses concurrents en vue d'échanger sur leurs politiques commerciales et notamment sur le prix des biens ou des services qu'elles offrent sur le marché. Ce type de réunion n'appelle qu'une réponse de la part des entreprises : refuser d'y participer ou, si la bonne foi du participant est surprise, se distancier sans délai et publiquement du mécanisme anticoncurrentiel dont la réunion est le support. La participation à une seule de ces réunions, même si elle est passive, suffit en effet à conforter le mécanisme de l'entente : d'une part, elle renseigne sur le comportement commercial que les autres acteurs ont décidé d'adopter sur le marché, alors que l'autonomie qu'exige la concurrence entre entreprises suppose que ces dernières restent dans l'incertitude sur la stratégie de leurs concurrents ; d'autre part, elle permet aux participants plus actifs d'escompter que l'absence d'opposition de l'entreprise en cause ne viendra pas perturber le jeu collusif (décision n° 07-D-48 du Conseil du 18 décembre 2007, précitée, paragraphe 180, confirmée par arrêt de la Cour d'appel de Paris du 25 février 2009, précité, p. 9 ; voir également arrêt de la Cour de justice du 4 juin 2009, T-Mobile Netherlands e.a./Commission, C-8-08, Rec. p. I-04529, point 60).
802. En l'espèce, la participation de Brenntag aux pratiques constatées est attestée d'une part, par ses déclarations effectuées dans le cadre de sa demande de clémence (cotes 13424 à 13426), et d'autre part, par les indices présentés ci-dessous.
803. Chemco n'a en revanche pas reconnu avoir participé à l'entente dénoncée par Brenntag. Pourtant, un faisceau d'indices précis, graves et concordants atteste de sa participation.
804. En effet, il ressort des constatations de l'Autorité qu'il existait entre 2000 et mars 2007 une alternance parfaite des livraisons de méthanol entre Brenntag et Chemco au client GKN.
805. En outre, et afin de mettre en œuvre cette entente, Brenntag et Chemco se sont concertées pour organiser entre elles des livraisons croisées de méthanol, livraisons qui avaient lieu systématiquement pendant les trimestres de commande remportés par chaque entreprise de sorte que Brenntag livrait Chemco lorsque GKN lui passait commande et réciproquement.
806. Une telle régularité de livraison entre concurrents ne peut s'expliquer autrement que par un accord passé entre ces deux entreprises. L'Autorité souligne d'ailleurs que les services d'instruction n'ont relevé aucune autre livraison de méthanol de Chemco à Brenntag (site de Maine-Bretagne) sur la période 2000-2004, en dehors des mois pendant lesquels Chemco livrait le client GKN.
807. Par ailleurs, les constatations effectuées aux paragraphes 490 et suivants de la décision ont permis de démontrer que, dans le cadre de ces livraisons croisées, les prix des livraisons de méthanol effectuées par Chemco au site de Brenntag (site de Maine-Bretagne) et inversement sont systématiquement plus élevés que ceux des commandes passées postérieurement et antérieurement auprès d'autres fournisseurs, sans que ces constatations puissent être justifiées autrement que par les conditions de l'accord décrit aux paragraphes 480 et suivants.
808. Enfin, il ressort des factures adressées par Chemco à Brenntag (site de Maine-Bretagne) et inversement, que l'adresse de livraison mentionnée était celle de GKN. De la même manière, deux factures adressées à Chemco par GMS, fournisseur en méthanol, comportent la mention manuscrite : " Brenntag?GKN 72 " ou " Brenntag pour GKN ". Or, ainsi que l'a constaté l'Autorité au paragraphe 496 de la décision, cette pratique consistant pour un fournisseur à indiquer à un concurrent l'adresse de livraison de son propre client ainsi que le prix final facturé n'est pas usuel dans la profession.
809. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède qu'il existe un faisceau d'indices précis, graves et concordants permettant de caractériser la participation de Chemco à l'entente dénoncée par Brenntag.
c) Sur la durée de l'entente
810. Pour le rappel des principes applicables, il est renvoyé à ceux exposés aux paragraphes 740 à 742 ci-dessus.
811. En se fondant sur les déclarations de Brenntag et les éléments recueillis lors de l'instruction, l'Autorité a constaté aux paragraphes 500 et suivants de la décision que les livraisons alternées de méthanol au client GKN par Brenntag et Chemco ont débuté en janvier 2000 pour se terminer en mars 2007.
812. GKN a en effet ensuite décidé de s'approvisionner auprès d'une autre entreprise, Axe Diffusion, dirigée par M. Alain K., ancien maître d'œuvre de la concertation pour Brenntag.
813. Il en résulte que l'entente entre Brenntag et Chemco a perduré de janvier 2000 à mars 2007. La durée de l'infraction est donc de 7 ans et 2 mois.
E. SUR L'IMPUTABILITÉ DES PRATIQUES EN CAUSE
1. RAPPEL DES PRINCIPES
814. La notion d'entreprise et les règles d'imputabilité relèvent des règles matérielles du droit de la concurrence de l'Union. L'interprétation qu'en donnent les juridictions de l'Union s'impose donc à l'autorité nationale de concurrence et aux juridictions nationales lorsqu'elles appliquent les articles 101 et 102 du TFUE parallèlement aux règles de concurrence internes du Code de commerce (arrêts T-Mobile Netherlands e.a., précité, points 49 et 50, et de la Cour d'appel de Paris du 29 mars 2012, Lacroix Signalisation e.a., n° 2011/01228, p. 18).
815. Bien que l'interprétation qu'en donnent les juridictions de l'Union ne s'impose pas à l'autorité nationale de concurrence et aux juridictions nationales lorsqu'elles appliquent les articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce, l'Autorité retient cette interprétation afin d'assurer la cohérence de sa pratique décisionnelle en matière d'imputabilité (voir décisions n° 11-D-02 du 26 janvier 2011 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la restauration des monuments historiques, paragraphe 597, et n° 11-D-13 du 5 octobre 2011 relative à des pratiques relevées dans les secteurs des travaux d'électrification et d'installation électrique dans les régions Midi-Pyrénées, Languedoc-Roussillon, Auvergne et limitrophes, paragraphe 352).
a) Imputabilité au sein d'un groupe de sociétés
816. Il résulte d'une jurisprudence constante que les articles 101 et 102 du TFUE visent les infractions commises par des entreprises.
817. Le juge de l'Union a précisé que la notion d'entreprise doit être comprise comme désignant une unité économique, même si, d'un point de vue juridique, celle-ci est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales (arrêts de la Cour de justice du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, C-97-08 P, Rec. 2009 p. I-8237, point 55, du 29 mars 2011, ArcelorMittal Luxembourg/Commission et Commission/ArcelorMittal Luxembourg e.a., C-201-09 P et C-216-09 P, non encore publié au Recueil, point 95, du 29 septembre 2011, Elf Aquitaine/Commission, C-521-09 P, non encore publié au Recueil, point 53, et de la Cour d'appel de Paris du 29 mars 2012, Lacroix Signalisation e.a., n° 2011-01228, p. 18).
818. C'est cette entité économique qui doit, lorsqu'elle enfreint les règles de concurrence, répondre de l'infraction, conformément au principe de responsabilité personnelle (arrêts Akzo Nobel e.a./Commission, précité, point 56, ArcelorMittal Luxembourg/Commission et Commission/ArcelorMittal Luxembourg e.a., précité, point 95, Elf Aquitaine/Commission, précité, point 53, et Lacroix Signalisation e.a., précité, pp. 18 et 20), sur lequel repose le droit de la concurrence de l'Union (arrêt de la Cour de justice du 20 janvier 2011, General Química e.a./Commission, C-90-09 P, Rec. p. I-1, point 52).
819. Ainsi, au sein d'un groupe de sociétés, le comportement d'une filiale peut être imputé à la société mère notamment lorsque, bien qu'ayant une personnalité juridique distincte, cette filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l'essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère, eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques (arrêts Akzo Nobel e.a./Commission, précité, point 58, ArcelorMittal Luxembourg/Commission et Commission/ArcelorMittal Luxembourg e.a., précité, point 96, Elf Aquitaine/Commission, précité, point 54, et Lacroix Signalisation e.a., précité, pp. 18 et 19).
820. Dans le cas particulier où une société mère détient, directement ou indirectement par le biais d'une société interposée, la totalité ou la quasi-totalité du capital de sa filiale auteur d'un comportement infractionnel, il existe une présomption selon laquelle cette société mère exerce une influence déterminante sur le comportement de sa filiale (arrêts de la Cour de justice, Akzo Nobel e.a./Commission, précité, point 60, General Química e.a./Commission, précité, points 2 et 42, du 29 septembre 2011, Arkema/Commission, C-520-09 P, point 42, et de la Cour d'appel de Paris, Lacroix Signalisation e.a., précité, p. 19).
821. Dans ce cas de figure, il suffit pour l'autorité de concurrence de rapporter la preuve de cette détention capitalistique pour imputer le comportement de la filiale auteur des pratiques à la société mère (arrêts Akzo Nobel e.a./Commission, précité, point 61, Elf Aquitaine/Commission, précité, point 57, et Lacroix Signalisation e.a., précité, p. 19).
822. À cet égard, il n'est pas exigé, pour imputer à une société mère les actes commis par sa filiale, de prouver que la société mère ait été directement impliquée dans les pratiques, ou ait eu connaissance des comportements incriminés. Ainsi que le relève le juge de l'Union, " ce n'est pas une relation d'instigation relative à l'infraction entre la société mère et sa filiale ni, à plus forte raison, une implication de la première dans ladite infraction, mais le fait qu'elles constituent une seule entreprise au sens de l'article (101 du TFUE) qui permet à la Commission d'adresser la décision imposant des amendes à la société mère d'un groupe de sociétés " (arrêts du Tribunal du 12 décembre 2007, Akzo Nobel e.a./Commission, T-112-05, Rec. 2007 p. II-5049, point 58, et du 27 octobre 2010, Alliance One International e.a./Commission, T-24-05, non encore publié au Recueil, point 169).
823. Il est possible à la société mère de renverser cette présomption en apportant des éléments de preuve susceptibles de démontrer que sa filiale détermine de façon autonome sa ligne d'action sur le marché. Si la présomption n'est pas renversée, l'autorité de concurrence sera en mesure de tenir la société mère pour solidairement responsable pour le paiement de la sanction infligée à sa filiale (arrêts Arkema/Commission, précité, points 40 et 41, et Lacroix Signalisation e.a., précité, p. 20).
824. Dans le cas où une société mère ne détient pas, directement ou indirectement par le biais d'une société interposée, la totalité ou la quasi-totalité du capital de sa filiale auteur d'un comportement infractionnel, il est nécessaire de vérifier que la société mère exerce effectivement une influence déterminante sur le comportement de sa filiale (arrêt Alliance One International e.a./Commission, précité, point 126). Dans un tel cas, afin d'établir si une filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, il convient de prendre en compte l'ensemble des éléments pertinents propres aux circonstances de l'espèce, relatifs aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent la filiale à la société mère (même arrêt, points 126 et 171).
b) Imputabilité en cas de restructurations, cessions, fusions ou autres
825. Ainsi qu'il ressort d'une jurisprudence constante, lorsque l'existence d'une infraction est établie, il faut déterminer la personne physique ou morale qui était responsable de l'exploitation de l'entreprise mise en cause au moment où l'infraction a été commise, afin qu'elle réponde de cette infraction (voir, notamment, arrêts du Tribunal du 17 décembre 1991, Enichem Anic/Commission, T-6-89, Rec. p. II-1623, point 236, et de la Cour de cassation du 23 juin 2004, BNP Paribas e.a., n° 01-17896 et 02-10066). L'infraction doit par ailleurs être imputée sans équivoque à une personne juridique qui sera susceptible de se voir infliger la sanction (arrêt de la Cour de justice du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, C-97-08 P, Rec. p. I-8237, point 57).
826. Tant que la personne morale responsable de l'exploitation de l'entreprise qui a mis en œuvre des pratiques enfreignant les règles de concurrence subsiste juridiquement, c'est elle qui doit être tenue pour responsable de ces pratiques. En particulier, elle continue de l'être même si les moyens matériels et humains ayant concouru à la commission de l'infraction ont été cédés à une tierce personne (arrêt de la Cour de cassation du 20 novembre 2001, SACER e.a., n° 99-16776 et 99-18253 ; voir également décision n° 08-D-09 du 6 mai 2008 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des pompes funèbres à Lyon et dans son agglomération, paragraphe 211, confirmée par arrêt de la Cour d'appel de Paris du 31 mars 2009, Agence funéraire lyonnaise pompes funèbres Viollet, n° 2008-11353, p. 24).
827. Si cette personne morale a changé de dénomination sociale ou de forme juridique, elle n'en continue pas moins à répondre de l'infraction commise (arrêt de la Cour de justice du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C-204-00 P, C-205-00 P, C-211-00 P, C-213-00 P, C-217-00 P et C-219-00 P, Rec. p. I-123, point 59 ; voir également décision n° 01-D-14 du 4 mai 2001 relative à des pratiques relevées lors de marchés de fabrication et de mise en œuvre d'enrobés bitumeux sur les routes départementales de l'Isère, p. 20).
828. En revanche, lorsque la personne morale responsable de l'exploitation de l'entreprise qui a commis les pratiques a cessé d'exister juridiquement, il convient de déterminer la personne morale qui assure sa continuité économique (arrêt Enichem Anic/Commission, précité, paragraphe 237, arrêt du Tribunal Raiffeisen Zentralbank Österreich/Commission précité, paragraphe 325, et arrêt de la Cour de cassation du 23 juin 2004, BNP Paribas e.a., n° 01-17896 et 02-10066).
829. C'est en particulier le cas lorsqu'une personne morale est absorbée par une autre. Dans ce cas, les pratiques dont la société absorbée est l'auteur sont imputées à la personne morale qui a absorbé cette dernière (arrêt Raiffeisen Zentralbank Österreich/Commission, précité, paragraphe 326). Il peut également en être de même pour la société résultant de la fusion entre l'auteur des pratiques et une autre entité.
830. La mise en redressement judiciaire d'une entreprise auteur de pratiques anticoncurrentielles, dès lors qu'elle n'a pas cessé d'exister juridiquement, ne la fait pas échapper à la responsabilité des pratiques dont elle doit répondre même si ses actifs ont été cédés (décisions n° 06-D-03 bis du 9 mars 2006 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des appareils de chauffage, sanitaires, plomberie, climatisation, paragraphe 1382 et n° 10-D-35 du 15 décembre 2010 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la fourniture d'électrodes de soudure pour les constructeurs automobiles, paragraphe 206).
2. APPRÉCIATION AU CAS D'ESPÈCE
a) Sur le grief n° 1
831. L'imputabilité du grief n° 1 sera successivement examinée pour les groupes Solvadis, Brenntag, Univar, et Caldic Est.
Sur l'imputabilité des griefs à Solvadis
Sur l'évolution de la structure du groupe Solvadis
832. RPC Clément était détenu antérieurement au 1er janvier 2001 à 51 % par Langlois-Chimie et à 49 % par Solvay SA. À compter de cette date, Langlois-Chimie a détenu 100 % de RPC Clément. Le 1er janvier 2002, Langlois-Chimie a été renommée Solvadis. Le 1er octobre 2002, Solvadis a repris en location-gérance les activités de distribution de sa filiale RPC Clément. Le 10 octobre 2005, Solvadis a absorbé RPC Clément.
833. Jusqu'au 30 juin 2004, Solvadis était détenue à 99,9 % par la société Solvadis GmbH, elle-même contrôlée à 100 % par la société MG Handel, devenue en 2000 Solvadis AG, filiale à 100 % de MG Chemical Group détenue à 100 % par la tête de groupe MG Technologies AG. Après le rachat du groupe Solvadis par le fonds d'investissement SSVP au 1er juillet 2004, Solvadis AG a disparu et ses activités ont été transférées à la holding d'acquisition Chemdis Ltd, elle-même détenue à 100 % par le fonds d'investissements SSVP. En parallèle, la société MG Technologies AG est devenue en 2005 la société GEA Group Aktiengesellshaft et n'est plus active dans le secteur de la distribution des commodités chimiques. En 2006, la société Solvadis Holding Sarl, holding faitière détenue à 100 % par SSVP, a succédé en 2006 à Chemdis Ltd. Enfin, le 1er février 2009, Solvadis GmbH a cédé la propriété de Solvadis à la société Solvadis Holding Sarl.
Sur l'imputabilité du comportement de Solvadis
834. Bien que n'exerçant plus aucune activité commerciale, Solvadis dispose toujours d'une personnalité juridique et doit donc se voir imputer le grief d'infraction unique, complexe et continue pour les pratiques qu'elle a mises en œuvre dans la " zone ouest " entre le 6 octobre 1998 et octobre 2003.
835. Ce même grief doit également être imputé aux sociétés Solvadis GmbH, Solvadis Holding Sarl et GEA Group Aktiengesellshaft en raison de leur qualité de société-mère ayant exercé une influence déterminante sur le comportement de Solvadis pendant la période de commission des pratiques.
836. Les responsabilités en cause ne sont du reste pas contestées par les mises en cause.
Sur l'imputabilité du comportement de RPC Clément
837. Il convient d'imputer à la société Solvadis le grief d'infraction unique, complexe et continue pour les pratiques que RPC Clément a mises en œuvre dans la " zone nord " entre le 17 décembre 1997 et septembre 2001. Cette dernière société a en effet été absorbée par Solvadis le 10 octobre 2005.
838. Ce même grief doit également être imputé aux sociétés Solvadis GmbH, Solvadis Holding Sarl et GEA Group Aktiengesellshaft en raison de leur qualité de société-mère ayant exercé une influence déterminante sur le comportement de RPC Clément pendant la période de commission des pratiques, mais seulement à compter du 1er janvier 2001.
839. Les responsabilités retenues ne sont du reste pas contestées par les mises en cause.
Sur l'imputabilité des griefs à Brenntag
Sur l'évolution de la structure du groupe Brenntag
840. Entre le 1er janvier 1998 et le 17 octobre 2002, Brenntag SA était détenue à 100 % par Stinnes SA filiale à 100 % de Stinnes AG. Cette dernière société était détenue à 100 % par le groupe VEBA, devenu E.ON le 16 juin 2000. Le 14 juin 1999, E.ON a procédé à l'introduction en bourse de Stinnes AG. À cette occasion, sa participation dans Stinnes AG est passée de 100 % à 65,5 %. Le 18 octobre 2002, Stinnes AG a été acquise à 99,71 % par Deutsche Bahn AG. Le 6 février 2008, Stinnes AG a été renommé DB Mobility Logistics AG. Il convient donc de constater que les faits à l'égard d'E.ON sont prescrits.
841. En février 2004, Deutsche Bahn AG a cédé le groupe Brenntag au fonds Bain Capital. Brenntag SA est devenue alors filiale à 99,9 % de Brenntag France Holding SAS, société ayant absorbé Stinnes SA, détenue à 100 % par Brenntag Foreign Holding GmbH, elle-même filiale à 100 % de Brenntag Beteiligungs GmbH. Cette dernière société est détenue à 100 % par la société holding faîtière du groupe Brenntag Holding GmbH & CO KG, elle-même détenue par Bain Capital.
842. Le 1er septembre 2006, le groupe BC Partners a acquis auprès de Bain Capital le groupe Brenntag. Brenntag France Holding SAS est alors devenue la filiale à 100 % de Brachem France Holding SAS. À cette occasion, BC Partners a créé deux sociétés : Brenntag Management GmbH et sa filiale à 100 % Brenntag Holding GmbH. Peu après l'acquisition, Brenntag Holding GmbH & Co KG a fusionné avec Brenntag Holding GmbH, cette dernière devenant alors le successeur juridique de Brenntag Holding GmbH & Co KG. La maison-mère du groupe est Brenntag Management GmbH renommée, en 2010, en Brenntag AG.
843. L'entreprise Marce a été détenue par Bernard 35... à 66 % et pour le reste par la société Ciron. Le 12 octobre 2001, la société Marce a été acquise en totalité par Brenntag SA qui, le 24 novembre 2003, a procédé à la dissolution-confusion de cette société.
Sur l'imputabilité des pratiques de Brenntag SA à DB Mobility Logistics AG et Deutsche Bahn AG
- Sur l'imputabilité des pratiques de Brenntag SA à Deutsche Bahn AG
844. Il convient de constater que Deutsche Bahn AG démontre n'avoir acquis, le 18 octobre 2002, Stinnes AG que pour ses activités de transport et logistique et avoir voulu, dès l'origine, céder Stinnes SA au motif que l'activité de cette société ne correspondait pas à celle sur laquelle elle opérait à titre principal (voir, notamment, la lettre des autorités fédérales allemandes à ce sujet et la déclaration commune du directoire et du conseil de surveillance de Stinnes AG relative à l'offre publique d'achat de Deutsche Bahn AG, en date du 21 août 2002, cotes 42542 et 42514). Comme indiqué ci-dessus, cette cession est effectivement intervenue en février 2004.
845. Elle démontre également que cette volonté, clairement affirmée dès le départ et pendant toute la détention de cette entité, s'est effectivement traduite par une absence de toute initiative destinée à lui permettre d'exercer une influence réelle sur cette dernière. Stinnes SA a ainsi été, dès 2003, exclue du périmètre de consolidation de Deutsche Bahn AG dans l'optique de sa cession (cotes 42557, 42573 et 42574). Cette exclusion résulte de la norme comptable internationale IAS 27, applicable à l'époque, aux termes de laquelle " [u]ne filiale doit être exclue de la consolidation lorsque : (...) le contrôle est destiné à être temporaire parce que la filiale est acquise et détenue dans l'unique perspective de sa sortie ultérieure dans un avenir proche " (états financiers consolidés et comptabilisation des participations dans des filiales, révisé en 2000 ). Cette exclusion motivée par une volonté de revente rapide s'est combinée, comme Deutsche Bahn AG le souligne à juste titre, avec une absence de mandataire social commun dans les organes de gouvernance respectifs, Deutsche Bahn AG n'étant jamais intervenue directement ou indirectement dans la nomination d'aucun dirigeant, administrateur, ou autre mandataire de Brenntag SA, d'une part, et n'ayant jamais participé à aucun comité de direction de Brenntag SA, d'autre part.
846. Ces éléments, pris dans leur totalité, sont dans les circonstances particulières du cas d'espèce de nature à renverser la présomption d'imputabilité pesant sur Deutsche Bahn AG.
- Sur l'imputabilité des pratiques de Brenntag SA à DB Mobility Logistics
847. Afin de démontrer l'absence d'exercice d'une influence déterminante sur Brenntag SA, DB Mobility Logistics, anciennement Stinnes AG, fait valoir, en premier lieu, n'avoir agi que comme une société holding de participations. Elle indique à cet égard que Brenntag AG agissait en tant que société-mère sur le fondement de liens fonctionnels. Elle avance sur ce point des déclarations de membres dirigeants, faites dans le cadre de la procédure, désignant Brenntag AG comme société-mère.
848. Pour autant, la circonstance qu'une société-mère ne se comporte que comme une société holding de participation ne suffit pas à renverser la présomption d'imputabilité, car " même à supposer que les requérantes n'aient été que des holdings non opérationnels, cette seule circonstance ne saurait suffire pour exclure qu'elles aient exercé une influence déterminante sur Arkema, en coordonnant notamment les investissements financiers au sein du groupe. En effet, dans le contexte d'un groupe de sociétés, un holding est une société ayant vocation à regrouper des participations dans diverses sociétés et dont la fonction est d'en assurer l'unité de direction (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 8 octobre 2008, Schunk et Schunk Kohlenstoff-Technik/Commission, T-69-04, Rec. p. II-2567, point 63) " (arrêt du Tribunal de l'Union du 14 juillet 2011, Total et Elf Aquitaine/Commission, T-190-06, non encore publié au Recueil, point 68). Par ailleurs, de simples déclarations de membres dirigeants désignant une autre société pour société-mère ne sauraient suffire à renverser une présomption fondée sur la détention de la totalité ou quasi-totalité du capital de sa filiale.
849. DBML relève, en deuxième lieu, qu'aucun membre du directoire de Stinnes AG n'était simultanément membre d'un organe de gouvernance de Brenntag SA ou Stinnes SA à l'exception de M. H.
850. Cet argument ne saurait en lui-même renverser la présomption. En effet, l'absence de chevauchement de dirigeants entre la société-mère et la filiale ne constitue pas un indice suffisant permettant de démontrer l'autonomie de la filiale (arrêt du Tribunal de l'Union du 14 juillet 2011, Total et Elf Aquitaine/Commission, précité, point 65).
851. En troisième et dernier lieu, Brenntag SA aurait bénéficié ainsi que ses sites locaux d'une complète autonomie dans la détermination de leur stratégie et dans la gestion de leur activité. À cet égard, DBML soutient ne pas avoir été active sur le même marché que celui de Brenntag SA, ne pas avoir participé à l'élaboration et au contrôle des orientations stratégiques et de la politique commerciale de Brenntag SA, et enfin ne pas avoir eu communication de rapports détaillés par Brenntag SA sur l'exercice de son activité.
852. Force est de constater que ces éléments, au soutien desquels aucun élément matériel n'a été communiqué, sont insuffisants pour renverser la présomption d'imputabilité. En effet, la circonstance que la société-mère et sa filiale sont actives sur des marchés distincts n'est pas pertinente (arrêt du Tribunal du 14 juillet 2011, Total et Elf Aquitaine/Commission, précité, point 71). Par ailleurs, étant donné qu'il ne s'agit pas d'une relation d'instigation relative à l'infraction entre la société-mère et sa filiale, il est indifférent que la société-mère n'ait pas incité sa filiale à commettre une infraction ou qu'elle ne soit pas impliquée directement dans une telle infraction (arrêts du Tribunal du 30 avril 2009, Itochu/Commission, T-12-03, Rec. p. II-909, point 58, et du 27 octobre 2010, Alliance One International e.a./Commission, T-24-05, Rec. 2010 p. II-5329, point 127, et décision n° 12-D-10 du 20 mars 2012 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de l'alimentation pour chiens et chats, paragraphes 225 à 232).
853. Il convient donc de retenir la responsabilité solidaire et conjointe de la société DB Mobility Logistics pour le paiement de la sanction imposée à Brenntag SA du 1er janvier 1998 à février 2004.
- Sur l'imputabilité des pratiques de Brenntag SA à Brenntag France Holding SAS, Brenntag Foreign Holding GmbH, Brenntag Beteiligungs GmbH et Brenntag Holding GmbH
854. Il convient d'imputer à Brenntag SA le grief d'infraction unique, complexe et continue pour les pratiques qu'elle a mises en œuvre :
- dans la " zone nord " du 17 décembre 1997 à septembre 2001 ;
- dans la " zone Bourgogne " du 5 juin 1998 à juin 2003 ;
- dans la " zone Rhône-Alpes " de septembre 1998 à juin 2005 ;
- dans la " zone ouest " du 6 octobre 1998 à octobre 2003.
855. Ce même grief doit être également imputé aux sociétés Brenntag France Holding SAS, pour les pratiques commises du 1er janvier 1998 à juin 2005, Brenntag Foreign Holding GmbH, Brenntag Beteiligungs GmbH et Brenntag Holding GmbH, pour les pratiques commises de février 2004 à juin 2005 en raison de leur qualité de société-mère ayant exercé une influence déterminante sur le comportement de Brenntag SA.
856. Les responsabilités retenues ne sont du reste pas contestées par les mises en cause.
- Sur l'imputabilité des comportements de la société Marce
857. Il convient d'imputer à Brenntag SA le grief d'infraction unique, complexe et continue pour les pratiques mises en œuvre par la société Marce dans la " zone Rhône-Alpes " entre septembre 1998 et juin 2003.
858. Ce même grief doit également être imputé à la société Brenntag France Holding SAS en raison de sa qualité de société-mère ayant exercé une influence déterminante sur le comportement de la société Marce pendant la période de commission des pratiques, mais seulement à compter du 12 octobre 2001.
859. Les responsabilités retenues ne sont du reste pas contestées par les mises en cause.
Sur l'imputabilité des griefs à Univar
Sur l'évolution de la structure du groupe Univar
860. Depuis 1998, la société Lambert-Rivière détenait 100 % de la société Quarréchim. Lambert-Rivière était elle-même contrôlée à 100 % par la société Royal Packhoed.
861. La fusion en janvier 1999 entre Royal Packhoed et Royal van Ommeren a donné naissance au groupe Vopak avec Vopak Chemical Distribution Holding NV pour société faîtière. Cette dernière contrôlait directement et/ou indirectement 100 % de sa filiale Vopak Chemical Distribution BV. Cette dernière a contrôlé directement la totalité du capital de Packhoed Beheer III BV qui elle-même détenait Vopak France Sarl. Cette dernière société détenait 100 % du capital de Lambert-Rivière. En 2000, la société Vaissière-Favre est acquise par Vopak et détenue selon le même schéma.
862. En 2002, le groupe Vopak devient le groupe Univar, entraînant le changement de dénomination des structures identifiées ci-dessus :
- Vopak Chemical Distribution Holding NV devient Univar NV ;
- Vopak Chemical Distribution BV devient Univar Europe Holdings BV ;
- Packhoed Beheer III BV devient Univar France BV ;
- Vopack France Sarl devient Univar France SNC.
863. La société Univar SAS, qui assure la distribution de commodités chimiques du groupe sur le territoire français, résulte de la fusion au 1er janvier 2003, des sociétés Lambert-Rivière, Quarréchim, et Vaissière-Favre.
864. Cette structure de détention d'Univar est restée inchangée jusqu'au 30 novembre 2010.
Sur l'imputabilité des comportements de Lambert-Rivière, Quarréchim, Vaissière-Favre, et Univar SAS
865. Il convient d'imputer à Univar SAS le grief d'infraction unique, complexe et continue pour les pratiques mises en œuvre par Lambert-Rivière, Quarréchim, Vaissière-Favre puis elle-même dans la " zone Rhône-Alpes " de septembre 1998 à juin 2005 et par Lambert-Rivière dans la " zone ouest " de septembre 1998 au 31 décembre 2002.
866. Ce même grief doit également être imputé aux sociétés Univar NV, Univar Europe Holdings BV, Univar France BV et Univar France SNC, en raison de leur qualité de société-mère ayant exercé une influence déterminante sur le comportement des sociétés Lambert-Rivière, Quarréchim, Vaissière-Favre puis Univar SAS pendant la période de commission des pratiques, mais seulement à compter de janvier 2000 pour les pratiques commises par la société Vaissière-Favre.
867. Les responsabilités retenues ne sont du reste pas contestées par les mises en cause.
Sur l'imputabilité des griefs à Caldic Est
868. Caldic Est SA, autrefois indépendante et dénommée Ducancel-Hébert puis Caldic France, appartient depuis le 9 décembre 2003 au groupe Caldic BV. À cette date, Caldic Est SA s'est transformée en Caldic Est SASU et devient filiale à 100 % de Caldic International Beheer BV. Cette dernière société est devenue en 2008 Caldic BV.
869. Il convient donc d'imputer à Caldic Est le grief d'infraction unique, complexe et continue pour les pratiques mises en œuvre par Caldic Est SA dans la " zone Bourgogne " du 5 juin 1998 à juin 2003.
870. Cette responsabilité n'est du reste pas contestée par Caldic Est.
b) Sur le grief n° 2
871. À titre liminaire, il convient de préciser que les responsabilités retenues au titre du grief n° 2 ne sont pas contestées par les sociétés mises en cause.
Sur l'imputabilité du grief au groupe Brenntag
872. L'évolution de la structure du groupe Brenntag a été présentée aux paragraphes 840 et suivants.
873. En ce qui concerne l'imputabilité des pratiques de Brenntag SA à DB Mobility Logistic AG et Deutsche Bahn AG, il est renvoyé aux paragraphes 844 et suivants.
874. Il convient d'imputer à Brenntag SA les pratiques visées au titre du grief n° 2, en tant qu'auteur des pratiques, de janvier 2000 à mars 2007.
875. Ce même grief doit également être imputé aux sociétés Brenntag France Holding SAS, pour les pratiques commises de janvier 2000 à mars 2007, Brenntag Foreign Holding et Brenntag Beteiligungs GmbH pour les pratiques commises de février 2004 à août 2006, Brenntag Holding GmbH pour celles commises de février 2004 à mars 2007, et enfin Brachem France Holding SAS pour celles commises de septembre 2006 à mars 2007, en raison de leur qualité de société-mère ayant exercé une influence déterminante sur le comportement de Brenntag SA.
Sur l'imputabilité du grief à Chemco
876. Il ressort des éléments du dossier que Chemco est une entreprise créée en 1988 dont la forme juridique n'a pas varié durant toute la durée des pratiques.
877. Par conséquent, le grief n° 2 sera imputé à Chemco, en tant qu'auteur des pratiques visées au grief n° 2 de janvier 2000 à mars 2007.
F. SUR LES SANCTIONS
878. Le I de l'article L. 464-2 du Code de commerce et l'article 5 du règlement (CE) n° 1-2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité (JO L 1 du 4.1.2003, p. 1) habilitent l'Autorité à imposer des sanctions pécuniaires aux entreprises et aux organismes qui se livrent à des pratiques anticoncurrentielles interdites par les articles L. 420-1 du Code de commerce et 101 du TFUE.
879. Les pratiques retenues à l'encontre des parties en cause dans la présente affaire ont été commises pour partie antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques (ci-après la " loi NRE ", JORF 16 mai 2001, page 7776), mais se sont poursuivies de manière continue après la date d'entrée en vigueur de cette loi, le 18 mai 2001. Par ailleurs, la décision d'auto-saisine de l'Autorité, qui est intervenue le 5 avril 2007, est également postérieure à cette date. Dans ces conditions, les dispositions du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce applicables en l'espèce sont celles issues de la loi NRE (arrêts de la Cour d'appel de Paris du 22 février 2005, STAL, et du 11 octobre 2012, Entreprise H. Chevalier Nord e.a., n° 2011-03298, p. 61).
880. Aux termes du quatrième alinéa du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce " (s)i le contrevenant n'est pas une entreprise, le montant maximum de la sanction est de 3 millions d'euros. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 10 % du montant du chiffre d'affaires mondial hors taxes le plus élevé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre. Si les comptes de l'entreprise concernée ont été consolidés ou combinés en vertu des textes applicables à sa forme sociale, le chiffre d'affaires pris en compte est celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l'entreprise consolidante ou combinante ".
881. En outre, le troisième alinéa du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce prévoit que " les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation individuelle de l'organisme ou de l'entreprise sanctionnée ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées par le (titre VI du livre IV du Code de commerce). Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction ".
882. Par ailleurs, aux termes du IV de l'article L. 464-2 du Code de commerce, dans sa version issue de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie, " une exonération totale ou partielle de sanctions pécuniaires peut être accordée à une entreprise ou à un organisme qui a, avec d'autres, mis en œuvre une pratique prohibée par les dispositions de l'article L. 420-1 s'il a contribué à établir la réalité de la pratique prohibée et à identifier ses auteurs, en apportant des éléments d'information dont l'Autorité ou l'administration ne disposaient pas antérieurement. À la suite de la démarche de l'entreprise ou de l'organisme, l'Autorité la concurrence, à la demande du rapporteur général ou du ministre chargé de l'économie, adopte à cette fin un avis de clémence, qui précise les conditions auxquelles est subordonnée l'exonération envisagée, après que le commissaire du Gouvernement et l'entreprise ou l'organisme concerné ont présenté leurs observations ; cet avis est transmis à l'entreprise ou à l'organisme et au ministre, et n'est pas publié. Lors de la décision prise en application du I du présent article, l'Autorité peut, si les conditions précisées dans l'avis de clémence ont été respectées, accorder une exonération de sanctions pécuniaires proportionnée à la contribution apportée à l'établissement de l'infraction ".
883. Enfin, le III de l'article L. 464-2 du Code de commerce, dans sa version issue de la même loi, dispose que, " [l]orsqu'un organisme ou une entreprise ne conteste pas la réalité des griefs qui lui sont notifiés, le rapporteur général peut proposer à l'Autorité de la concurrence, qui entend les parties et le commissaire du Gouvernement sans établissement préalable d'un rapport, de prononcer la sanction pécuniaire prévue au I en tenant compte de l'absence de contestation. Dans ce cas, le montant maximum de la sanction encourue est réduit de moitié. Lorsque l'entreprise ou l'organisme s'engage en outre à modifier son comportement pour l'avenir, le rapporteur général peut proposer à l'Autorité de la concurrence d'en tenir compte également dans la fixation du montant de la sanction ".
884. En l'espèce, l'Autorité appréciera les critères légaux énoncés par le I de l'article L. 464-2 du Code de commerce selon les modalités pratiques décrites dans son communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires.
885. Chacune des entreprises en cause dans la présente affaire a été mise en mesure de formuler des observations sur les principaux éléments de droit et de fait du dossier susceptibles, selon les services d'instruction, d'influer sur la détermination de la sanction pouvant lui être imposée. La présentation de ces différents éléments par les services d'instruction de l'Autorité ne préjuge pas de l'appréciation du collège sur les déterminants de la sanction, qui relève de sa seule délibération.
886. Il convient de relever, à cet égard, que l'Autorité peut imposer à chaque entreprise ou organisme en cause plusieurs sanctions dans l'hypothèse où l'intéressé a commis plusieurs infractions (arrêt de la Cour de cassation du 29 juin 2007, Bouygues Télécom e.a., n° 07-10303, 07-10354 et 07-10397), comme c'est le cas en l'occurrence, en déterminant chacune d'elles en fonction des critères prévus par le Code de commerce (voir, en ce sens, arrêt de la Cour de cassation du 12 juillet 2011, Lafarge e.a., n° 10-17482 et 10-17791) et en vérifiant qu'aucune d'entre elles n'excède le maximum légal applicable.
887. En l'espèce, les pratiques couvertes par les deux griefs visaient toutes à stabiliser les parts de marché et à augmenter les marges des distributeurs par le biais de répartitions de clientèles ou de coordinations tarifaires. Toutefois, les pratiques incriminées sont très différentes. Celle relevant du grief n° 1 concernait les principaux distributeurs de commodités chimiques dans quatre grandes régions françaises vis-à-vis de l'ensemble des clients et pour un grand nombre de commodités. À l'inverse, l'entente visée par le grief n° 2 ne concernait que le trading de méthanol à l'égard d'un seul client. Par ailleurs, les périodes couvertes par les pratiques sont elles aussi différentes : de décembre 1997 à juin 2005 pour le grief n° 1, de janvier 2000 à février 2007 pour le grief n° 2.
888. Pour ces raisons, l'Autorité sanctionnera séparément l'infraction complexe et continue mise en œuvre dans le secteur des commodités chimiques (grief n° 1) et l'entente visant le trading de méthanol au client GKN (grief n° 2).
1. SUR LES SANCTIONS IMPOSÉES AU TITRE DU GRIEF N° 1
a) Sur la valeur des ventes
889. La valeur des ventes de l'ensemble des catégories de produits en relation avec l'infraction effectuées par chacune des entreprises en cause, durant son dernier exercice comptable complet de participation à cette infraction, peut être utilement retenue comme assiette de leur sanction respective. Certes, le Code de commerce, en ne se référant pas au chiffre d'affaires lié au secteur ou au marché en cause, mais uniquement au chiffre d'affaires mondial consolidé ou combiné, n'impose pas à l'Autorité de procéder de la sorte (arrêt de la Cour de cassation du 13 mai 1997, Société française de transports Gondrand frères, n° 95-16378). Pour autant, ce paramètre constitue généralement une référence appropriée et objective permettant de proportionner au cas par cas l'assiette de la sanction à la réalité économique de l'infraction en cause, et plus précisément à son ampleur ainsi qu'au poids relatif sur le secteur concerné de chacune des entreprises qui y a participé (voir, en ce sens, arrêt de la Cour d'appel de Paris du 11 octobre 2012, Entreprise H. Chevalier Nord e.a., n° 2011-03298, p. 72 ; voir également arrêt de la Cour d'appel de Paris du 29 mars 2012, Lacroix Signalisation e.a., n° 2011-01228, pp. 37 et 38), comme cela ressort aussi de la jurisprudence constante des juridictions de l'Union (arrêts de la Cour de justice du 7 juin 1983, Musique diffusion française/Commission, 100-80, Rec. p. 1825, points 119 à 121, du 3 septembre 2009, Papierfabrik August Koehler e.a./Commission, C-322-07 P, C-327-07 P et C-338-07 P, Rec. p. I-7191, point 114). Cette jurisprudence, même si elle ne vise pas en tant que telle la détermination des sanctions par l'Autorité française en cas de violation des articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce et 101 et 102 du TFUE, n'en constitue pas moins une référence utile pour l'exercice concret du pouvoir d'appréciation dont celle-ci dispose en la matière, à l'intérieur du cadre prévu par le I de l'article L. 464-2 du Code de commerce et dans le respect des principes généraux du droit.
890. L'Autorité s'est donc engagée à déterminer le montant de base des sanctions qu'elle prononce en se référant à cette notion comme assiette, que le droit de l'Union soit applicable parallèlement au droit interne ou que ce dernier soit seul en cause, afin d'assurer la cohérence de sa pratique décisionnelle en matière de sanctions (voir la décision n° 12-D-02 du 12 janvier 2012 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de l'ingénierie des loisirs, de la culture et du tourisme, paragraphe 164).
891. Concernant tout d'abord les catégories de produits à prendre en considération, l'Autorité estime qu'il convient de retenir, conformément à l'analyse des pratiques présentée dans la partie de la décision consacrée à la qualification juridique de ces dernières (paragraphes 630 et suivants ci-dessus), les ventes de commodités chimiques depuis les dépôts, en excluant les ventes directes (aussi appelées ventes en droiture), étant précisé que toutes les catégories de commodités chimiques sont prises en compte.
892. Pour chacune des entreprises en cause, l'Autorité retiendra donc la somme des valeurs des ventes de commodités chimiques réalisées par les dépôts situés dans chacune des quatre grandes régions concernées par l'infraction complexe et continue pour la dernière année complète de participation de l'entreprise à cette infraction, étant précisé que l'ensemble des clients de la zone considérée sont pris en compte.
893. En ce qui concerne Brenntag SA, il a été démontré aux paragraphes 779 et suivants qu'elle a participé à l'infraction complexe et continue du 17 décembre 1997 au 31 mai 2005. Sa dernière année complète de participation à l'infraction, qui servira d'année de référence, est donc l'année 2004. Par ailleurs, sont concernés les dépôts de Torcy (région Bourgogne), de Wattrelos (région nord), de Grèze-en-Bouère et de Saint-Herblain (région ouest), d'Andance et de Chassieu (région Rhône-Alpes).
894. Toutefois, afin de tenir compte des durées différentes de mise en œuvre de la pratique dans les quatre régions, et notamment du fait qu'en 2004 cette infraction complexe et continue n'était plus mise en œuvre dans l'ensemble des régions en cause, le montant total des ventes retenu sera réduit forfaitairement de 25 %.
895. Compte tenu des données chiffrées à la disposition de l'Autorité, la valeur totale des ventes de commodités chimiques effectuées par les dépôts concernés en 2004 est de 76 499 000 euros. En tenant compte de la réduction de 25 % évoquée précédemment, la valeur retenue comme assiette de la sanction sera donc limitée à 57 374 250 euros.
896. En ce qui concerne Caldic Est, il a été démontré au paragraphe 787 qu'elle a participé à la pratique du 5 juin 1998 au 31 mai 2003. Sa dernière année complète de participation à l'infraction est donc l'année 2002. Par ailleurs, seul le dépôt de Brazey-en-Plaine est concerné (région Bourgogne). Il convient cependant de préciser que Caldic Est n'a pas été en mesure de fournir à l'Autorité de chiffre d'affaires concernant le site de Brazey-en-Plaine avant 2005. L'Autorité retiendra donc comme valeur des ventes servant d'assiette à la sanction de Caldic Est la valeur des ventes de commodités (hors ventes directes) du site de Brazey-en-Plaine pendant l'année 2005. Cette année est en effet l'année la plus proche de celles concernées par la pratique pour laquelle Caldic Est a pu fournir des données chiffrées fiables à l'Autorité.
897. La valeur totale des ventes des commodités chimiques effectuées par le dépôt concerné en 2005 est de 2 828 469 euros.
898. En ce qui concerne Solvadis, il a été démontré au paragraphe 778 qu'elle a participé à l'infraction complexe et continue du 17 décembre 1997 au 30 septembre 2003. L'année de référence est donc l'année 2002 en ce qui la concerne. Par ailleurs, sont concernées les ventes des dépôts de Lomme (région nord) et de Rennes (région ouest).
899. Solvadis ayant participé à la pratique dans deux régions pendant des durées différentes, il lui sera également appliqué une réduction de 25 % pour proportionner l'assiette de sa sanction à la réalité de cette infraction.
900. Compte tenu des données chiffrées à la disposition de l'Autorité, la valeur totale des ventes de commodités chimiques effectuées par les dépôts concernés en 2002 est de 26 568 587 euros. En tenant compte de la réduction de 25 % évoquée précédemment, la valeur des ventes retenue comme assiette de la sanction sera donc de 19 926 440 euros.
901. En ce qui concerne Univar SAS, il a été démontré au paragraphe 786 qu'elle a participé à l'infraction complexe et continue du 30 septembre 1998 au 31 mai 2005. L'année de référence est donc l'année 2004 en ce qui la concerne. Par ailleurs, sont concernées les ventes des dépôts de Carquefou (région ouest), Genas, Genay et Pierre-Bénite (région Rhône-Alpes).
902. Univar SAS ayant participé à la pratique dans deux régions pendant des durées différentes, il lui sera également appliqué une réduction de 25 % pour proportionner l'assiette de sa sanction à la réalité de l'infraction.
903. Compte tenu des données chiffrées à la disposition de l'Autorité, la valeur totale des ventes de commodités chimiques effectuées par les dépôts concernés en 2004 est de 33 790 000 euros. En tenant compte de la réduction de 25 %, la valeur des ventes retenue comme assiette de la sanction sera donc de 25 342 500 euros.
904. Au vu des considérations qui précèdent, le tableau ci-dessous récapitule les valeurs des ventes sur lesquelles sera assise la sanction individuelle de chacune des entreprises en cause :
Entreprise / Valeur des ventes
Brenntag / 57 374 250 euros
Caldic Est / 2 828 469 euros
Solvadis / 19 926 440 euros
Univar / 25 342 500 euros
b) Sur la détermination du montant de base
905. En application du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce, le montant de base de la sanction imposée à chacune des entreprises en cause sera déterminé en fonction de la gravité des faits et de l'importance du dommage causé à l'économie, critères qui se rapportent tous deux à la pratique constatée. Les appréciations de l'Autorité à cet égard trouveront une traduction chiffrée dans le choix d'une proportion de la valeur des ventes retenue pour chaque entreprise en cause, démarche qui, comme indiqué précédemment, permettra de proportionner l'assiette de la sanction à la réalité économique de l'infraction, d'une part, et au poids relatif sur le secteur concerné de chacun des participants, d'autre part. En vertu d'une jurisprudence constante, l'Autorité procèdera à une appréciation globale tant de l'importance du dommage causé à l'économie que de la gravité des faits, avant de prendre en compte, de manière individualisée, la situation de chaque entreprise (arrêt de la Cour d'appel de Paris du 11 octobre 2012, précité, p. 68).
906. La durée d'ensemble de l'infraction complexe et continue en cause en l'espèce, qui constitue un facteur pertinent pour apprécier tant la gravité des faits (arrêt de la Cour de cassation du 30 mai 2012, Orange France, n° 11-22144) que l'importance du dommage causé à l'économie (arrêt de la Cour de cassation du 12 juillet 2011, Lafarge ciments e.a., n° 10-17482 et 10-17791), fera l'objet d'une prise en compte sous ce double angle selon les modalités pratiques décrites dans le communiqué du 16 mai 2011 précité.
907. Les variations de durée de participation constatées, dans le cas d'une partie des entreprises en cause, entre certaines des ententes régionales relevant de cette infraction complexe et continue ont, pour leur part, d'ores et déjà été prises en considération au stade de la détermination de la valeur des ventes servant d'assiette respective à leur sanction.
Sur la proportion de la valeur des ventes
Sur la gravité des faits
908. Les entreprises en cause ont mis en œuvre une infraction unique, complexe et continue visant à leur permettre de stabiliser leurs parts de marché et d'augmenter leurs marges par le biais de répartitions de clientèles et d'augmentation concertée des tarifs.
909. Cette infraction constitue un accord horizontal entre concurrents dont l'objet est à la fois d'allouer les clients entre les entreprises et de fixer en commun le prix des produits concernés, au lieu de laisser ces paramètres à la libre appréciation de chacune des entreprises, dans le cadre d'une détermination autonome de leur politique commerciale et d'une concurrence fondée sur les seuls mérites de chaque entreprise.
910. L'infraction en cause visait donc, par sa nature même, à manipuler deux paramètres essentiels de la concurrence dans le secteur visé. Une telle pratique est qualifiée de cartel ou d'entente " injustifiable " par l'OCDE dans sa recommandation n° C(98)35-Final du 25 mars 1998 concernant une action efficace contre les ententes injustifiables. Elle constitue l'une des infractions les plus graves aux règles de concurrence, dans la mesure où elle ne peut tendre qu'à confisquer, au profit des auteurs de l'infraction, le bénéfice que les opérateurs en aval de la chaîne de valeur et les consommateurs - en l'espèce les clients industriels acheteurs de commodités chimiques - sont en droit d'attendre d'un fonctionnement concurrentiel de l'économie. Cette pratique est d'autant plus grave en l'espèce qu'elle a concerné simultanément plusieurs paramètres clés du jeu concurrentiel.
911. Cette appréciation est partagée tant par les juges de l'Union, qui considèrent qu'une entente horizontale, en particulier lorsqu'elle tend à fixer les prix à un niveau artificiellement élevé, constitue une infraction très grave (arrêt de la Cour de justice du 24 septembre 2009, Erste Groupe Bank e.a./Commission, C-125-07 P, C-133-07 P, C-135-07 P et C-137-07 P, Rec. p. I-8681, point 103) que par le juge national. La Cour d'appel de Paris a ainsi rappelé dans ses arrêts du 24 avril 2007, JH Industrie e.a. (n° 2006-06912, p. 6), et du 25 février 2009, Société Transeuro Desbordes Worldwide Relocations e.a. (n° 2008-02003, p. 12), que, " pour ce qui est de la gravité de l'entente sur les prix, le Conseil a rappelé à juste titre que les ententes ou actions concertées ayant pour objet ou pour effet d'empêcher le jeu de la concurrence en faisant obstacle à la libre fixation des prix par le jeu du marché sont de celles qui sont considérées injustifiables par l'OCDE dans sa recommandation du 25 mars 1998, qu'elles portent une atteinte grave au fonctionnement du marché et donc aux avantages que peuvent en attendre les consommateurs, peu important que certains parmi les clients victimes des pratiques disposent d'un fort pouvoir de marché (...) ".
912. Brenntag, DB et DBML considèrent que la gravité de l'infraction devrait être appréciée selon chacune des zones dans lesquelles elle a été mise en œuvre. Cet argument ne saurait prospérer dans la mesure où la pratique constitue bien une infraction unique, complexe et continue qui s'inscrit dans un plan d'ensemble poursuivant un seul et même objet anticoncurrentiel, comme cela a été démontré aux paragraphes 631 et suivants de la décision.
913. Brenntag soutient également qu'il conviendrait de tenir compte du fait que l'infraction n'aurait pas couvert l'ensemble du territoire national et aurait concerné un nombre limité de clients. Il est cependant d'ores et déjà tenu compte de cet élément, comme indiqué au paragraphe 892 ci-dessus, par le fait que la valeur des ventes retenue comme assiette de sa sanction couvre seulement les quatre grandes régions concernées par l'infraction unique, complexe et continue, et non l'ensemble de ses ventes en France. Par ailleurs, il a été démontré aux paragraphes 141 et suivants, 222 et suivants, 309 et suivants et 360 et suivants ci-dessus que l'entente en cause de stabilisation des parts de marché et de répartition de clients n'a de sens que si elle porte sur l'ensemble des clients de la zone considérée.
914. En outre, cette infraction est d'autant plus grave qu'elle a revêtu un caractère secret, élément qui l'a rendue particulièrement difficile à détecter et en a traduit, dans une certaine mesure, le caractère délibéré.
915. À cet égard, il a été établi que, par leur action combinée, les auteurs de l'infraction ont déployé des moyens permettant de garantir une confidentialité accrue des accords anticoncurrentiels conclus entre eux. Ainsi, l'Autorité a constaté aux paragraphes 228 et 639 de la décision que les représentants de Brenntag et d'Univar avaient utilisé des lignes téléphoniques dédiées à l'organisation de l'entente. Il a été relevé, d'une part, qu'Univar avait recours à un téléphone portable extérieur à celui de la flotte de l'entreprise (cote 413, 06-0092 AC) et, d'autre part, que Brenntag avait reconnu qu'Olivier Z. avait fait souscrire par sa secrétaire un abonnement téléphonique personnel afin d'organiser l'entente sur la zone Rhône-Alpes (cotes 13855 à 13864).
916. Enfin, d'autres caractéristiques concrètes de l'infraction sont encore susceptibles d'en accroître la gravité en l'espèce. En particulier, bien qu'aucun mécanisme institutionnalisé de rétorsion, de représailles ou de sanctions n'ait été constaté, de nombreux éléments du dossier démontrent l'existence d'une surveillance effective du marché par les membres de l'entente dans l'objectif de s'assurer que les accords convenus étaient bien respectés.
917. Brenntag allègue que, dans la mesure où les mécanismes de surveillance n'étaient pas effectifs, ils ne pouvaient être considérés comme renforçant la gravité de l'infraction. En outre, l'arrêt progressif de l'entente dans les différentes zones démontrerait que les participants à celle-ci ne craignaient aucune mesure de représailles ou de rétorsion.
918. À cet égard, il a cependant été constaté que Brenntag a assuré la surveillance de la pratique sur les zones nord (paragraphes 688 et suivants), Rhône-Alpes (paragraphes 690 et suivants), Bourgogne (paragraphe 692) et dans une moindre mesure ouest (paragraphes 658 et 693), notamment par le biais de vérifications auprès de certains clients, et par le rappel à ses concurrents de la nécessité de respecter les décisions prises en commun.
919. En outre, il a été démontré au paragraphe 234 que Brenntag reconnaissait la nécessité d'organiser des réunions et contacts téléphoniques réguliers afin de vérifier le bon fonctionnement de l'entente, et plus particulièrement, la préservation des volumes et des parts de marché de chacun des participants.
920. Par ailleurs, l'Autorité a constaté aux paragraphes 232 et suivants et 374 qu'Univar a également exercé une surveillance de la pratique sur les zones Rhône-Alpes (cotes 11143 à 11144) et ouest (cote 415, 06-00092 AC).
921. Il convient, plus largement, de souligner qu'un tel système de surveillance, mis en place notamment par Brenntag, l'entreprise ayant pris la part la plus active dans l'infraction et disposant de la plus grande puissance de marché, a pu susciter des craintes de représailles en cas de déviations par rapport aux accords conclus.
922. L'ensemble de ces éléments confirme que le système de surveillance mis en place en l'espèce était de nature à renforcer la gravité de la pratique, même s'il n'a pas atteint le même degré de sophistication qu'un système abouti de rétorsion.
Sur l'importance du dommage causé à l'économie
923. Il est de jurisprudence constante que, de même que la gravité des faits, l'importance du dommage causé à l'économie s'apprécie de façon globale pour la pratique en cause, c'est-à-dire au regard de l'action cumulée de tous les participants, sans qu'il soit besoin d'identifier la part imputable à chacun d'entre eux pris séparément (arrêts de la Cour de cassation du 18 février 2004, CERP e.a., n° 02-11754, et de la Cour d'appel de Paris du 17 septembre 2008, Coopérative agricole L'ardéchoise, n° 2007-10371, p. 6).
924. Ce critère légal ne se confond pas avec le préjudice qu'ont pu subir les victimes de la pratique en cause, mais s'apprécie en fonction de la perturbation générale que la pratique en cause est de nature à engendrer pour l'économie (voir, par exemple, arrêt de la Cour d'appel de Paris du 8 octobre 2008, SNEF, n° 2007-18040, p. 4).
925. L'Autorité, qui n'est pas tenue de chiffrer précisément le dommage causé à l'économie, doit procéder à une appréciation de son existence et de son importance, en se fondant sur une analyse aussi complète que possible des éléments du dossier et en recherchant les différents aspects de la perturbation générale du fonctionnement normal de l'économie engendrée par la pratique en cause (arrêts de la Cour d'appel de Paris du 30 juin 2011, Orange France, n° 2010-12049, p. 5, confirmé sur pourvoi par arrêt de la Cour de cassation du 30 mai 2012, précité, et du 26 janvier 2012, Beauté Prestige International e.a., n° 2012-23945, p. 89). L'existence du dommage à l'économie ne saurait donc être présumée (arrêt de la Cour de cassation du 7 avril 2010, Orange France e.a., n° 09-12984, 09-13163 et 09-65940).
926. En se fondant sur une jurisprudence établie, l'Autorité tient notamment compte, pour apprécier l'incidence économique de la pratique en cause, de l'ampleur de l'infraction, telle que caractérisée, entre autres, par sa couverture géographique ou par la part de marché cumulée des participants sur le secteur ou le marché concerné, de sa durée, de ses conséquences conjoncturelles ou structurelles, ainsi que des caractéristiques économiques pertinentes du secteur ou du marché concerné (voir, par exemple, arrêts de la Cour d'appel de Paris du 30 juin 2011, précité, p. 5 et du 26 janvier 2012, précité, p. 89 ; voir également, en ce sens, arrêt de la Cour de cassation du 30 mai 2012, précité). Les effets tant constatés que potentiels de la pratique peuvent être pris en considération à ce titre (voir, en ce sens, arrêt de la Cour de cassation du 28 juin 2005, Novartis Pharma, n° 04-13910).
927. Pour apprécier l'importance du dommage causé à l'économie, l'Autorité peut s'appuyer sur des estimations relatives aux conséquences directes de la pratique, lorsqu'elles sont observables, notamment en ce qui concerne le surprix qu'elles ont pu engendrer (voir, en ce sens, arrêt de la Cour d'appel de Paris du 26 janvier 2010, Adecco France e.a., n° 2009-03532, p. 17). Ces estimations sont, comme toute estimation, affectées par un coefficient d'incertitude ; elles peuvent néanmoins être prises en considération si elles sont fondées sur une méthode scientifiquement reconnue, qui tient compte de l'influence éventuelle d'autres facteurs explicatifs de l'estimation fournie (voir, en ce sens, arrêt de la Cour de cassation du 12 juillet 2011, Lafarge ciments e.a., n° 10-17482 et 10-17791).
- Sur l'ampleur de la pratique
928. Celle-ci a concerné une part importante du marché national puisque la pratique a été mise en œuvre dans quatre grandes régions couvrant 34 départements. À l'exception de l'Île-de-France, la grande majorité des grands bassins industriels français ont été touchés par la pratique.
929. Par ailleurs, la pratique a été mise en œuvre par les principaux distributeurs de commodités chimiques. En effet, les entreprises en cause représentaient à l'époque la majorité des ventes de commodités chimiques au niveau national. Leur part de marché cumulée se montait, en particulier, à plus de 80 % en 2004. De plus, dans les régions concernées par l'infraction, les entreprises en cause représentaient la quasi-totalité de l'offre de distribution de commodités chimiques.
- Sur les caractéristiques économiques objectives du secteur concerné
930. En deuxième lieu, afin d'apprécier l'importance du dommage causé à l'économie, l'Autorité s'attache à prendre en compte les caractéristiques économiques objectives du secteur en cause, dans la mesure où ces dernières sont de nature à influer sur les conséquences conjoncturelles ou structurelles de la pratique.
931. À cet égard, le secteur de la distribution des commodités chimiques est caractérisé par de fortes barrières à l'entrée, comme cela a d'ailleurs été confirmé par les entreprises en cause elles-mêmes. En effet, outre les coûts fixes de construction d'un site, le stockage de produits chimiques est soumis à un encadrement règlementaire très contraignant eu égard au caractère dangereux de ces produits. Afin de se conformer aux nouvelles normes de sécurité édictées notamment par l'Union européenne, les distributeurs présents sur le marché ont été contraints de consentir de lourds investissements pour adapter leurs sites de stockage. Ceux qui n'ont pas eu les moyens financiers de le faire ont été rachetés ou ont fermé les sites concernés. Tout nouvel entrant devrait lui-même consentir de lourds investissements pour acheter un dépôt existant ou en créer un. Dans ce dernier, les difficultés sont d'autant plus grandes que les pouvoirs publics peuvent être réticents à autoriser l'ouverture d'un site de produits dangereux. À cet égard, il convient de noter qu'aucun nouvel acteur n'est entré sur le marché au cours des vingt dernières années.
932. Brenntag et Univar soutiennent qu'en dépit de ces barrières à l'entrée, les prix des entreprises en cause demeuraient contraints par l'existence de sources alternatives d'approvisionnement dans la mesure où les clients pouvaient s'approvisionner directement auprès des fournisseurs (ventes directes) ou dans d'autres régions dans lesquelles la pratique n'était pas mise en œuvre. Cependant, l'intérêt des distributeurs de commodités chimiques étant de permettre aux acheteurs de se fournir en " petits " volumes (plutôt qu'en camion complet auprès du producteur de commodités) et de ne pas avoir besoin de stocker sur leurs propres sites des volumes trop importants de matières dangereuses, les ventes directes n'apparaissent pas comme un substitut crédible pour les acheteurs.
933. En outre, s'il n'est pas exclu que, en cas de hausse trop importante des prix dans l'ensemble des dépôts d'une région, certains clients puissent envisager de s'approvisionner dans une autre région, il n'en reste pas moins que cette possibilité ne paraît pouvoir concerner que les clients localisés suffisamment près d'un distributeur non impacté par la pratique. Si cet argument peut de ce fait être de nature à tempérer l'importance du dommage causé à l'économie, il ne permet en aucun cas de considérer que les caractéristiques du secteur seraient telles qu'elles rendraient la pratique peu dommageable pour l'économie.
934. Il convient enfin de tenir compte de la sensibilité de la demande des consommateurs au prix, ou élasticité-prix (arrêt de la Cour de cassation du 7 avril 2010 précité). En l'espèce, dans un grand nombre de situations, un industriel a besoin, dans son processus de fabrication, d'une commodité chimique particulière et ne pourra pas lui en substituer une autre. Par ailleurs, à production donnée, un industriel ne pourra généralement pas réduire ses besoins en commodités chimiques en vue de limiter l'impact des hausses de prix des commodités sur ses coûts de production. Ainsi, il apparaît que la demande de commodités chimiques est relativement peu sensible aux variations de prix (faible élasticité-prix). La pratique était donc d'autant plus susceptible de créer un dommage important à l'économie.
- Sur les conséquences conjoncturelles et structurelles de la pratique
935. Univar a fourni, en soutien de ses observations sur le rapport, une étude économétrique visant à évaluer les effets réels de la pratique sur les marges de ses dépôts situés dans les régions dans lesquelles celle-ci a été mise en œuvre (i.e., dans les régions ouest et Rhône-Alpes).
936. L'étude économétrique, basée sur l'ensemble des lignes de facturation des dépôts d'Univar entre 1998 et 2009, permet de comparer l'évolution des marges dans les dépôts situés dans les régions où la pratique a été mise en œuvre à l'évolution observée pour les autres dépôts d'Univar (notamment ceux d'Ile-de-France et de la région Sud-Est). Cette méthode dite " des doubles différences " permet de tenir notamment compte des variations de marge qui seraient dues non pas à l'entente, mais à l'évolution de paramètres inobservés dans les données tels que les coûts de production notamment.
937. Sur la base des estimations économétriques menées dans cette étude, Univar soutient que la pratique n'a globalement généré aucun surprix dans les régions ouest et Rhône-Alpes. Tout au plus, certains clients particuliers auraient été impactés par l'entente : ce serait ainsi le cas de 3 clients " ciblés " en région ouest qui auraient subi un surprix de l'ordre de 4 à 5 %, et de 59 clients " ciblés " dans la région Rhône-Alpes qui auraient eux subi un surprix de l'ordre de 6 %.
938. Bien qu'elle présente un intérêt certain, l'Autorité relève toutefois que l'étude souffre de deux biais méthodologiques.
939. D'une part, l'étude estime la sur-marge à partir de l'exploitation de la base de données constituée de l'ensemble des factures des dépôts d'Univar de 1999 à 2009. Cependant, certains clients ne sont présents dans la base que sur une période très incomplète. En particulier, certains sont présents uniquement pendant l'entente ou uniquement post-entente. Pour ces clients " temporaires ", il est donc impossible d'observer une évolution des prix pour un produit donné.
940. D'autre part, l'étude ne tient pas compte de l'hétérogénéité des clients présents dans la base de données. En effet, tous les clients n'ont pas le même pouvoir de négociation vis-à-vis des distributeurs de commodités chimiques (notamment du fait de leur taille, de la fréquence de leurs achats ou de la variété des produits qu'ils achètent). En outre, il est possible que, pour un produit donné, un client bénéficie de rabais quantitatifs sur la base de ses achats annuels.
941. Malgré les réserves que l'Autorité peut porter sur l'étude fournie par Univar, il apparaît qu'elle illustre l'existence d'un effet constatable de la pratique sur les prix des commodités chimiques dans les régions ouest et Rhône-Alpes.
942. Par ailleurs, certaines des entreprises en cause font valoir que les commodités chimiques ne représentent qu'une faible part des coûts des acheteurs de ce type de produits.
943. Toutefois, quand bien même les ventes de commodités chimiques ne représenteraient qu'une part limitée des coûts subis par les acheteurs de ces produits, le dommage à l'économie doit être apprécié sur la base des ventes de commodités chimiques.
944. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que le dommage causé à l'économie par l'entente est certain, même si plusieurs facteurs décrits précédemment conduisent à tempérer son importance.
Conclusion sur la proportion de la valeur des ventes
945. Compte tenu de l'appréciation qu'elle a faite ci-dessus de la gravité des faits et de l'importance du dommage causé à l'économie, l'Autorité retiendra, pour déterminer le montant de base de la sanction infligée aux entreprises en cause, une proportion de 20 % de la valeur de leurs ventes de commodités chimiques telles qu'elles ont été calculées précédemment (voir le tableau récapitulatif au paragraphe 904).
Sur la durée de participation
946. Comme indiqué précédemment, la durée de l'infraction est un facteur qu'il convient de prendre en compte dans le cadre de l'appréciation tant de la gravité des faits que de l'importance du dommage causé à l'économie. En effet, plus une infraction est longue, plus l'atteinte qu'elle porte au jeu de la concurrence et la perturbation qu'elle entraîne pour le fonctionnement du secteur ou du marché en cause, et plus généralement pour l'économie, peuvent être substantielles et persistantes. La jurisprudence de l'Union sur ce point relève d'ailleurs que : " Si une entente fixe l'état du marché au moment où elle est conclue, sa longue durée peut en rigidifier les structures (...). Le retour à l'état de libre concurrence sera d'autant plus difficile et long que la durée de l'entente aura elle-même été longue " (arrêt de la Cour de justice du 8 décembre 2011, KME Germany e.a./Commission, C-389-10 P, non encore publié au recueil, point 75).
947. Dans le cas d'infractions qui se sont prolongées plus d'une année, l'Autorité s'est engagée à prendre en compte leur durée selon les modalités pratiques suivantes : la proportion retenue, pour donner une traduction chiffrée à la gravité des faits et à l'importance du dommage causé à l'économie, est appliquée une fois, au titre de la première année complète de participation individuelle aux pratiques de chaque entreprise en cause, à la valeur de ses ventes pendant l'exercice comptable de référence, puis à la moitié de cette valeur, au titre de chacune des années complètes de participation suivantes. Au-delà de cette dernière année complète, la période restante est prise en compte au mois près, dans la mesure où les éléments du dossier le permettent.
948. Dans chaque cas d'espèce, cette méthode se traduit par un coefficient multiplicateur, défini proportionnellement à la durée individuelle de participation de chacune des entreprises aux pratiques et appliqué à la proportion de la valeur des ventes effectuées par chacune d'entre elles pendant l'exercice comptable retenu comme référence.
949. L'Autorité rappelle que la durée variable de mise en œuvre de certaines des ententes relevant de l'infraction complexe et continue en cause en l'espèce a d'ores et déjà été prise en considération au stade de la détermination de la valeur des ventes des entreprises concernées (paragraphes 894 et suivants).
950. Pour sa part, la durée d'ensemble de participation de chacune des entreprises en cause à cette infraction a été établie aux paragraphes 778 et suivants ci-dessus :
- concernant Brenntag, sa participation a été établie du 17 décembre 1997 au 31 mai 2005 ;
- concernant Caldic Est, sa participation a été établie du 5 juin 1998 au 31 mai 2003 ;
- concernant Solvadis, sa participation a été établie du 17 décembre 1997 au 30 septembre 2003 ;
- concernant Univar, sa participation a été établie du 30 septembre 1998 au 31 mai 2005.
951. Au cas présent, au-delà des années complètes de participation aux pratiques en cause, l'Autorité retiendra les mois complets de participation au prorata temporis, mais ne retiendra pas les jours précédant le premier mois complet et suivant le dernier mois complet de participation.
952. Le tableau ci-dessous récapitule la durée individuelle de participation à la pratique de chacune des entreprises en cause et le facteur multiplicateur correspondant :
Entreprise / Durée individuelle de participation / Coefficient multiplicateur applicable
Brenntag / 7 ans et 5 mois / 4,20
Caldic Est / 4 ans et 11 mois / 2,95
Solvadis / 5 ans et 9 mois / 3,37
Univar / 6 ans et 8 mois / 3,83
Conclusion sur la détermination du montant de base
953. Au vu l'ensemble de ce qui précède, et eu égard à la gravité des faits et à l'importance du dommage causé à l'économie par la pratique en cause, le montant de base de la sanction pécuniaire déterminé en proportion des ventes de produits en relation avec l'infraction effectuées par chacune des entreprises en cause, d'une part, et de sa durée individuelle de participation à l'infraction, d'autre part, s'établit comme suit :
Entreprise / Montant de base
Brenntag / 48 194 370 euros
Caldic Est / 1 668 796 euros
Solvadis / 13 430 420 euros
Univar / 19 412 355 euros
c) Sur la prise en compte des circonstances propres à chaque entreprise
954. L'Autorité s'est engagée à adapter les montants de base retenus ci-dessus au regard du critère légal tenant à la situation individuelle de chacune des parties en cause, qu'il s'agisse d'organismes ou d'entreprises, appartenant le cas échéant à des groupes plus larges.
955. À cette fin, et en fonction des éléments propres à chaque cas d'espèce, elle peut prendre en considération différentes circonstances atténuantes ou aggravantes caractérisant le comportement de chaque entreprise dans le cadre de sa participation à l'infraction, ainsi que d'autres éléments objectifs pertinents relatifs à sa situation individuelle. Cette prise en considération peut conduire à ajuster la sanction tant à la hausse qu'à la baisse.
En ce qui concerne Brenntag
Sur le rôle joué dans l'entente
956. Parmi les circonstances aggravantes pouvant être prises en considération par l'Autorité dans le cadre de l'individualisation de la sanction figure le fait, pour une entreprise ou un organisme, de jouer un rôle de meneur ou d'incitateur, ou plus largement un rôle particulier dans la conception ou dans la mise en œuvre de l'infraction. Tant le juge national que le juge de l'Union ont déjà jugé à cet égard que le rôle d'instigateur ou de meneur d'une entreprise justifiait une aggravation de sa sanction à ce titre (arrêts de la Cour de cassation du 14 mars 1997, Spie Batignolles e.a., n° 94-15133, et du 18 février 2004, OCP Répartition e.a., n° 02-11754, et arrêt de la Cour d'appel de Paris du 29 mars 2012, Lacroix Signalisation, précité, p. 31 ; voir également en ce sens arrêts du Tribunal de l'Union du 29 avril 2004, Tokai Carbon e.a./Commission, T-236-01, T-239-01, T-244-01 à T-246-01, T-251-01 et T-252-01, Rec. p. II-1181, point 301, et du 15 mars 2006, BASF/Commission, T-15-02, Rec. p. II-497, points 354 et 374 à 376).
957. Différents éléments de fait peuvent permettre de caractériser un tel rôle. L'intéressé peut par exemple s'être chargé d'élaborer ou de suggérer la conduite à tenir par les membres de l'entente, ou encore en avoir assuré l'organisation logistique. En revanche, il n'est pas nécessaire que l'intéressé ait exercé des pressions ou dicté leur conduite aux autres membres de l'entente. L'important est que, quelle que soit la forme qu'a prise son comportement, il ait effectivement joué un rôle particulier.
958. Au cas présent, les éléments du dossier indiquent que Brenntag a joué un tel rôle.
959. Tout d'abord, l'Autorité a constaté que Brenntag a été l'initiateur de la pratique, à tout le moins, dans trois zones sur les quatre où celle-ci a été mise en place.
960. Sur la zone ouest, il a été démontré aux paragraphes 686 et suivants que Brenntag s'est attribué l'initiative de l'entente avec Langlois Chimie (Solvadis).
961. Sur la zone nord, il a été démontré aux paragraphes 683 et 687 que, quelle que soit la personne chez Brenntag ayant pris la décision de contacter les concurrents pour contrecarrer le développement d'Holvoet sur le marché, Brenntag a également pris l'initiative de la pratique.
962. Sur la zone Bourgogne, il a été démontré aux paragraphes 685 et 687 que Brenntag était également à l'initiative de la pratique. En effet, l'objet de la réunion qui s'est tenue à Reims le 5 juin 1998 étant notamment de présenter à Caldic Est la pratique mise en place par Brenntag sur la zone nord, il n'est pas vraisemblable que ce soit Caldic Est qui ait demandé l'organisation de cette réunion, ce dernier n'étant pas, jusqu'à cette date, au courant de ladite pratique.
963. Sur la zone Rhône-Alpes, s'il convient de constater que les éléments recueillis sont équivoques quant au rôle joué par Brenntag (cotes 13312 à 13314), cela ne remet pas en cause l'implication supérieure de Brenntag dans la mise en place de la pratique telle qu'elle vient d'être rappelée s'agissant des trois autres zones.
964. Il résulte de ce qui précède que Brenntag a joué un rôle particulier dans la mise en place de l'entente. Pour cette raison, il convient d'augmenter le montant de base de sa sanction de 15 % et de le porter à 55 423 525 euros.
Sur la puissance économique de Brenntag et du groupe auquel elle appartient
965. L'appréciation de la situation individuelle peut également conduire à prendre en considération d'autres éléments d'individualisation, et notamment l'envergure de chaque entreprise en cause (voir, en ce sens, arrêt de la Cour de cassation du 28 avril 2004, Colas Midi-Méditerranée e.a., n° 02-15203).
966. La circonstance qu'une entreprise ait, au-delà des seuls produits ou services en relation avec l'infraction, un périmètre d'activités significatif, ou dispose d'une puissance financière importante, peut justifier que la sanction qui lui est infligée, en considération de l'infraction donnée, soit plus élevée que si tel n'était pas le cas, afin d'assurer le caractère à la fois dissuasif et proportionné de la sanction pécuniaire (arrêt de la Cour d'appel de Paris du 11 octobre 2012, précité, p. 71). À cet égard, la Cour de cassation a déjà eu l'occasion de préciser que l'efficacité de la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles requiert que la sanction pécuniaire soit effectivement dissuasive, au regard de la situation financière propre à chaque entreprise au moment où elle est sanctionnée (arrêt de la Cour de cassation du 18 septembre 2012, Séphora e.a., n° 12-14401, 12-14584, 12-14595, 12-14597, 12-14598, 12-14624, 12-14625 et 12-14632 et 12-14648).
967. Il peut également y avoir lieu de tenir compte du fait que cette entreprise appartient à un groupe qui dispose lui-même d'une taille ou de ressources globales importantes (arrêts de la Cour d'appel de Paris du 29 mars 2012, Lacroix Signalisation e.a. précité, p. 32, du 11 octobre 2012, du 11 octobre 2012, Entreprise H. Chevalier Nord, précité, p. 71, et du 28 mars 2013, Allez et Cie e.a., n° 2011-20125, p. 34).
968. En l'espèce, l'activité de Brenntag ne se limite pas aux régions dans lesquelles la pratique a été mise en œuvre, ni aux produits en cause. Ainsi, le chiffre d'affaires de Brenntag en 2011, soit 455 061 000 euros, est environ 8 fois plus élevé que la valeur des ventes retenues par l'Autorité comme assiette de sa sanction.
969. L'Autorité prendra également en considération le fait que Brenntag appartient elle-même à un groupe d'envergure mondiale, Brenntag AG, au sein duquel elle consolide ses comptes. Brenntag AG a réalisé en 2012 un chiffre d'affaires mondial consolidé de 9 689 900 000 euros et ses activités s'étendent bien au-delà des seules régions dans lesquelles l'infraction a été mise en œuvre. Les ventes retenues comme assiette de la sanction de Brenntag représentent ainsi moins de 0,6 % du chiffre d'affaire de Brenntag AG. De surcroît, le groupe Brenntag fait partie du portefeuille de participations de BC Partners, fonds de capital-investissement.
970. Dans ses écritures, Brenntag souligne qu'elle intervient sur un marché touché par la conjoncture dégradée et qu'elle subit, de ce fait, une importante baisse de ses activités et de ses résultats en France. À cet égard, il convient de rappeler que si les éventuelles difficultés générales du secteur concerné par les infractions ne figurent pas parmi les critères énumérés par l'article L. 464-2 du Code de commerce, les difficultés rencontrées individuellement par les entreprises peuvent être prises en compte dans le cadre de la détermination de leur sanction, si celles-ci rapportent la preuve, chacune en ce qui la concerne, de leurs difficultés contributives (arrêt de la Cour de cassation du 29 mars 2011, Manpower France Holding et Manpower France, n° 10-12.913 et 10-13.686, arrêt de la Cour d'appel de Paris du 11 octobre 2012, Entreprise H. Chevalier Nord, précité, p. 73). Tel n'est cependant pas le cas en l'espèce.
971. Eu égard à l'ensemble de ces éléments, il y a lieu, pour proportionner la sanction à la taille de l'entreprise et à sa puissance économique, ainsi qu'à celles du groupe auquel elle appartient, d'augmenter la sanction de Brenntag de 15 % et de la porter à 63 737 053 euros.
En ce qui concerne Univar
972. Comme rappelé aux paragraphes 965 et suivants, l'Autorité peut tenir compte de l'envergure de l'entreprise en cause ou, lorsqu'elle appartient à un groupe, de l'envergure de ce dernier.
973. En l'espèce, le chiffre d'affaires réalisé en 2011 par Univar (341 221 807 euros) est plus de dix fois supérieur à la valeur des ventes retenue par l'Autorité comme assiette de sa sanction. Cet élément atteste de la diversité des activités d'Univar, qui ne se limitent pas aux produits en cause. Par ailleurs, Univar appartient à un groupe de dimension mondiale, Univar Inc, au sein duquel elle consolide ses comptes. Univar Inc. a réalisé en 2012 un chiffre d'affaires mondial consolidé de 9 747 100 000 dollars (soit environ 7 429 700 000 euros en considérant un taux de change EUR/USD moyen mensuel (décembre 2012 de 1,3119). Les ventes retenues comme assiette de la sanction d'Univar représentent ainsi moins de 0,4 % du chiffre d'affaires mondial consolidé du groupe Univar NV.
974. Dans ses écritures, Univar fait valoir qu'elle dégage un résultat net extrêmement faible. Cependant, l'Autorité rappelle que, selon la jurisprudence de la Cour d'appel de Paris, la diminution des résultats nets ne constitue pas nécessairement l'indice de difficultés économiques mais, tout au plus, d'une diminution de rentabilité, qui ne constitue pas un critère de détermination de la sanction fixé par l'article L. 464-2 du Code de commerce. En effet, la prise en compte du chiffre d'affaires permet à l'Autorité de fixer concrètement la sanction en fonction de la dimension et de la situation de l'entreprise concernée, dès lors que le manque de rentabilité comme la baisse d'activité, dans la mesure où ils sont constatés, ont un retentissement sur le chiffre d'affaires (arrêt de la Cour d'appel de Paris du 16 septembre 2010, Raffalli et Cie, n° 2009-24813, p. 12).
975. Eu égard à l'ensemble de ces éléments, il y a lieu, pour proportionner la sanction à la taille de l'entreprise et à sa puissance économique, ainsi qu'à celles du groupe auquel elle appartient, d'augmenter la sanction imposée à Univar de 15 % et de la porter à 22 342 208 euros.
En ce qui concerne Caldic Est
976. Caldic Est considère qu'elle devrait bénéficier de circonstances atténuantes conduisant à réduire sa sanction en raison de sa position limitée sur le marché, du fait qu'elle n'a que modérément tiré profit de la pratique puisqu'elle n'était pas présente dans trois des quatre régions et de son comportement individuel dans la mise en œuvre de cette pratique.
977. L'Autorité considère tout d'abord qu'il n'y a pas lieu de tenir compte, au titre des circonstances atténuantes, de la position de Caldic Est sur le marché ou du fait qu'elle n'était présente qu'en Bourgogne, dans la mesure où ceci est déjà pris en compte au titre des ventes servant d'assiette à sa sanction.
978. Par ailleurs, l'argument sur le prétendu rôle limité de Caldic Est au sein de l'entente est inopérant, une jurisprudence constante rappelant que le rôle simplement " passif " ou " suiveur ", à le supposer établi, d'une entreprise participant à une entente n'est pas suffisant pour caractériser une circonstance atténuante (arrêts de la Cour d'appel de Paris du 4 février 2003, SNC Suburbaine de canalisation et de grands travaux, et du 29 mars 2012, Société Lacroix Signalisation, n° 2011-01228, p. 32). Seul un véritable rôle de franc-tireur est à même de justifier une réduction de la sanction de cette dernière (arrêt du 29 mars 2012, précité, p. 32).
979. En l'espèce, aucun élément du dossier ne permet d'appuyer la thèse selon laquelle Caldic Est aurait adopté un comportement franc-tireur.
980. Enfin, en ce qui concerne le prétendu bénéfice modéré retiré de la pratique, l'Autorité relève que, si le montant de la sanction pécuniaire doit être proportionné à la gravité de la pratique et à l'importance du dommage causé à l'économie, pour l'appréciation desquels le profit retiré par les membres de l'entente peut être pris en compte, la circonstance qu'une entreprise n'ait tiré aucun bénéfice de la mise en œuvre d'une pratique anticoncurrentielle ne saurait constituer en elle-même une circonstance atténuante (voir, par exemple, arrêt du Tribunal de l'Union du 25 juin 2010, Imperial Chemical Industries/Commission, T-66-01, Rec. II-2631, point 443). Dans le même sens, la Cour d'appel de Paris a récemment rappelé que l'éventuel défaut de profit retiré des pratiques anticoncurrentielles par les entreprises en cause voire une marge nette déficitaire n'étaient pas de nature à minorer l'importance du dommage causé à l'économie (arrêt du 28 mars 2013, Allez et Cie, précité, p. 33).
981. Il n'y a donc pas lieu de retenir de circonstances individuelles particulières concernant Caldic Est.
En ce qui concerne Solvadis
982. Dans son mémoire en réponse au rapport, Solvadis a communiqué aux services de l'Autorité copie d'un document dénommé " Code de bonne conduite de Solvadis GmbH ". Selon Solvadis, ce document, applicable à toutes les sociétés du groupe Solvadis à partir du mois de mars 2006, serait de nature à constituer une circonstance atténuante.
983. L'Autorité estime qu'il est du devoir des acteurs économiques, et du reste dans leur intérêt, de prendre toutes les mesures possibles pour conduire leur activité en conformité avec les règles de concurrence et pour prévenir de possibles manquements à ces règles. Elle considère aussi que la mise en place d'un programme de conformité efficace peut jouer un rôle clef en ce sens, si ce programme fait ensuite l'objet d'une mise en œuvre effective. Elle encourage donc les entreprises à se doter de tels programmes.
984. En revanche, l'Autorité n'a pas pour pratique de tenir compte de la mise en place de programmes de conformité en dehors du cadre de la procédure de non-contestation des griefs, en accordant une réduction de sanction à l'entreprise ou à l'organisme qui se propose de prendre de telles mesures.
985. En effet, il convient de relever que, comme l'a jugé la Cour d'appel de Paris, l'instauration d'un programme de conformité pendant la phase préliminaire d'enquête ou la procédure d'instruction ne peut avoir d'impact sur la sanction de faits antérieurs à sa mise en œuvre, qui auraient pu précisément être évités si une telle initiative était intervenue plus tôt (arrêt de la Cour d'appel de Paris du 26 janvier 2010, Adecco France, confirmant la décision n° 09-D-05 précitée, paragraphe 172). La jurisprudence européenne retient dans le même sens que, lorsqu'une infraction a été commise en dépit de l'existence d'un programme de conformité, celui-ci ne change rien à la réalité de l'infraction et n'a dès lors pas a être considéré comme une circonstance atténuante (arrêt de la Cour de justice Danske Rørindustri e.a./Commission, précité, point 373).
986. Dès lors, l'adoption par Solvadis d'un Code de bonne conduite en 2006 ne saurait constituer une circonstance atténuante conduisant à réduire la sanction.
987. Il n'y a donc pas lieu de retenir de circonstances individuelles particulières concernant Solvadis.
988. En l'absence de réitération dans le chef des différentes entreprises en cause, les montants ci-dessus seront ensuite comparés au maximum légal applicable, en application du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce.
Sur la vérification du maximum applicable
989. Le chiffre d'affaires mondial consolidé hors taxes le plus élevé connu réalisé par le groupe Brenntag, qui consolide le chiffre d'affaires de Brenntag, était de 9 689 900 000 euros en 2012. Le montant maximal de la sanction susceptible d'être infligée à Brenntag s'élève à 968 990 000 euros. Ce montant est supérieur au montant mentionné au paragraphe 971 ci-dessus.
990. Le chiffre d'affaires mondial consolidé hors taxes le plus élevé connu réalisé par le groupe Caldic Nederland Beheer, qui consolide le chiffre d'affaires de Caldic Est, était de 626 793 700 euros en 2011. Du fait de la mise en œuvre de la procédure de non-contestation des griefs, le montant maximal de la sanction susceptible d'être infligée à Caldic Est s'élève à 31 339 685 euros. Ce montant est supérieur au montant mentionné au paragraphe 953 ci-dessus.
991. Le chiffre d'affaires mondial consolidé hors taxes le plus élevé connu réalisé par le groupe Solvadis Holdings, qui consolide le chiffre d'affaires de Solvadis, était de 1 128 786 408 euros en 2008. Du fait de la mise en œuvre de la procédure de non-contestation des griefs, le montant maximal de la sanction susceptible d'être infligée à Solvadis s'élève à 56 439 320 euros. Ce montant est supérieur au montant mentionné au paragraphe 953 ci-dessus.
992. Le chiffre d'affaires mondial consolidé hors taxes le plus élevé connu réalisé par le groupe Univar Inc., qui consolide le chiffre d'affaires de la société Univar SAS, était de 7 429 758 366 euros (soit 9 747 100 000 dollars en considérant un taux de change EUR/USD moyen mensuel (décembre 2012 de 1,3119) en 2012. Du fait de la mise en œuvre de la procédure de non-contestation des griefs, le montant maximal de la sanction susceptible d'être infligée à Univar s'élève à 371 487 918 euros. Ce montant est supérieur au montant mentionné au paragraphe 975 ci-dessus.
Conclusion
993. Les montants de sanction après vérification du maximum applicable sont les suivants :
Entreprise / Montant avant clémence et non-contestation des griefs
Brenntag / 63 737 053 euros
Caldic Est / 1 668 796 euros
Solvadis / 13 430 420 euros
Univar / 22 324 208 euros
d) Sur l'application du IV de l'article L. 464-2 du Code de commerce
En ce qui concerne Solvadis
994. Par procès-verbal en date du 20 septembre 2006, le rapporteur général du Conseil a reçu une demande des sociétés Solvadis et Quaron sollicitant l'application d'une mesure de clémence dans le secteur de la distribution des commodités chimiques sur le fondement du IV de l'article L. 464-2 du Code de commerce (cote 2, 06-0064 AC).
995. Aux termes de l'avis de clémence n° 07-AC-01 du 7 février 2007 concernant les sociétés Solvadis et Quaron, le Conseil a accordé à ces sociétés le bénéfice conditionnel de la clémence " avec une exonération totale de sanction, subordonnée aux conditions suivantes :
- la pertinence des éléments apportés par Solvadis et Quaron devra être vérifiée par les investigations ; ces éléments devront contribuer à établir la réalité des pratiques dénoncées, présentées comme étant anti-concurrentielles et à en identifier les auteurs ;
- Solvadis et Quaron devront apporter au Conseil de la concurrence et aux services d'enquête du ministre de l'économie une coopération totale, permanente et rapide tout au long de la procédure d'enquête et d'instruction éventuelle et leur fournir tout élément de preuve qui viendrait en leur possession ou dont elles disposent sur les infractions suspectées, dans l'hypothèse où le Conseil déciderait de se saisir des pratiques dénoncées ; en tout état de cause, Solvadis et Quaron devront tenir informé le Conseil de la concurrence de l'évolution et des résultats des procédures de clémence éventuellement introduites devant d'autres autorités de concurrence, ainsi que de l'évolution et des résultats des procédures engagées au fond, le cas échéant, par ces autorités sur les pratiques dénoncées ;
- Solvadis et Quaron devront mettre fin sans délai à toute participation aux activités illégales présumées ;
- Solvadis et Quaron ne devront pas avoir pris de mesures pour contraindre d'autres entreprises à participer à l'infraction ;
- Solvadis et Quaron ne devront pas avoir informé les autres entreprises susceptibles d'être mises en cause de la démarche de clémence qu'elles ont entreprise ni de la procédure engagée à la suite de leur demande, ni enfin de l'existence ou du contenu du présent avis " (cotes 412 à 415, 06-0064 AC).
996. Il ressort des éléments du dossier ainsi que du déroulement de la procédure que les sociétés Solvadis et Quaron ont rempli l'ensemble de ces conditions.
997. En effet, ces sociétés ont fait preuve d'une coopération totale, permanente et rapide, notamment en répondant avec diligence et de manière circonstanciée aux demandes de communication d'informations, ainsi que d'auditions. Solvadis a par ailleurs contribué à faciliter les mises en contact et vérifications auprès des dirigeants du groupe Solvadis situés à l'étranger. Par ailleurs, ainsi qu'il est exposé au paragraphe 537 ci-dessus, aucune violation par la société Solvadis de la condition posée au point 18 du communiqué de procédure du 11 avril 2006 relatif au programme de clémence français n'a pu être constatée.
998. De plus, la contribution de Solvadis à la procédure a permis de porter à la connaissance du Conseil l'existence de nombreuses pratiques anticoncurrentielles et d'en favoriser substantiellement l'établissement.
999. Il résulte de ce qui précède que Solvadis remplit les conditions prévues pour bénéficier d'une exonération totale de sanction en rapport avec les pratiques constatées par l'Autorité. Il y a donc lieu de l'exonérer de toute sanction pour le grief n° 1.
En ce qui concerne Brenntag
1000. Par procès-verbal du 26 octobre 2006, le rapporteur général du Conseil a reçu une demande de la société BC Partners et de ses filiales, en particulier Brenntag Holding Gmbh et Brenntag SA, sollicitant l'application d'une mesure de clémence dans le secteur de la distribution des commodités chimiques sur le fondement du IV de l'article L. 464-2 du Code de commerce (cote 2, 06-0075 AC).
1001. Il convient de rappeler à cet égard, en premier lieu, que le IV de l'article L. 464-2 du Code de commerce, dans sa version issue de la loi NRE, subordonne la mise en œuvre de la procédure de clémence à deux conditions générales. Il faut, d'une part, que le demandeur de clémence ait " avec d'autres, mis en œuvre une pratique prohibée " par l'article L. 420-1 de ce Code. Il est nécessaire, d'autre part, que l'intéressé ait " contribué à établir la réalité de la pratique prohibée et à identifier ses auteurs, en apportant des éléments d'information dont le Conseil [...] ne dispos[ait] pas antérieurement ". C'est en considération de ces éléments que, lorsqu'il adopte une décision constatant l'existence d'une infraction et imposant une sanction aux auteurs de celle-ci, le Conseil - désormais l'Autorité - peut " accorder une exonération de sanctions pécuniaires proportionnée à la contribution apportée à l'établissement de l'infraction " par le demandeur de clémence.
1002. Il découle de l'économie même de ces termes que la " contribution " attendue de la part d'un demandeur de clémence ne se limite pas à la présentation d'" éléments d'information " pris isolément ou en eux-mêmes. Au contraire, ces éléments de preuve doivent tendre à " établir la réalité " de faits constitutifs d'une " pratique prohibée " que le demandeur a " mis[e] en œuvre ", et donc se rapporter à une entente identifiée et décrite de manière concrète et précise, au mieux des connaissances de l'entreprise ou de l'organisme en cause au moment de sa demande. En d'autres termes, la présentation d'une demande de clémence suppose nécessairement que l'entreprise ou l'organisme dont elle émane informe l'Autorité, premièrement, de la nature et du champ matériel, géographique et temporel de l'entente visée par cette demande, deuxièmement, de sa propre responsabilité dans cette entente et, troisièmement, de l'identité des autres entreprises ou organismes auteurs des pratiques en cause.
1003. En second lieu, le IV de l'article L. 464-2 du Code de commerce permet à l'Autorité, comme avant elle au Conseil, de soumettre au cas par cas, c'est-à-dire dans chaque affaire d'entente dont elle a à connaître et pour chaque demande individuelle de clémence faite dans ce cadre, qu'elle émane de la première entreprise effectuant cette démarche ou de celles qui se présentent ensuite, l'octroi de la clémence à des conditions particulières. Ces conditions doivent alors figurer dans l'avis de clémence rendu par l'Autorité, qui est lui-même transmis au demandeur. L'exonération de sanction pouvant être accordée à ce dernier à l'issue de la procédure, si elle doit être proportionnée à sa contribution à l'établissement de l'infraction, comme indiqué au paragraphe 1001 ci-dessus, dépend donc aussi, comme le prévoit le Code de commerce, du respect " [d]es conditions précisées dans l'avis de clémence ".
1004. En application de cette disposition, l'Autorité, comme le Conseil avant elle, a pour pratique d'accorder aux demandeurs de clémence autres que celui éligible à une exonération totale de sanction pécuniaire le bénéfice conditionnel d'une exonération partielle de sanction dont l'importance dépend, d'une part, de la valeur ajoutée des pièces produites à l'appui de leur demande, qui est elle-même liée au rang de présentation de cette demande dans la mesure où elle s'apprécie par rapport au contenu du dossier dont l'Autorité dispose déjà, et, d'autre part, du comportement du demandeur pendant la procédure.
1005. S'agissant du premier point, le communiqué de procédure du 11 avril 2006 relatif au programme de clémence français, qui décrit les modalités pratiques que le Conseil s'était engagé à respecter aux fins du traitement des demandes de clémence et qui étaient applicables à la date de la présentation de la demande de clémence de BC Partners, explique que, lorsque l'institution dispose déjà d'informations sur une entente présumée et qu'une entreprise ne remplit pas les conditions permettant d'obtenir le bénéfice d'une exonération totale de sanction, elle peut toutefois se voir accorder une exonération partielle de sanction en fournissant " au Conseil de la concurrence des éléments de preuve de l'infraction présumée qui apportent une valeur ajoutée significative par rapport aux éléments de preuve dont le Conseil ou l'administration dispose déjà. La notion de valeur ajoutée est le critère d'appréciation pour retenir les éléments de preuve fournis dans la mesure où ils renforcent, par leur nature même et/ou leur niveau de précision, la capacité du Conseil ou de l'administration d'établir l'infraction présumée " (paragraphe 15).
1006. Sur le second point, la pratique de l'Autorité, comme celle du Conseil avant elle, consiste à subordonner l'octroi effectif de l'exonération de sanction pécuniaire envisagée dans ses avis de clémence à la condition que le demandeur coopère activement à l'ensemble de la procédure d'enquête et d'instruction. Le IV de l'article L. 464-2 du Code de commerce appréhende en effet la procédure de clémence comme une contribution active et volontaire d'entreprises ou d'organismes ayant participé à des ententes, non seulement à leur détection par l'Autorité, par le biais de la production d'éléments de preuve, mais également, en aval, à l'instruction de l'affaire par les services d'instruction et, en définitive, au constat, par le collège, de la réalité de la pratique prohibée. En pratique, l'obligation de " contribuer à établir la réalité de la pratique prohibée et à identifier ses auteurs, en apportant des éléments d'information dont l'Autorité ne disposait pas antérieurement " signifie donc que, dans les procédures d'ententes, qui comprennent plusieurs étapes, d'une part, et qui peuvent porter sur des faits complexes à établir et généralement occultes, d'autre part, la coopération attendue du demandeur n'est pas épuisée par le seul fait de présenter sa demande de clémence ; elle reste nécessaire tout au long de la période séparant le dépôt de cette demande de la tenue de la séance du collège, en passant par les différentes étapes de la phase préliminaire d'enquête et de la procédure d'instruction.
1007. Cette obligation de coopération, qui se retrouve aussi dans le programme modèle du Réseau européen de la concurrence en matière de clémence et dans la jurisprudence de l'Union (voir, par exemple, arrêts du Tribunal du 17 mai 2011, Elf Aquitaine/Commission, T-299-08, Rec. 2011 p. II-2149, point 342, et la jurisprudence citée, et du 9 septembre 2011, Deltafina/Commission, T-12-06, non encore publié, points 123 à 134, et la jurisprudence citée), est rappelée par le communiqué de procédure du 11 avril 2006 précité. Celui-ci souligne en particulier que la coopération attendue du demandeur doit être " totale, permanente et rapide tout au long de la procédure d'enquête et d'instruction et leur fournir tout élément de preuve qui viendrait en sa possession ou dont elle dispose sur l'infraction suspectée " (paragraphe 18). Il rappelle aussi que cette obligation doit être respectée " dans tous les cas " et qu'elle " ouvre droit à l'exonération totale ou partielle " de sanction pécuniaire (même paragraphe).
1008. Il ne s'ensuit pas que tout manquement au devoir de coopération implique nécessairement la perte intégrale de l'exonération conditionnelle de sanction envisagée au stade de l'avis de clémence rendu par l'Autorité. S'il est indéniable que la violation d'une obligation essentielle pesant sur le demandeur de clémence à ce titre, ou qu'un manquement irrémédiable de sa part (comme le fait de prévenir les autres participants à l'entente de l'imminence de vérifications ou de visites et de saisie) justifie le refus pur et simple de l'exonération de sanction envisagée dans l'avis de clémence (voir, par analogie, arrêt Deltafina-Commission, précité), un manquement plus limité à l'obligation de coopération véritable, totale, permanente et rapide appelle une réponse proportionnée aux faits caractérisant celui-ci. Cette réponse peut consister à accorder, à l'intérieur de la fourchette de réduction envisagée par l'avis de clémence, un taux inférieur à celui qui aurait été accordé au demandeur en considération de la valeur ajoutée des pièces fournies à l'Autorité s'il avait respecté pleinement son devoir de coopération, voire à n'accorder qu'une réduction inférieure à cette fourchette.
1009. Lorsque l'Autorité examine la question d'un éventuel manquement au devoir de coopération pesant sur un demandeur de clémence, au vu de la position exprimée le cas échéant par les services d'instruction et des observations subséquentes de l'entreprise en cause, elle doit se déterminer de façon objective et concrète. Certains manquements peuvent empêcher, retarder ou rendre plus difficiles l'établissement et la caractérisation des faits et des responsabilités par les services d'instruction ; d'autres peuvent être de nature à rendre plus difficile, voire impossible, le constat d'une infraction à l'issue de la phase préliminaire d'enquête et de la procédure d'instruction, ou plus généralement à compliquer la tâche de l'Autorité.
1010. Il ressort par exemple de la jurisprudence de l'Union relative à l'appréciation du respect effectif de l'obligation de coopération, qui n'est pas directement applicable, mais peut néanmoins être éclairante, que, " lorsqu'une entreprise fournit à la Commission [européenne] un exposé factuel incomplet ou inexact, son comportement ne saurait être considéré comme étant le reflet d'un esprit de coopération véritable " (arrêt Deltafina/Commission, précité, point 131, et la jurisprudence citée). Elle retient également que " l'éventuel constat ex post que le comportement violant l'obligation de coopération n'a pas produit d'effets négatifs ne saurait être invoqué pour justifier ce comportement " (arrêt Deltafina/Commission, précité, points 134 et 309).
1011. Aux termes de l'avis de clémence n° 07-AC-04 du 23 mars 2007, le Conseil a accordé le bénéfice conditionnel d'une exonération partielle de sanction " pouvant aller de 15 à 35 % du montant de l'amende, en subordonnant l'exonération envisagée aux conditions suivantes :
- la pertinence des éléments apportés par Brenntag devra être vérifiée par les investigations ; ces éléments devront contribuer à établir la réalité des pratiques dénoncées, présentées comme étant anti-concurrentielles et à en identifier les auteurs ;
- Brenntag devra apporter au Conseil de la concurrence et aux services d'enquête du ministre de l'économie une coopération totale, permanente et rapide tout au long de la procédure d'enquête et d'instruction éventuelle et leur fournir tout élément de preuve qui viendrait en sa possession ou dont elle dispose sur les infractions suspectées, dans l'hypothèse où le Conseil déciderait de se saisir des pratiques dénoncées ; en tout état de cause, elle devra tenir informé le Conseil de la concurrence de l'évolution et des résultats des procédures de clémence introduites devant d'autres autorités de concurrence, ainsi que de l'évolution et des résultats des procédures engagées au fond, le cas échéant, par ces autorités sur les pratiques dénoncées ;
- elle devra mettre fin à sa participation aux activités illégales présumées ;
- elle ne devra pas avoir pris de mesures pour contraindre d'autres entreprises à participer à l'infraction ;
- elle ne devra avoir informé les autres membres du cartel ni de l'existence de sa démarche en vue d'obtenir la clémence, ni de l'existence ou du contenu du présent avis " (cotes 838 à 845, 06-0075 AC).
1012. Il convient d'examiner si les conditions énoncées par l'avis de clémence ont été respectées et s'il y a dès lors lieu d'accorder, à l'intérieur de la fourchette envisagée par l'avis, une exonération partielle de sanction à Brenntag en relation avec les pratiques pour lesquelles cette exonération a été envisagée.
1013. S'agissant, en premier lieu, de la valeur ajoutée des pièces fournies par Brenntag, l'Autorité relève que cette dernière a notamment communiqué des informations aux services de l'Autorité qui ont permis de vérifier l'existence des pratiques qui avaient été préalablement dénoncées par Solvadis, ainsi que des éléments complémentaires portant sur leur contexte qui ont également permis de mieux appréhender ces pratiques.
1014. S'agissant, en second lieu, de la coopération de Brenntag au traitement de la présente affaire, l'Autorité constate que Brenntag a remis en cause plusieurs informations qu'elle avait pourtant elle-même communiquées aux services d'instruction dans sa demande de clémence, dont l'information relative à la réunion organisée à Reims le 5 juin 1998, qui est particulièrement importante pour l'appréciation du point de départ des pratiques en zone Bourgogne, de la connaissance que certaines des parties pouvaient avoir des pratiques se déroulant dans d'autres zones géographiques que celles où elles étaient présentes, ou encore des échanges auxquels procédaient les directeurs régionaux de Brenntag sur les pratiques qu'ils mettaient en œuvre dans leurs zones géographiques respectives.
1015. Ainsi qu'il a été exposé au paragraphe 643 ci-dessus, dans le cadre de l'examen de la participation des parties à l'entente conclue sur la zone " Bourgogne ", Brenntag avait déclaré dans sa demande de clémence que la réunion de Reims du 5 juin 1998 avait notamment pour objet le lancement de la pratique de répartition de clientèle dans cette zone, d'une part, et confirmé dans ses observations sur la notification de griefs qu'elle ne contestait pas les ententes telles que décrites dans cette notification, d'autre part. Elle est cependant revenue sur ces déclarations dans ses observations sur le rapport, en indiquant que la réunion de Reims ne portait que sur l'entente en matière de frais techniques et de consignes.
1016. Un tel revirement ne démontre pas un esprit de coopération totale, permanente et véritable, tel que l'Autorité était en droit de l'attendre de l'entreprise dans le cadre de la procédure de clémence.
1017. Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure que Brenntag a présenté des pièces ayant une valeur ajoutée significative pour le traitement de l'affaire, mais qu'elle n'a pas pleinement respecté les obligations attachées au devoir de coopération qui lui incombait en tant qu'entreprise ayant demandé - et obtenu à titre conditionnel - le bénéfice de la clémence.
1018. Eu égard à l'ensemble de ces éléments, l'Autorité fixe le taux de réduction de la sanction encourue par Brenntag à 25 %, étant noté que ce taux demeure compris dans la fourchette envisagée par l'avis de clémence n° 07-AC-04.
En ce qui concerne Univar
1019. Par procès-verbal du 13 décembre 2006, le rapporteur général du Conseil a reçu une demande de la société Univar sollicitant l'application d'une mesure de clémence dans le secteur de la distribution des commodités chimiques sur la région Rhône-Alpes sur le fondement du IV de l'article L. 464-2 du Code de commerce (cote 2, 06-0092 AC).
1020. Par l'avis n° 07-AC-05 du 07 mai 2007, le Conseil a reconnu à cette société " le bénéfice conditionnel d'une exonération partielle de sanction pouvant aller de 10 % à 20 % du montant de l'amende, en subordonnant l'exonération envisagée aux conditions suivantes, tirées du communiqué de procédure et de la pratique antérieure du Conseil de la concurrence :
- la pertinence des éléments apportés par Univar devra être vérifiée par les investigations ; ces éléments devront contribuer à établir la réalité des pratiques dénoncées, présentées comme étant anti-concurrentielles et à en identifier les auteurs ;
- Univar devra apporter au Conseil de la concurrence et aux services d'enquête du ministre de l'économie une coopération totale, permanente et rapide tout au long de la procédure d'enquête et d'instruction éventuelle et leur fournir tout élément de preuve qui viendrait en sa possession ou dont elle dispose sur les infractions suspectées, dans l'hypothèse où le Conseil déciderait de se saisir des pratiques dénoncées ; en tout état de cause, elle devra tenir informé le Conseil de la concurrence de l'évolution et des résultats des procédures de clémence introduites devant d'autres autorités de concurrence, ainsi que de l'évolution et des résultats des procédures engagées au fond, le cas échéant, par ces autorités sur les pratiques dénoncées ;
- elle devra mettre fin à sa participation aux activités illégales présumées ;
- elle ne devra pas avoir pris de mesures pour contraindre d'autres entreprises à participer à l'infraction ;
- elle ne devra pas avoir averti les autres membres du cartel de la procédure de clémence " (cotes 611 à 616, 06-0092 AC).
1021. Tout au long de l'instruction, Univar a répondu aux demandes de communication des services d'instruction et a communiqué plusieurs statistiques relatives aux clients et produits concernés par les pratiques mises en œuvre sur les zones Rhône-Alpes et ouest. Ces informations ont permis de vérifier les pratiques qui avaient été préalablement dénoncées plus succinctement par le primo-demandeur de clémence.
1022. Par ailleurs, les salariés et anciens salariés d'Univar ont répondu aux différentes auditions et demandes de contact des services de l'Autorité.
1023. Enfin, la contribution d'Univar a permis de démontrer la réalité de plusieurs pratiques constituant l'infraction complexe et continue en cause en l'espèce.
1024. Dans ses observations, Univar estime que, compte tenu de sa qualité de troisième demandeur de clémence et, surtout, de la valeur ajoutée résultant des déclarations et pièces apportées, le taux d'exonération partielle qui devrait lui être accordé ne devrait pas être inférieur à 30 %, soit un taux supérieur à la fourchette retenue par l'avis de clémence.
1025. Il doit être rappelé que le communiqué de procédure du 11 avril 2006 précité précise en son point 22 que, lorsqu'il apparaît, " lors de l'examen de l'affaire au fond, [que] les conditions posées par le Conseil de la concurrence ont été respectées par l'entreprise, celui-ci accordera l'exonération, totale ou partielle, des sanctions pécuniaires telle qu'elle était indiquée dans l'avis de clémence. Dans le cas de l'exonération partielle, il en fixera le niveau exact ". En d'autres termes, lorsqu'une entreprise a respecté les conditions fixées par l'avis de clémence et que cet avis fixe une fourchette de réduction, cette entreprise ne peut se voir octroyer un taux de réduction de sanction supérieur au taux maximum envisagé par cet avis, sauf à priver de toute prévisibilité la procédure de clémence.
1026. Enfin, il convient de relever qu'aucun élément au dossier ne permet de caractériser un défaut de coopération d'Univar.
1027. Au vu de l'ensemble de ce qui précède, en particulier du degré de valeur ajoutée des pièces apportées par Univar et du moment où elle a initialement présenté sa demande de clémence, il lui est accordé une réduction de sanction pécuniaire de 20 %.
En ce qui concerne GEA et DBML, anciennes sociétés mères de Solvadis et de Brenntag
1028. GEA et DBML sollicitent l'extension à leur bénéfice de l'exonération totale et de la réduction de sanction accordées à leurs anciennes filiales, respectivement Solvadis et Brenntag, en application du IV de l'article L. 464-2 du Code de commerce.
1029. Une telle extension n'apparaît cependant pas justifiée au regard des éléments qui suivent. À titre liminaire, il convient de rappeler que, selon une pratique décisionnelle constante de la Commission européenne, l'ancienne société mère d'une filiale contrôlée à 100 % au moment des pratiques en cause ne peut bénéficier de la réduction d'amende accordée à son ancienne filiale au titre de la clémence. La Commission considère en effet que seule l'unité économique ayant déposé une demande de clémence et transmis les preuves décisives peut en bénéficier, à savoir la filiale et la société mère qui la détient au moment de cette demande. En revanche, l'ancienne société mère, qui ne forme plus une unité économique avec son ancienne filiale lorsque cette dernière dépose sa demande de clémence, et qui n'a pas elle-même introduit une telle demande, ne peut bénéficier d'aucune immunité totale ou de réduction d'amende à ce titre (voir, à cet égard, la décision du 19 janvier 2005, relative à une procédure d'application de l'article 81 CE et de l'article 53 de l'accord EEE, affaire COMP/E-1-37.773 - AMCA, confirmée sur cette question par l'arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 30 septembre 2009, Hoechst/Commission, T-161-05, Rec. p. II-3555, points 74 et suivants ; la décision du 30 juin 2010, relative à une procédure d'application de l'article 101 TFUE et de l'article 53 de l'accord EEE, affaire COMP/38.344 - Acier de précontrainte, et la décision du 19 mai 2010 relative à une procédure d'application de l'article 101 TFUE et de l'article 53 de l'accord EEE, affaire COMP/38.511 - DRAM).
1030. En particulier, dans sa décision du 30 juin 2010, précitée, la Commission a octroyé une réduction de 25 % de la sanction infligée à la société Nedri Spanstaal au titre de sa demande de clémence. En revanche, elle a refusé d'étendre le bénéfice de cette réduction à la société Hit Groep, qui était l'ancienne société mère de Nedri Spanstaal à l'époque d'une partie des faits en cause, alors même qu'elle lui a imputé le comportement infractionnel de son ancienne filiale, et ce au motif que Hit Groep ne formait plus une unité économique avec Nedri Spanstaal au moment de la demande de clémence et qu'elle n'avait pas déposé elle-même une telle demande.
1031. Ainsi que GEA le souligne elle-même, la mise en œuvre de la procédure de clémence entre dans le champ de l'autonomie procédurale dont jouissent les autorités nationales de concurrence par rapport à la pratique décisionnelle de la Commission européenne et à la jurisprudence des juridictions européennes, de sorte que l'Autorité n'est pas légalement tenue de faire sienne cette pratique décisionnelle et cette jurisprudence. Il lui est pour autant loisible d'en tenir compte dans la définition de sa propre pratique.
1032. En l'occurrence, il convient de relever que le fondement sur lequel reposent cette pratique et cette jurisprudence est la notion d'entreprise au sens du droit de la concurrence, telle que rappelée aux paragraphes 816 et suivants ci-dessus, est appréhendée de manière analogue en droit interne et en droit de l'Union. Il convient également de tenir compte de cette notion dans la façon dont l'Autorité met en œuvre son programme de clémence, dans un double souci de cohérence entre les règles de fond prévues par le droit de la concurrence et les outils procéduraux institués par le Code de commerce, d'une part, et de mise en œuvre cohérente des politiques de clémence au sein du Réseau européen de la concurrence, d'autre part.
1033. Ainsi, il convient de tenir compte, dans le cadre des modalités d'octroi d'une exonération totale ou partielle accordée au titre de la clémence, du fait que c'est l'entreprise comprise comme désignant une unité économique, même si, du point de vue juridique, celle-ci est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales, qui dépose une telle demande qui peut seule bénéficier d'une telle exonération.
1034. Or, force est de constater que l'ancienne société mère qui n'exerce plus, au moment où la demande de clémence est déposée par son ancienne filiale, d'influence déterminante sur cette dernière ne forme plus avec elle une unité économique. Dès lors, la filiale, accompagnée le cas échéant de sa nouvelle société mère, ne saurait par sa démarche engager son ancienne société mère, ni, partant, permettre à cette dernière de bénéficier de la réduction de sanction accordée, le cas échéant, par l'Autorité.
1035. Une telle approche fondée sur la notion d'entreprise est également justifiée par le fait qu'il appartient aux entreprises qui en contrôlent d'autres de prendre en temps utile toutes dispositions de nature à leur permettre de prévenir la mise en œuvre de pratiques anticoncurrentielles en leur sein et, à défaut, de les détecter.
1036. L'argument de GEA selon lequel une société mère n'aurait pas participé directement à l'infraction à l'origine de la demande de clémence conduisant son ancienne filiale à obtenir une exonération totale ou partielle de sanction, ni n'en aurait eu connaissance, est inopérant dès lors qu'une telle circonstance ne remet pas en cause sa responsabilité en sa qualité de société mère ainsi que cela a été rappelé au paragraphe 822 ci-dessus.
1037. Eu égard à ces éléments, il y a lieu de conclure que GEA, ancienne société mère de Solvadis pendant toute la durée des pratiques, ne saurait bénéficier de l'exonération totale de sanction accordée à cette dernière au titre de la clémence.
1038. DBML ne peut, pour la même raison, bénéficier de la réduction de sanction accordée à Brenntag au titre de la clémence.
e) Sur la mise en œuvre du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce
Sur la mise en œuvre conjuguée des procédures de clémence et de non-contestation des griefs
1039. Aux termes du III de l'article L. 464 du Code de commerce, " [l]orsqu'un organisme ou une entreprise ne conteste pas la réalité des griefs qui lui sont notifiés, le rapporteur général peut proposer à l'Autorité de la concurrence, qui entend les parties et le commissaire du Gouvernement sans établissement préalable d'un rapport, de prononcer la sanction pécuniaire prévue au I en tenant compte de l'absence de contestation. Dans ce cas, le montant maximum de la sanction encourue est réduit de moitié. Lorsque l'entreprise ou l'organisme s'engage en outre à modifier son comportement pour l'avenir, le rapporteur général peut proposer à l'Autorité de la concurrence d'en tenir compte également dans la fixation du montant de la sanction ".
1040. Ainsi que l'Autorité l'a relevé à plusieurs reprises, la renonciation à contester les griefs vise principalement à alléger et à accélérer le travail d'instruction, en particulier en dispensant les services d'instruction de la rédaction d'un rapport lorsqu'elle est le fait de l'ensemble des entreprises mises en cause (décisions n° 07-D-21 du Conseil du 26 juin 2007 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la location-entretien de linge, paragraphe 129, n° 08-D-13 du 11 juin 2008 relative à des pratiques relevées dans le secteur de l'entretien courant des locaux, paragraphe 99, et n° 09-D-05 du 2 février 2009 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du travail temporaire, paragraphe 155).
1041. Dans son communiqué de procédure du 10 février 2012 relatif à la non-contestation des griefs, l'Autorité rappelle que, eu égard à la jurisprudence à ce sujet, cette renonciation doit prendre la forme d'une déclaration par laquelle l'organisme ou l'entreprise en cause indique, dans des termes clairs, complets, dépourvus d'ambiguïté et inconditionnels qu'il ne conteste, directement ou indirectement, ni la réalité de l'ensemble des pratiques en cause, ni la qualification juridique qu'en donnent les services de l'Autorité au regard des dispositions pertinentes du Code de commerce et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, ni leur imputabilité. La renonciation à contester la réalité des pratiques en cause doit de ce fait porter à la fois sur les faits constitutifs de ces pratiques, sur leur objet et leurs effets anticoncurrentiels selon ce que retient la notification des griefs, sur leurs caractéristiques, sur leur durée et sur les modalités de participation de l'intéressé aux pratiques.
1042. Comme rappelé au paragraphe 882 ci-dessus, la procédure de clémence prévue au IV de l'article L. 464-2 du Code de commerce a, quant à elle, pour objectif de permettre à une entreprise qui participe avec d'autres à une pratique anticoncurrentielle de révéler l'infraction et de contribuer à son établissement en contrepartie d'une exonération totale ou partielle de sanction.
1043. La procédure de clémence et la procédure de non-contestation des griefs poursuivent donc des objectifs distincts. La coexistence de ces deux procédures n'exclut cependant pas la possibilité, pour le rapporteur général, de proposer à l'Autorité de tenir compte du fait qu'une entreprise ou un organisme ayant présenté une demande de clémence renonce ultérieurement à contester les griefs qui lui auraient été notifiés dans l'intervalle.
1044. Le point 6 du communiqué de procédure relatif à la non-contestation de griefs précité signale cette possibilité de mise en œuvre conjuguée des procédures de clémence et de non-contestation des griefs " lorsque l'Autorité estime que les gains procéduraux attendus d'un tel cumul sont suffisants. Tel est en particulier le cas lorsque le champ des griefs notifiés à l'organisme ou à l'entreprise en cause diffère sur un ou plusieurs point(s) important(s) de l'entente telle que décrite par l'intéressé dans sa demande de clémence, au vu de l'ensemble des informations et des éléments de preuve dont il disposait ou pouvait disposer ".
1045. Dans sa décision n° 11-D-17 du 8 décembre 2011 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des lessives, l'Autorité de la concurrence a relevé que de telles différences peuvent tenir en particulier au champ matériel des griefs notifiés (par exemple, parce qu'ils mettent en cause une entente horizontale portant sur une fixation des prix et une répartition de clientèle alors que le demandeur de clémence a fait état du premier aspect seulement), à leur champ temporel (par exemple, parce qu'ils portent sur une période antérieure ou postérieure à celle évoquée par le demandeur), à l'implication des entreprises (par exemple, parce qu'ils considèrent qu'une entente présentée comme régionale par le demandeur s'étend en réalité à tout le territoire français) ou encore à leur champ personnel (par exemple, parce qu'ils mettent en jeu la responsabilité de la société mère du demandeur de clémence). Dans toutes ces hypothèses, le rapporteur général peut être conduit à considérer qu'une renonciation à contester les griefs de la part d'un demandeur de clémence présente un intérêt pour la suite du traitement de l'affaire, et donc à mettre en œuvre cette procédure (paragraphe 773).
1046. Cette mise en œuvre conjuguée doit donc se fonder sur une appréciation au cas par cas du dossier, de son contexte procédural et des gains procéduraux engendrés par le cumul des deux procédures en cause.
1047. Dans la présente affaire, deux entreprises ayant présenté une demande de clémence en application du IV de l'article L. 464-2 du Code de commerce ont sollicité le bénéfice de la procédure de non-contestation de griefs. Il s'agit, d'une part, de Solvadis - et ses sociétés mères Solvadis GmbH et Solvadis Holding - et, d'autre part, d'Univar - et ses sociétés mères Univar France SNC, Univar France BV, Univar Europe Holdings BV et Univar NV.
1048. Il n'y a toutefois pas lieu d'examiner la demande de Solvadis et de ses sociétés mères actuelles, du fait de l'exonération totale de sanction d'ores et déjà accordée au titre de la clémence.
1049. Quant à la demande présentée par Univar et ses sociétés mères, il ressort des paragraphes 12 et suivants ci-dessus qu'Univar a dénoncé des pratiques anticoncurrentielles locales, distinctes les unes des autres, au regard tant de leur objet anticoncurrentiel que de leurs modalités de mise en œuvre, pour certaines antérieures à 1996. Or, comme rappelé ci-dessus, le grief qui lui a été notifié porte sur une infraction unique, complexe et continue de dimension multirégionale ; il diffère donc sensiblement des pratiques dénoncées par Univar. L'Autorité considère de ce fait qu'il existe un réel gain procédural à accéder à la demande formée par Univar et ses sociétés mères en application du III de l'article L. 464-2 du Code de commerce.
1050. L'Autorité relève en outre que, par procès-verbal en date du 1er août 2012, Univar et ses sociétés mères se sont engagées à prendre des engagements consistant à mettre en place un programme de conformité.
1051. Il convient de rappeler à cet égard que la renonciation à contester les griefs ne peut conduire à accorder aux intéressés qu'une réduction de sanction relativement limitée. Ce sont, le cas échéant, la nature et la qualité des engagements présentés qui peuvent permettre d'accorder une réduction de sanction plus importante, dans la mesure où ils sont substantiels, crédibles et vérifiables (décisions n° 07-D-21, précitée, paragraphe 129, n° 08-D-13 du 11 juin 2008 relative à des pratiques relevées dans le secteur de l'entretien courant de locaux, paragraphe 99, n° 09-D-05 du 2 février 2009 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du travail temporaire, paragraphe 155, et n° 11-D-17 du 8 décembre 2011 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des lessives). Lorsqu'elle accepte les engagements proposés par les entreprises, l'Autorité les rend obligatoires dans la décision qu'elle adopte au terme de la procédure. Elle peut naturellement être conduite à s'assurer ultérieurement de leur mise en œuvre effective.
1052. S'agissant plus précisément des programmes de conformité, l'Autorité a publié le 10 février 2012 un document-cadre sur les programmes de conformité aux règles de concurrence. Ce document, qui vient synthétiser sa pratique décisionnelle à cet égard, précise également les conditions auxquelles l'Autorité considère que de tels programmes doivent répondre pour pouvoir être efficaces, et les résultats concrets qu'elle en attend.
1053. En l'espèce, le programme de conformité présenté par Univar et ses sociétés mères comporte un dispositif de formation obligatoire et de sensibilisation aux règles de concurrence, un dispositif d'audits réguliers et un mécanisme d'alerte permettant aux salariés et aux dirigeants du groupe de révéler des pratiques anticoncurrentielles dont ils pourraient avoir connaissance. Il est prévu que ce dispositif d'alerte sera déployé dans un délai de trois mois suivant la présente décision. La mise en œuvre de ce programme de conformité est, par ailleurs, placée sous le contrôle d'un responsable conformité. Enfin, il est prévu, sous forme d'une modification des contrats de travail et du règlement intérieur, que les éventuels manquements aux règles de concurrence des dirigeants et des salariés donneront lieu à des sanctions proportionnées, conformes au droit du travail applicable.
1054. L'ensemble de ces engagements apparaît substantiel, crédible et vérifiable.
1055. Il convient donc d'accorder à Univar et à ses sociétés mères une réduction de 15 % du montant de leur sanction au titre de la procédure de non-contestation des griefs, réduction qui s'ajoute à celle déjà accordée au titre de la procédure de clémence.
Sur les demandes de mise en œuvre de la procédure de non-contestation des griefs présentées par Caldic Est et GEA
1056. Caldic Est et GEA n'ont pas présenté de demande de clémence, mais ont, en revanche, sollicité le bénéfice de la procédure de non-contestation des griefs.
En ce qui concerne Caldic Est
1057. Par procès-verbal en date du 5 juillet 2012, Caldic Est a renoncé à contester le grief d'infraction unique, complexe et continue qui lui avait été notifié. Elle s'est en outre engagée à mettre en place un programme de conformité.
1058. Le programme de conformité proposé par Caldic Est comporte un dispositif d'informations, de formation et de sensibilisation des salariés aux règles de concurrence, un mécanisme d'encadrement pour le futur des contacts avec des entreprises concurrentes et un mécanisme d'alerte permettant aux salariés et aux dirigeants du groupe de révéler des pratiques anticoncurrentielles dont ils pourraient avoir connaissance. Sa mise en œuvre est, par ailleurs, placée sous le contrôle d'un responsable conformité qui disposera des moyens humains et financiers nécessaires à sa mission. En outre, il est prévu, sous forme d'une modification des contrats de travail et du règlement intérieur, que les éventuels manquements aux règles de concurrence des dirigeants et des salariés donneront lieu à des sanctions proportionnées, conformes au droit du travail applicable. Enfin, Caldic Est s'est engagée à faire réaliser un audit de ses pratiques commerciales par des avocats spécialisés en droit de la concurrence.
1059. L'Autorité considère que les engagements proposés par Caldic Est apparaissent substantiels, crédibles et vérifiables. Elle relève en outre que ces engagements émanent d'une entreprise de taille très modeste ce qui les rend d'autant plus significatifs.
1060. En conséquence, une réduction de 20 % sera appliquée à la sanction infligée à Caldic Est.
En ce qui concerne GEA
1061. GEA s'est vu notifier le grief d'infraction unique, complexe et continue retenu par l'Autorité en sa qualité de société mère de Solvadis au moment des faits. Par procès-verbal en date du 17 septembre 2012, elle a renoncé à contester ce grief, puis a proposé de prendre des engagements.
1062. Les engagements proposés par GEA consistent à apporter des améliorations au programme de conformité existant au sein du groupe GEA, afin que celui-ci comporte un dispositif d'informations, de formation et de sensibilisation des salariés aux règles de concurrence, un mécanisme d'encadrement pour le futur des contacts avec des entreprises concurrentes et un mécanisme d'alerte permettant aux salariés et aux dirigeants du groupe de révéler, également de manière anonyme, des pratiques anticoncurrentielles dont ils pourraient avoir connaissance. Sa mise en œuvre est, par ailleurs, placée sous le contrôle d'un responsable conformité qui disposera des moyens humains et financiers nécessaires à sa mission. En outre, il est prévu que les éventuels manquements aux règles de concurrence des dirigeants et des salariés donneront lieu à des sanctions proportionnées, conformes au droit du travail applicable. De surcroît, GEA s'est engagée à faire une évaluation régulière de l'efficacité du programme de conformité de GEA Group tel qu'amélioré sur les aspects de droit de la concurrence pour les filiales françaises de GEA Group. Enfin, GEA s'est engagée à ce que l'ensemble des mesures proposées intervienne avant la fin de la période d'un an qui suivra l'adoption de la présente décision. Compte tenu de la taille de GEA, le calendrier envisagé pour la mise en place de l'ensemble des modalités de son programme de conformité apparaît suffisant et raisonnable.
1063. L'Autorité considère que les engagements proposés par GEA apparaissent substantiels, crédibles et vérifiables, en particulier en ce qu'ils prévoient l'évaluation régulière de l'efficacité du programme de conformité de GEA Group pour l'ensemble des filiales françaises du groupe.
1064. Une réduction de 20 % sera donc appliquée au montant de base obtenu pour la sanction de son ancienne filiale Solvadis.
f) Sur la sanction imposée à DBML en sa qualité de société mère de Brenntag au moment des pratiques
1065. Comme indiqué au paragraphe 853 ci-dessus, DBML, anciennement dénommée Stinnes AG, se voit imputer les pratiques établies au titre du grief n° 1 en tant que société mère de Brenntag au prorata de la durée de détention de cette dernière, à savoir du 1er janvier 1998 au 31 janvier 2004, soit une durée de 6 ans et un coefficient de durée de 3,5.
1066. Elle doit donc être tenue pour responsable solidairement et conjointement de la sanction imposée à Brenntag.
1067. Pour Brenntag, la durée des pratiques indiquée aux paragraphes 779 et suivants ci-dessus s'étend du 17 décembre 1997 au 31 mai 2005, ce qui équivaut à une durée de 7 ans et 5 mois et un coefficient de durée de 4,2. La période de détention de Brenntag par DBML est entièrement incluse dans la période des pratiques du grief n° 1. Brenntag était une filiale détenue à 100 % par DBML pendant 83,33333 % de la durée totale des pratiques.
1068. Comme rappelé au paragraphe 971 ci-dessus, le montant individualisé de la sanction de Brenntag, après vérification du maximum légal, est de 63 737 053 euros.
1069. Le montant de la sanction infligée à DBML correspond à 83,33333 % de ce montant, soit 53 114 211 euros.
1070. Brenntag bénéficiant d'un taux de réduction au titre de la clémence de 25 %, sa sanction s'élève à 47 802 789 euros.
1071. Il en résulte que DBML et Brenntag se voient imposer, à titre solidaire et conjoint, une sanction d'un montant de 47 802 789 euros et que DBML doit seule s'acquitter d'une sanction d'un montant de 5 311 422 euros.
g) Sur la sanction imposée à GEA en qualité de société mère au moment des pratiques
1072. Comme indiqué au paragraphe 835 ci-dessus, GEA se voit imputer les pratiques établies au titre du grief n° 1, en tant que société mère de la société Solvadis au prorata de la durée de détention à 100 % de cette dernière, à savoir du 6 octobre 1998 au 30 septembre 2003, soit une durée de 4 ans et 11 mois et un coefficient de durée de 2,95. Elle doit donc être tenue pour responsable solidairement et conjointement de la sanction imposée à la société Solvadis.
1073. Pour Solvadis, la durée des pratiques indiquée au paragraphe 778 ci-dessus s'étend du 17 décembre 1997 au 30 septembre 2003, ce qui équivaut à une durée de 5 ans et 9 mois et un coefficient de durée de 3,37. La période de détention de Solvadis par GEA couvre la période des pratiques du grief n° 1 à compter du 6 octobre 1998, soit 87,5371 % de la durée des pratiques.
1074. Comme rappelé au paragraphe 993 ci-dessus, le montant individualisé de la sanction de Solvadis, après vérification du maximum légal, est de 13 430 420 euros, avant prise en compte de l'exonération totale dont elle bénéficie au titre de la clémence.
1075. Le montant de la sanction infligée à GEA correspond à 87,5371 % de ce montant, soit 11 756 599 euros, auquel il convient d'appliquer une réduction de 20 % au titre de la non-contestation des griefs. Il en résulte que la sanction de GEA s'élève à 9 405 279 euros.
h) Sur le montant final des sanctions imposées au titre du grief n° 1
1076. Eu égard à l'ensemble de ce qui précède, il y a lieu d'imposer les sanctions suivantes à chacune des entreprises en cause :
Entreprise / Sanction avant prise en compte de la réduction au titre de la clémence et/ou de la non-contestation des griefs / Sanction finale
Brenntag / 63 737 053 euros / 47 802 789 euros conjointement et solidairement avec DBML
DBML / 53 114 211 euros / 5 311 422 euros seule et 47 802 789 euros conjointement et solidairement avec Brenntag
Caldic Est / 1 668 796 euros / 1 335 036 euros
Solvadis / 13 430 420 euros / 0 euro
GEA Group / 11 756 599 euros / 9 405 279 euros
Univar / 22 324 208 euros / 15 180 461 euros
2. SUR LES SANCTIONS IMPOSÉES AU TITRE DU GRIEF N° 2
a) Sur la valeur des ventes
1077. L'Autorité a rappelé aux paragraphes 889 et suivants les modalités de détermination de la valeur des ventes.
1078. Les catégories de services à prendre en considération, pour déterminer la valeur des ventes, sont celles concernées par la pratique, telle que décrite dans la partie de la décision consacrée à la qualification des pratiques (paragraphes 791 et suivants).
1079. Au cas d'espèce, les entreprises ont mis en place une entente visant à se répartir la livraison des commandes de méthanol de la société GKN et à fixer en commun les prix pratiqués à l'égard de ce client. Les ventes affectées qui seront retenues par l'Autorité seront donc celles de méthanol à la société GKN par Brenntag et Chemco.
1080. Eu égard à la participation individuelle de chacune des parties en cause à l'infraction, telle que constatée ci-dessus aux paragraphes 802 et suivants de la décision, le dernier exercice comptable complet retenu pour déterminer cette valeur des ventes sera l'exercice 2006 pour Brenntag et Chemco.
1081. Compte tenu des données chiffrées à la disposition de l'Autorité, il n'apparaît pas que les ventes réalisées pendant ces exercices ne seraient manifestement pas représentatives de l'activité annuelle de chacune des parties en cause durant la période pendant laquelle elles ont participé à l'infraction.
1082. Au vu des considérations qui précèdent, le tableau ci-dessous récapitule les valeurs des ventes servant d'assiette à la sanction individuelle de chacune des parties.
Entreprise / Valeur des ventes
Brenntag / 77 000 euros
Chemco / 45 301 euros
b) Sur la détermination du montant de base
1083. Les modalités de détermination du montant de base ont été rappelées aux paragraphes 905 et suivants de la décision.
Sur la proportion de la valeur des ventes
Sur la gravité des faits
1084. Brenntag et Chemco ont mis en œuvre des pratiques consistant en une répartition des livraisons chez le client GKN, couplée à une concertation tarifaire visant à fixer le prix proposé à ce client. En outre, des livraisons croisées entre ces entreprises leur ont permis de lisser les commandes à l'égard du client GKN sur l'année tout en augmentant leurs marges.
1085. Cette infraction constitue un accord horizontal entre concurrents ayant pour objet de répartir les livraisons à l'égard de ce client et de manipuler les prix de vente de méthanol, au lieu de laisser ces paramètres à la libre appréciation de chacune des entreprises, dans le cadre d'une détermination autonome de leur politique commerciale et de leur comportement sur le marché.
1086. Comme il a été rappelé aux paragraphes 909 et suivants ci-dessus, de telles pratiques, visant par leur nature même à manipuler des paramètres essentiels de la concurrence, sont particulièrement graves. Le fait qu'elles concernent simultanément plusieurs paramètres clés du jeu concurrentiel (prix et client) est, en outre, de nature à en renforcer la gravité en l'espèce.
1087. Par ailleurs, cette infraction est d'autant plus grave qu'elle a revêtu un caractère secret, élément la rendant particulièrement difficile à détecter et en traduisant, dans une certaine mesure, le caractère délibéré. À cet égard, la répartition des commandes et la concertation tarifaire à l'égard du client GKN, ainsi que les livraisons croisées permettant de lisser les revenus de l'entente, n'étaient pas connus de celui-ci et l'ont empêché de connaître la réalité de la concurrence existant sur le marché entre ses fournisseurs.
Sur l'importance du dommage causé à l'économie
1088. Les modalités d'appréciation de l'importance du dommage causé à l'économie ont été rappelées aux paragraphes 923 et suivants de la décision.
1089. Il convient, en premier lieu, d'examiner l'ampleur des pratiques. Elles ont concerné uniquement le trading de méthanol par camion complet du seul client GKN et ont porté sur un montant, cumulé pendant toute la durée de l'infraction, inférieur à 800 000 euros. Les autres clients des deux fournisseurs en cause, Chemco et Brenntag, n'étaient pas concernés par l'entente.
1090. S'agissant, en deuxième lieu, des caractéristiques économiques objectives du secteur en cause, il convient de constater que, à la différence du secteur de la distribution des commodités chimiques, celui du trading de commodités chimiques, tel que décrit au paragraphe 31 de la décision, ne nécessite pas, pour y entrer, d'investissements capitalistiques importants.
1091. En outre, et comme cela a été relevé aux paragraphes 26 et suivants de la décision, pour un consommateur de grandes quantités de méthanol, il existe un large choix de fournisseurs constitués par les fabricants de méthanol, les traders, mais également les distributeurs via les livraisons en droiture. Par conséquent, GKN était en mesure de s'approvisionner auprès d'autres fournisseurs, non concernés par la pratique en cause.
1092. En troisième lieu, quant aux conséquences conjoncturelles et structurelles des pratiques, il convient tout d'abord de noter que Brenntag et Chemco ont toujours scrupuleusement respecté l'allocation prévue des commandes. Si les modalités d'organisation de l'entente ont pu évoluer dans le temps, notamment du fait de difficultés d'approvisionnement, les comportements des entreprises en cause ont permis à l'entente d'avoir des effets réels et sensibles sur les prix payés par le client concerné par les pratiques.
1093. À cet égard, la société GKN a fourni des données sur l'ensemble de ses commandes de méthanol entre janvier 2001 et juin 2012, qui permettent d'observer directement l'effet réel des pratiques sur le prix payé par celle-ci.
1094. Le graphique ci-dessous présente les évolutions comparées des prix (de janvier 2001 à décembre 2012) du méthanol à la production d'une part (prix affiché pour l'Europe par Methanex, le plus grand producteur mondial de méthanol), et payé par GKN d'autre part. La ligne verticale correspond au mois de mars 2007, fin de l'entente entre Brenntag et Chemco.
Évolution du prix du méthanol à la production et du prix payé par GKN
<Emplacement graphique 1>
1095. Ce graphique montre que la différence entre le cours du méthanol (prix producteur) en Europe et le prix payé par GKN était très nettement plus importante pendant l'entente (i.e. dans la partie gauche du graphique) qu'après l'entente (i.e. dans la partie droite du graphique). Alors que cette différence était en moyenne supérieure à 200 euros la tonne avant mars 2007, elle devient inférieure à 100 euros la tonne après cette date.
1096. Une simple régression économétrique du prix payé par GKN sur le prix du méthanol à la production qui incorpore une variable identifiant la période de l'entente permet d'évaluer le surprix payé par GKN. Cette méthode " avant / après " ne pose ici pas de difficulté dans la mesure où l'évolution du prix du méthanol sur le marché européen peut être vue comme un bon indicateur de l'évolution des coûts des fournisseurs de GKN. Cette régression conduit ainsi à estimer un surprix généré par l'entente entre Brenntag et Chemco de l'ordre de 35 %.
1097. Au vu de l'ensemble de ce qui précède, le dommage causé à l'économie par l'entente apparaît certain, même si plusieurs facteurs conduisent à tempérer son importance.
Conclusion sur la proportion de la valeur des ventes
1098. Compte tenu de l'appréciation qu'elle a faite ci-dessus de la gravité des faits et de l'importance du dommage causé à l'économie, l'Autorité retiendra, pour déterminer le montant de base de la sanction infligée aux parties en cause, une proportion de 20 % de la valeur de leurs ventes de méthanol au client GKN telles qu'elles ont été calculées précédemment.
Sur la durée de participation
1099. Comme indiqué au paragraphe 946, la durée de l'infraction est un facteur qu'il convient de prendre en compte dans le cadre de l'appréciation tant de la gravité des faits que de l'importance du dommage causé à l'économie.
1100. En principe, comme cela a été précédemment rappelé, plus une infraction est longue, plus l'atteinte qu'elle porte au jeu de la concurrence et la perturbation qu'elle entraîne pour le fonctionnement du secteur ou du marché en cause, et plus généralement pour l'économie, peuvent être substantielles et persistantes.
1101. En l'espèce, l'Autorité a constaté aux paragraphes 811 et suivants que l'existence de l'entente sur la répartition des commandes de méthanol passées par le client GKN est établie, au vu des éléments de preuve figurant au dossier, du 31 janvier 2000 à mars 2007.
1102. Au cas présent, au-delà des années complètes de participation aux pratiques en cause, l'Autorité retiendra les mois complets de participation au prorata temporis, mais ne retiendra pas les jours précédant le premier mois complet et suivant le dernier mois complet de participation.
1103. Le tableau ci-dessous récapitule la durée individuelle de participation aux pratiques de chacune des entreprises en cause et le facteur multiplicateur correspondant :
Entreprise / Durée individuelle de participation / Coefficient multiplicateur applicable
Brenntag / 7 ans et 1 mois / 4,04
Chemco / 7 ans et 1 mois / 4,04
Conclusion sur la détermination du montant de base
1104. Au vu de l'ensemble de ce qui précède, et eu égard à la gravité des faits et à l'importance du dommage causé à l'économie par les pratiques en cause, le montant de base de la sanction pécuniaire de chaque entreprise s'établit comme suit :
Entreprise / Montant de base
Brenntag / 62 216 euros
Chemco / 36 603 euros
c) Sur la prise en compte des circonstances propres à chaque entreprise
1105. L'Autorité a rappelé aux paragraphes 954 et suivants les modalités de prise en compte des circonstances propres à chacune des entreprises en cause.
En ce qui concerne Brenntag
Sur le rôle particulier de Brenntag
1106. Comme il a été indiqué aux paragraphes 956 et suivants, parmi les circonstances aggravantes pouvant être prises en considération par l'Autorité dans le cadre de l'individualisation de la sanction figure le fait, pour une entreprise ou un organisme, de jouer un rôle de meneur ou d'incitateur, ou plus largement un rôle particulier dans la conception et/ou dans la mise en œuvre de l'infraction.
1107. En l'espèce, il ressort des éléments constatés par l'Autorité aux paragraphes 478 et suivants de la décision que Brenntag a initié l'entente entre elle-même et Chemco.
1108. Ce rôle est d'ailleurs confirmé par Chemco, qui indique dans ses observations sur la notification de griefs que " la société Chemco n'avait pas d'autre choix que d'accepter la concertation proposée par Brenntag, à défaut de quoi, elle perdait son client Brenntag et son client GKN " (cote 38275).
1109. Eu égard à ces éléments, il est établi que Brenntag a joué un rôle de chef de file dans la mise en place de l'entente, rôle dont il doit être tenu compte dans le cadre de l'individualisation de sa sanction. Pour cette raison, l'Autorité considère qu'il convient d'augmenter le montant de base de sa sanction de 15 % et de le porter à 71 548 .
Sur la taille, la puissance économique et les ressources globales de Brenntag
1110. L'Autorité a rappelé aux paragraphes 965 et suivants que l'appréciation de la situation individuelle peut conduire à prendre en considération l'envergure de l'entreprise en cause, et quand elle appartient à un groupe, l'envergure de ce dernier.
1111. En l'espèce, comme démontré aux paragraphes 968 et suivants, Brenntag dispose de ressources financières conséquentes et très largement supérieures à la valeur des ventes en relation avec la pratique. Son chiffre d'affaires réalisé en 2011 était en effet de plus de 455 millions d'euros. Elle consolide en outre ses comptes au sein de l'entreprise Brenntag AG, à la tête d'un groupe dont le chiffre d'affaires était de 9,689 milliards d'euros en 2012.
1112. Par ailleurs, la taille et les ressources financières du groupe auquel elle appartient, considéré dans son ensemble, sont sans commune mesure avec celles des autres parties à l'infraction, qui ont toutes réalisé, sur la période concernée, un chiffre d'affaires bien moins important.
1113. Eu égard aux éléments qui précèdent, le montant de base de la sanction pécuniaire de Brenntag sera augmenté de 15 % et porté à 82 280 euros.
En ce qui concerne Chemco
1114. S'agissant de Chemco, les éléments du dossier ne font pas ressortir d'éléments propres à sa situation ou à son comportement qui seraient de nature à augmenter ou à diminuer sa sanction, sous réserve de l'examen de sa capacité contributive, qui sera effectué ultérieurement.
Sur la vérification du maximum applicable
1115. Le chiffre d'affaires mondial consolidé hors taxes le plus élevé connu réalisé par Brenntag AG, qui consolide le chiffre d'affaires de Brenntag SA, était de 9 689 900 000 euros en 2012. Le montant maximum de la sanction s'élève donc à 968 990 000 euros en ce qui la concerne. Ce montant est supérieur au montant mentionné au paragraphe 1113 ci-dessus.
1116. Le chiffre d'affaires mondial hors taxes le plus élevé connu réalisé par Chemco était de 8 179 811 euros en 2008. Le montant maximum de la sanction s'élève donc à 817 981 euros en ce qui la concerne. Ce montant est supérieur au montant mentionné au paragraphe 1104 ci-dessus.
d) Sur l'application du IV de l'article L. 464-2 du Code de commerce
1117. Comme rappelé précédemment, le IV de l'article L. 464-2 du Code de commerce permet à l'Autorité d'accorder à une entreprise qui met en œuvre une pratique prohibée par les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce une exonération totale ou partielle de sanction pécuniaire si elle a contribué à établir la réalité de la pratique prohibée et à identifier ses auteurs, en apportant des éléments d'informations dont l'Autorité ne disposait pas antérieurement.
1118. Le communiqué de procédure du 11 avril 2006 relatif au programme de clémence français, précité, indique à cet égard que l'entreprise doit au minimum fournir le nom et l'adresse des parties à l'entente, une description détaillée des marchés concernés et des pratiques dénoncées, les preuves en sa possession ou sous son contrôle au moment de sa demande, et des informations sur toute demande de clémence relative à ces pratiques qui a été ou sera formulée auprès d'autres autorités de concurrence (point 12).
1119. Dans ses observations sur la notification de griefs, Brenntag fait valoir qu'elle est la première entreprise à avoir apporté la preuve de la pratique retenue au titre du grief n° 2 et que, à ce titre, elle ne saurait faire l'objet d'aucune sanction.
1120. Comme indiqué au paragraphe 1111 de la présente décision, par un avis n° 07-AC-04 du 23 mars 2007, Brenntag a obtenu le bénéfice conditionnel d'une exonération partielle de sanction au titre de pratiques anticoncurrentielles consistant en des répartitions de clientèle et de coordination de prix s'appuyant notamment sur des échanges d'informations dans le secteur de la distribution des commodités chimiques et qui se seraient déroulées entre 1998 et 2005 au plus tard.
1121. Brenntag a révélé, dans un courrier daté du 17 mai 2008 (cote 13424) et donc plusieurs mois après l'adoption par le Conseil dudit avis de clémence, une pratique de répartition de clientèle entre elle-même et Chemco qui s'est étendue de janvier 2000 à mars 2007 et a été limitée au seul client GKN.
1122. Cette pratique a fait l'objet d'un grief notifié aux entreprises de manière séparée, pour les raisons exposées aux paragraphes 477 et suivants de la présente décision. En particulier, elle est intervenue sur un secteur distinct - à savoir le marché du trading de commodités chimiques et non sur celui de la distribution de commodités chimiques visé par le grief grief n° 1 - et a concerné une entreprise, en l'espèce, Chemco, qui n'était pas partie prenante à l'infraction unique, complexe et continue du grief n° 1.
1123. Pour cette pratique retenue au titre du grief n° 2, Brenntag n'a pas effectué de demande spécifique de clémence dans les conditions du IV de l'article L. 464-2 du Code de commerce.
1124. Il convient néanmoins de relever que, si Brenntag, comme elle aurait dû le faire, avait formulé une demande de clémence spécifique relative à la pratique visée au titre du grief n° 2, elle aurait, selon toute probabilité, eu égard aux circonstances tout à fait particulières de la présente affaire, obtenu un avis conditionnel de clémence, sous réserve du respect des conditions indiquées dans le communiqué de procédure précité, lui accordant le bénéfice conditionnel d'une exonération totale d'amende.
1125. Par ailleurs, il importe de souligner que Brenntag a coopéré, dans le cadre du présent grief, avec les services de l'Autorité, notamment en leur communiquant des documents relatifs aux pratiques dénoncées et en leur expliquant à la fois le périmètre, la durée ainsi que l'objet et les modalités de fonctionnement de l'entente, et ce à l'occasion d'auditions, de demandes d'informations ou dans le cadre de ses écritures.
1126. Eu égard à ces circonstances tout à fait particulières, l'Autorité considère qu'il est justifié d'accorder à Brenntag le bénéfice d'une exonération totale de sanction en rapport avec les pratiques constatées au titre du grief n° 2.
e) Sur la sanction imposée à DBML en sa qualité de société mère de Brenntag au moment des pratiques
1127. Comme indiqué au paragraphe 853, DBML, anciennement dénommée Stinnes AG, se voit imputer les pratiques établies au titre du grief n° 2, en tant que société mère de Brenntag au prorata de la durée de détention de cette dernière, à savoir du 1er janvier 1998 au 31 janvier 2004, soit une durée de 6 ans et un coefficient de durée de 3,5.
1128. Elle doit donc être tenue pour responsable solidairement et conjointement de la sanction imposée à Brenntag.
1129. Pour Brenntag, la durée des pratiques indiquée aux paragraphes 1101 et suivants s'étend du 31 janvier 2000 à mars 2007, ce qui équivaut à une durée de 7 ans et 1 mois et un coefficient de durée de 4,04. La période de détention de Brenntag par DBML est entièrement incluse dans la période des pratiques retenues au titre du grief n° 2. Brenntag était une filiale détenue à 100 % par DBML pendant 61,881 % de la durée totale des pratiques (4 ans sur 7 ans et 1 mois).
1130. Le montant de la sanction de Brenntag, après vérification du maximum légal, s'élève à 82 280 euros. Brenntag bénéficie cependant d'une exonération totale de sanction au titre de la clémence.
1131. De ce fait, DBML devra seule, pour les raisons rappelées aux paragraphes 1029 et suivants ci-dessus, acquitter une sanction d'un montant de 50 916 euros.
f) Sur la capacité contributive de Chemco
1132. Au titre des éléments propres à la situation de chaque entreprise ou organisme en cause, l'Autorité s'est engagée à apprécier l'existence de difficultés financières particulières de nature à diminuer la capacité contributive des parties lorsque celles-ci lui en font la demande, selon les modalités pratiques indiquées dans le communiqué du 16 mai 2011, précité.
1133. Il appartient en particulier à l'entreprise concernée de justifier l'existence de telles difficultés en s'appuyant sur des preuves fiables, complètes et objectives attestant de leur réalité et de leurs conséquences concrètes sur sa capacité contributive (voir, en ce sens, arrêt de la Cour d'appel de Paris du 11 octobre 2012, précité, p. 73).
1134. En l'espèce, Chemco a invoqué l'existence de difficultés financières particulières qui seraient de nature à affecter sa capacité contributive.
1135. Les éléments figurant au dossier attestent effectivement, de manière fiable et objective, de l'existence de difficultés financières réelles et actuelles rencontrées par Chemco, d'une part, et des conséquences de ces difficultés sur sa capacité contributive, d'autre part. Il convient donc d'en tenir compte.
1136. Compte tenu de la capacité contributive de Chemco, la sanction pécuniaire qui lui est infligée au titre du grief n° 2 sera réduite de 36 603 euros à 10 000 euros.
g) Sur le montant final des sanctions imposées au titre du grief n° 2
1137. Eu égard à l'ensemble de ce qui précède, il y a lieu d'imposer les sanctions suivantes à chacune des entreprises :
Entreprise / Sanction avant prise en compte de la réduction de la clémence / Sanction finale
Brenntag / 82 280 euros / 0 euro
DBML / 50 916 euros / 50 916 euros
Chemco / 36 603 euros / 10 000 euros
G. SUR L'OBLIGATION DE PUBLICATION
1138. Aux termes du I de l'article L. 464-2, cinquième alinéa, du Code de commerce, l'Autorité de la concurrence peut ordonner la publication, la diffusion ou l'affichage de sa décision ou d'un extrait de celle-ci selon les modalités qu'elle précise. Les frais sont supportés par la personne intéressée.
1139. En l'espèce, afin d'informer les consommateurs et professionnels de la présente décision et de les inciter à la vigilance vis-à-vis des pratiques condamnées, il y a lieu d'ordonner la publication, à frais partagés des entreprises sanctionnées et au prorata de leurs sanctions pécuniaires, dans les éditions papier des journaux " Les Echos " et " L'Usine nouvelle ", du résumé de la présente décision figurant ci-après :
" Obligation de publication imposée par l'Autorité de la concurrence
Le 29 Mai 2013, l'Autorité de la concurrence a rendu une décision par laquelle elle sanctionne à hauteur de 79 millions d'euros une entente entre Brenntag, Caldic Est, Univar et Solvadis. Cette entente a consisté, pour ces distributeurs de produits chimiques, à se répartir artificiellement les clients et à coordonner les prix. Les pratiques en cause, constatées en Bourgogne, Rhône-Alpes, dans le Nord et l'Ouest de la France, relevaient cependant d'une seule et même stratégie anticoncurrentielle globale. Elles ont été mises en œuvre par les principaux distributeurs de commodités chimiques en France, représentant à la fin des pratiques jusqu'à 80 % des ventes. De très nombreuses entreprises (industriels, PME) actives en aval de la chaîne de valeur ont été victimes de ces pratiques : à l'exception de l'Île-de-France et du Sud-Ouest, c'est la majorité des bassins industriels français qui ont été touchés.
Une affaire révélée grâce à la clémence
L'Autorité de la concurrence (à l'époque le Conseil de la concurrence) a été informée de l'existence de cette entente par la société Solvadis, qui a sollicité le bénéfice de la procédure de clémence. Les groupes Brenntag et Univar ont ensuite déposé successivement des demandes de clémence.
La procédure de clémence permet, sous certaines conditions, à la première entreprise qui révèle à l'Autorité de la concurrence une entente à laquelle elle a participé d'obtenir une exonération totale de sanction pécuniaire. Les entreprises qui demandent ensuite à en bénéficier peuvent pour leur part obtenir une exonération partielle de sanction en fonction notamment de leur rang d'arrivée à l'Autorité, de la valeur ajoutée des informations transmises ainsi que de leur pleine coopération pendant la procédure.
Le secteur de la distribution des commodités chimiques
La décision prononcée par l'Autorité de la concurrence concerne le secteur de la distribution des commodités chimiques.
Les commodités chimiques, produites par les grands groupes de chimie (Exxon, Shell, BP, Solvay, Rhodia, BASF...) sont les matières premières de base issues principalement de la chimie minérale et de la pétrochimie telles que les solvants, les alcools, les acides, les éthers, la javel, la soude. Elles sont utilisées dans de très nombreux secteurs : industrie chimique, agro-alimentaire, automobile, blanchisseries hospitalières et privées, traitement des eaux, armement, industrie du béton, industrie de la désinfection et du nettoyage, fabrication de peinture, industries mécanique et aéronautique, industrie textile, etc . Les commodités sont vendues soit directement par les producteurs, pour les grands volumes, ou commercialisées par des intermédiaires, comme les distributeurs, pour les petits volumes. Les pratiques en cause concernent les distributeurs.
Coordination sur les prix et partage des clients
L'infraction a été mise en place entre 1998 et mi-2005 dans les quatre zones géographiques où les sites de stockage des distributeurs de commodités concernés généraient les résultats les plus faibles : Bourgogne, Rhône-Alpes, Ouest et Nord.
Les représentants des sociétés Solvadis, Brenntag et Univar et Caldic, présents selon les zones, se réunissaient secrètement et de façon régulière dans des hôtels ou des restaurants ou échangeaient par téléphone, parfois sur des lignes dédiées afin d'éviter toute trace de ces communications, pour se répartir la clientèle et se coordonner sur les prix.
- La répartition de clientèle
Les clients étaient distingués selon qu'ils mettaient ou non régulièrement en concurrence les distributeurs. Les premiers faisaient l'objet d'une répartition organisée sous forme de " tours " visant à allouer alternativement les clients entre les participants aux ententes. Ce système reposait sur des offres de couverture présentant comme mieux-disante la proposition d'un distributeur qui était en réalité pré-désigné secrètement par les membres de l'entente comme devant emporter le marché. La seconde catégorie de clientèle, moins sensible aux prix et plus fidèle aux distributeurs, faisait l'objet d'un pacte de non-agression selon lequel chaque distributeur s'abstenait de démarcher activement ces clients. Cela se traduisait par un gel des portefeuilles de clients de chacun.
- La coordination tarifaire
Les prix proposés aux clients des distributeurs étaient également arrêtés en commun. Les documents ou déclarations des parties font état de " tarif cartel " ou " tarifs communs ".
- La mise en place d'une surveillance
La mise en œuvre de l'entente était surveillée de près, afin de s'assurer qu'aucun participant ne dérogeait aux règles définies. Des vérifications auprès des clients pouvaient être réalisées ainsi que des rappels aux règles du mode de fonctionnement de l'entente.
Une collusion de grande ampleur qui a impliqué les principaux distributeurs de commodités chimiques et impacté la quasi-totalité de leurs clients approvisionnés par les sites de stockage en cause, notamment des PME
Les nombreux éléments de preuve et déclarations émanant des participants à l'infraction ont permis d'établir l'existence de l'entente dans au moins 4 zones géographiques couvrant une très grande partie du territoire français (36 départements). A l'exception de l'Île-de-France et du Sud-Ouest, c'est la grande majorité des grands bassins industriels français qui ont été touchés par les pratiques. De grands groupes industriels (Thomson, Seb, Saint-Gobain...) mais aussi de nombreuses PME françaises, comme des blanchisseries, ainsi que des établissements publics hospitaliers (CHU de Dijon, par exemple) ont ainsi été victimes de l'entente en étant contraintes de payer plus cher leur approvisionnement en matières premières.
Un cartel constitue l'une des infractions les plus graves aux règles de concurrence, dans la mesure où il confisque, au profit des auteurs de l'infraction, le bénéfice que les entreprises en aval de la chaîne de valeur et les consommateurs - en l'espèce les clients industriels ou les PME-PMI, voire des collectivités publiques, acheteurs de commodités chimiques - sont en droit d'attendre du fonctionnement normal de l'économie. Cette pratique est d'autant plus grave en l'espèce qu'elle a concerné simultanément plusieurs paramètres clés du jeu concurrentiel (prix, clients).
Les sanctions prononcées
L'Autorité a fixé le montant des sanctions en tenant compte de la gravité des faits, de l'importance du dommage causé à l'économie (au-delà du seul secteur couvert par le cartel) et de la situation individuelle des participants (dont certains appartiennent à de grands groupes, de dimension européenne voire mondiale).
Les sanctions sont cependant inférieures à ce qu'elles auraient pu être du fait de la procédure de clémence. En accordant des réductions à ce titre, l'Autorité a tenu compte, notamment, du rang d'arrivée et des éléments apportés par les demandeurs de clémence.
A ce titre, elle a accordé une immunité totale de sanction à Solvadis, 1ère entreprise à avoir révélé l'infraction (elle encourait une sanction de 13 millions d'euros). GEA Group, qui n'était pas partie à la demande de clémence, a en revanche été sanctionnée en tant que société mère de Solvadis au moment des faits.
Brenntag et Univar, 2ème et 3ème demandeur de clémence, ont vu leur sanction réduite respectivement de 25 % et 20 %. En outre, Univar a bénéficié d'une réduction supplémentaire de 15 % pour ne pas avoir contesté les griefs. De leur côté, Caldic Est et GEA, qui n'ont également pas contesté les griefs ont obtenu une réduction de sanction de 20 %
Concernant Brenntag, l'Autorité a aussi pris en considération sa place centrale dans le cartel : pivot de l'entente, elle en a été l'initiatrice dans trois régions et en a exercé la surveillance.
Les sanctions prononcées :
Solvadis / 0 euros
GEA Group (société mère de Solvadis au moment des faits) / 9 405 279 euros
Brenntag, solidairement avec DBML, sa société mère au moment des faits / 47 802 789 euros
DBML / 5 311 422 euros
Univar / 15 180 461 euros
Caldic Est / 1 335 036 euros
Total / 79 034 987 euros
L'Autorité a également sanctionné une seconde entente entre Brenntag et Chemco visant, du 31 janvier 2000 à mars 2007, à se répartir les livraisons des commandes de méthanol de la société GKN Driveline et à fixer en commun les prix à l'égard de ce client. Brenntag a obtenu une immunité totale de sanction. DBML devra acquitter une sanction d'un montant de 50 916 euros, en tant que société mère de Brenntag au moment des faits. Chemco devra acquitter une sanction d'un montant de 10 000 euros ".
DÉCISION
Article 1er : Il est établi que les sociétés Brenntag SA, Caldic Est SASU, Solvadis France et Univar SAS, en tant qu'auteurs des pratiques, ainsi que les sociétés DB Mobility Logistics AG, Brenntag France Holding SAS, Brenntag Foreign Holding GmbH, Brenntag Beteiligungs GmbH, Brenntag Holding GmbH, GEA Group Aktiengesellschaft, Solvadis Gmbh, Solvadis Holding SARL, Univar NV, Univar Europe Holdings BV, Univar France BV et Univar France SNC, en leur qualité de société mère, ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce ainsi que celles de l'article 101 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne en mettant en œuvre une entente anticoncurrentielle visant à stabiliser leurs parts de marché et à augmenter leurs marges par le biais de répartitions de clientèles et de coordinations tarifaires.
Article 2 : Il est établi que les sociétés Brenntag SA et Chemco France SARL, en tant qu'auteurs des pratiques, ainsi que les sociétés DB Mobility Logistics AG, Brenntag France Holding SAS, Brenntag Foreign Holding GmbH, Brenntag Beteiligungs GmbH, Brenntag Holding GmbH et Brachem France Holding SAS, en leur qualité de société mère, ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce en mettant en œuvre une entente anticoncurrentielle consistant en une répartition des livraisons et en une fixation de prix.
Article 3 : Les sociétés Deutsche Bahn AG et E.ON AG sont mises hors de cause au titre des griefs visés à l'article 1er et à l'article 2.
Article 4 : Sont infligées, au titre des pratiques visées à l'article 1er, les sanctions pécuniaires suivantes :
- de 47 802 789 euros à la société Brenntag SA, conjointement et solidairement avec DB Mobility Logistics AG ;
- de 5 311 422 euros à la société DB Mobility Logistics AG ;
- de 1 335 036 euros à la société Caldic Est SASU ;
- de 9 405 279 euros à la société GEA Group AG ;
- de 15 180 461 euros à la société Univar SAS.
Article 5 : La société Solvadis France et ses sociétés mères sont exonérées de sanction pécuniaire au titre des pratiques visées à l'article 1er, par application du IV de l'article L. 464-2 du Code de commerce.
Article 6 : Sont infligées, au titre des pratiques visées à l'article 2, les sanctions pécuniaires suivantes :
- de 10 000 euros à la société Chemco France SARL ;
- de 50 916 euros à la société DB Mobility Logistics AG.
Article 7 : La société Brenntag SA est exonérée de sanction pécuniaire au titre de la pratique visée à l'article 2, par application du IV de l'article L. 464-2 du Code de commerce.
Article 8 : Les personnes morales visées à l'article 1er et à l'article 2 feront publier à frais partagés le texte figurant au paragraphe 1139 de la présente décision dans les journaux
" Les Echos " et " L'Usine nouvelle ", en respectant la mise en forme. Cette publication interviendra dans un encadré en caractères noirs sur fond blanc de hauteur au moins égale à trois millimètres sous le titre suivant, en caractère gras de même taille : " Décision de l'Autorité de la concurrence n° 13-D-12 du 28 mai 2013 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la commercialisation de commodités chimiques ". Elle pourra être suivie de la mention selon laquelle la décision a fait l'objet de recours devant la Cour d'appel de Paris si de tels recours sont exercés. Les personnes morales concernées adresseront, sous pli recommandé, au bureau de la procédure, copie de cette publication, dès leur parution et au plus tard le 29 juillet 2013.