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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 30 mai 2013, n° 10-24267

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Crédit du Nord (SA)

Défendeur :

Groupe Etcheverry (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mmes Pomonti, Michel-Amsellem

Avocats :

Mes Ribaut, Orengo, Bettan, Robert

T. com. Paris, du 24 nov. 2010

24 novembre 2010

Faits constants et procédure

M. Etcheverry a créé la société Groupe Etcheverry en 1986 pour exercer son activité de formateur en technique de vente et de management. Celle-ci a exécuté des missions de formation du personnel des sociétés du groupe Crédit du Nord entre 1990 et 2004.

En 2003, à la suite d'une réorganisation, la Banque a lancé une importante action de formation dénommée " Projet Optimum ", pour laquelle elle a lancé un appel d'offres sans demander à la société Groupe Etcheverry d'y participer et elle a attribué le marché à un autre formateur.

La société Groupe Etcheverry a ensuite réalisé quelques missions ponctuelles pour la société Crédit du Nord en 2004, puis a cessé son activité en 2005. Sa liquidation amiable a été décidée en février 2005.

Estimant être victime d'une rupture abusive de la relation commerciale établie avec la société Crédit du Nord, la société Groupe Etcheverry l'a, par acte du 15 décembre 2008, fait assigner en réparation, devant le Tribunal de commerce de Paris.

Par jugement en date du 24 novembre 2010, assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de commerce de Paris a :

- dit que la société Le Crédit du Nord a rompu abusivement la relation commerciale établie avec la société Groupe Etcheverry prise en la personne de son liquidateur amiable, M. Etcheverry,

- condamné la société Le Crédit du Nord à payer à la société Groupe Etcheverry prise en la personne de son liquidateur amiable, M. Etcheverry, à titre de dommages et intérêts, la somme de 174 000 € et débouté pour le surplus de la demande,

- condamné la société Le Crédit du Nord à payer à la société Groupe Etcheverry prise en la personne de son liquidateur amiable, M. Etcheverry, la somme de 1 500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Vu l'appel interjeté le 16 décembre 2010 par la société Le Crédit du Nord contre cette décision.

Vu les dernières conclusions signifiées le 17 janvier 2013 par la société Le Crédit du Nord par lesquelles il est demandé à la cour de :

- infirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 24 novembre 2010,

- débouter purement et simplement la société Groupe Etcheverry de l'ensemble de ses demandes, fins, moyens et conclusions,

- condamner la société Groupe Etcheverry à payer à la société Le Crédit du Nord la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Le Crédit du Nord conteste avoir entretenu avec la société Groupe Etcheverry, une relation commerciale établie, et soutient à ce sujet qu'il n'est pas démontré l'existence entre elles d'un courant d'affaires en constante progression, ni que ces relations aient laissé augurer une progression, ni que les prestations aient été périodiquement renouvelées ou encore l'impossibilité pour la société Groupe Etcheverry de diversifier ses activités.

Elle soutient, qu'à supposer qu'il ait pu exister entre elles de telles relations, leur rupture n'a pas été brutale, en ce que, d'une part, la société Groupe Etcheverry a bien disposé d'un préavis, d'autre part, elle avait la possibilité de se réorganiser, puisqu'elle était libre d'assurer la diversification de ses activités.

Sur le préjudice, la banque conteste que le préjudice de la société Groupe Etcheverry puisse correspondre au chiffre d'affaires qui aurait dû être réalisé pendant le préavis dont cette société aurait été privée et elle ajoute n'avoir jamais imposé une quelconque situation de dépendance économique à la société Groupe Etcheverry.

Vu les dernières conclusions de constitution aux lieux et place signifiées le 13 février 2013 et les dernières conclusions au fond signifiées le 31 mai 2012 par la société Groupe Etcheverry par lesquelles il est demandé à la cour de :

- déclarer l'appel du Crédit du Nord irrecevable,

- confirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 24 novembre 2010 en ce qu'il a jugé la rupture de la relation commerciale intervenue entre les parties abusives,

- infirmer le jugement pour le surplus,

- condamner le Crédit du Nord à verser à la société Groupe Etcheverry la somme de 570 000 € à titre de justes dommages et intérêts en réparation du préjudice économique, du préjudice professionnel qu'il a subi,

- condamner le Crédit du Nord au paiement de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Groupe Etcheverry rappelle que selon la jurisprudence, l'existence de relations commerciales établies doit être entendue de façon large et que la durée est un des critères déterminant dans l'appréciation de l'existence d'une relation commerciale établie. Elle fait valoir sur ce point qu'elle a travaillé pendant plus de 15 ans pour la société Crédit du Nord qui était devenue son unique client.

Elle ajoute que la brutalité de la rupture découle de l'absence de préavis écrit raisonnable et que celle-ci constitue une faute qui doit donner lieu à réparation. Elle précise que la société Crédit du Nord a eu un comportement fautif à son égard en l'évinçant volontairement du " Projet Optimum " en ne l'informant pas de l'appel d'offres lancé par elle.

LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions initiales des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

Motifs

Aux termes de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce, " engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, (....) de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels "

Sur l'existence d'une relation commerciale établie

Contrairement à ce que soutient la société Le Crédit du Nord, le texte précité n'exige pas que la relation commerciale ait connu une constante progression, mais qu'elle ait été stable pendant une certaine durée. Une telle relation peut exister quand bien même les relations entre les parties auraient été ponctuelles, si elles se sont régulièrement répétées dans la continuité. Il importe peu à ce stade d'analyse que la partie qui subit la rupture se soit, ou non, trouvée en situation de dépendance vis-à-vis de celle qui a décidé la cessation des relations commerciales.

En l'espèce, la société Groupe Etcheverry produit la copie de ses cahiers des ventes attestant de ce qu'elle a assuré des prestations de formations pour diverses sociétés de banque appartenant à la société Le Crédit du Nord, de 1989 à 1992, puis, de façon suivie de 1998 à 2003. Ces documents démontrent que les relations entre les parties ont été régulières et continues, la société Le Crédit du Nord reconnaissant dans ses conclusions que la société Groupe Etcheverry a effectué au bénéfice de ses salariés des journées de formation à raison d'une cinquantaine en 1998 et 1999, et entre soixante-dix et quatre-vingt en 2002 et 2003. L'examen des pièces démontre que pour les années 2000 et 2001, des formations ont été dispensées de façon régulière entre les mois de janvier à novembre. Il a donc bien existé une relation commerciale établie entre la société Groupe Etcheverry et la société Le Crédit du Nord, sans qu'importe le fait que les formations n'aient pas eu lieu pendant les mois d'août et de décembre. L'absence de relations démontrées entre 1992 et 1998, soit pendant une longue période de cinq ans, conduit à considérer que la relation a été interrompue pendant cette période pour reprendre ensuite. Dès lors, la durée à prendre en compte dans le cadre de la présente procédure est celle qui s'est écoulée entre 1998 et 2004, année de cessation des relations.

Sur la rupture brutale

Les parties s'accordent pour considérer que la rupture est intervenue à la suite de l'appel d'offres lancé par la société Le Crédit du Nord pour la mise en œuvre du " Projet Optimum ", dans le cadre duquel se sont inscrites, à compter de 2004, l'essentiel de ses actions de formation. La société Le Crédit du Nord ne produit toutefois aucun élément qui atteste de ce qu'elle ait adressé, ainsi que l'exige l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, à la société Groupe Etcheverry un écrit par lequel elle l'aurait avertie du lancement de cette procédure. Il est sans portée sur ce point que la société Groupe Etcheverry ait indiqué dans ses conclusions déposées devant le tribunal qu'elle savait que cet appel à candidatures avait été lancé, dans la mesure où aucun écrit ne lui a été adressé, ce qui lui aurait pourtant permis de comprendre que la société Le Crédit du Nord souhaitait remettre en cause la perpétuation de leurs relations commerciales.

Le fait que la société Groupe Etcheverry aurait pu, pendant les années de déroulement des relations commerciales, diversifier sa clientèle est sans portée sur la question de la brutalité de la rupture qui est constituée dès lors qu'aucun écrit ne lui a été adressé pour l'avertir du lancement de l'appel d'offres auquel elle aurait pu décider de concourir ou encore, à compter de cette date, entreprendre de rechercher d'autres clients.

Sur le préavis

Il ressort des pièces produites que la société Le Crédit du Nord représentait, à compter de l'année 2000, une part importante du chiffre d'affaires de la société Groupe Etcheverry. Cependant, il n'est ni allégué, ni démontré que cette situation aurait été imposée, voire demandée, par la cliente. Dans ces conditions, la société Groupe Etcheverry a manqué de prudence en concentrant son activité sur un seul partenaire, ce dont il convient de tenir compte dans la détermination de la durée du préavis. Par ailleurs, compte tenu de l'interruption des relations entre 1992 et 1998, la relation entre les parties s'est déroulée de 1998 à 2003 et aura donc duré cinq ans, car si et elle s'est prolongée pendant l'année 2004, les prestations fournies n'ont plus été que résiduelles. Enfin il n'est ni démontré ni soutenu que le marché de la formation de personnel, notamment, dans le domaine bancaire serait particulièrement fermé ou comporterait des barrières à l'entrée rendant difficile la recherche d'autres clients.

Au regard de cet ensemble de circonstances le préavis que la société Le Crédit du Nord aurait dû respecter doit être fixé à six mois.

Sur le préjudice

Il convient de rappeler à ce sujet que le préjudice indemnisable dans le cadre de la mise en œuvre de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce est celui qui résulte du caractère brutal des relations commerciales. Ce préjudice est constitué de la perte de marge brute qui aurait été réalisée pendant la durée du préavis, si l'auteur de la rupture l'avait respecté.

Dans le cadre d'une entreprise de service, la marge brute ne peut, contrairement à ce que soutient la société Groupe Etcheverry, être équivalente au chiffre d'affaires hors taxes. Il convient en effet de soustraire de ce chiffre d'affaires les charges que représentent la réalisation du service, dont, par exemple, les salaires et les frais de déplacement.

La société Le Crédit du Nord ne conteste pas que les formations effectuées par la société Groupe Etcheverry auprès de ses personnels aient généré un chiffre d'affaires pour les années 2002 et 2003, respectivement, de 184 500 et 163 000 euros. Le chiffre d'affaires moyen par an a donc été de 173 750 euros. Il convient de déduire de cette somme la moyenne des frais de déplacement pour les deux années, soit 20 168,80 euros en 2002 et 20 639,31 euros en 2003, soit une moyenne de 20 404 euros, le total s'établissant à 153 346 euros. Il convient aussi de déduire les salaires afférents à ces formations qui peuvent être évalués au tiers du total (51 115 euros). Il résulte de ce qui précède que la marge annuelle moyenne s'élève à 102 231 euros et que le préjudice subi par le non-respect du préavis de six mois doit être fixé à 51 115 euros.

Il convient par ailleurs de relever que la société Groupe Etcheverry n'établit pas que le caractère brutal de la rupture lui aurait causé d'autres préjudices que celui résultant de la perte de marge brute.

Sur l'article 700 du Code de procédure civile

L'équité commande de ne pas prononcer de condamnation au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Infirme l'arrêt rendu entre les parties par le Tribunal de commerce de Paris le 24 novembre 2010, mais seulement en ce qu'il a condamné la société Le Crédit du Nord à payer à la société Groupe Etcheverry prise en la personne de son liquidateur amiable, M. Etcheverry, à titre de dommages et intérêts, la somme de 174 000 euros ; Statuant à nouveau, Condamne la société Le Crédit du Nord à payer à la société Groupe Etcheverry, prise en la personne de son liquidateur amiable, M. Etcheverry, la somme de 51 115 euros à titre de dommages-intérêts ; Rejette les demandes plus amples des parties ; Dit n'y avoir lieu à condamnation au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société Le Crédit du Nord aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.