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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 29 mai 2013, n° 11-04291

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Oil France (SAS)

Défendeur :

Auto Services Ternes (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Cocchiello

Conseillers :

Mmes Luc, Pomonti

Avocats :

Mes Charbonnier, Bigot, Pinto

T. com. Paris, 15e ch., du 18 févr. 2011

18 février 2011

Le 2 novembre 2004, la société Oil France a acquis le fonds de commerce de la station-service sis 98, avenue des Ternes 75017 Paris de la société des Pétroles Shell.

En 2005, Monsieur Hubert Rousselet a déposé un dossier de candidature pour gérer cette station-service après avoir rappelé qu'il avait été manager d'une station-service sur autoroute pendant 11 ans, puis gérant d'une société.

Le 13 juillet 2005, un contrat d'exploitation avec effet au lendemain a été signé entre la société Oil France et Monsieur Hubert Rousselet, agissant au nom d'une société à créer, la société Auto Services Ternes "AST", laquelle sera immatriculée le 10 août 2005.

Le contrat prévoit notamment :

- un mandat pour la distribution des carburants avec une commission variable rémunération proportionnelle de 38 euros HT par m³, une rémunération proportionnelle de 38 euros HT par m³ ;

- une location gérance de 7:00 à 21:00 du lundi au samedi moyennant un loyer annuel de 6 000 euros HT.

La société Auto Services Ternes a reçu de la société Oil France des commissions fixes mensuelles de 3 798,96 euros depuis le mois d'août 2005 jusqu'au mois d'avril 2007.

Au cours des années 2007, 2008 et au début de l'année 2009, la société Auto Services Ternes a adressé plusieurs courriers à la société Oil France pour se plaindre notamment des pertes enregistrées et faire part de ses inquiétudes concernant l'avenir de son exploitation, en vain.

Le 14 avril 2009, la société Auto Services Ternes, invoquant la responsabilité de la société Oil France dans les pertes enregistrées par la société Auto Services Ternes en sa qualité de mandataire, a mis en demeure la société Oil France de rembourser la société Auto Services Ternes du montant des pertes apparues dans les comptes clos au 30 juin 2008.

En l'absence de réponse de la société Oil France, la société Auto Services Ternes l'a assignée devant le tribunal de commerce le 1er septembre 2009 en demandant, à titre principal, sa condamnation au remboursement de la somme de 89 610,54 euros au titre des pertes du mandat ; à titre subsidiaire, de nommer un expert aux frais avancés par la société Oil France avec mission de chiffrer les pertes afférentes à la seule activité de distribution des carburants et de déterminer l'origine de ces pertes au regard de la faiblesse de la commission versée par la société Oil France et, en tout état de cause, sa condamnation à lui payer la somme de 150 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de l'absence de remise en état des installations de distribution de carburants, outre les intérêts au taux légal avec capitalisation conformément à l'article 1154 du Code civil à compter de la demande.

Par jugement rendu le 18 février 2011, le Tribunal de commerce de Paris a :

- dit recevables les demandes reconventionnelles de la société Oil France mais débouté la société Oil France de toutes ses demandes ;

- condamné la société Oil France à verser à la société Auto Services Ternes la somme de 89 610,54 euros au titre du remboursement des pertes du mandat avec intérêt légal à compter du 14 avril 2009, date de la mise en demeure ;

- condamné la société Oil France à verser à la société Auto Services Ternes la somme de 94 100 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice né de la fermeture de la station,

- débouté la société Auto Services Ternes pour le surplus ;

- condamné la société Oil France à payer à la société Auto Services Ternes la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;

- ordonné l'exécution provisoire avec constitution par Auto Services Ternes à hauteur de 49 100 euros d'une garantie chez une banque établie en France, en vue de couvrir partiellement l'exigibilité et le remboursement éventuel des condamnations se rapportant aux dommages et intérêts, outre les intérêts pouvant avoir couru sur ces sommes.

La société Oil France a interjeté appel du jugement le 8 mars 2011.

Par conclusions signifiées le 11 mars 2013 auxquelles il y a lieu de se référer pour l'exposé plus ample des moyens, la société Oil France demande à la cour :

- d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Et, statuant à nouveau,

- de condamner la société Auto Services Ternes à lui verser la somme de 111 862,58 euros au titre des commissions versées indûment et des impayés de décembre 2008 et ce avec intérêts de droit à compter du 6 mai 2010, date de ses conclusions reconventionnelles devant le Tribunal de commerce de Paris,

- de condamner la société Auto Services Ternes à lui verser la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Par conclusions signifiées le 1er mars 2013 auxquelles il y a lieu de se référer pour l'exposé plus ample des moyens, la société Auto Services Ternes demande à la cour :

- de condamner la société Oil France à lui verser la somme de 89 610,54 euros HT au titre du remboursement des pertes du mandat, sauf à parfaire dans l'attente des résultats ultérieurs ;

A titre subsidiaire :

- de nommer tel expert qu'il lui plaira aux frais avancés par la société Oil France avec la mission de :

* chiffrer le montant des pertes afférentes à la seule activité de distribution des carburants ;

* déterminer l'origine de ces pertes notamment au regard de la faiblesse des commissions versées par la société Oil France ;

A titre très subsidiaire, et si par impossible la cour considérait que les commissions fixes payées par la société Oil France à la société Auto Services Ternes doivent lui être restituées :

- de condamner la société Oil France à lui verser la somme de 167 918,13 euros (89 610,54 euros + 78 307,59 euros) au titre des pertes du mandat, sauf à parfaire dans l'attente des résultats ultérieurs ;

En tout état de cause :

- de condamner la société Oil France à lui payer la somme de 150 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de l'absence de remise en état par la société Oil France des installations de distribution des carburants ;

- de condamner la société Oil France à lui rembourser les loyers qu'elle aurait pu lui verser à compter du 8 juillet 2010 et ce jusqu'à ce qu'elle puisse reprendre la vente de ses carburants, outre les intérêts au taux légal avec capitalisation conformément à l'article 1154 du Code civil à compter de la demande ;

- de condamner la société Oil France à lui payer la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.

SUR CE

1) Sur l'information précontractuelle :

Considérant que la société AST invoque le bénéfice des dispositions des articles L. 330-3 et R. 330-3 ainsi que les dispositions des accords interprofessionnels (AIP) que la société Oil France n'a pas respectées, et que M. Rousselet ne s'est pas engagé en toute connaissance de cause, le contrat lui ayant été remis le jour de la signature et rentrant en vigueur dès le lendemain, que la société Oil France réplique en indiquant que Monsieur Rousselet a pris connaissance de la nature du poste et du lieu d'exploitation, qu'il a reçu le compte prévisionnel existant et commenté celui-ci, eu en ses mains le calendrier de mise en place et une copie du futur contrat de location-gérance qu'il exploite à ses risques et périls, et souligne que le gérant de la société AST est un homme du métier,

Considérant toutefois que dès lors que la société Oil France a mis à disposition de la société AST sa marque, son enseigne, que la société AST devait s'approvisionner exclusivement auprès d'elle, la société Oil France était soumise à une obligation précontractuelle d'information visée par l'article L. 330-3 du Code de commerce,

Considérant que force est de constater que très peu d'informations ont été données à Monsieur Rousselet avant la signature du contrat, que les documents visés par les textes invoqués n'ont pas été remis à l'intéressé dans les délais prévus et dans la teneur prévue, que Monsieur Rousselet a eu en effet entre les mains avant la signature du contrat un document "compte d'exploitation prévisionnel" émanant de la société Shell et concernant, selon Oil France, le précédent exploitant, document qui n'est toutefois pas versé aux débats, qu'il a commenté ; que lors de la signature de la convention, lui a été remis un document "historique comptable et environnement concurrentiel" du point de vente, qui renseigne les résultats économiques sur les périodes 2001, 2002 et les quatre premiers mois de 2004, sans donner toutefois les résultats d'exploitation annuels, et l'environnement concurrentiel,

Considérant que Monsieur Rousselet n'a pu s'engager en toute connaissance de cause ; qu'en effet, la renonciation portée dans l'article 10 du contrat aux dispositions des articles 1999 et 2000 du Code civil suppose qu'il le fasse en toute connaissance des dispositions de ces textes qui ne sont pas reproduites en intégralité dans le contrat et surtout en toute connaissance de l'objet de cette renonciation, ce qui ne peut être, faute d'avoir au moins les résultats d'exploitation de la station des années précédentes ; que sont inopérantes les circonstances invoquées par Oil France pour minimiser l'absence de défaut d'information préalable qui traduiraient en réalité un équilibre dans les obligations des parties caractérisé par la modestie du loyer, l'absence de paiement de redevances domaniales, le montant des commissions sur les litres de carburants vendus (pourcentage dont "l'anormalité" n'est pas véritablement démontrée) ou encore les autres activités que la société AST peut avoir dans le cadre de la gérance libre (qui se révèlent résiduelles de l'ordre de 5 % du volume d'affaires de la station-service),

Considérant que Monsieur Rousselet a perdu la chance soit de ne pas conclure, soit de limiter ses engagements financiers pour parvenir à une gestion équilibrée, que l'indemnisation de son préjudice doit tenir compte de ses pertes d'exploitation subies lors de l'exécution du contrat en dehors de toute faute de sa part, qu'en l'espèce, les éléments versés aux débats permettent de fixer comme l'a apprécié le tribunal de commerce, le montant de la réparation à 89 610,54 euros,

2) Sur l'exécution du contrat :

Sur les demandes de la société AST :

Considérant que la société AST reproche encore à la société Oil France de ne pas avoir respecté son obligation d'approvisionnement en carburant, de ne pas avoir remis en état les installations de distribution, d'être à l'origine de la fermeture administrative de la station pendant plusieurs mois,

- obligation d'approvisionnement en carburant :

Considérant que la société AST reproche à la société Oil France d'avoir interrompu le service d'approvisionnement de sorte qu'elle s'est trouvée en rupture de stock pendant une journée, qu'elle a été autorisée avec retard à s'approvisionner auprès d'autres distributeurs de carburants, ce qui l'a contrainte de faire l'avance du montant des volumes de carburants ainsi acquis ; que la société Oil France réplique en indiquant que la rupture d'approvisionnement n'a duré qu'une journée, qu'elle a autorisé la société AST à s'approvisionner auprès du fournisseur de son choix, ce qui lui a ensuite permis de fixer librement le prix du carburant vendu, après avoir profité d'un stock de carburant mis à sa disposition et non facturé,

Mais considérant toutefois que comme l'a relevé le premier juge, la rupture de stock d'une journée, la nécessité de s'approvisionner auprès d'autres fournisseurs, ce qui constituait manifestement une modification importante du contrat initial et rendait nécessaire la constitution d'une trésorerie pour faire face à la constitution d'un stock, a causé un préjudice à la société AST,

Considérant que la cour n'est tenue désormais que par les demandes se trouvant dans le dispositif des conclusions ; qu'il convient de constater qu'en cause d'appel, la société AST ne demande au titre de ce préjudice pas de dommages-intérêts,

- remise en état des installations de distribution :

Considérant que la société AST reproche à la société Oil France de ne pas avoir remis en état les installations qui ne sont pas conformes, qu'elle a en outre subi des pannes à répétition, que la société de maintenance à laquelle fait appel la société Oil France n'a procédé à aucune réfection, qu'elle a révélé sa négligence ; que la société Oil France expose avoir signé un contrat de maintenance avec des sociétés pour que les installations soient révisées, que la société AST n'a subi aucun préjudice, y compris d'image,

Considérant que la société Oil France avait pour obligation contractuelle de "prendre à sa charge les dépenses d'entretien et les réparations consécutives à l'usure normale de son matériel",

qu'il apparaît que Monsieur Rousselet a adressé de multiples courriers et mails à la société Oil France pour faire part de pannes diverses, que toutefois, la société AST ne fait pas état d'un préjudice matériel né de ces difficultés, ni d'un préjudice d'image ; qu'elle sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts,

- fermeture administrative de la station :

Considérant que selon la société AST, la société Oil France qui n'a pas été capable de fournir à la Préfecture le procès-verbal de stratification des cuves est à l'origine de la fermeture de la station pendant plusieurs mois, la privant ainsi de toute exploitation alors que ses charges continuaient à courir ; que la société Oil France explique qu'elle n'avait pas en sa possession les documents demandés par la Préfecture que la société Shell continuait de détenir mais qu'elle avait adressé dès avril 2010 à la Préfecture des certificats de la Semip qui attestaient de la stratification des cuves et que la Préfecture n'en a finalement tenu compte que beaucoup plus tard, qu'elle a renoncé à percevoir tout loyer de la société AST pendant la fermeture,

Considérant que la société AST demande le remboursement des loyers qu'elle a pu verser à la société Oil France pendant la durée de la fermeture, que toutefois, elle ne justifie pas de ces versements, étant observé à cet égard que la société Oil France dit ne rien lui avoir fait payer à ce titre sur cette période ; que la société AST sera déboutée de sa demande,

Sur les demandes de la société Oil France :

Considérant que la société Oil France demande la condamnation de la société AST à lui payer la somme de 111 861,58 euros au titre des commissions versées indûment et des impayés qu'elle ne ventile pas dans ses écritures avec intérêts au taux légal à compter du 6 mai 2010, qu'elle expose en effet que le contrat ne prévoyait pas la perception de commissions fixes et que c'est par erreur qu'elle a versé ces sommes à la société AST,

Considérant que la société AST expose que la demande est irrecevable au titre des articles 67 et 70 du Code de procédure civile, qu'elle n'a pu renoncer aux dispositions des articles 1999 et 2000 du Code civil dans la mesure où leur contenu n'est pas renseigné dans le contrat et dans la mesure également où le mandant a gardé la maîtrise des prix pratiqués lors de la vente du carburant de sorte qu'elle n'a pas la maîtrise des charges et des produits de l'exploitation,

Considérant que la société Oil France expose ses prétentions et les moyens qui la soutiennent, que sa demande de paiement des sommes versées par erreur se rattache aux prétentions de la société AST par un lien suffisant dès lorsqu'elle procède de la relation d'affaires qui a lié les deux parties,

Considérant que les articles 1999 et 2000 du Code civil que vise le contrat en son article 10 ne sont pas reproduits dans la convention de sorte que, comme il a été dit plus haut, rien ne permet de dire que l'objet de la renonciation était connu de Monsieur Rousselet qui n'est pas un professionnel du droit, qu'ensuite la société Oil France imposait les produits à distribuer, le prix pratiqué à la pompe, les moyens de paiement et comme le rappelle la société AST, assurait comme elle l'entendait la maintenance des installations ; qu'en définitive, la société AST n'a pas renoncé à être indemnisée de ses frais et charges,

Considérant que la société Oil France doit indemniser son mandataire des pertes qu'il subit dans l'exercice de son mandat alors qu'il n'a pas valablement renoncé au bénéfice des dispositions des articles 1999 et 2000 du Code civil,

Considérant que force est de constater que ces commissions fixes versées pendant vingt et un mois sont ainsi causées, quoi que la société Oil France le conteste, par son obligation de rembourser les frais et charges exposés par son mandant sans imprudence et faute de sa part, que ces sommes sont les avances mensuelles sur le remboursement de ceux-ci, qu'il n'y a pas lieu à restitution, que la société Oil France sera déboutée de sa demande,

Considérant que pour les impayés, la société Oil France ne distingue pas ce qui relève des commissions selon elle versées à tort de ce que la société AST lui devrait encore au titre de l'exécution du contrat, que les pièces versées ne permettent pas de le déterminer ; que la société Oil France sera également déboutée de sa demande, non justifiée,

Par ces motifs : Infirme le jugement, Dit n' y avoir lieu à indemnisation pour la fermeture de la station qui n'est plus demandée par la société AST devant la cour, Déboute la société AST de la demande d'indemnisation liée au mauvais entretien de la station par la société Oil France, Condamne la société Oil France à payer à la société AST la somme de 89 610,54 euros à titre d'indemnité pour défaut d'information précontractuelle, Dit que les intérêts courant sur cette somme à compter de la demande en justice seront capitalisés selon les conditions de l'article 1154 du Code civil, Déboute la société Oil France de sa demande en paiement de la somme de 111 862,58 euros, Condamne la société Oil France à payer à la société AST la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Oil France aux dépens.