CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 31 mai 2013, n° 11-18832
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Carrefour CD (SARL)
Défendeur :
Les Echos Médias (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Chandelon
Conseillers :
Mmes Saint-Schroeder, Lion
Avocats :
Mes Belfayol-Broquet, Vertut, Fisselier, Bretzner
Le 13 mai 1991, la SARL Carrefour CD a signé avec la SNC Echofi Régie, filiale de la société Les Echos, un contrat intitulé "contrat de représentation" aux termes duquel cette dernière lui confiait à titre exclusif, pour la région Languedoc-Midi Pyrénées-Aquitaine-Limousin, la régie de l'espace publicitaire (publicité commerciale et financière) du quotidien les Echos, du mensuel Dynasteurs, des suppléments magazines (Hors-série, grandes écoles, dossiers annuels, 200 groupes) et des fiches contact. En contrepartie, Carrefour CD percevait une commission de 15 % du montant du chiffre d'affaires net hors taxe facturé par la régie. Cette commission pouvait s'élever dans certains cas à 20 % et dans d'autres cas être réduite à 7,5 %. Ce contrat a été résilié par Echofi le 21 avril 2008 avec un préavis de 9 mois au lieu des 3 mois prévus au contrat. Carrefour CD soutenant avoir la qualité d'agent commercial au sens de l'article L. 134-1 du Code de commerce, a fait assigner Echofi en payement de diverses sommes au titre de l'indemnité de cessation du contrat, du rappel de commissions et des commissions de retour sur échantillonnage devant le Tribunal de commerce de Paris qui, par jugement du 28 septembre 2011, l'a déboutée de ses demandes et l'a condamnée à payer à la société Les Echos Médias la somme de 10 000 en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières conclusions du 7 mai 2012, Carrefour CD, appelante, demande à la cour, au visa des articles 455 et suivants du Code de procédure civile, 1134 et 1147 du Code civil, L. 134-1 à L. 134-16 et R. 134-3 du Code de commerce, 142 et suivants du Code de procédure civile, d'infirmer le jugement, et de condamner les Echos Médias à payer :
- au titre des commissions impayées : à titre principal, la somme de 199 639 TTC majorée des intérêts au taux légal à compter de l'assignation et celle de 289 432 TTC représentant les commission impayées au titre de l'exclusivité territoriale majorée des intérêts au taux légal à compter de l'assignation ; à titre subsidiaire, la somme de 199 639 TTC majorée des intérêts au taux légal à compter de l'assignation et injonction sous astreinte à l'intimée de communiquer les facturations ressortant du grand livre avec les comptes de chacun des annonceurs du territoire qui lui a été consenti du 24 juillet 2003 au 23 juillet 2008 aux fins de fixer le montant des commissions impayées au titre de l'exclusivité territoriale,
- au titre de l'indemnité de cessation de contrat : à titre principal, la somme de 659 285,82 HT avec prise en compte des rappels de commissions impayées, majorée des intérêts au taux légal à compter de l'assignation ; à titre subsidiaire, la somme de 601 944,82 HT avec prise en compte des seules commissions impayées au titre de l'exclusivité contractuelle majorée des intérêts au taux légal à compter de l'assignation ; à titre très subsidiaire, la somme de 522 485,22 HT par provision au titre de l'indemnité de cessation du contrat moyennant prise en compte des seules commission impayées au taux contractuel et injonction sous astreinte à l'intimée de communiquer les facturations ressortant du grand livre avec les comptes de chacun des annonceurs du territoire qui lui a été consenti du 24 juillet 2003 au 23 juillet 2008 aux fins de fixer le montant des commissions impayées au titre de l'exclusivité territoriale ; à titre infiniment subsidiaire, la somme de 465 144,82 HT représentant l'indemnité de cessation de contrat sans prise en compte des rappels de commissions majorée des intérêts au taux légal à compter de l'assignation,
- au titre des commissions de retour sur échantillonnage : à titre principal, la somme de 131 417,64 TTC majorée des intérêts au taux légal à compter de l'assignation ; à titre subsidiaire, injonction sous astreinte de communiquer les facturations ressortant du grand livre avec les comptes clients de chacun des annonceurs du territoire qui lui a été consenti pour la période du 23 juillet au 31 décembre 2008,
d'ordonner la capitalisation des intérêts, de débouter l'intimée de l'ensemble de ses demandes et de condamner cette société à lui payer la somme de 20 000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Dans ses dernières écritures du 19 mars 2012, Echofi conclut à la confirmation de la décision déférée et à la condamnation de Carrefour CD à lui payer la somme de 15 000 en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Sur ce
Considérant que Carrefour CD critique le jugement en ce qu'il a dit notamment que le contrat litigieux était un contrat de courtage et non un contrat d'agence commerciale au motif qu'elle ne concluait pas de contrat au nom et pour le compte d'Echofi alors que la conclusion de contrats n'est pas nécessaire à la qualification d'agence commerciale et qu'elle n'avait aucun pouvoir de négociation alors, tout au contraire, que sa mission consistait à prospecter une clientèle en vue de prendre directement ou de générer des commandes qui étaient ensuite adressées à Echofi une fois les bons de commande signés par le client, sauf dans les cas où les commandes étaient adressées à Echofi éventuellement par l'intermédiaire d'une agence de publicité, et qu'elle rencontrait la clientèle afin de négocier avec elle des ordres de parution au regard des conditions de vente d'Echofi à partir desquelles elle consentait, si nécessaire, des remises exceptionnelles ou de l'espace publicitaire supplémentaire offert et ce, sans en référer à Echofi ;
Considérant que Echofi objecte que le contrat signé par les parties constituait un contrat de courtage et non un contrat d'agence commerciale dès lors que Carrefour CD ne disposait pas de façon permanente d'un pouvoir de négocier des contrats au nom et pour le compte d'autrui ni du pouvoir de contracter au nom et pour le compte d'autrui ; que pour l'affirmer, elle s'appuie à la fois sur les termes du contrat et sur des échanges de courriels entre les parties ou émanant de clients faisant état de cette qualité de courtier ;
Qu'elle rappelle que l'article 14 du contrat stipulait que le tarif de publicité ne pouvait faire l'objet de négociations en dehors de l'accord formel de la régie et qu'elle refusait les ordres de publicité lorsque les prix fixés ne correspondaient pas aux prix qu'elle avait déterminés ; qu'elle souligne que l'appelante est dans l'impossibilité de démontrer qu'elle pouvait seule, sans lui en référer, accorder des remises exceptionnelles autres que celles prévues initialement dans les conditions générales de vente transmises aux clients ;
Qu'elle soutient à titre subsidiaire que l'indemnisation susceptible d'être accordée à Carrefour CD ne peut correspondre aux sommes réclamées alors que cette société n'établit pas la réalité du préjudice, au sens de l'article L. 134-12 du Code de commerce, qu'elle allègue et que tout au contraire le bilan de l'année 2008 de Carrefour CD révèle un triplement du bénéfice de cette dernière par rapport à l'exercice antérieur et, alors, très subsidiairement, que ledit préjudice ne peut consister que dans le gain manqué et non la perte de chiffre d'affaires ;
Qu'elle ajoute que la demande fondée sur l'article L. 134-7 du Code de commerce, à savoir une commission de "retour sur échantillonnage", est aussi peu fondée ;
Que s'agissant des demandes formées par Carrefour CD au titre de la violation du contrat, elle relève que l'appelante ne produit aucune pièce de nature à démontrer la violation de l'article 10 et l'existence d'une créance indemnitaire ;
Considérant, cela exposé, que l'article L. 134-1 du Code de commerce définit l'agent commercial comme un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux ; qu'il y a donc lieu de rechercher si Carrefour CD était chargée de façon permanente par Echofi de négocier des contrats en son nom et pour son compte ;
Considérant que le contrat de représentation signé par les parties dispose que Carrefour CD est seule chargée, et à ses frais, de rechercher et de recueillir la publicité dans la région Languedoc-Midi-Pyrénées-Aquitaine-Limousin, de recevoir et de vérifier les bons de commande, d'envoyer les accusés de réception et de vérifier les maquettes et textes publicitaires ; qu'aux termes de l'article 5, Carrefour CD s'engageait à remettre dans les délais fixés par Echofi les bons de commande des clients ; que l'article 6 énonce que les tarifs d'insertion sont fixés par la Régie qui s'oblige à les remettre au représentant et l'article 14 stipule que le tarif de publicité ne peut faire l'objet de négociations en dehors de l'accord formel de la Régie ; qu'ainsi, il ne ressort pas de la convention intervenue entre les parties que l'activité de Carrefour CD était identique à la définition de l'agent commercial donnée par l'article L. 134-1 du Code de commerce, l'exclusivité territoriale n'étant pas une condition déterminante ;
Que, toutefois, l'application du statut d'agent commercial dépendant des conditions dans lesquelles l'activité est exercée, il convient d'examiner les pièces sur lesquelles Carrefour CD s'appuie pour prétendre à un tel statut ; qu'il s'agit pour l'essentiel d'ordres d'insertion ; que la pièce 112 de l'appelante contient pour la période allant du 12 mars 1997 au 6 juin 2008, 43 ordres d'insertion ou de publicité portant le cachet de l'annonceur ; que parmi ces ordres d'insertion figurent les ordres d'insertion déjà communiqués sous les numéros 40 (Grands Crus diffusion), 42 (Béziers Méditerranée), 61 à 63 et 66 (Conseil régional Languedoc-Roussillon) et 64 (FMIL) ; que ces ordres d'insertions inférieurs à 50 pour une relation commerciale d'une durée de 17 ans sont insuffisants à démontrer que Carrefour CD était chargée de façon permanente de négocier des contrats au nom et pour le compte d'Echofi ;
Que les autres documents produits sont des courriels adressés à des annonceurs potentiels dont l'aboutissement n'est pas connu ; que s'agissant des courriers échangés entre les parties, aucun ne permet d'affirmer comme le fait l'appelante que celle-ci avait une mission d'agent commercial ;
Qu'il suit de ces développements que ni le texte du contrat ni ses modalités d'exécution ne conduisent à reconnaître à Carrefour CD le statut d'agent commercial qu'elle revendique et partant à faire bénéficier cette société des dispositions de l'article L. 134-12 du Code de commerce qui prévoient qu'en cas de cessation de ses relations avec le mandant l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi ; que le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté cette société de ses demandes fondées sur la qualification d'agent commercial ;
Considérant que Carrefour CD soutient, par ailleurs, que Echofi est redevable envers elle de la somme de 199 639,90 TTC au titre de commissions qui ne lui auraient pas été versées sur la période allant du 4 mars 1999 au 31 décembre 2007 ;
Considérant que l'article 9 du contrat stipule que la commission du représentant sera de 15 % du montant du CA net hors taxe facturé par la régie. Dans le cas où ce CA net HT facturé par la régie ne serait pas grevé d'une commission d'agence ou centrale ou autres intermédiaires de 15 %, la commission du représentant sera alors de 20 % ; que l'article 10 énonce que dans l'hypothèse de plusieurs intervenants, représentants des Echos, dans le processus de prospection et prise d'ordres de publicité, la régie opérera à son initiative le partage de la commission entre les intervenants ;
Qu'ainsi, les commissions de 15 % versées à Carrefour CD en présence d'une agence ne sont pas critiquables, pas plus que celles de 7,5 % en présence de plusieurs intervenants ;
Considérant que pour justifier du montant de la somme réclamée, Carrefour CD produit des tableaux qu'elle a elle-même réalisés et dont seuls ont valeur probante les éléments corroborés par la production de factures portant mention d'un taux révisé à 7,5 % au lieu de 15 % sans que Echofi n'apporte d'explication sur cette modification par la justification de l'existence d'autres intervenants et alors que pour certains annonceurs les taux varient de 15 % à 7,5 % de façon incompréhensible ; qu'au regard des factures produites, et sans tenir compte des avoirs émanant de Carrefour CD qui n'explique pas la raison de leur émission pour certaines factures, il y a lieu de fixer le montant dont est redevable Echofi au titre des commissions visées à l'article 9 du contrat aux sommes suivantes : 14 471,57 TTC pour l'année 2007 (factures Legrand, Wine & Co et Magrez), 17 358,66 TTC pour l'année 2006 (factures Dell, CA d'Aquitaine, Dourthe et Legrand), 3 996,14 TTC pour l'année 2005 (factures CA d'Aquitaine et OT Ile Maurice) ; que doit être ajoutée à ces sommes celle de 36 845,62 correspondant aux factures Dell pour les années précédentes ; que Echofi est ainsi redevable de la somme totale de 72 671,99 TTC au titre des commissions impayées au regard du taux contractuel avec intérêts au taux légal à compter du 4 mars 2009, date de l'assignation ; que la capitalisation des intérêts sera ordonnée dans les conditions de l'article 1154 du Code civil ;
Considérant que Carrefour CD prétend que Echofi n'a pas respecté son exclusivité territoriale et réclame à ce titre la somme de 289 432 TTC ; que, toutefois, elle ne verse aux débats aucun élément justifiant du non-respect de cette exclusivité ; que le jugement sera confirmé sur ce chef de demande sans qu'il y ait lieu d'ordonner la production par l'intimée des facturations ressortant du grand livre ;
Et considérant qu'il convient d'allouer à Carrefour CD une indemnité en application de l'article 700 du Code de procédure civile, la demande formée au même titre par Echofi étant rejetée ; que cette dernière supportera les dépens de première instance et d'appel ;
Par ces motifs : Confirme le jugement sauf en ce qu'il a débouté la société Carrefour CD de sa demande en payement de commissions impayées au taux contractuel et l'a condamnée à payer la somme de 10 000 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens, Statuant à nouveau des chefs infirmés, Condamne la société Les Echos Médias à payer à la société Carrefour CD la somme de 72 671,99 TTC au titre des commissions impayées au taux contractuel avec intérêts au taux légal à compter du 4 mars 2009, Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions prévues à l'article 1154 du Code civil, Condamne la société Les Echos Médias à payer à la société Carrefour CD la somme de 10 000 en application de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Les Echos Media aux dépens de première instance et d'appel lesquels pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.