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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 29 mai 2013, n° 10-11299

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Man Camions & Bus (SAS)

Défendeur :

Chevallot

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Cocchiello

Conseillers :

Mmes Luc, Pomonti

Avocats :

Mes Bernabe, Lagrange, Kieffer Joly, Bally

T. com. Evry, 4e ch., du 22 avr. 2010

22 avril 2010

La société Man Camions & Bus (société MCB) est un constructeur spécialisé dans la production de camions et de bus sous la marque Man.

La société MCB et Jean-Pierre Chevallot ont signé un document en date du 8 février 2007 qui énumère les conditions d'obtention de la qualité de distributeur Man sur trois départements de la région Rhône-Alpes. Ledit document prévoyait qu'à la fin du premier semestre 2007, le rachat de la société Belledonne et la signature d'un contrat de distributeur pour les départements de la Savoie et de la Haute-Savoie devaient être réalisés, permettant la nomination de Monsieur Chevallot en tant que distributeur Man sur la zone géographique ci-dessus énumérée.

Tout au long du premier semestre 2007, de nombreuses rencontres ainsi que de nombreux échanges de courriers et de mails ont eu lieu entre la société MCB et Monsieur Chevallot.

Monsieur Chevallot rencontrait des difficultés pour acquérir la société Belledonne et poursuivait des recherches de terrains et de bâtiments lui permettant de distribuer et de réparer les camions de marque Man.

Par mail du 6 décembre 2007, la société MCB mettait fin à leurs discussions.

Monsieur Chevallot adressait une lettre de mise en demeure en date du 26 décembre 2007 à la société MCB, à laquelle il n'était pas répondu.

Par acte du 16 juin 2008, Monsieur Chevallot assignait la société MCB devant le tribunal de commerce en paiement d'une somme de 90 000 euros au titre de l'indemnisation de l'ensemble de ses préjudices.

Par jugement rendu le 3 mai 2010, le Tribunal de commerce d'Evry a :

- dit qu'un avant-contrat a bien été signé entre la société MCB et Monsieur Chevallot le 8 février 2007 ;

- débouté Monsieur Chevallot de sa demande de voir considérer que les négociations pour le rachat de la société Belledone ont été rompues du seul fait de la société MCB ;

- dit que la responsabilité contractuelle ou délictuelle de la société MCB ne peut être retenue ;

- condamné la société MCB à payer à Monsieur Chevallot la somme de 80 000 euros en indemnisation au titre de l'ensemble des préjudices subis, et débouté pour le surplus ;

- condamné la société MCB à payer à Monsieur Chevallot la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

La société Man Camions & Bus a interjeté appel du jugement le 28 mai 2010.

Par conclusions signifiées le 10 décembre 2012 auxquelles il y a lieu de se référer pour l'exposé plus ample des moyens, la société MCB demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris uniquement en ce qu'il a été jugé que ni sa responsabilité contractuelle ni sa responsabilité délictuelle ne peut être retenue ;

- condamner Monsieur Chevallot à lui payer une somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Par conclusions signifiées le 17 mars 2011 auxquelles il y a lieu de se référer pour l'exposé plus ample des moyens, Monsieur Chevallot demande à la cour de :

A titre principal,

- constater la responsabilité contractuelle de la société MCB dans la rupture fautive des relations contractuelles ;

A titre subsidiaire,

- constater la responsabilité délictuelle de la société MCB du fait de la rupture abusive des pourparlers ;

En toute hypothèse,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société MCB à lui verser la somme de 80 000 euros au titre de la réparation de l'ensemble des préjudices subis, outre la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner la société MCB à lui verser une somme de 8 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

SUR CE

Considérant que la société MCB expose que le courrier du 8 février 2007 fixe les conditions d'une éventuelle collaboration, les conditions suspensives que Monsieur Chevallot doit satisfaire pour que sa candidature soit définitivement agréée et que les négociations ont ensuite évolué, que Monsieur Chevallot n'a proposé aucun projet concret ; qu'elle ne lui a jamais laissé croire en la signature proche du contrat ; qu'elle estime que les négociations ont été honnêtes et qu'il y a été mis fin sans abus et brutalité,

Considérant que Monsieur Chevallot soutient que le courrier du 8 février 2007 signé par les deux parties est un "avant-contrat" qui les lie, que la société MCB s'était engagée à s'occuper seule du rachat du site de Belledone de sorte que cette condition suspensive avait disparu et qu'aucun obstacle ne s'opposait à la signature du contrat de distribution, que la responsabilité contractuelle de MCB est ainsi engagée ; qu'il doit, sinon, être considéré comme ayant rempli ses obligations en sélectionnant divers terrains pour accueillir les nouvelles concessions alors que de son coté, MCB ne parvenait pas à un accord de cession pour le site de Belledone, qu'il expose que par courrier du 18 juillet 2007, elle lui a fait croire que la conclusion du contrat était certaine et proche, qu'elle a manqué de loyauté à son égard,

Considérant que le courrier en date du 2 février 2007 signé par les parties faisait suite à une précédente réunion intervenue entre les parties au cours de laquelle MCB avait "exposé les conditions dans lesquelles (cette société) pouvait envisager ensemble le développement d'un partenariat commercial dans le cadre de la nouvelle commercialisation de (ses) produits en France par (son) réseau de distribution", prenait acte de l'engagement de Monsieur Chevallot à "mettre en place un plan d'action pour le rachat (...) en cours du fonds de commerce de la société Belledone Poids Lourds, titulaire d'un contrat de réparateur agréé", qu'en contrepartie de cet engagement, la société MCB confirmait son "accord pour procéder à (sa) nomination en tant que Distributeur Man sur la zone de référence et (lui) proposer la signature d'un nouveau contrat de distribution", que ce courrier détaillait ensuite les diverses conditions suspensives dont la première était "le rachat du fonds de commerce de la société Belledone Poids Lourds", que le courrier prévoyait "la date d'entrée en vigueur à définir, au plus tard fin du premier semestre 2007",

Considérant que par la suite, un certain nombre de courriels étaient échangés par les parties, qu'il était rappelé à Monsieur Chevallot par mail du 13 juillet 2007 que des délais concrets sur ses engagements étaient nécessaires ;

- que la réalisation des démarches de Monsieur Chevallot et leur poursuite se heurtaient à quelques difficultés, le rachat du site de Belledone d'une part, un contentieux entre MCB et la société Bogey Bonneville d'autre part, outre la restructuration dont était l'objet la société MCB au cours de cette année 2007 ;

- que le rachat du fonds de commerce de la société Belledone Poids Lourds s'avérait difficile, compte tenu du prix qu'en demandait son gérant Monsieur Ravetto, que la société MCB est intervenue auprès de celui-ci mais, comme elle le précisait dans un mail adressé à Monsieur Chevallot le 18 juillet 2007, "le prix transmis ne nous paraît pas réaliste (deux millions d'Euros) mais nous vous laissons le soin de prendre contact de nouveau pour le cas où vous seriez d'avis contraire", lui rappelant que "En résumé, il faut que vous preniez des engagements précis en terme de délais et nous doutons que nous puissiez envisager un rachat des sites Bogey ou Ravetto",

- que la société MCB avait confié à la société Bogey Bonneville (dont le siège social est à Bonneville Savoie) le statut de concessionnaire exclusif de la marque de véhicules industriels, puis d'agent commercial pour la distribution de véhicules neufs à compter du premier février 2004, que la société MCB lui a notifié la résiliation de ce contrat le 21 février 2007, que la société Bogey sollicitait alors son agrément et devant le refus de MCB qui exposait le 13 juillet 2007 qu'elle avait pris un "engagement de principe avec une autre société", la société Bogey Bonneville l'assignait en référé pour obtenir son "agrément sous astreinte", ce dont elle était déboutée par ordonnance du 22 mai 2008 confirmée par arrêt de la Cour d'appel de Chambéry du 8 juillet 2008, que Monsieur Chevallot avait été informé en son temps de ces difficultés,

- que la restructuration interne de la société MCB intervenue au cours de l'automne avait pour conséquence une réorganisation de la distribution des produits MBC sur la Belgique, la Hollande et la France, que Monsieur Chevallot en était informé dès le mois d'août 2007 et s'en inquiétait, que les parties discutaient encore, que des tableaux prévisionnels pour les départements de l'Isère, de la Savoie et Haute-Savoie étaient établis début septembre par Monsieur Chevallot, qui demandait le 16 octobre 2007 à MCB l'organisation d'une réunion dont l'objectif serait pour lui de "présenter des engagements formels de créations, d'installations, d'achats de bâtiments et/ou de construction sur les trois années à venir sur l'Isère, Savoie et Haute-Savoie", et pour MCB de valider sa stratégie de pénétration dans la région Rhône-Alpes, qu'il réitérait le 5 novembre 2007 sa demande restée sans réponse, indiquant qu'il avait pris des options sur des bâtiments ou des terrains qu'il était urgent de confirmer ; que le 5 décembre, il réitérait ses demandes et que la société MCB lui indiquait le 6 décembre que "les développements prévus dans le protocole signé courant février dernier n'ont pas été suivis d'effet dans des délais convenables", (...) "nous ne pouvons poursuivre nos discussions",

Considérant que les termes du courrier signé des parties le 7 février 2007 ainsi que les échanges de correspondances postérieurs ne permettent nullement d'analyser autrement qu'en pourparlers les relations que les parties ont entretenues pendant plusieurs mois jusqu'à la rupture du mois de décembre 2007, que contrairement à ce que soutient Monsieur Chevallot, si la société MCB est intervenue dans la négociation pour l'acquisition du fonds Belledone, elle ne s'est nullement engagée à "obtenir les affaires Bogey, Belledone et Berta et donc l'acquisition dudit fonds", et les termes du courriel adressé à Monsieur Chevallot par MCB le 18 juillet 2007 démentent qu'elle ait mis un "terme définitif à cette condition suspensive", que si cette acquisition n'a pas eu lieu, rien ne permet de lui en imputer la responsabilité, qu'il apparaît qu'elle ne s'est toutefois pas opposée, en raison de ces circonstances, à ce que Monsieur Chevallot recherche d'autres emplacements de sorte que Monsieur Chevallot a pris des contacts avec diverses "entités immobilières et professionnelles" pour trouver des locaux, que MCB lui rappelait encore le premier août que dès qu'il disposerait de localisations et délais précis, elle "envisagerait la signature d'un contrat de distribution", que des visites de sites avaient lieu fin août 2007 en présence de représentants de MCB,

Considérant que les circonstances dans lesquelles la rupture est intervenue caractérisent son caractère déloyal ;

Considérant en effet que les démarches entreprises pour satisfaire les conditions suspensives insérées dans le courrier du 7 février 2007 avaient pris un retard certain pour les raisons ci-dessus évoquées, et que la société MCB avait manifestement accepté ce retard ; que toutefois, entendant mener les négociations à terme, elle demandait instamment à plusieurs reprises à Monsieur Chevallot de donner des échéances précises et de proposer des localisations et qu'il apparaissait que la réorganisation de la société MCB n'était apparemment pas un obstacle à la poursuite des démarches en cours ; que Monsieur Chevallot recherchait des sites, les visitait en compagnie des représentants de MCB fin août, adressait des tableaux prévisionnels le 3 septembre dont il lui était accusé réception avec un commentaire, qu'il demandait l'organisation d'une réunion afin de faire part de ses engagements formels en octobre 2007 dont il justifie le caractère sérieux par les pièces produites aux débats qui démontrent l'état d'avancement de ses démarches en vue de l'acquisition d'autres terrains et locaux ; que l'absence de réponse à sa proposition en octobre, en novembre puis l'annonce en décembre 2007 de la rupture au motif que le courrier de février 2007 n'avait pas été suivi d'effets dans des délais convenables ce qui n'apparaît pas un motif sérieux compte tenu des difficultés réelles rencontrées pour satisfaire les conditions suspensives du courrier du 7 février 2007, compte tenu de l'attitude de la société MCB qui avait accepté que les négociations se poursuivent sur des bases quelque peu différentes et compte tenu du silence opposé à la demande de réunion de Monsieur Chevallot en octobre 2007, révèlent le comportement déloyal de la société MCB dans la fin des pourparlers,

Considérant que Monsieur Chevallot fait état du volume de travail qu'il a réalisé, le temps qu'il y a passé, qu'il fait état également de la "perturbation" de sa réputation régionale auprès des acteurs locaux, que la société MCB en conteste la réalité et la preuve,

Considérant toutefois que si Monsieur Chevallot ne justifie ni des frais qu'il a engagés, ni de la "perturbation de sa réputation", il établit par les pièces qu'il verse aux débats que, prenant de nombreux contacts et faisant de multiples démarches auprès de communes, il a investi indéniablement mais inutilement son temps pendant plusieurs mois sans que rien n'établisse, contrairement à ce que soutient la société MCB, qu'il ait su que son projet n'aboutirait pas et qu'il ait déjà engagé des négociations pour la reprise de la société Cap Développement ; que l'indemnisation de son préjudice a été justement évaluée par le premier juge,

Considérant que le jugement sera confirmé,

Par ces motifs : Confirme le jugement, Condamne la société Man Camions & Bus à payer à Monsieur Chevallot la somme de 6 000 Euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles en cause d'appel, Condamne la société Man Camions & Bus aux dépens qui seront recouvrés avec le bénéfice des dispositions de l'art 699 du Code de procédure civile.