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Décisions

Cass. soc., 30 mai 2013, n° 12-16.153

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Lebault, Grenapin

Défendeur :

Total raffinage marketing (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Linden

Rapporteur :

M. Linden

Avocats :

SCP Boré, Salve de Bruneton, SCP Piwnica, Molinié

Rennes, 8e ch. prud'h., du 27 janv. 2012

27 janvier 2012

LA COUR : - Vu leur connexité, joint les pourvois n° 12-16.153 et 12-16.507 - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que par contrats de gérance des 21 juin et 31 octobre 1991, la société Elf Antar France, aux droits de laquelle est venue la société Total France, elle-même devenue société Total raffinage marketing (Total), a confié à la société Grenapin l'exploitation d'un fonds de commerce de station-service à Nantes ; que cette exploitation s'est poursuivie jusqu'au 10 février 1994 ; que le 5 juillet 2005, M. Grenapin et Mme Lebault, cogérants de la société Grenapin, ont saisi la juridiction prud'homale en revendiquant le bénéfice de l'article L. 781-1 du Code du travail, alors applicable, recodifié sous les articles L. 7321-1 et suivants du même code, pour obtenir le paiement par la société Total de diverses sommes à titre de rappel de salaires et d'indemnités, ainsi que leur immatriculation au régime général de la sécurité sociale ;

Sur le pourvoi n° 12-16.153 de Mme Lebault et M. Grenapin : - Sur le premier moyen : - Attendu que Mme Lebault et M. Grenapin font grief à l'arrêt de déclarer soumises à la prescription quinquennale leurs demandes en paiement de créances de nature salariale, alors, selon le moyen : 1°) que toute personne a le droit de jouir de conditions de travail justes et favorables lui assurant notamment " la rémunération qui procure au minimum à tous les travailleurs un salaire équitable et une rémunération égale pour un travail de valeur égale le repos, les loisirs, la limitation raisonnable de la durée du travail et les congés payés périodiques, ainsi que la rémunération des jours fériés " ; que méconnaît ce droit à des conditions de travail justes et à la perception de la rémunération y afférente la loi nationale qui édicte une prescription quinquennale de ces rémunérations à compter de leur échéance, sans considération d'une éventuelle renonciation du travailleur à les percevoir, des conventions conclues entre les parties, ni du comportement du bénéficiaire de la prestation de travail ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 6 et 7 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 16 décembre 1966 ; 2°) que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil ; que n'est pas de nature à assurer l'effectivité de ce droit la législation nationale qui édicte une prescription quinquennale de l'action en paiement des créances afférentes à la reconnaissance d'un statut protecteur, privant ainsi de facto le bénéficiaire de ce statut de la possibilité de faire utilement valoir ces droits devant un tribunal ; que n'assure pas davantage le respect de ces droits fondamentaux l'unique réserve d'une impossibilité absolue d'agir ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 6 § 1er et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales ; 3°) que toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens et que nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international ; qu'en appliquant au bénéfice de la société Total une prescription ayant pour effet de priver les consorts Grenapin-Lebault des rémunérations constituant la contrepartie de l'activité déployée pour son compte, acquises à mesure de l'exécution de leur prestation de travail, la cour d'appel leur a infligé une privation d'un droit de créance disproportionnée avec l'objectif légal de sécurité juridique et a, partant, porté une atteinte excessive et injustifiée au droit de ces travailleurs au respect de leurs biens, en violation de l'article 1er du Protocole n° 1 à la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales ; 4°) qu'en appliquant à des travailleurs n'ayant jamais été reconnus comme ses salariés par la compagnie pétrolière mais devant, pour bénéficier des dispositions légales et conventionnelles applicables dans cette entreprise, faire judiciairement reconnaître leur droit au bénéfice du statut réservé aux gérants de succursales, une prescription destinée à éteindre les créances périodiques de salariés régulièrement tenus informés de leurs droits par la délivrance, notamment, d'un bulletin de salaire mensuel, la cour d'appel a édicté entre les différents travailleurs concourant à l'activité de la compagnie pétrolière une différence de traitement injustifiée, en violation de l'article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales ; 5°) qu'en énonçant que " rien ne permet en l'espèce de retenir que l'exclusion apparente, résultant du type de contrats passés entre les consorts Grenapin-Lebault et la société Total raffinage marketing de leur droit à bénéficier de l'article L. 781-1 du Code du travail ait pu les mettre dans l'impossibilité de contester cette situation et d'agir dans les délais prescrits d'autant que dès 1992 ils avaient saisi le tribunal de commerce aux fins de voir annuler les contrats de gérance et d'obtenir des indemnisations et que rien ne les empêchait d'introduire parallèlement une action devant le conseil de prud'hommes en reconnaissance du statut et en paiement des sommes qu'ils estimaient leur être dues ", ce dont il résultait que ces gérants de station-service devaient connaître l'inefficacité de l'interposition entre eux et la compagnie pétrolière, à l'initiative de cette dernière, d'une personne morale seule titulaire des droits et obligations issus des contrats de gérance, interprétation non seulement imprévisible mais directement contraire au droit positif applicable à cette date, la cour d'appel a violé les articles 6 et 13 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, ainsi que l'article 1er du premier protocole additionnel à cette Convention ;

Mais attendu, d'abord, que les consorts Grenapin-Lebault n'ayant pas été dans l'impossibilité d'agir en requalification de ces contrats, lesquels ne présentaient pas de caractère frauduleux, et ne justifiant pas d'une cause juridiquement admise de suspension du délai de prescription, c'est sans méconnaître les dispositions des instruments internationaux visés par les trois premières et la dernière branches du moyen que la cour d'appel a appliqué la règle légale prévoyant une prescription quinquennale des actions en justice relatives à des créances de nature salariale ;

Attendu, ensuite, que la prescription quinquennale s'appliquant à l'ensemble des demandes de nature salariale, la cour d'appel a à bon droit exclu toute discrimination ; d'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Sur le second moyen : - Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur ce moyen, qui ne serait pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;

Sur le pourvoi n° 12-16.507 de la société Total : - Sur les premier, deuxième, troisième, quatrième et sixième moyens : - Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur ces moyens, qui ne seraient pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;

Mais sur le cinquième moyen : - Vu les articles L. 7321-2 et L. 7321-3 du Code du travail, ensemble l'article L. 311-2 du Code de la sécurité sociale ; - Attendu que pour condamner la société Total à justifier auprès des consorts Grenadin-Lebault de leur immatriculation au régime général de la sécurité sociale pour la période de juillet 1991 à février 1994 et au paiement des cotisations correspondantes, l'arrêt retient que l'employeur est tenu d'immatriculer le personnel au régime général de la sécurité sociale et de procéder au paiement des cotisations sociales et qu'il importe peu que les consorts Grenapin-Lebault aient été immatriculés comme gérants salariés ;

Attendu, cependant, que l'affiliation rétroactive à un régime d'assurances sociales ne peut être ordonnée qu'en cas d'absence totale d'affiliation pour l'activité et la période concernées ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés ;

Vu l'article 627 du Code de procédure civile ;

Par ces motifs : casse et annule, mais seulement en ce qu'il condamne la société Total raffinage marketing à justifier auprès des consorts Grenapin-Lebault de leur immatriculation au régime général de la sécurité sociale pour la période de juillet 1991 à février 1994 et au paiement des cotisations correspondantes, l'arrêt rendu le 27 janvier 2012, entre les parties, par la Cour d'appel de Rennes ; Dit n'y avoir lieu à renvoi.