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Décisions

CA Versailles, 3e ch., 3 septembre 2009, n° 08-04039

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Carme

Défendeur :

Laboratoire Glaxosmithkline (SAS), Cpam de Metz

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bourquard

Conseillers :

M. Regimbeau, Mme Calot

Avoués :

SCP Fievet-Lafon, SCP Keime Guttin Jarry

Avocats :

Mes Sarfati, Robert

TGI Nanterre, du 11 avr. 2008

11 avril 2008

Faits, procédure, et demandes des parties

Les 3 novembre et 1er décembre1993, et 18 janvier 1994, M. Christophe C., alors étudiant en médecine, s'est vu administrer dans le cadre d'une vaccination obligatoire contre l'hépatite B, le vaccin Engérix B.

Au mois de janvier 1995, M. Christophe C. ayant présenté divers troubles, a été hospitalisé pour examens médicaux, et le diagnostic de sclérose en plaques est alors posé.

A la suite de cette annonce, M. Christophe C. a présenté un syndrome dépressif, et son état a évolué vers une atteinte des fonctions des membres inférieurs, avec paraparésie spastique, et un handicap sévère à la station debout.

M. Christophe C., qui estimait que le vaccin qu'il avait reçu était en relation de cause à effet avec son état, s'est adressé à justice, et par jugement du Tribunal de grande instance de Nanterre, du du 12 novembre 1999, les Docteurs L., B. et M. ont été commis expert. Ils ont déposé leur rapport le 16 janvier 2006, concluant que 'la pathologie dont souffre M. Christophe C. n'est pas lié dans un rapport de causalité certain, à l'administration du vaccin Engérix B'.

M. Christophe C. a alors conclu au fond, sollicitant essentiellement la désignation d'un nouveau collège expertal, comprenant un neurologue.

Par jugement au fond du 11 avril 2008, le Tribunal de grande instance de Nanterre, a statué comme suit :

- dit n'y avoir lieu à contre-expertise,

- déboute M. Christophe C. de toutes ses demandes, et la SAS Laboratoire Glaxosmithkline de sa demande sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamne M. Christophe C. aux dépens.

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Par conclusions signifiées le 3 décembre 2008, M. Christophe C. prie la cour de, vu les articles 145, 1135, 1353 du Code civil , L. 221-1 du Code de la consommation et L. 3111-9 du Code de la santé publique :

- le dire recevable et bien fondé en son appel,

- confirmer le jugement en ce qu'il a dit sa demande recevable, l'infirmer pour le surplus, et statuant à nouveau,

- désigner un nouveau collège d'experts composé à tout le moins d'un neurologue, aux frais de la SAS Laboratoire Glaxosmithkline,

- dire que quelle que soit la position adoptée par le nouveau collège d'experts sur l'existence ou non d'un lien de causalité, il sera statué sur les différents chefs de préjudice,

- dire que la SAS Laboratoire Glaxosmithkline devra l'indemniser de son entier préjudice, qu'il se réserve de chiffrer ultérieurement,

- condamner la SAS Laboratoire Glaxosmithkline à lui verser 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, et les entiers dépens, comprenant les frais d'expertise.

Par conclusions signifiées le 8 janvier 2009, la SAS Laboratoire Glaxosmithkline demande à la cour de :

- à titre principal, infirmer le jugement en ce qu'il a dit que la demande de M. Christophe C. était recevable, la dire irrecevable et le débouter de toutes ses demandes,

- subsidiairement, confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. Christophe C. de toutes ses demandes, comme infondées,

- en tout état de cause, condamner M. Christophe C. à lui verser 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, et les entiers dépens de première instance et d'appel, comprenant les frais d'expertise.

Par acte d'huissier délivré le 21 octobre 2008, la caisse primaire d'assurance maladie a été assignée à personne habilitée, et les conclusions de M. Christophe C. lui ont été signifiées. Elle n'a pas constitué avoué.

Discussion et motifs de la décision

- Sur la recevabilité des demandes de M. Christophe C.

Considérant que l'article L. 3111-9 du Code de la santé publique, dans sa rédaction applicable aux faits de la cause, énonce que "Sans préjudice des actions qui pourraient être exercées conformément au droit commun, la réparation d'un dommage imputable directement à une vaccination obligatoire pratiquée dans les conditions mentionnées au présent chapitre, est assurée par l'Etat" ;

Considérant qu'il n'est pas discuté que M. Christophe C. a accepté de recevoir une rente de 9.146,94 euros, ainsi qu'un capital de 121 959,20 euros ;

Considérant que la SAS Laboratoire Glaxosmithkline soutient cependant à tort que l'article L. 3111-9 du Code de la santé publique, exclut la présente demande, dès lors que la SAS Laboratoire Glaxosmithkline ne démontre pas en quoi ou comment, l'indemnisation qui a été versée à M. Christophe C. par l'Etat, correspondrait à une indemnisation complète de M. Christophe C., ainsi que ce dernier le soutient justement, alors au surplus que le texte légal susrapporté, précise bien que l'indemnisation par l'Etat, a lieu "sans préjudice des actions qui pourraient être exercées conformément au droit commun" ;

Que la présente action de M. Christophe C. sera donc jugée recevable ;

- Sur la demande de nouvelle expertise présentée par M. Christophe C.

Considérant que M. Christophe C. fait valoir à l'appui de cette demande, plusieurs arguments, qui seront examinés ci-après ;

- l'absence d'expert neurologue dans le collège d'experts

Considérant que M. Christophe C. expose que le jugement du 12 novembre 1999 ayant ordonné expertise, avait inclus dans le collège d'experts désigné, un expert neurologue, alors que le service des expertises saisi 3 ans plus tard, avait été dans l'incapacité de trouver un médecin expert de cette spécialité dans le ressort de la Cour de Nancy, et avait alors nommé un psychiatre ;

Qu'il ajoute que cette irrégularité est préjudiciable à un juste examen de son cas, puisque selon lui, les manifestations de sa pathologie sont principalement neurologiques, et que la psychiatrie est une spécialité différente ; qu'il en veut pour preuve que le psychiatre désigné le Docteur B. s'est livré à un long examen psychiatrique qui ne lui était pas demandé, sans apporter le moindre élément sur le plan neurologique ;

Mais considérant que la SAS Laboratoire Glaxosmithkline réplique à bon droit, que M. Christophe C. ne justifie pas s'être jamais plaint auprès du juge chargé du contrôle de l'expertise, du remplacement de l'expert neurologue par un expert neuro-psychiatre, jusqu'au dépôt du rapport expertal, de sorte que cette critique, émise après prise de connaissance des conclusions des experts, doit être jugée tardive ;

Que de plus, la SAS Laboratoire Glaxosmithkline rapporte la preuve que M. B. était inscrit en qualité d'expert judiciaire, dans la spécialité "neuro-psychiatrie" ;

Que cet argument sera en conséquence écarté ;

- l'absence de réponse des experts à la mission concernant l'importance du préjudice subi

Considérant que dès lors que les experts n'ont pas retenu de lien de causalité entre le vaccin et la pathologie présentée par M. Christophe C., l'absence de réponse de leur part à ce chef de mission ne lui cause aucun grief, et il n'y a pas lieu d'ordonner une nouvelle expertise pour cette seule raison, à moins que la cour ne fasse pas siennes les conclusions expertales sur le lien de causalité, point qui fera l'objet d'une analyse ci-après ;

Que la demande de nouvelle expertise, pour les motifs exposés ci-dessus, sera donc jugée mal fondée ;

- Sur le lien de causalité entre le vaccin Engerix B et la pathologie présentée par M. Christophe C.

Considérant que M. Christophe C. expose que les conclusions des experts en ce qui concerne le lien de causalité, dont erronées, que le vaccin Engérix B est bien responsable de poussées de sclérose en plaques chez un patient à risque, en étant l'élément déclencheur ;

- sur l'application de l'article L. 221-1 du Code de la consommation

Considérant que l'article L. 221-1 du Code de la consommation qui dispose que les produits et services doivent, dans des conditions normales d'utilisation et dans d'autres conditions raisonnables raisonnablement prévisibles par des professionnels, présenter la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre et ne pas porter atteinte à la santé des personnes ;

Que cet article qui pose ainsi une obligation particulière de sécurité à la charge des professsionels, n'est cependant pas applicable à l'espèce ;

Qu'en effet l'article L. 221- 8 du Code de la consommation exclut expressément l'application des articles L. 221-1 et suivants aux produits faisant l'objet d'une réglementation particulière, ayant pour objet notamment la protection de la santé ;

Que les médicaments font l'objet d'une réglementation par le Code de la santé publique ;

Que les vaccins étant assimilés aux médicaments (article L. 5121-6° du Code de la santé publique), c'est à bon droit que la SAS Laboratoire Glaxosmithkline conclut que les dispositions du Code de la consommation ne peuvent pas être appliquées au litige opposant le fabriquant du vaccin au patient qui allègue un dommage résultant de l'administration dudit vaccin ;

- sur l'application de l'article 1147 du Code civil

Considérant qu'en l'absence en cette matière de présomption légale, il incombe à M. Christophe C., en droit, sur le fondement des articles 1147 du Code civil et des dispositions de la directive 85-374-CEE du 25 juillet 1985 sur la responsabilité du fait des produits défectueux de rapporter la preuve de :

- un dommage,

- l'imputabilité du dommage à l'administration du produit,

- un défaut du produit, dans les termes de l'article 1386-4 du Code civil,

- du lien de causalité entre le défaut du produit incriminé et le dommage,

Que cette preuve peut résulter non seulement de constatations scientifiques certaines, mais aussi de présomptions, pourvu qu'elles soient graves, précises et concordantes ;

Que la SAS Laboratoire Glaxosmithkline souligne que quelque soit le mode de preuve, le lien de causalité doit être établi de façon certaine pour que sa responsabilité soit engagée ;

Qu'il y a lieu d'examiner la réalisation de ces conditions dans le présent litige ;

Considérant que M. Christophe C. ne peut pas invoquer la preuve par des constatations scientifiques, en raison de la nature de l'avis des experts judiciaires, qui après avoir constaté que la cause de la sclérose en plaques reste inconnue à ce jour, concluent dans leur rapport du 16 janvier 2006, que "la pathologie dont souffre M. Christophe C. n'est pas lié dans un rapport de causalité certain, à l'administration du vaccin Engérix B" ;

Que M. Christophe C. invoque donc le fait qu'il était en parfaite santé avant la vaccination, que les premiers symptômes sont apparus deux mois après la 3° injection du 18 janvier 1994, et qu'il produit des documents scientifiques mettant en évidence le lien de causalité entre la vaccination et la sclérose en plaques ;

Considérant que l'état de parfaite santé de M. Christophe C. avant la vaccination litigieuse, ni la quasi concomitance de cette vaccination et de l'apparition des symptômes, ne sont contestés ;

Considérant, s'agissant de la littérature scientifique, que M. Christophe C. invoque d'abord les avis suivants :

- l'avis de l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé (AFSSAPS)

- le rapport Dartigues du 15 février 2002,

- la réunion du consensus des 10 et 11 septembre 2003

- la commission nationale de pharmacovigilance réunie le 21 septembre 2004,

- l'audition publique du 9 novembre 2004, qui aurait reconnu l'existence d'un risque faible

qui concluent que le lien de causalité ne peut pas être exclu ;

Mais considérant que les experts ont soigneusement analysé ces avis, à l'exception du rapport Dartigues qui ne leur a pas été soumis, et ne relève pas dans les études d'affirmation certaine du lien de causalité ; qu'au demeurant le fait que le lien de causalité ne puisse pas être exclu est une condition de reconnaissance du lien de causalité et non un indice probant ;

Considérant que M. Christophe C. invoque en second lieu l'étude de M. H., publiée au mois de septembre 2004, dont les résultats "corroborent l'hypothèse selon laquelle l'immunisation par le vaccin de l'hépatite B, est associée à un risque accru de sclérose en plaques" ;

Mais considérant que les experts ont aussi envisagé cette étude, et notent à son sujet que "cette étude posant des problèmes de méthodologie et de représentativité, concernant un petit nombre de patients reste donc malgré tout en accord avec toutes les autres études n'ayant pas identifié de risque accru de développer une sclérose en plaques", conclusions qu'il convient d'entériner ;

Considérant que M. Christophe C. se prévaut en troisième lieu, des avis du Professeur R. du 4 mai 1995, qui a fait état d'un lien possible, et du Docteur R.-B. dans son certificat du 10 juillet 1998 qui n'affirme ni a-fortiori ne démontre l'existence d'un lien de causalité ; que ces avis ne sont donc d'aucune valeur au soutien de sa thèse ;

Considérant que M. Christophe C. invoque encore l'avis de la commission de réglement amiable relatif à son indemnisation par l'Etat, communiqué par la direction générale de santé, par lettres des 11 et 15 juillet 2000, et 18 février 2002, suivant lequel "les experts de la commission ont considéré en fonction d'une part des dernières données de pharmaco vigilance et épidémiologiques communiquées par l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé sur les effets des vaccins contre l'hépatite B, d'autre part au vu des éléments figurant dans votre dossier, qu'il existait un lien de causalité", et "les membres de la commission se sont principalement attachés à la relation chronologique constatée" ;

Que toutefois cet avis émanant d'une administration, et non d'une autorité scientifique, au surplus fondé sur l'avis de l'AFSSAPS qui n'est pas favorable à l'existence d'un lien de causalité certain, et sur une législation instituant une indemnisation qui n'obéit pas aux règles du droit commun, ne peut pas être jugé établir le lien de causalité, ni participer à titre d'indice, à la constatation de présomptions ;

Qu'il en est de même de la jurisprudence du conseil d'Etat, qui obéit à des règles de droit différentes de celles du droit commun ;

Considérant que M. Christophe C. fait enfin valoir que le vaccin Engérix B a des effets nocifs, mentionnés dans la notice et dans le dictionnaire Vidal, lequel fait expressément état de rares effets de sclérose en plaques, effets connus à tout le moins à la date de la dernière injection du 18 janvier 1994 ;

Mais considérant que les experts ont noté que dès 1994, la notice du produit Engérix B, au Vidal, mentionne à titre de "précaution", parmi les effets indésirables rapportés, le risque de sclérose en plaques ;

Que dès lors qu'il ne s'agit manifestement pas d'effets démontrés, mais seulement d'effets rapportés, cette indication à la notice ne peut pas constituer une présomption du caractère certain du lien de causalité ;

Qu'il ne subsiste donc, comme présomptions, que le fait que M. Christophe C. était en parfaite santé avant la vaccination, et que les premiers symptômes sont apparus deux mois après la 3° injection du 18 janvier 1994, faits constants mais qui doivent être jugés insuffisants pour constituer les présomptions graves, précises et concordantes requises par la loi ;

Que le jugement doit donc être confirmé en ce qu'il a ainsi jugé et débouté M. Christophe C. de toutes ses demandes et notamment de sa demande de nouvelle expertise ;

- Sur la demande au titre des frais irrépétibles

Considérant que la demande de la SAS Laboratoire Glaxosmithkline au titre des frais irrépétibles exposés en appel sera rejetée ;

- Sur les dépens

Considérant que M. Christophe C. qui succombe doit supporter les dépens ;

Par ces motifs : Statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, y ajoutant, Dit que les éléments de preuve proposés par M. Christophe C., sont insuffisants pour affirmer qu'il existe des présomptions graves, précises et concordantes du lien de causalité entre la sclérose en plaques présentée par lui et le vaccin Engérix B qui lui a été administré, Rejette les autres demandes, Condamne M. Christophe C. aux dépens d'appel, Dit que ces dépens pourront être recouvrés par la SCP Keime Guttin Jarry, avoué de la SAS Laboratoire Glaxosmithkline, pour la part la concernant, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.