CA Paris, Pôle 1 ch. 3, 4 juin 2013, n° 12-23210
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Honda Motor Europe Ltd (Sté)
Défendeur :
Team FB (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Bourquard
Conseillers :
Mmes Taillandier-Thomas, Maunand
Avocats :
Mes Ingold, Landault, Bernabe, Epelbaum
La société Team FB SARL, qui a pour activité la réparation et la vente de motocycle, s'est vu concéder selon contrat conclu le 29 avril 2002 par la société Honda France la concession exclusive de la vente de cyclomoteurs, scooters et motocycles de moins de 126 cc de la marque Honda renouvelable tacitement et annuellement à l'issue d'une période initiale expirant au 31 décembre 2002 sans que sa durée ne puisse excéder le terme du 31 décembre 2006 et un contrat de distribution sélective des scooters et motocycles de plus de 126 cc de cette même marque, renouvelable tacitement à l'issue d'une période initiale expirant au 31 décembre 2002 sans que sa durée ne puisse excéder le terme du 31 décembre 2006. Ces contrats ont été renouvelés le 2 janvier 2007.
A la suite d'un différend opposant les parties, la société Honda France a informé la société Team FB, par courrier 20 juillet 2011, confirmé selon lettre du 10 octobre 2011, que les contrats viendraient à terme le 31 décembre 2011 et lui a offert de les prolonger dans le cadre d'un nouveau contrat qui a été signé le 2 janvier 2012, pour une durée initiale expirant le 31 décembre 2012, ce contrat étant toutefois susceptible d'être ensuite tacitement et annuellement renouvelé. A l'initiative de la concédante, les relations entre les parties ne se sont pas poursuivies au-delà du 31 décembre 2012.
Se prévalant de ce que la rupture brutale de ses relations avec la société Honda France lui causait, compte tenu de la brièveté du préavis dont elle avait bénéficié, un trouble manifestement illicite, la société Team FB l'a assignée afin d'obtenir que ce préavis soit fixé jusqu'au 31 janvier 2014 devant le juge des référés du Tribunal de commerce de Meaux qui, par ordonnance rendue le 7 décembre 2012, s'est déclaré compétent pour connaître du litige, dit que la durée du préavis créait un trouble manifestement illicite à la société Team FB, ordonné à la société Honda France d'accorder un préavis de résiliation du contrat de distribution sélective conclu en janvier 2012 de 24 mois soit jusqu'au 31 janvier 2014 et l'a condamnée à payer à la société Team FB une indemnité de 2 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Appelante de cette décision, la société Honda Motor Europe Ltd aux droits de la société Honda France SAS suite à une opération de fusion-absorption, par conclusions transmises le 4 avril 2013 demande de l'infirmer en toutes ses dispositions et vu la clause attributive de juridiction figurant à l'article 32 du contrat de distributeur agréé du 2 janvier 2012, de dire que le président du Tribunal de commerce de Meaux était incompétent pour statuer sur la demande et que le président du Tribunal de grande instance de Paris est seul compétent, vu l'article 79 du Code de procédure civile, de rejeter les demandes de la société Team FB et de la condamner aux entiers dépens et à lui verser une indemnité de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Team FB, par conclusions transmises le 2 mai 2013 demande de confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise et de condamner l'appelante à lui verser la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et de la condamner aux entiers dépens.
Sur ce, LA COUR,
- Sur l'exception d'incompétence,
Considérant que la société Honda fait grief à l'ordonnance d'avoir retenu que la juridiction des référés du Tribunal de commerce de Meaux était compétente alors que le contrat liant les parties contenait une clause attributive de compétence au profit du Tribunal de grande instance de Paris,
Que la société Team FB estime que c'est à juste titre que l'ordonnance a écarté cette clause comme insuffisamment apparente et soutient que s'agissant d'un litige entre deux sociétés commerciales, il relevait par application de l'article L. 721-3 du Code de commerce de la juridiction commerciale du lieu du siège social de la défenderesse conformément à l'article 42 du Code de procédure civile ;
Considérant qu'aux termes de l'article 48 du Code de procédure civile, " toute clause qui, directement ou indirectement, déroge aux règles de compétence territoriale est réputée non écrite à moins qu'elle n'ait été convenue entre des personnes ayant toutes contracté en qualité de commerçant et qu'elle n'ait été spécifiée de façon très apparente dans l'engagement de la partie à qui elle est opposée " ;
Que cet article n'exige pas que la clause ait été l'objet d'une acceptation distincte de l'ensemble du contrat, que l'engagement de la partie à laquelle cette clause est opposée ne saurait toutefois notamment se déduire du simple silence de la partie qui a reçu les pièces même si la clause y figurait et qu'il fait défaut lorsqu'il qu'il n'est pas justifié qu'il ait été accepté ;
Considérant qu'en l'espèce l'examen du contrat ayant lié les parties révèle que la clause attributive de compétence figure sous l'article 32.2 de ce document sous le titre : " loi applicable et attribution de juridiction ", que ce titre est dactylographié en lettres majuscules et en caractères gras dans une taille de police nettement supérieure à l'ensemble du texte, que cet article stipule, " à défaut d'avoir fait l'objet d'un règlement amiable, tout différend né de l'exécution, de l'inexécution, de la cessation et/ou de l'interprétation du présent contrat ou trouvant sa source dans les relations commerciales entre les parties ou leur rupture, sera de la compétence exclusive du Tribunal de grande instance de Paris ", que si cette clause figure dans une police de taille identique à celle de tous les autres articles du contrat, elle est mise en relief par les caractéristiques de son titre tel que précédemment décrit, qu'elle est donc, contrairement à ce que l'ordonnance a retenu, tout à fait apparente, que ses termes sont clairs et dénotent sans équivoque la volonté des parties de soumettre tout litige relatif à l'application du contrat et/ou sa rupture au Tribunal de grande instance de Paris et ce nonobstant les dispositions de l'article L. 721-3 du Code de commerce ; qu'il s'ensuit que c'est à tort que le juge des référés commerciaux a rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la société Honda et s'est déclaré compétent pour connaître du litige ;
Et considérant qu'aux termes de l'article 79 du Code de procédure civile, lorsque la cour infirme du chef de la compétence, elle statue néanmoins sur le fond du litige si la décision attaquée est susceptible d'appel dans l'ensemble de ses dispositions et si la cour est juridiction d'appel relativement à la juridiction qu'elle estime compétente ;
- Au principal,
Considérant que l'appelante déduit du principe de la liberté du commerce et de l'industrie et de l'aléa économique inhérent à la vie des affaires que nul ne peut être tenu de rester indéfiniment dans les liens d'un contrat pour estimer qu'il n'existe aucun droit à la poursuite indéfinie d'un contrat et que le concédant n'a, en ce qui le concerne, aucune obligation d'aide et d'assistance à la reconversion de son ancien co-contractant à l'issue des relations contractuelles auxquelles il a régulièrement mis fin ; qu'elle se prévaut de ce qu'en l'espèce, elle a dès le 20 juillet 2011, rappelé à la société Team FB que les contrats signés le 2 janvier 2007 qui venaient à échéance le 31 décembre 2011 ne seraient pas renouvelés au-delà de cette date, que de ce fait, elle estime que sa concessionnaire a bénéficié d'un délai de préavis de 18 mois largement suffisant compte tenu de la durée des relations contractuelles ; qu'elle soutient par ailleurs que dès lors qu'elle a présenté, bien que n'y étant nullement tenue, à la concessionnaire un candidat à la reprise que cette dernière n'a pas accepté, il ne saurait lui être fait grief de ne pas avoir agréé la candidature que celle-ci lui a proposée le 22 juin 2012 ;
Que la société Team FB fait valoir qu'eu égard à sa dépendance économique, le délai de préavis restreint imposé par la concédante est générateur d'un trouble manifestement illicite, que le contrat du 2 janvier 2012 qui reprend les mêmes termes et conditions que les contrats précédents lui laissait entrevoir la poursuite des relations contractuelles au-delà du 31 décembre 2012, qu'elle ajoute que la concédante ne lui a jamais adressé de lettre de mise en demeure, qu'au lieu de l'aider à céder son fonds de commerce à un prix normal elle n'a pas donné suite à sa proposition d'agrément du 22 juin 2012 de la personne qu'elle lui proposait comme nouveau concessionnaire et entendu favoriser un candidat de la marque, n'acceptant donc aucun repreneur ; qu'elle en déduit que le délai de préavis de douze mois intervenu entre les parties en janvier 2012 n'est pas un délai raisonnable ;
Et considérant qu'il est constant que les relations contractuelles entre les parties remontent au 29 avril 2002, qu'elles ont pris fin le 31 décembre 2012, qu'elles se sont donc étalées sur une période de dix ans et 7 mois ; qu'il résulte de l'examen des pièces versées aux débats que suivant lettre recommandée avec accusé de réception du 20 juillet 2011, la société Honda a officiellement notifié à sa concessionnaire qu'elle entendait mettre fin à leurs relations contractuelles au plus tard le 31 décembre 2012 en ces termes, " nous vous rappelons que les contrats qui nous lient viennent à échéance le 31 décembre 2011 et ne sont pas renouvelables au-delà de cette date. En conséquence, ces contrats prennent fin le 31 décembre 2011. Toutefois, comme nous l'avions évoqué lors de notre dernière entrevue, nous vous confirmons la possibilité, si vous le souhaitez, de prolonger dans le cadre de nouveaux contrats nos relations commerciales jusqu'au 31 décembre 2012, date à laquelle elles prendront fin ", que par lettre recommandée avec accusé de réception du 10 octobre suivant la concédante a clairement rappelé à la société Team FB que les contrats n'étaient pas renouvelables au-delà de la date du 31 décembre 2011, que comme elle l'avait évoqué dans sa lettre du 20 juillet 2011, les relations commerciales se poursuivraient jusqu'au 31 décembre 2012, date à laquelle elles prendraient fin ajoutant qu'elles pourraient s'inscrire dans le cadre d'un contrat à durée déterminée venant à échéance à cette date et que ce document était en cours d'élaboration ", que par LR AR du 2 janvier 2012, la société Honda a rappelé une troisième fois à sa concessionnaire sa position en ces termes, " comme nous vous l'avons signifié lors de notre visite du 20 juillet 2011 puis confirmé par LRAR à la même date, nous ne vous renouvellerons pas les contrats qui lient nos deux sociétés à la fin de l'année 2012 " ;
Qu'il s'ensuit que la société Honda a dès le 20 juillet 2011 notifié officiellement, clairement et sans aucune ambigüité à sa concessionnaire qu'elle entendait mettre fin à leurs relations contractuelles en tout état de cause à la date du 31 décembre 2012 ; que la société Team FB ne peut dans ces conditions utilement se prévaloir de ce que l'article 21 du contrat signé le 2 janvier 2012 pour une durée déterminée jusqu'au 31 décembre 2012 envisage une tacite reconduction annuelle sauf à l'une des parties de notifier à l'autre par lettre recommandée, moyennant un préavis de trois mois son intention de ne pas renouveler le contrat à l'issue de la durée initiale alors même que ce même article précise " qu'en tout état de cause et nonobstant tout renouvellement, le présent contrat prendra fin au plus tard le 31 décembre 2012 " et que de plus au cours de l'année 2012, la société Honda a rappelé à plusieurs reprises à sa concessionnaire et face à l'insistance de celle-ci qu'elle n'entendait pas revenir sur sa position quant à la date de cessation de toutes relations contractuelles (lettres des 23 avril, 30 mai, 17 octobre 2012) ;
Que la société Team FB, qui a bénéficié d'un préavis de près de dix-huit mois et ne pouvait nullement se méprendre quant à la volonté de rompre de la société Honda France exprimée dès le 20 juillet 2011, ne peut donc invoquer une rupture brutale et fautive de ses relations contractuelles par la société Honda ; que dès lors que la concédante n'était pas contractuellement tenue à une quelconque obligation d'agrément d'un nouveau concessionnaire sur présentation de la société Team FB, il ne saurait lui être imputé à faute de ne pas avoir agréé le candidat présenté par celle-ci ;
Que l'attitude de la société Honda n'étant ni à l'origine d'une rupture brutale ni contractuellement fautive à l'égard de la société Team FB, elle ne saurait être constitutive d'un quelconque trouble manifestement illicite ou d'un dommage imminent pour cette dernière justifiant qu'il soit fait droit tant à la demande de prorogation des relations contractuelles entre les parties qu'à celle d'indemnisation pour préjudice subi par la concessionnaire ;
Que l'ordonnance doit donc être infirmée en toutes ses dispositions et que la société Team FB doit être déboutée de l'ensemble de ses prétentions ;
Considérant que l'équité commande de ne pas faire application de l'article 700 du Code de procédure civile ; que la société Team FB doit supporter les entiers dépens ;
Par ces motifs : Infirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions, Statuant à nouveau par application de l'article 79 du Code de procédure civile, Déboute la société Team FB de l'ensemble de ses prétentions, Rejette toutes autres demandes des parties et dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Team FB SARL aux entiers dépens qui seront recouvrés comme il est prescrit à l'article 699 du Code de procédure civile.