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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 23 mai 2013, n° 10-22677

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Paris Glamour (SARL)

Défendeur :

Céline (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mmes Pomonti, Michel-Amsellem

Avocats :

Mes Etevenard, Dubos, Fromantin, Jourde

T. com. Paris, du 8 oct. 2010

8 octobre 2010

Faits et procédure

La société Céline exerce son activité dans le domaine de la mode féminine.

La société Paris Glamour a une activité d'agent commercial dans le domaine de la mode, en Russie et dans les anciennes républiques de l'ex-URSS.

Le 28 août 2001, la société Céline a conclu avec la société Paris Glamour un contrat d'agent commercial, modifié par un avenant du 25 juillet 2003, dont l'objet était de développer en exclusivité le prêt-à-porter et les accessoires de mode sur les territoires mentionnés à compter de la collection Printemps-Eté 2002 et jusqu'à la fin de la collection Automne-Hiver 2005, avec prolongation par tacite reconduction au 30 novembre de chaque année sauf dénonciation avec préavis de 3 mois.

Le 25 juillet 2003, les parties ont signé un contrat de communication et de relations presse moyennant une rémunération annuelle forfaitaire de 20 000 euro.

Par lettre recommandée du 7 mars 2009, la société Céline a notifié à la société Paris Glamour le non renouvellement de son contrat d'agent commercial à son échéance du 31 octobre 2009.

Le contrat de relations publiques a également été dénoncé à échéance du préavis contractuel de 6 mois.

Par acte du 12 juin 2009, la société Paris Glamour a assigné en référé la société Céline devant le Tribunal de commerce de Paris.

Par un jugement en date du 8 octobre 2010, assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de commerce de Paris a :

- condamné la SA Céline à payer en deniers ou quittances à la SARL Paris Glamour la somme de 1 079 124 euros ;

- donné acte à la SARL Paris Glamour de ce qu'elle demandera le règlement des commissions exigibles jusqu'au 30 novembre 2009 ainsi que celles dues postérieurement au fur et à mesure des livraisons,

- condamné la SA Céline à payer à la SARL Paris Glamour la somme de 7 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, déboutant pour le surplus,

- débouté la SA Céline de sa demande en réparation du préjudice subi.

Vu l'appel interjeté le 24 novembre 2010 par la SARL Paris Glamour contre cette décision.

Vu les dernières conclusions signifiées le 24 mars 2011 par la SARL Paris Glamour par lesquelles elle demande à la cour de :

- la recevoir en son appel,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé le droit de Paris Glamour à percevoir ses commissions sur tous les ordres enregistrés avant la résiliation et portant sur les commandes prises du 1er novembre 2008 au 31 octobre 2009,

- donner acte à Paris Glamour du règlement par Céline du 15 mars 2010 pour le montant de 367 261,82 euros HT,

- donner acte à la société Céline du règlement de la somme de 117 239 euros qui remplit Paris Glamour de ses droits opéré comme suit :

12/05/2010 15 969,69

04/06/2010 61 523,87

30/07/2010 39 747,83

au titre de ses droits sur commandes enregistrées avant le 31 octobre 2009 et livrées postérieurement,

- confirmer le jugement sur l'attribution à Paris Glamour d'une indemnité compensatrice,

- le réformer sur le quantum de cette indemnité et juger qu'elle doit inclure les honoraires pour l'action auprès de la presse (20 000 euro par an)

- condamner la société Céline à régler une somme de 1.284.666,33 euro à titre d'indemnité compensatrice avec intérêts de droit à dater de la demande et le bénéfice de l'article 1154 du Code civil,

- confirmer pour le surplus le jugement entrepris,

- condamner la société Céline à régler une somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

L'appelante retient qu'en cas de cessation de ses relations avec le mandant et conformément à l'article L. 134-12 du Code de commerce, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi. Selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, la cessation du contrat d'agent commercial, même à durée déterminée, donne droit à réparation du préjudice résultant de la perte pour l'avenir des revenus tirés de l'exploitation de la clientèle commune.

Par ailleurs, l'appelante rappelle que dès lors que le contrat a été exécuté pendant plus de deux ans, l'indemnité compensatrice s'établit à deux années de commissions dont l'assiette correspond aux deux dernières années de commissions. En l'espèce, la résiliation ayant été prononcée le 27 mars 2009 pour prendre effet le 31 octobre 2009, cette année est incomplète et ne peut donc pas servir de référence. Par conséquent, l'indemnité compensatrice doit être établie en prenant en compte les années 2007 et 2008.

Elle considère également que l'ensemble des éléments de la rémunération perçue entre dans le calcul de l'indemnité compensatrice et que précisément, le tribunal a omis d'inclure les honoraires forfaitaires annuels perçus de 20 000 euro correspondant aux prestations presse de Paris Glamour. Ces honoraires doivent donc être inclus dans l'assiette de l'indemnité compensatrice.

Concernant la demande reconventionnelle de la société Céline, l'appelante rappelant que la faute grave doit impérativement être invoquée avant toute résiliation et que la lettre de résiliation de la société Céline du 27 mars 2009 n'invoquait aucune faute grave, elle estime que cette demande est à la fois irrecevable et mal fondée.

Vu les dernières conclusions signifiées le 24 mai 2011 par la SA Céline par lesquelles il est demandé à la Cour :

- débouter la société Paris Glamour de son appel et de toutes fins qu'il comporte,

- recevoir la société Céline en son appel incident et infirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions,

- dire et juger que l'indemnité compensatrice du préjudice subi par la société Paris Glamour du fait du non renouvellement de son mandat d'agent commercial à l'échéance doit être fixée à la somme de 1 074 617 euro toutes causes confondues,

- ordonner la société Paris Glamour à rembourser le trop perçu,

- condamner la société Paris Glamour à réparer le préjudice subi de son fait par la société Céline, lequel se présente comme suit :

1 : perte de marge brute : 725 000 euro

2 : perte de clientèle : 960 000 euro

- condamner la société Paris Glamour à payer à la société Céline la somme de 10 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile

La société intimée retient que, conformément à la jurisprudence établie qui accorde usuellement à l'agent, en cas de cessation de son mandat, deux années de commission calculées sur la moyenne des trois dernières années d'exécution du contrat, elle a calculé l'indemnité selon la moyenne des commissions versées en 2007, 2008 et 2009. Elle ajoute que l'année 2009 ayant connu les aléas d'une situation économique difficile, il appartient à l'agent commercial de supporter ces aléas puisque son contrat est un mandat d'intérêt commun. Enfin, elle rappelle que l'appelant a refusé d'exécuter de bonne foi son préavis et qu'il lui appartient par conséquent d'en assumer les conséquences.

Ensuite, elle considère qu'il doit être exclu de la rémunération le contrat de communication et de relations publiques conclu entre les sociétés Paris Glamour et Céline. Elle estime qu'il s'agit d'un contrat distinct du contrat d'agent commercial et qu'il ne porte pas sur une activité développée dans l'intérêt commun des parties.

Enfin, elle ajoute qu'elle a subi un préjudice direct du fait des agissements fautifs de la société Paris Glamour et que celle-ci doit en payer le prix. L'analyse produite par la société Céline de son préjudice subi a été rédigée par son Directeur financier, lequel précise que les chiffres annoncés sont certifiés conformes.

La Cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions initiales des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

Motifs

Sur le règlement des commissions pour les commandes prises du 1er novembre 2008 au 31 octobre 2009 :

Considérant que les premiers juges ont donné acte à la SARL Paris Glamour de ce qu'elle demandera le règlement des commissions exigibles jusqu'au 30 novembre 2009 ainsi que celles dues postérieurement au fur et à mesure des livraisons,

Que la société Paris Glamour indique avoir été intégralement payée des commissions qui lui restaient dues ; qu'il y a lieu d'en donner acte à la société Céline.

Sur l'indemnité de fin de contrat :

Considérant que les deux sociétés demandent à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a alloué à la société Paris Glamour une indemnité compensatrice sauf en ce qui concerne son quantum, la société Paris Glamour demandant à la cour d'en augmenter le montant et de dire que le calcul de cette indemnité doit inclure les honoraires versés pour l'action de la société Paris Glamour auprès de la presse, concluant ainsi à un montant de 1.284 666,33 euro et la société Céline demandant à la cour de la calculer sur la base de la moyenne des commissions versées au cours des trois dernières années et de la fixer à la somme de 1 074 617 euro contre 1 079 124 euro fixé par les premiers juges.

Considérant que l'indemnité compensatrice comprend la perte de toutes les rémunérations acquises lors de l'activité développée dans l'intérêt commun des parties, sans qu'il y ait lieu de distinguer leur nature ;

Considérant que les parties ont conclu un contrat distinct de communications et de relations publiques postérieurement au mandat d'agent commercial pour une durée de 3 ans à compter du 1er octobre 2003, renouvelable pour une période de 2 ans moyennant une rémunération annuelle de 20 000euroHT ; que les prestations étaient définies en annexe du contrat et avaient exclusivement pour objet des prestations distinctes de celles relevant de son activité d'agent commercial ; que ce contrat précisait d'ailleurs que la société Paris Glamour est " un consultant spécialisé dans les relations publiques et dans les relations avec la presse dans le territoire " ;

Considérant que s'il s'agit de deux contrats distincts, ils ont concouru à une même fin qui a été de promouvoir la marque Céline sur le territoire russe ; que ces deux contrats étaient étroitement liés de sorte que la résiliation du contrat d'agent commercial ne pouvait qu'impliquer celle du contrat presse à son échéance ; qu'il y a lieu, en conséquence, d'inclure les honoraires versés à l'occasion du contrat de communication pour le calcul de l'indemnité compensatrice ;

Considérant que la société Paris Glamour soutient que le calcul de l'indemnité compensatrice doit se faire sur les années 2007 et 2008 car le contrat a été résilié le 27 mars 2009 avec effet au 31 octobre 2009 et que l'année est donc incomplète ;

Considérant que la société Céline fait valoir que l'année 2009 ne saurait être exclue car, si la marque a alors connu une restructuration, il appartient à l'agent commercial de supporter les aléas liés à l'activité de son mandant, dont le changement de styliste fait partie ; qu'elle ajoute que, par son comportement et notamment le dénigrement de la marque, la société Paris Glamour a contribué aux résultats de l'année 2009 ;

Considérant qu'il est d'usage de calculer l'indemnité compensatrice sur la base de la moyenne des trois dernières années ; qu'en conséquence, seront retenus les années 2007, 2008 et l'année 2009 au prorata de 10 mois ;

Que cette moyenne s'établit donc à la somme de :

479 335,34 + 765 330, 99 +367 261,82=1 611 928,15 euro sur 34 mois soit 47 409,65 euro par mois et 568 915,80 euro par an auxquels il convient d'ajouter la somme de 20 000 euro par an au titre des prestations de presse, soit une moyenne annuelle de 588 915,80 euro ;

Que la durée de la relation contractuelle justifie que celle-ci soit fixée à deux années de commissions conformément aux usages, ce que ne contestent pas les parties ; qu'il y a donc lieu de fixer celle-ci à la somme de 1 177 831,60 euro ;

Sur la demande de la société Céline :

Considérant que la société Céline soutient que la société Paris Glamour a exécuté son préavis au mépris des obligations essentielles de son contrat et qu'elle en a subi un préjudice ;

Considérant que l'article L. 314-4 du Code de commerce dispose que :

" Les contrats intervenus entre les agents commerciaux et leurs mandants sont conclus dans l'intérêt des parties

Les rapports entre l'agent commercial et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et un devoir d'information.

L'agent commercial doit exécuter son mandat en bon professionnel ; le mandant doit mettre l'agent commercial en mesure d'exécuter son mandat " ;

Considérant que la lettre de résiliation de la société Céline n'a invoqué aucune faute grave de son mandant mais seulement des difficultés financières croissantes et la nécessité de réduire de nombreux points de vente ;

Que l'agent commercial a les mêmes obligations lors de l'exécution de son préavis ;

Considérant que la société Céline fait valoir que la société Paris Glamour a commis des actes de dénigrement et a eu un comportement inapproprié lors de la présentation des collections au mois de juin et octobre 2009 ; qu'elle verse le compte rendu dressé par son directeur commercial export relatant le comportement de Mme Liya Jacquerez, représentant la société Paris Glamour, au salon de Milan de juin 2009 ;

Considérant que les termes de ce rapport mettent en évidence les mauvaises relations existant entre celui-ci et les dirigeants de la société Paris Glamour ; que celui-ci indique " elle refuse explicitement de me parler et s'enfuit littéralement " ; que son auteur indique " elle est habillée en tout sauf Céline " ; qu'il indique que celle-ci décourageait les acheteurs à la vente, précisant " L'attitude des clients change immédiatement après l'intervention de Liya et les fait douter même si nous ne savons pas ce que Liya a dit " ; que s'agissant d'un client qui avait déjà passé 45 K euro de commandes, il indique " au moment où notre vendeuse propose une dernière fois de retravailler pour compléter la commande Liya interpelle la vendeuse et lui dit : on a travaillé avec le client depuis 15 ans et il y a complete trust entre Paris G et le client donc il ne faut pas forcer le client à acheter ce qu'il ne va pas vendre ", remarque qui ne saurait être considérée comme allant à l'encontre des intérêts de la société Céline ; que dès lors, cette attestation n'apporte pas la preuve d'un dénigrement ;

Que la société Céline fait valoir que les prises d'ordre durant ce salon ont été pour la zone d'activité de Paris Glamour de moins 73 % alors que la diminution des ventes globales sur cette même collection a été de limitée à moins 36 % et même moins 21 % en excluant l'impact de la société Paris Glamour ;

Considérant que le seul rapport de son salarié avec lequel il est manifeste que la société Paris Glamour était en mauvais termes, outre qu'il ne caractérise pas d'actes de dénigrement de la part de la société Paris Glamour au cours de ce salon, ne saurait être retenu comme parfaitement objectif ; que de plus, il résulte de ce rapport que le salon a débuté le mardi et s'est terminé le dimanche, celui-ci précisant que " Liya n'arrive pas le jeudi comme annoncé Liya arrive le vendredi "; que, dès lors, la société Céline ne saurait sans mauvaise foi, imputer à cette dernière une insuffisance des ventes ; que la société Céline indique également avoir constaté l'hostilité des dirigeants de la société Paris Glamour lors du salon défilé été 2010 en octobre 2009 et fait état de l'absence de Mme Jacquerez lors du défilé le 5 octobre, alors que le contrat d'agent commercial expirait le 31 octobre, ce qui peut expliquer l'absence de cette dernière dès lors légitimement peu intéressée à assister au défilé de la marque dont elle a perdu la représentation, la société Céline n'indiquant d'ailleurs pas en quoi cette présence aurait été bénéfique pour elle ;

Considérant que la société Céline ne caractérise pas d'actes de dénigrement, ni de manquement à ses obligations par la société Paris Glamour ; que c'est donc à juste titre par des motifs que la cour adopte que les premiers juges ont rejeté la demande reconventionnelle de la société Céline.

Sur l'article 700 du Code de procédure civile

Considérant que la société Paris Glamour a dû engager des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge, qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 dans la mesure qui sera précisée au dispositif.

PAR CES MOTIFS : Et, adoptant ceux non contraires des Premiers Juges, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement déféré sauf en ce qui concerne le montant de l'indemnité compensatrice et statuant à nouveau Donne acte à la société Paris Glamour du règlement par la société Céline de la somme de 367 261,82 euro Donne acte à la société Céline du règlement de la somme de 117 239 euro au titre de ses droits sur les commandes enregistrées avant le 31 octobre 2009 Condamne la société Céline à payer à la société Paris Glamour la somme de 1 177 831,60 euro à titre d'indemnité compensatrice avec intérêts de droit à compter de l'assignation Ordonne la capitalisation des intérêts conformément à l'article 1154 du Code civil. Condamne la société Céline à payer à la société Paris Glamour la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. Condamne la société Céline aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.