CA Versailles, 12e ch., 4 juin 2013, n° 12-03521
VERSAILLES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Tidec (SA), Michel (ès qual.), Chavane De Dalmassy (ès qual.)
Défendeur :
Dubois
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Rosenthal
Conseillers :
Mmes Poinseaux, Orsini
Avocats :
cabinet Bruno Chanel, Mes Guttin, Nahon, Dupuis
Vu l'appel interjeté le 16 mai 2012 par la société Tidec à l'encontre d'un jugement rendu le 9 mars 2012 par le Tribunal de commerce de Versailles qui a, sous le bénéfice de l'exécution provisoire :
- donné acte à M. Michel, ès-qualités d'administrateur judiciaire de la société Tidec et à la Selarl SMJ, prise en la personne de M. Chavane de Dalmassy, ès-qualités de mandataire judiciaire de la société Tidec, de leur intervention volontaire,
- condamné la société Tidec à payer à M. Dubois la somme de 33 987,42 euros,
- condamné M. Dubois à payer à la société Tidec la somme de 2 000 euros en sus les intérêts au taux légal à compter du 8 juin 2011,
- reçu la société Tidec en sa demande reconventionnelle de nomination d'un expert, l'y a dit mal fondée et l'en a déboutée,
- reçu la société Tidec en sa demande reconventionnelle de dommages-intérêts, l'y a dit mal fondée et l'en a déboutée,
- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile et condamné la société Tidec aux dépens,
Vu les dernières écritures signifiées le 23 avril 2013 par lesquelles, la société Tidec, M. Michel, en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan de sauvegarde de cette société et la Selarl SMJ, ès qualités, demandent à la cour de :
Vu le jugement du Tribunal de commerce de Versailles du 4 octobre 2012 arrêtant le plan de sauvegarde de la société Tidec,
- mettre hors de cause Me Michel et la Selarl SMJ, pris en leur qualité respective d'administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire de la société Tidec,
- prendre acte de l'intervention volontaire de M. Michel en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Tidec
Vu les articles 1134, 1135 et 1382 du Code civil,
- annuler la condamnation prononcée à l'encontre de la société Tidec pour la somme de 33 987,42 euros,
Vu le caractère nouveau de la demande de M. Dubois tendant à la fixation au passif chirographaire de la société Tidec de sa créance à hauteur de 33 987,42 euros au titre de son compte courant dans cette société,
Vu en tout état de cause l'admission de la créance de M. Dubois à hauteur de ce montant et pour la même cause au passif chirographaire de la société Tidec,
- déclarer irrecevable la demande de M. Dubois,
De façon plus générale,
- infirmer le jugement en toutes ses dispositions,
- condamner M. Dubois à payer à la société Tidec la somme de 6 000 euros pour indemnisation au titre du matériel conservé de façon illégitime, avec intérêts au taux légal à compter du 8 juin 2011,
- condamner M. Dubois à payer à la société Tidec la somme de 100 000 euros toutes causes de préjudice confondues sur le fondement de l'article 1382 du Code civil pour agissements déloyaux et parasitaires, avec intérêts au taux légal à compter de l'arrêt à intervenir,
- ordonner la capitalisation des intérêts,
- débouter M. Dubois du surplus de ses demandes,
- condamner M. Dubois à payer à la société Tidec la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction ;
Vu les dernières écritures signifiées le 23 avril 2013 aux termes desquelles M. Dubois prie la cour de :
- déclarer recevable mais mal fondé l'appel interjeté par la société Tidec,
- constater que la créance de M. Dubois de 33 987,42 euros a été admise au passif de la société Tidec,
- confirmer pour le surplus la décision entreprise,
- débouter la société Tidec de l'ensemble de ses demandes ;
- condamner la société Tidec à payer la somme de 2 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction ;
Sur ce, la Cour,
Considérant que, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, il est expressément renvoyé au jugement entrepris ainsi qu'aux écritures des parties ; qu'il sera seulement rappelé que :
- la société Tidec a été créée en juillet 2006 sous la forme d'une société à responsabilité limitée, avec pour objet social 'd'offrir en France et à l'étranger, toute solution de dématérialisation et de contrôle de titre ou de support dans le domaine de la billetterie événementielle du transport ou des services " à l'aide de logiciels brevetés ;
- Frédéric Dubois a été associé puis actionnaire de la société Tidec depuis sa création jusqu'au 21 septembre 2010 ; il en a été salarié en tant que directeur commercial d'octobre 2006 à juin 2009, date à laquelle il a été licencié ;
- il a été administrateur de la société à partir du 18 juin 2007, date de la transformation de la société en société anonyme ;
- par acte du 24 mars 2011, il a assigné la société Tidec devant le juge des référés du Tribunal de commerce de Versailles en paiement de la somme de 41 229,32 euros, correspondant au montant de son compte courant ;
- par ordonnance du 8 juin 2011, le juge des référés a condamné la société Tidec à payer à M. Dubois la somme de 33 987,42 euros au titre de son compte courant, dit n'y avoir lieu à référé sur la demande reconventionnelle de la société Tidec en paiement de matériel non restitué et de dommages-intérêts pour violation de son obligation de loyauté et concurrence déloyale et parasitaire, et renvoyé l'affaire devant le tribunal pour qu'il soit statué au fond ;
- la société Tidec ayant été placée sous sauvegarde par jugement du 7 juillet 2011, M. Michel et la Selarl SMJ, respectivement administrateur et mandataire judiciaires de la société, sont intervenus volontairement à l'instance devant le tribunal de commerce ;
Considérant que, par jugement du 4 octobre 2012, le Tribunal de commerce de Versailles a arrêté le plan de sauvegarde de la société Tidec, M. Michel étant désigné commissaire à l'exécution du plan ;
Qu'il convient de donner acte à M. Michel de son intervention volontaire en cette qualité et de le mettre hors de cause en sa qualité d'administrateur judiciaire de la société ainsi que la Selarl SMJ mandataire judiciaire ;
Sur la créance de M. Dubois au titre du compte courant
Considérant qu'il résulte des pièces produites et des écritures des parties que la créance de M. Dubois au titre de son compte courant a fait l'objet d'une décision d'admission au passif de la société Tidec pour son montant déclaré, soit la somme de 33 987,42 euros ;
Que M. Dubois ne conteste pas l'autorité de la chose jugée attachée à cette décision opposée par la société Tidec et ne maintient pas, dans ses dernières écritures, sa demande de voir la cour fixer sa créance au passif de la société ;
Qu'il sera fait droit à sa demande de voir constater l'admission de la créance au passif de la société Tidec ;
Considérant que la société Tidec demande l'annulation du jugement en ce qu'il l'a condamnée à payer à M. Dubois la somme de 33 987,42 euros et fait valoir que le tribunal n'avait pas été saisi d'une telle demande et a statué ultra petita ;
Considérant toutefois qu'il ne résulte pas des termes du jugement que le tribunal de commerce, devant lequel la procédure est orale, ait statué sur la demande de condamnation de la société Tidec au paiement de la somme de 33 987,42 euros, sans en avoir été saisi ; qu'il n'y a pas lieu à annulation de la décision de ce chef mais seulement à son infirmation, eu égard à la décision précitée d'admission de cette créance au passif de la société par le juge commissaire ;
Sur la demande de la société Tidec au titre du matériel non restitué par M. Dubois
Considérant que la société Tidec soutient que M. Dubois a conservé, en quittant la société, du matériel lui appartenant et qui lui avait été remis dans le cadre de son activité salariée de directeur commercial, à savoir un téléphone portable, un ordinateur P.C., plusieurs PDA, des batteries, des chargeurs, des socles, un lecteur de codes-barres et des clés 3G et sollicite à ce titre une somme de 6 000 euros, le matériel ayant été acheté peu de temps auparavant pour un montant de l'ordre de 16 697,20 euros ;
Considérant que M. Dubois soutient que ces matériels n'ont jamais été en sa possession, que la société Tidec ne démontre pas qu'ils l'aient été et qu'il s'agit de matériels mis à la disposition de clients qui organisaient des événements ;
Considérant que la société Tidec justifie avoir, par courrier recommandé avec accusé de réception du 7 avril 2010, réclamé à M. Dubois la restitution des matériels précités ; qu'en réponse à cette demande, M. Dubois, par courrier du 18 avril 2010, n'a pas contesté les détenir matériels mais a indiqué qu'il attendait le remboursement de ses frais de déplacement de l'année 2009 pour ' faire parvenir ce matériel'à la société ;
Que la demande de la société Tidec est dès lors fondée en son principe, la preuve étant rapportée de ce que M. Dubois n'a pas restitué le matériel qui lui avait été confié ;
Qu'au vu des factures produites et de leur ancienneté, c'est à bon droit que le tribunal a limité à 2 000 euros la condamnation de M. Dubois à ce titre ;
Sur les agissements déloyaux, concurrentiels et parasitaires reprochés à M. Dubois
Considérant que la société Tidec reproche à M. Dubois d'avoir, alors qu'il était administrateur de la société, constitué une entreprise concurrente, sans l'en informer et d'avoir profité de ses anciennes fonctions pour négocier avec un client, la société Rezo production, et se l'approprier ;
Qu'elle expose :
- que M. Dubois qui a cessé d'être actionnaire de la société Tidec le 21 septembre 2010 est toutefois demeuré administrateur de la société jusqu'au 21 mars 2011 date à laquelle il a été considéré d'office démissionnaire de cette fonction par application de l'article "L. 225-5" du Code de commerce (en réalité article L. 225-25)
- qu'il a constitué en mars 2010 une auto entreprise ayant pour activité principale 'la gestion des flux événementiels, la fourniture de badges, la billetterie, solution de gestion des droits et contrôle d'accès' ;
- qu'il a poursuivi cette activité au travers d'une société qu'il a créée le 20 juin 2011 sous le nom de Tickaccess, société ayant pour activité : "fourniture aux entreprises de solutions zéro papier et fourniture de badges et billetterie, contrôle d'accès, gestion des flux dans le cadre de billetterie pour foires et salons et toute manifestation ouverte au public et plus généralement pour les organisateurs d'événements grand public et professionnels"
- que le choix du nom Tickaccess démontre la volonté de M. Dubois de créer une confusion avec la société Tidec, propriétaire de la marque Tickadom ;
- que le fait que M. Dubois n'ait pas démissionné de ses fonctions d'administrateur lui a permis de développer encore plus facilement son activité concurrente,
- que de décembre 2009 au printemps 2010, M. Dubois a mené des négociations avec la société Rezo production, client de la société Tidec, en faisant croire à cette société qu'il intervenait pour le compte de la société Tidec et pour en définitive s'attribuer ce client à titre personnel ;
Considérant que M. Dubois soutient que la société Rezo production n'est pas un "client direct" de la société Tidec, que le détournement allégué de ce client n'est en tout état de cause pas démontré, que les mails personnels de M. Dubois sur lesquels s'appuie la société Tidec doivent être écartés des débats, par application du principe du secret des correspondances ;
Qu'il ajoute que la liberté d'entreprendre implique qu'un ancien dirigeant puisse créer une entreprise ayant le même champ d'activité que son ancienne société tant qu'il ne commet pas d'actes de concurrence déloyale, que les difficultés rencontrées par la société Tidec sont anciennes et structurelles et sans lien avec la création de son activité d'auto entrepreneur ;
Considérant qu'il est établi qu'alors qu'il était administrateur de la société Tidec, M. Dubois a créé, le 12 mars 2010, une auto entreprise ayant une activité concurrente, notamment de "gestion des flux événementiels, fourniture de badges, billetterie, solution de gestion des droits et contrôle d'accès" ; qu'il apparaît encore en tant qu'administrateur sur l'extrait Kbis du 1er mars 2011 ;
Qu'il n'est pas contesté que M. Dubois n'a pas informé la société Tidec de cette activité ;
Que pour soutenir que M. Dubois a profité de ses fonctions d'administrateur pour détourner un client, la société Rezo production à son profit, la société Tidec s'appuie sur des échanges de courriels, pièces dont M. Dubois soutient qu'elles doivent être écartées des débats comme se heurtant au principe du secret des correspondances privées ;
Considérant cependant, qu'outre le fait que la demande de rejet de ces pièces des débats n'est pas reprise dans le dispositif des conclusions de M. Dubois, force est de constater que lesdites pièces, constituées de courriels adressés à la société Rezo production à partir de l'adresse [email protected], signés pour certaines de M. 'F Dubois Tidec' et de courriels adressés par la société Rezo production à cette même adresse, non identifiés comme étant personnels, ne sont nullement des correspondances privées, l'adresse précitée étant l'adresse de la société Tidec dont le nom commercial est Tickadom et les messages étant relatifs à l'organisation d'un festival et donc en lien avec l'activité de la société Tidec ;
Considérant qu'il ressort desdites pièces valablement produites aux débats, qu'ainsi que le fait valoir la société Tidec, M. Dubois a mené des négociations avec la société Rezo production de fin décembre 2009 au 31 mars 2010 pour l'organisation d'un nouveau festival en 2010, période pendant laquelle il n'était plus salarié de la société Tidec mais encore administrateur de cette société ; que ces négociations entamées sous couvert de la société Tidec se sont poursuivies en son nom propre ;
Que la société Tidec est dès lors bien fondée à soutenir que M. Dubois a profité de ses fonctions et agi avec déloyauté dans le but de détourner le client Rezo production au profit de l'activité concurrente qu'il avait créée ;
Qu'il n'est toutefois pas établi par les pièces produites ni que la société Rezo production ait effectivement confié à M. Dubois l'organisation de son festival en 2010, ni surtout que cette société aurait fait appel à la société Tidec pour l'organisation de cette prestation, si M. Dubois s'était abstenu de tout agissement déloyal ; que le fait que la société Tidec ait déjà organisé un festival pour la société Rezo production, en juillet 2009, ne lui assurait aucune garantie d'obtenir un nouveau contrat ; que les mails produits aux débats démontrent au contraire qu'à la date du 30 mars 2010, les responsables de la société Rezo production s'interrogeaient sur la possibilité de recourir à une entreprise marocaine pour l'organisation du festival ; que le détournement effectif du client Rezo production n'est dès lors pas établi ;
Que si la société Rezo production parait avoir effectué un virement de 26 090 euros au profit de "Frédéric Dubois pour compte Tickaccess", la date de ce virement, novembre 2011, ne permet pas de le relier à une prestation qui aurait eu lieu en 2010 ;
Qu'il n'est pas davantage établi que M. Dubois aurait commis, au profit ou au travers de la société Tickaccess, des actes de concurrence déloyaux et parasitaires au préjudice de la société Tidec ;
Qu'en effet, la création par M. Dubois de la société Tickaccess ayant une activité concurrente à celle de la société Tidec, en juin 2011, soit à une époque où il avait quitté ses fonctions d'administrateur de la société Tidec ne traduit pas, en elle-même, un comportement déloyal de la part de M. Dubois, libre d'entreprendre toute activité de son choix, y compris une activité concurrente à celle de la société dont il avait antérieurement été salarié, actionnaire et administrateur ; que le fait que la société Tickaccess ait eu pour client en 2011 la société Rezo production, ancien client de la société Tidec, ainsi que cela semble résulter du virement précité, n'est pas davantage de nature à caractériser un acte de concurrence déloyale ; qu'il n'est pas davantage établi que le choix du nom Tickaccess aurait créé ou pu créer une confusion avec le nom commercial 'tickadom' de la société Tidec ;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que la demande de la société Tidec n'est fondée qu'en ce qu'elle porte sur la déloyauté de M. Dubois pour avoir, profitant de ses fonctions d'administrateur de la société Tidec, tenté de détourner un client au profit de son activité concurrente d'auto entrepreneur ;
Que le préjudice subi par la société Tidec sera justement réparé par l'allocation d'une somme de 2 000 euros, toutes causes confondues, étant observé que les difficultés financières rencontrées par la société Tidec sont anciennes et structurelles et ne peuvent être imputées à l'activité d'auto entrepreneur de M. Dubois restée très faible ;
Sur les autres demandes
Considérant que le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux dépens et indemnités de procédure ;
Que l'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile au titre de la procédure d'appel ;
Par ces motifs : Statuant par arrêt contradictoire, Reçoit M. Michel, commissaire à l'exécution du plan de la société Tidec en son intervention volontaire et le met hors de cause en sa qualité d'administrateur judiciaire de la société ainsi que la Selarl SMJ mandataire judiciaire ; Infirme le jugement en ce qu'il a condamné la société Tidec à payer à M. Dubois la somme de 33 987,42 euros, et débouté la société Tidec de sa demande reconventionnelle de dommages-intérêts ; Le confirme pour le surplus Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant, Constate que la créance de M. Dubois au titre de son compte courant a été admise au passif de la société Tidec par le juge commissaire ; Condamne M. Dubois à payer à la société Tidec la somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts pour concurrence déloyale, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt et capitalisation dans les conditions de l'article 1154 du Code civil ; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile et rejette les demandes sur ce fondement ; Dit que chacune des parties conservera la charge des dépens exposés en appel.