ADLC, 11 juin 2013, n° 13-D-14
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Décision
Relative à des pratiques mises en œuvre dans le cadre de relations entre des vétérinaires et les sociétés protectrices des animaux (SPA) en région Alsace
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré sur le rapport oral de M. Nicolas Le Broussois, rapporteur, , l'intervention de M. Umberto Berkani, rapporteur général adjoint, par M. Patrick Spilliaert, vice-président, président de séance, Mmes Reine-Claude Mader-Saussaye, Pierrette Pinot, MM. Thierry Tuot, Jean-Philippe Cotis, membres.
L'Autorité de la concurrence (section V),
Vu la décision n° 09-SOI-04 du 17 juin 2009, enregistrée sous le numéro 09-0087 F, par laquelle l'Autorité de la concurrence s'est saisie d'office de pratiques mises en œuvre dans le cadre de relations entre des vétérinaires et les sociétés protectrices des animaux (SPA) dans la région Alsace, à la suite de la lettre adressée par le ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi au titre de l'article L. 450-5 du Code de commerce ; Vu la décision de la rapporteure générale en date du 11 octobre 2012 prise en application de l'article L. 463-3 du Code de commerce, et disposant que l'affaire sera examinée par l'Autorité sans établissement préalable d'un rapport ; Vu le livre IV du Code de commerce et notamment son article L. 420-1 ; Vu les observations présentées par le Conseil régional de l'Ordre des vétérinaires d'Alsace, le syndicat national des vétérinaires d'exercice libéral - Section du Bas-Rhin (SNVEL 67) et le syndicat départemental des vétérinaires d'exercice libéral du Haut-Rhin (SDVEL 68), d'une part, et par le commissaire du Gouvernement, d'autre part ; Vu les autres pièces du dossier ; Le rapporteur, le rapporteur général adjoint, le commissaire du Gouvernement et les représentants du Conseil régional de l'Ordre des vétérinaires d'Alsace, du syndicat national des vétérinaires d'exercice libéral - Section du Bas-Rhin (SNVEL 67) et du syndicat départemental des vétérinaires d'exercice libéral du Haut-Rhin (SDVEL 68) entendus lors de la séance du 23 avril 2013 ;
Adopte la décision suivante :
I. Constatations
A. LE SECTEUR ET LES PARTIES EN CAUSE
1. LA PROFESSION DE VÉTÉRINAIRE
a) Données générales relatives à la profession
1. Au 31 décembre 2011, le nombre de vétérinaires inscrits à l'Ordre national des vétérinaires français s'élevait à 16 351, selon le rapport annuel 2011 dudit Ordre. Il existe trois grandes catégories de professionnels : les vétérinaires dits " urbains ", spécialisés dans les soins aux animaux de compagnie, les vétérinaires dits " ruraux ", spécialisés dans les soins aux animaux de rente (bovins, ovins, caprins, etc.), et les vétérinaires dits " équins ", spécialisés dans les soins aux chevaux de sport et de loisirs. Ces trois catégories représentaient respectivement 64 %, 26 % et 3,5 % des effectifs de la profession en 2010 (cote 1137).
2. Plus de 90 % des vétérinaires exercent leur activité à titre libéral, dont 24 % en exercice individuel, 44 % en association et 29 % sous le statut d'adjoint/remplaçant (cote 1137). Les sociétés d'exercice libéral (SEL) et les sociétés civiles professionnelles (SCP) représentent plus de 80 % du nombre total des sociétés de vétérinaires (cote 1183).
3. Sur le plan géographique, les effectifs sont concentrés dans les régions les plus peuplées. Les régions Ile-de-France, Rhône-Alpes et Provence-Alpes Côte d'Azur concentrent ainsi à elles seules près du tiers des effectifs de la profession. En 2009, la région Alsace comptait quant à elle 367 vétérinaires, soit 2,2 % des effectifs (étude Xerfi 700 de septembre 2011, cote 1185).
b) Les prestations fournies par les vétérinaires
4. Le cœur de métier des vétérinaires réside dans la pratique de la médecine et de la chirurgie animale qui inclut un certain nombre de prestations connexes telles que la vaccination et l'identification (puçage et tatouage). A côté de cette activité principale, les vétérinaires interviennent également dans la vente au détail de médicaments, d'aliments et d'accessoires pour animaux.
5. Certains vétérinaires sont en outre amenés à intervenir auprès des animaux recueillis par les sociétés protectrices des animaux (ci-après " SPA "). Ces interventions peuvent prendre différentes formes. Les praticiens interviennent d'abord de façon régulière, à la demande des SPA, sur les animaux qui se trouvent en attente d'adoption. Les actes pratiqués, de nature variée (vaccination, identification, stérilisation, etc.), sont exécutés le plus souvent au sein même du refuge de la SPA mais peuvent l'être au cabinet du praticien le cas échéant. Les soins vétérinaires sont réglés directement au vétérinaire par la SPA concernée.
6. Les vétérinaires sont ensuite susceptibles d'intervenir sur des animaux après leur départ du refuge de la SPA. C'est principalement le cas des animaux ayant été adoptés mais qui étaient trop jeunes au moment de l'adoption pour subir certaines interventions, telle une stérilisation.
c) Le cadre légal d'exercice de la profession de vétérinaire
7. L'exercice de la profession de vétérinaire est régi en droit interne par les articles L. 241-1 et suivants et D. 241-1 et suivants du Code rural et de la pêche maritime (ci-après le " Code rural ").
Les dispositions relatives à l'accès à la profession
8. L'entrée dans la profession est subordonnée à la possession d'un diplôme français d'Etat de docteur vétérinaire ou d'un diplôme reconnu équivalent pour les ressortissants de l'Union européenne et de l'Espace économique européen (art. L. 241-1).
9. L'exercice de cette profession est soumis à l'inscription au tableau de l'Ordre des vétérinaires. Les vétérinaires qui demandent leur inscription au tableau de l'Ordre doivent communiquer au conseil régional de l'Ordre dont ils relèvent le diplôme ouvrant droit à l'exercice de cette profession (art. L. 242-4).
10. L'article L. 243-4 du Code rural prévoit que " l'exercice illégal de la médecine ou de la chirurgie des animaux est puni de deux ans d'emprisonnement et d'une amende de 30 000 euros ".
Les règles déontologiques applicables aux vétérinaires
11. Les règles déontologiques de la profession de vétérinaire sont précisées par le décret n° 2003-967 du 9 octobre 2003 portant Code de déontologie vétérinaire dont les dispositions figurent aux articles R. 242-32 et suivants du Code rural. Ces règles portent notamment sur l'exercice de l'art vétérinaire proprement dit (établissement du diagnostic, principes applicables en matière de prescription de médicaments, etc.) et sur les devoirs du vétérinaire à l'égard de ses confrères et de sa clientèle.
12. L'article R. 242-47 du Code rural précise que " [l]a clientèle du vétérinaire est constituée par l'ensemble des personnes qui lui confient à titre habituel l'exécution d'actes relevant de cet exercice. Le détournement ou la tentative de détournement de clientèle est interdit. Le vétérinaire doit s'abstenir de tout acte de concurrence déloyale à l'égard de ses confrères ". L'article R. 242-48 du Code rural précise également que " [l]e vétérinaire doit respecter le droit que possède tout propriétaire ou détenteur d'animaux de choisir librement son vétérinaire ".
13. L'article R. 242-49 du même Code dispose que " [l]a rémunération du vétérinaire ne peut dépendre de critères qui auraient pour conséquence de porter atteinte à son indépendance ou à la qualité de ses actes de médecine vétérinaire. [...] Les honoraires du vétérinaire sont déterminés avec tact et mesure en tenant compte de la nature des soins donnés et des circonstances particulières. [...] Toutes pratiques tendant à abaisser le montant des rémunérations dans un but de concurrence sont interdites au vétérinaire dès lors qu'elles compromettent la qualité des soins. [...] La facturation d'un acte en fonction du résultat est interdite. Le vétérinaire peut ne pas demander d'honoraires à ses clients démunis de ressources suffisantes ".
14. Enfin, l'article R. 242-50 du même Code précise qu' " [i]l est interdit de donner des consultations gratuites ou payantes dont peut tirer un bénéfice moral ou matériel une personne physique ou morale non habilitée légalement à exercer la profession vétérinaire et extérieure au contrat de soin.
Seules font exception aux dispositions du précédent alinéa les associations dont l'objet est la protection des animaux et qui sont habilitées par les dispositions du VI de l'article L. 214-6 à gérer des établissements dans lesquels les actes vétérinaires sont dispensés aux animaux des personnes dépourvues de ressources suffisantes. Ces actes sont gratuits. Les vétérinaires exerçant dans ces établissements ne peuvent être rétribués que par ceux-ci ou par l'association qui les gère, à l'exclusion de toute autre rémunération. Ils doivent obtenir des engagements pour le respect des dispositions qui précédent sous la forme d'un contrat qui garantit en outre leur complète indépendance professionnelle.
Ce contrat doit être communiqué au conseil régional de l'ordre qui vérifie sa conformité avec les prescriptions de la présente section ".
2. LES PARTIES CONCERNÉES
a) Le conseil régional de l'ordre des vétérinaires d'Alsace
15. L'Ordre national des vétérinaires regroupe l'ensemble des vétérinaires en activité en France qui satisfont aux conditions légales d'exercice. Il est administré par un conseil supérieur et par vingt conseils régionaux. Le conseil supérieur fixe le montant de la cotisation annuelle versée par les membres de l'Ordre, soit 300 euros en 2010 (cote 1132).
16. Le conseil régional de l'Ordre des vétérinaires (CROV) d'Alsace est situé à Strasbourg dans le département du Bas-Rhin. Selon son président, cette instance regroupe environ 220 membres (cote 675).
17. Le bureau du CROV d'Alsace est constitué d'un président, d'un vice-président, d'un secrétaire général et d'un trésorier. Dans son ressort territorial, le CROV exerce trois fonctions principales :
- une fonction administrative consistant dans l'enregistrement des diplômes, l'établissement et la révision du tableau de l'Ordre ;
- une fonction disciplinaire consistant dans la répression des manquements des vétérinaires aux devoirs de la profession, le conseil supérieur constituant l'instance d'appel des décisions rendues par la chambre de discipline du conseil régional ;
- une fonction générale de veille et de surveillance portant sur les conditions d'exercice des activités vétérinaires et sur l'application des textes législatifs et réglementaires relatifs à la profession.
b) Les syndicats des vétérinaires d'exercice libéral du Bas-Rhin et du Haut-Rhin
18. Le syndicat national des vétérinaires d'exercice libéral (SNVEL) est la principale organisation professionnelle vétérinaire au plan national. Il est issu de la fusion en 1994 du syndicat national des vétérinaires praticiens français et du syndicat national des vétérinaires urbains. Il a pour objet principal la défense des intérêts professionnels, moraux et matériels de ses membres ainsi que la promotion de l'image de la profession.
19. Le SNVEL dispose de représentations au niveau départemental. Il s'agit, en Alsace, du syndicat national des vétérinaires d'exercice libéral - Section du Bas-Rhin (SNVEL 67) et du syndicat départemental des vétérinaires d'exercice libéral du Haut-Rhin (SDVEL 68).
20. En 2011, le SNVEL 67 comptait selon sa présidente environ 25 adhérents (cote 1074), soit 10 % des praticiens en activité pour le département du Bas-Rhin. Pour sa part, le SDVEL 68 comptait, selon son président, 25 adhérents sur environ 100 vétérinaires pour le département du Haut-Rhin (cote 642). Le montant de la cotisation annuelle était de 48 euros pour le SNVEL 67 (cote 695) et de 61 euros pour le SDVEL 68 (cote 1079).
c) Les sociétés protectrices des animaux (SPA)
21. Il existe deux types de réseaux de SPA en France : le réseau de la SPA historique, dite " de Paris ", constitué de 56 refuges, 12 dispensaires et 16 délégations en France, d'une part, et le réseau de la Confédération nationale des SPA de France (CNSPAF) fondé en 1926, qui regroupe 251 associations de type loi 1901, d'autre part. La " SPA de Paris " et la CNSPAF ont été reconnues d'utilité publique respectivement par décrets du 22 décembre 1860 et du 1er septembre 1990.
22. Aux termes du II de l'article L. 214-6 du Code rural, " [o]n entend par refuge un établissement à but non lucratif géré par une fondation ou une association de protection des animaux désignée à cet effet par le préfet, accueillant et prenant en charge des animaux soit en provenance d'une fourrière à l'issue des délais de garde fixés aux articles L. 211-24 et L. 211-25, soit donnés par leur propriétaire ".
23. En outre, le VI de l'article L. 214-6 du Code rural précise que, " [s]eules les associations de protection des animaux reconnues d'utilité publique ou les fondations ayant pour objet la protection des animaux peuvent gérer des établissements dans lesquels les actes vétérinaires sont dispensés gratuitement aux animaux des personnes dépourvues de ressources suffisantes ".
24. Les ressources des SPA proviennent pour l'essentiel des cotisations de leurs membres, de dons, des versements effectués par les personnes lors de l'adoption d'un animal et de la rémunération qu'elles tirent de leur activité de fourrière.
25. Les refuges gérés par les SPA ont vocation à accueillir les animaux abandonnés ou maltraités par leurs propriétaires en vue de leur adoption. De fait, ils servent le plus souvent de fourrière communale et accueillent à ce titre les animaux trouvés errants ou en état de divagation sur le territoire des communes environnantes. Lorsque ces animaux n'ont pas été réclamés par leur propriétaire à l'issue d'un délai de huit jours, ils deviennent en principe la propriété de la SPA (article L. 211-25 du Code rural) qui peut alors les proposer à l'adoption.
26. Les frais vétérinaires représentent une part importante de leur budget. A titre illustratif, en 2007, ces frais se sont élevés pour la SPA de Saverne à environ 76 000 euros, pour un budget global d'un peu plus de 146 000 euros (cote 100). Pour sa part, la SPA de Colmar a consacré aux soins vétérinaires un budget de l'ordre de 130 000 euros en 2008, pour des recettes s'élevant à 280 000 euros selon les déclarations de sa présidente (cote 578).
27. La région Alsace compte six SPA. Elles sont implantées, pour le département du Bas-Rhin, à Strasbourg, Saverne et Haguenau et, pour le département du Haut-Rhin, à Colmar, Mulhouse et Ebersheim, cette dernière dite " SPA de Moyenne-Alsace " étant implantée à Lièpvre jusqu'en mai 2010 (cote 950). Ces SPA sont toutes affiliées au réseau de la CNSPAF, à l'exception de la SPA de Saverne constituée en association indépendante depuis 2008 (cote 77).
B. LES PRATIQUES RELEVÉES
28. Les pratiques relevées dans la présente affaire portent, pour certaines, sur un dispositif conventionnel organisant les relations entre les vétérinaires et la SPA de Strasbourg (1), tandis que d'autres visent à étendre le volet tarifaire de ce dispositif à l'ensemble des SPA présentes en Alsace (2).
1. LES PRATIQUES RELEVÉES DANS LES RELATIONS AVEC LA SPA DE STRASBOURG
29. Jusqu'en 1991, les soins vétérinaires réalisés sur les animaux de la SPA de Strasbourg étaient assurés par un seul et même praticien qui intervenait au refuge à raison d'une demi-journée par semaine. Le nombre croissant d'animaux recueillis a conduit la SPA de Strasbourg à souhaiter l'intervention de vétérinaires supplémentaires (cote 1621).
30. C'est dans ce contexte qu'une " charte " a été mise en place pour organiser l'intervention des vétérinaires sur les animaux recueillis au sein de cette SPA. Cette charte prévoit l'application d'une grille tarifaire unique pour les soins vétérinaires, d'une part (a), et un système de rotation sur l'année pour l'intervention des vétérinaires, d'autre part (b).
a) L'application d'une grille tarifaire unique pour les soins vétérinaires
31. Un accord, dénommé " charte ", est entré en vigueur entre la SPA de Strasbourg et certains vétérinaires installés dans cette agglomération, à compter du 1er février 1991. Cette charte visait à établir une tarification unique d'un certain nombre d'actes et interventions vétérinaires réalisés sur des animaux abrités par la SPA avant leur adoption, d'une part, et de certains soins réalisés par l'un des vétérinaires adhérents à la charte postérieurement à l'adoption sur la base d'un " bon " remis par la SPA lors de l'adoption, d'autre part. Enfin, cette charte prévoyait la délivrance d'un " bon " remis aux personnes sans ressources pour la stérilisation de leurs animaux ne provenant pas de la SPA auprès d'un des vétérinaires partie à la charte (cotes 633 et 634, cotes 293 et suivantes).
32. Interrogé par les agents de la DGCCRF, le 15 janvier 2009, sur l'origine de cette charte, le président du CROV d'Alsace depuis 2002 s'est exprimé en ces termes : " Je participe en effet au fonctionnement de cette charte depuis son élaboration en 1991. (...) Je confirme que cette charte, souhaitée par la SPA de Strasbourg pour répondre à sa demande de soins, rassemblait à l'origine une vingtaine de vétérinaires du secteur ayant volontairement adhéré à ce dispositif conventionnel et représenté par le SNVF - Section du Bas-Rhin. (...) Le SNVF 67 puis, à compter de 1994, le SNVEL 67 (Syndicat National des Vétérinaires d'Exercice Libéral du Bas-Rhin) qui résulte de la fusion du SNVU et du SNVF, ont successivement organisé et géré le fonctionnement de cette charte au nom de l'ensemble des vétérinaires adhérents, aujourd'hui au nombre de 33 (...). Aucune association des vétérinaires adhérents n'a été constituée, à l'origine, pour administrer cet accord, lequel n'a pas fait non plus l'objet d'un contrat signé de la part de ces adhérents. Il en a été de même ensuite, et jusqu'à ce jour, pour tout nouvel entrant qui informait simplement le syndicat de son intention de participer au fonctionnement de cette charte avec la SPA de Strasbourg (...) " (cote 676). Ainsi, l'adhésion des vétérinaires à la charte ne supposait de leur part aucune démarche formelle.
33. Le président du CROV d'Alsace a également précisé ses déclarations, le 14 décembre 2011, en ces termes : " La SPA travaillait à l'origine avec un ou deux vétérinaires qui ne pouvaient pas assumer l'ensemble de la charge de travail. La profession vétérinaire est une petite communauté. Les vétérinaires ont été sollicités pour adhérer à cette charte et tout le monde a donné son accord pour intervenir auprès de la SPA de Strasbourg " (cote 1068).
34. Quant au contenu de cette charte, il a indiqué, lors de son audition le 15 janvier 2009, que " [c]et accord précise les différents types d'interventions effectuées dans cette SPA et fixe les prix des soins et actes rendus chaque mardi matin et chaque vendredi matin aux animaux abrités dans ce refuge par les vétérinaires ayant adhéré à cette charte. Il mentionne également les tarifs des prestations susceptibles d'être exécutées sur des animaux, après adoption dans cette SPA, à partir d'un "bon" (vaccin et stérilisation ultérieure de chatons trop jeunes) et sur des animaux dont les propriétaires sont des personnes indigentes ainsi que sur des chats errants (stérilisation) " (cote 677).
35. De même, lors de son audition le 20 janvier 2009, la présidente du SNVEL 67 a confirmé que, " cet accord est très ancien et que son dispositif n'a jamais nécessité une inscription à l'ordre du jour de nos réunions. En effet, sa gestion courante est directement assurée par les membres du bureau du SNVEL 67 qui exercent sur le secteur de Strasbourg et son agglomération. Un membre du bureau est ainsi spécialement chargé des relations entre notre syndicat et la SPA de Strasbourg et gère le fonctionnement de cette charte. (...) Cette charte n'a jamais posé aucun problème au cours de toutes ces années et a surtout permis d'assurer un bon climat confraternel entre les vétérinaires du secteur de Strasbourg " (cotes 695 et 696).
36. Pour sa part, le Dr. D., ancien président du SNVEL 67, a précisé lors de son audition, le 6 novembre 2008, que " [c]ette charte a été élaborée à l'origine par le conseil régional de l'ordre des vétérinaires (...). Les tarifs de cette convention sont régulièrement réactualisés. Ces tarifs sont établis par le syndicat des vétérinaires du Bas-Rhin chargé de représenter l'ensemble des vétérinaires. Le syndicat fixe les montants des différentes prestations après négociations avec la SPA de Strasbourg. Le conseil régional de l'ordre des vétérinaires impose a priori la signature de la charte pour entente avec la SPA. Tout vétérinaire du Bas-Rhin peut y adhérer. Un vétérinaire qui ne souhaiterait pas adhérer à cette convention ne pourrait pas intervenir auprès de la SPA de Strasbourg " (cote 273). Il a en outre confirmé le champ d'application de cette charte telle que décrit par le président du CROV d'Alsace ci-avant.
37. Auditionnées le 14 décembre 2011, la présidente du SNVEL 67 et la chargée des relations avec la SPA de Strasbourg au sein du SNVEL 67 ont déclaré ce qui suit : " [à] Strasbourg il n'y a que peu de vétérinaires qui n'adhèrent pas à la charte. Ceux qui n'adhèrent pas à la charte sont des vétérinaires qui ne souhaitent pas avoir les contraintes liées aux interventions en SPA à des prix qui sont très inférieurs aux tarifs habituels. Le SNVEL 67 n'intervient pas dans l'élaboration et la réévaluation de la charte contrairement à ce que déclare le docteur D. C'est la SPA qui se charge de la réévaluation de la charte. C'est la SPA de Strasbourg qui ne souhaite pas travailler avec les vétérinaires qui n'adhèrent pas à la charte car elle devrait payer un prix normal qui est très supérieur à celui de la charte " (cote 1075).
38. En pratique, la grille tarifaire a été strictement appliquée par les vétérinaires adhérents. A cet égard, le président de la SPA de Strasbourg depuis 2003 a déclaré que, " [e]n ce qui concerne l'accord des vétérinaires de l'agglomération de Strasbourg pour les interventions exécutées au sein de notre SPA, je tiens à préciser que les prix facturés à notre association (...) ont toujours été ceux mentionnés au niveau de la tarification de la convention " (cote 822). Le Dr B., président du CROV d'Alsace, a confirmé que " les vétérinaires adhérents ont toujours scrupuleusement respecté (...) la tarification en vigueur. (...) A l'issue de leur service à la SPA, les vétérinaires transmettent directement leur facture pour règlement à cette association, sur la base des tarifs repris dans la charte. Des aménagements à la tarification prévue par la charte peuvent être envisagés en raison des modalités des interventions, d'une chirurgie plus lourde par exemple, mais il convient alors qu'un accord préalable soit obtenu de la SPA " (cote 677).
39. Concernant le système des " bons " délivrés par la SPA aux adoptants, le président du CROV d'Alsace a expliqué lors de son audition, le 14 décembre 2011, que, " lorsque l'animal est trop jeune pour être opéré au moment de son adoption, la SPA fait un bon pour l'adoptant chez le vétérinaire de son choix (mention précisée sur le bon) qui se fait rémunérer par ce bon. La prestation que nous effectuons pour des clients amenant des animaux adoptés est facturée à un prix très inférieur à ceux de nos clients habituels " (cote 1068).
40. Pour leur part, la présidente du SNVEL 67 et la chargée des relations avec la SPA de Strasbourg ont déclaré lors de leur audition, le 14 décembre 2011, que " cette activité est marginale et l'acte n'est pas rémunérateur. Il s'agit souvent de clients que nous connaissions auparavant. Les bons vont chez l'ensemble des vétérinaires, syndiqués ou non, adhérents à la charte ou non, installés dans la région strasbourgeoise ou ailleurs " (cote 1075).
41. Depuis l'instauration de la charte, cette tarification a été revalorisée à plusieurs reprises sous l'impulsion du SNVEL 67. Le président de la SPA de Strasbourg a expliqué que " [l]a tarification de cette convention est régulièrement revalorisée à l'initiative du syndicat des vétérinaires du Bas-Rhin et notamment des docteurs B. et S. qui me transmettent ensuite les prix applicables à ces prestations et actes. Je n'interviens aucunement dans ce dispositif tarifaire (...) " (cote 626).
42. Le président du CROV d'Alsace a confirmé que " [l]es prix de cette charte ont été régulièrement réactualisés, à l'instigation du SNVF 67 puis du SNVEL 67. Après le départ en retraite du docteur D. M. en 2003, le docteur J-P. S. [chargé des relations avec la SPA de Strasbourg au sein du SNVEL 67] et moi-même avons été chargés, par le SNVEL 67, de procéder périodiquement (tous les deux ans) aux réajustements tarifaires de cette convention puis de remettre cette nouvelle tarification au Président de la SPA de Strasbourg dans le cadre d'une visite effectuée au refuge. Pour la période récente, je me souviens de hausses intervenues au 01/01/2002 lors du passage à l'euro, puis au 01/01/2003, 01/01/2005 et 01/01/2007. Avec le récent départ en retraite du docteur S., ces négociations tarifaires ont été confiées au docteur M. G. et à moi-même. Il est à noter que le principe d'une nouvelle augmentation avait d'ailleurs été convenu pour le 01/01/2009 mais cette initiative a été ajournée suite à vos investigations " (cote 677).
43. Les pièces versées au dossier attestent que la charte a été mise à jour en 2002 (cote 633), en 2003 (cote 282), en 2005 (cote 286) et en 2007 (cote 196). Ces versions successives portent l'en-tête du SNVEL 67. Un exemplaire de la version applicable à compter du 1er janvier 2007 portant l'en-tête du CROV d'Alsace a également été recueilli au cours de l'instruction (cote 196).
b) L'organisation d'un système de rotation sur l'année pour l'intervention des vétérinaires
44. Outre l'application d'une grille tarifaire unique pour les soins vétérinaires dispensés aux animaux appartenant à la SPA de Strasbourg, la charte organisait un système de rotation entre les vétérinaires adhérents pour la prise en charge de ces interventions au rythme de deux matinées par semaine.
45. A titre d'exemple, la mention suivante apparaît sur la version de la charte pour l'année 2007 : " rythme : les mardis et vendredis matin. Un vétérinaire à tour de rôle suivant la liste établie en début d'année, chaque confrère ne pouvant assurer son service doit trouver lui-même un autre confrère sur la liste pour le remplacer et doit en avertir la SPA " (cote 196). Cette rotation est restée constante depuis la mise en place de la charte, comme l'atteste la charte pour l'année 1991 (cote 633).
46. Selon les différentes déclarations recueillies au cours de l'instruction, le calendrier annuel de rotation était établi à l'initiative du SNVEL 67. Interrogé le 15 janvier 2009, le président du CROV d'Alsace a expliqué que, " [c]ette charte organise en outre la rotation des vétérinaires intervenant auprès de la SPA de Strasbourg, suivant un calendrier fixé avant chaque début d'année à l'initiative du Syndicat National des Vétérinaires Français - Section du Bas-Rhin puis du Syndicat National des Vétérinaires d'Exercice Libéral du Bas-Rhin (SNVEL 67). (...) Depuis l'instauration de cette convention, les vétérinaires adhérents ont toujours scrupuleusement respecté la rotation définie en début d'année ainsi que la tarification en vigueur. C'est ainsi que chaque vétérinaire ne pouvant assurer son service doit trouver lui-même un autre confrère sur la liste des adhérents pour le remplacer et en avertir le refuge " (cote 677).
47. Le Dr D., membre du bureau du SNVEL 67, a également confirmé que, " [l]e calendrier est fixé avant chaque début d'année par le syndicat des vétérinaires du Bas-Rhin " (cote 273). Le président de la SPA de Strasbourg a abondé en ce sens, déclarant que la rotation des vétérinaires adhérents était assurée " au travers d'un calendrier prévisionnel établi par les professionnels et notamment le docteur S. " (cote 625).
48. En pratique, les vétérinaires adhérents, au nombre de 33 en 2008, ont chacun pris en charge trois matinées d'intervention ainsi que l'atteste le calendrier annuel correspondant établi à cette fin (cotes 858 et 859).
2. LES PRATIQUES VISANT À ÉTENDRE L'APPLICATION D'UNE GRILLE TARIFAIRE UNIQUE À L'ENSEMBLE DES SPA D'ALSACE
49. Au premier semestre 2004, la SPA de Haguenau dans le département du Bas-Rhin et l'Ecole du chat libre des Vosges du Nord située à Niederbronn-les-Bains ont lancé une opération " stérilisation des chats " pour encourager les propriétaires de chats à faire stériliser leur animal en retirant auprès d'eux un bon " à prix cassé " (réduction de l'ordre de 40 à 50 %) pour la réalisation de cette intervention (cote 334).
50. Selon le Dr. F, vétérinaire à Haguenau, cette action menée sans concertation préalable avec les vétérinaires a été mal reçue par ces derniers. Selon ses déclarations, " ces tarifs ont été jugés comme anormalement bas et ne convenaient pas aux vétérinaires et au CROV. Cette campagne a motivé le CROV à monter une réunion avec les représentants de la SPA de Haguenau afin notamment de mettre fin aux pratiques des bons établis en dehors d'une convention " (cote 304). La SPA de Saverne dans le département du Bas-Rhin a mis en place l'année suivante une opération similaire en délivrant des bons à tarifs préférentiels aux personnes adoptant un animal dans son refuge (cote 677).
51. C'est dans ce contexte que le CROV d'Alsace a souhaité étendre à ces deux SPA, puis aux trois autres SPA de la région, la grille tarifaire appliquée à la SPA de Strasbourg pour les actes exécutés sur la base d'un " bon SPA ".
52. Les conventions qui ont été adressées aux SPA par le CROV d'Alsace en vue de la transposition du dispositif strasbourgeois montrent effectivement que seules les interventions exécutées sur la base d'un " bon SPA ", c'est-à-dire essentiellement sur des animaux après leur adoption, étaient concernées. A titre d'exemple, la convention élaborée pour organiser les relations entre la SPA de Colmar et les vétérinaires du Haut-Rhin incluait la formule suivante : " Le vétérinaire pourra, s'il consent à participer à l'action d'aide à la protection animale, accepter en guise de paiement les bons établis par la SPA d'où provient l'animal après adoption et appliquer les tarifs prévus par cette convention " (cote 463).
53. S'agissant des soins aux animaux du refuge en attente d'adoption, les conventions ne fixaient pas de tarifs minimaux même si, dans l'esprit de certains vétérinaires, les soins dispensés au refuge auraient dû être facturés sur la base des tarifs mentionnés dans la charte qui organisait les relations entre les vétérinaires et la SPA de Strasbourg. Ainsi, le Dr. F, vétérinaire à Haguenau, a déclaré que, " [p]our les autres prestations réalisées auprès de la SPA, la charte n'aura pas lieu d'être, même si les tarifs seront globalement les mêmes que ceux fixés dans la convention. Une fois que la convention sera signée, nous essaierons d'appliquer le même tarif pour les autres prestations réalisées auprès de la SPA " (cote 305).
54. Interrogé le 15 janvier 2009, le président du CROV a confirmé que " le conseil régional de l'ordre des vétérinaires a souhaité proposer le dispositif conventionnel mis en place avec succès à la SPA de Strasbourg à d'autres SPA et diverses initiatives ont ainsi été menées au cours de ces deux dernières années " (cote 678).
Les premières manifestations de la volonté du CROV d'Alsace d'étendre la grille tarifaire unique à l'échelle de la région Alsace
55. La première manifestation de cette volonté d'extension réside dans un courrier en date du 12 décembre 2006, signé par le trésorier du CROV d'Alsace, et adressé à l'ensemble des vétérinaires du Bas-Rhin, dont un extrait est reproduit ci-après :
" Le conseil régional de l'Ordre vous adresse ci-joint pour information un exemplaire de la convention mise en place avec la SPA de Strasbourg, ouverte à tous les vétérinaires de la région. Les soins aux animaux adoptés (...) se font par l'intermédiaire de bons remis par la SPA à l'adoptant. Cette convention respecte le libre choix du vétérinaire par l'adoptant, aussi nous vous invitons à honorer ces bons aux conditions indiquées. Ces tarifs ont été évalués au plus juste pour respecter l'obligation de qualité des soins prévue dans l'article R. 242-49 du Code de déontologie. D'une manière plus générale, le conseil régional de l'Ordre vous demande d'appliquer ces conditions à toutes les associations de protection animale " (cote 142).
56. Dans un courriel en date du 22 février 2007, le président du CROV d'Alsace répond au message d'un vétérinaire du Haut-Rhin en ces termes : " [t]u devances nos intentions qui sont de faire admettre à toutes les associations de protection un tarif unique lors de la sortie des animaux du refuge pour tous les adoptants chez n'importe quel vétérinaire et pour toutes les associations de protection animale (APA). Nous avons commencé par Strasbourg, nous en sommes à Saverne et Haguenau avant de nous attaquer (!) au 68 " et précise encore " attention à cette notion d'APA d'utilité publique, sinon nous sommes en infraction avec l'administration des fraudes pour entente tarifaire (ce qui est un délit lourdement puni !) " (cote 658).
57. Ce projet d'uniformisation tarifaire des bons remis aux adoptants a été abordé à plusieurs reprises lors de réunions du CROV d'Alsace, comme l'attestent les comptes-rendus des réunions du 4 mai et du 8 juin 2007. Dans le premier de ces comptes-rendus, il est précisé que " le but est de mettre les tarifs des différentes SPA sur un même niveau (...) Il faut envoyer à toutes les associations, ainsi qu'à tous les vétos, 67 et 68, les tarifs de la SPA de Strasbourg comme base de travail - ce tarif pourrait être appliqué partout (...) " (cotes 186 et 201).
58. Le 12 septembre 2007, le président du CROV d'Alsace a adressé à l'ensemble des SPA de la région un courrier qui comporte, sous une rubrique intitulée " après l'adoption des animaux ", les développements suivants :
" le CRO Alsace a imaginé d'étendre à l'ensemble de la région ce qui se fait déjà avec succès à Strasbourg depuis une douzaine d'années : les tarifs des soins ou stérilisation après l'adoption font l'objet d'une discussion annuelle. Le CRO Alsace signe au nom et place de l'ensemble des vétérinaires de la région. Nous souhaitons vivement étendre ce système à toute l'Alsace : les tarifs sont justes et adaptés - ils permettent de conserver une excellente qualité des soins. Par la suite, le conseil de l'Ordre diffusera à chaque vétérinaire et dans toute la région la nouvelle convention. Chaque vétérinaire sera évidemment libre d'adhérer ou non à cette convention. De leur côté les SPA préciseront aux adoptants de s'informer auprès de leur vétérinaire de la possibilité d'utiliser les bons ou non. Il est bien sûr possible pour un vétérinaire de faire preuve de générosité et c'est heureux : il appliquera alors l'article R. 242-50 en faisant ses actes gratuits. Par contre, tout acte qui serait réalisé en dessous du tarif désigné sera ensuite considéré comme tarif d'appel et constituerait une tentative de détournement de clientèle et le vétérinaire pourrait être poursuivi devant la chambre de discipline d'Alsace. Aussi nous vous proposons de rencontrer une délégation du conseil régional de l'ordre d'Alsace afin de mettre en place ce contrat avec l'ensemble des vétérinaires des 2 départements " (cotes 222 et 223).
59. Dans une lettre en date du 13 décembre 2007 adressée aux vétérinaires de l'agglomération d'Haguenau, la vice-présidente du CROV d'Alsace a insisté sur le fait que : " le président de l'ordre rappelle que les vétérinaires qui accepteraient des bons sous-tarifés se verraient poursuivis d'office par lui pour détournement de clientèle. Ceci avait déjà été dit dans la lettre envoyée en décembre 2006 ; l'ordre aimerait qu'une convention entre lui et toutes les SPA permette la réalisation concrète de ce qui doit être fait " (cote 341).
60. Enfin, dans un courrier en date du 24 février 2008 adressé aux directrices des SPA de Saverne, d'Haguenau et de Colmar, le secrétaire général du CROV d'Alsace a, pour sa part, rappelé que " [l]e conseil régional de l'ordre des vétérinaires d'Alsace entend (...) encourager le plus grand nombre de confrères alsaciens à signer une charte avec la SPA de leur région et contribuer ainsi à la protection et à la "cause animale". Mais il ne validera pas de charte mentionnant des tarifs inférieurs à ceux négociés au plus juste dans la charte élaborée pour la société protectrice des animaux de Strasbourg et poursuivra systématiquement en chambre de discipline les confrères qui pratiqueraient une politique dangereuse en acceptant des bons émis par une société protectrice des animaux sans convention avec le conseil régional de l'ordre des vétérinaires d'Alsace " (cote 225).
61. A l'initiative du CROV d'Alsace, deux réunions tripartites associant les représentants de l'ordre, des syndicats et des SPA concernées, ont été organisées. La première a eu lieu le 27 mars 2008 pour le département du Bas-Rhin et la seconde s'est tenue le 16 septembre 2008 pour le département du Haut-Rhin.
La réunion du 27 mars 2008
62. Concernant la réunion du 27 mars 2008 pour le département du Bas-Rhin, le Dr G. s'est exprimé en ces termes :
" Dans le cadre de mes fonctions de chargée de relations entre le SNVEL 67 et la SPA de Strasbourg, j'ai (...) assisté, dans les locaux du cabinet de M. M. (...), à une réunion (...) à l'initiative du Conseil Régional de l'Ordre des Vétérinaires d'Alsace et du SNVEL 67, avec les responsables des trois SPA du Bas-Rhin implantées à Haguenau, Strasbourg et Saverne. M. B. D., Président du CROV d'Alsace, participait à cette réunion. MM. B. et M. ont mené les débats et notamment fait part aux dirigeants de ces associations de la nécessité de mettre en place et signer une telle convention afin d'être en conformité avec le Code de Déontologie de la profession et d'empêcher des détournements de clientèle de la part de certains vétérinaires pouvant occasionner, à leur encontre, des poursuites devant la chambre de discipline de l'Ordre Régional. A l'issue de cette réunion et après un tour de table avec les représentants des SPA, il avait été décidé que les vétérinaires présents seraient chargés de rédiger une proposition de charte à présenter aux différentes SPA. Ces conventions adoptaient une tarification unique sur la base des prix actuellement en vigueur dans la charte avec la SPA de Strasbourg " (cote 525).
63. Le président de la SPA de Strasbourg a confirmé avoir " été effectivement invité par le docteur B. [président du CROV d'Alsace] à une réunion qui s'est déroulée le 27 mars 2008 (...). Cette réunion a été houleuse et, au final, les deux présidentes [des SPA d'Haguenau et de Saverne] ont été contraintes à accepter le principe d'une uniformisation des prix à l'échelle du Bas-Rhin " (cote 627).
64. Interrogé le 15 janvier 2009, le président du CROV d'Alsace, a déclaré avoir " insisté lors de cette réunion sur le fait que les vétérinaires intervenant dans les SPA ne pouvaient se permettre de faire n'importe quoi en qualité de soins " et a expliqué avoir " invité les responsables des SPA de Saverne et Haguenau à adhérer au modèle (...) existant déjà sur la SPA de Strasbourg " (cote 679).
65. Interrogée le 29 septembre 2008, la vice-présidente de la SPA de Saverne a confirmé que l'extension de la charte appliquée à la SPA de Strasbourg était souhaitée par le CROV d'Alsace : " [à] l'occasion d'un courrier du 12 septembre 2007 signé par M. B., Président du Conseil Régional de l'Ordre des Vétérinaires d'Alsace (...) nous avons été informés que la tarification actuelle des soins pouvait engendrer des difficultés, le Code de déontologie de la profession interdisant le détournement de clientèle. L'instance ordinale souhaite donc étendre, sur l'ensemble de la région, le dispositif conventionnel existant déjà sur Strasbourg. Les SPA d'Alsace devraient alors signer un contrat avec le Conseil Régional de l'Ordre qui s'engagerait au nom des vétérinaires alsaciens. Cette convention fixerait l'ensemble de la tarification applicable aux soins dispensés et réglementerait l'utilisation des bons pour intervention vétérinaire. (...) Les prix des prestations figurant dans la convention de Strasbourg sont bien plus élevés que ceux que nous demandons aux vétérinaires de bien vouloir appliquer. (...) Par ailleurs, je suis très mécontente car je refuse à l'Ordre des vétérinaires le droit de nous imposer quoi que ce soit " (cotes 79 et 80).
66. Elle a également précisé que " [la] position du comité de la SPA de Saverne a toujours été très claire sur ce point. Nous ne souhaitions pas ce dispositif conventionnel mais notre présidente au moment des faits, Mme M. B., n'a pas suivi notre décision et s'est rendue à cette réunion organisée par l'Ordre en vue de finaliser cette convention. Cette réunion s'est déroulée le 27 mars 2008 à 20 heures. Mme B. ne nous a jamais informés du contenu de cette réunion ni de sa présence à celle-ci. Notre comité a été informé du contenu de cette réunion par l'arrivée d'un courrier du 15 mai 2008 (dont je vous remets copie) à l'intention de Mme B. qui n'était plus présidente. (...) Il est hors de question pour notre comité que cette convention soit signée et mise en application " (cote 80).
67. L'opposition de la vice-présidente de la SPA de Saverne est expliquée par cette dernière de la manière suivante : " [l]e poste comptable des soins et interventions vétérinaires représente une part importante de nos dépenses et nous y sommes, de ce fait, très attentifs. Or ce poste risque fort de "gonfler" à terme si les préconisations souhaitées par le Conseil Régional de l'Ordre des Vétérinaires d'Alsace devaient prochainement être mises en application. Ceci nous obligerait à augmenter nettement les frais d'adoption dans une situation économique générale peu favorable. [...] La mise en œuvre d'un tel dispositif entraînerait de ce fait une augmentation substantielle de nos dépenses et placerait notre association, dépourvue de moyens financiers, en réel péril car celle-ci repose essentiellement sur le bénévolat et la bonne volonté de personnes qui œuvrent pour la protection animale mais qui ne peuvent que s'essouffler et se décourager face à ces difficultés nouvelles " (cote 79).
68. Dans le prolongement de cette réunion, le Dr M., trésorier du CROV d'Alsace, a effectivement adressé aux SPA de Saverne et d'Haguenau, par courrier en date du 15 mai 2008, un exemplaire de la convention les concernant pour signature. Il ressort des conventions pour l'année 2008 proposée à la SPA de Saverne et à la SPA d'Haguenau, les liant aux vétérinaires du Bas-Rhin représentés par le SNVEL 67, que celles-ci prévoient une " grille de tarification, proposée par le SNVEL 67 " concernant les actes, vaccins et stérilisation des animaux adoptés à la SPA dont les prix sont identiques à ceux prescrits dans la charte mise en œuvre à Strasbourg (cotes 87 à 92 et cotes 245 à 249).
La réunion du 16 septembre 2008
69. Concernant la réunion du 16 septembre 2008 pour le département du Haut-Rhin, la présidente de la SPA de Colmar s'est exprimée en ces termes :
" Cette réunion s'est déroulée le mardi 16 septembre 2008, à 20 heures, à Rouffach (68), dans les locaux du cabinet vétérinaire du docteur J. Je me souviens de la présence de MM. M. et R. pour le Conseil Régional de l'Ordre, de M. S., Président du Syndicat des Vétérinaires du Haut-Rhin, de M. Z. au titre de la SPA de Mulhouse et de moi-même. A ma connaissance, la SPA de Lièpvre n'était pas représentée à cette réunion. Les membres du Conseil de l'Ordre présents se sont montrés particulièrement pressants en faisant part de leur ferme intention d'étendre le dispositif conventionnel existant déjà avec la SPA de Strasbourg à l'ensemble des SPA de la région Alsace " (cote 577).
70. Les déclarations de la présidente de la SPA de Colmar rejoignent celles du président de la SPA de Mulhouse interrogé le 25 février 2009. Un extrait de ses déclarations est reproduit ci-après :
" [c]oncernant votre question sur la volonté de l'ordre régional des vétérinaires de mettre en place une tarification identique pour les interventions exécutées au sein des SPA d'Alsace, je confirme en avoir été informé, notamment (...) à l'occasion d'une réunion qui s'est déroulée au cabinet du docteur J. à Rouffach (68) le 16 septembre 2008. J'y ai été invité par le docteur R. Ce soir-là et après l'exposé du projet par le secrétaire de l'Ordre, j'ai rapidement indiqué que je disposais d'un contrat de soins qui a été présenté à l'Ordre. J'ai alors précisé que je ne souhaitais pas mettre en place le dispositif voulu par l'Ordre (...). Le recours à un tel système tarifaire déjà en vigueur sur Strasbourg ne s'avérerait en effet aucunement profitable à notre association. Après analyse de la tarification qui m'a été communiquée lors de cette réunion, j'ai conclu qu'elle engendrerait une dépense annuelle bien plus importante que celle dont nous bénéficions actuellement avec le docteur P. dans le cadre d'un contrat de soins " (cote 864).
71. Interrogé sur cette réunion, le président du CROV d'Alsace a confirmé que, " au cours de cette réunion, le principe de mise en place d'une convention avec chaque SPA a été discuté avec les responsables des associations présentes à partir de projets de conventions remis par le docteur M. (...). Mme A. pour la SPA de Colmar aurait réservé sa réponse alors que le représentant de Mulhouse faisait mention d'une convention à rémunération forfaitaire mensuelle avec un cabinet vétérinaire du secteur, contrat validé par le C.R.O. d'Alsace. Face au désintérêt des SPA de Colmar et de Mulhouse, il n'a donc pas été donné suite à ce projet " (cote 679).
72. Enfin, interrogé le 15 décembre 2008, le président du SDVEL 68 a fourni les explications suivantes quant au rôle de son syndicat dans la volonté d'étendre le dispositif mis en place à Strasbourg aux SPA du Haut-Rhin :
" Depuis sa création, le S.D.V.E.L 68 n'est jamais intervenu de manière effective dans ce dispositif tarifaire et notre seule et unique intervention est très récente puisqu'elle remonte à l'été 2008 avec la mise en place d'une réunion (...). J'ai été approché, au cours de l'été 2008, par M. P. R lequel m'a rappelé la ferme volonté de fixer une grille de prix sur l'ensemble des SPA des deux départements alsaciens, et m'a fait part de la nécessité, dans ces conditions, de réunir les responsables des trois SPA du Haut-Rhin dans le but de finaliser ce dispositif par la signature d'une charte avec chaque SPA. (...) Au cours de cette réunion, M. M. a développé le dispositif mis en œuvre et remis aux personnes présentes une copie de ces conventions, toutes datées du 16 septembre 2008 à Rouffach, documents à signer et comprenant, en annexe, la grille tarifaire à mettre en application. (...) J'ai accepté l'organisation de cette réunion à Rouffach et l'apposition du sigle du SDVEL 68 sur l'annexe tarifaire à la convention car il s'agissait de la volonté du CROV destinée à éviter d'éventuels détournements de clientèle. (...) Je ne me suis pas ouvertement exprimé lors de cette réunion du fait de la présence des représentants des SPA mais j'ai été pour le moins surpris de l'implication du SDVEL 68 dans cette démarche. J'ai toutefois précisé en fin de réunion que le bureau du SDVEL 68 devait se réunir le 30 septembre 2008 et que cette question y serait débattue (...) " (cotes 643 et 644).
73. Par ailleurs, figure également dans le compte-rendu de la réunion du bureau du CROV d'Alsace du 22 septembre 2008 qui s'est tenu à Riquewihr, la mention suivante " SPA : continuer les propositions de conventions sur le Nord de l'Alsace - Finaliser les dossiers Colmar et Mulhouse " (cote 1317).
C. LES GRIEFS NOTIFIES
74. Le 11 octobre 2012, la rapporteure générale de l'Autorité a notifié les griefs suivants :
" (...) il est fait grief au Conseil régional de l'ordre des vétérinaires d'Alsace :
- d'avoir participé à une entente entre février 1991 et novembre 2008 portant sur la détermination des prix des prestations des vétérinaires dans leurs relations avec la SPA de Strasbourg ;
- d'avoir participé à une entente entre février 1991 et novembre 2008 portant sur la répartition du marché des prestations vétérinaires destinées à la SPA de Strasbourg ;
- d'avoir participé à une entente consistant à étendre la politique tarifaire mise en place avec la SPA de Strasbourg à l'ensemble des SPA de la région Alsace de décembre 2006 à novembre 2008.
(...) il est fait grief au Syndicat national des vétérinaires d'exercice libéral du Bas-Rhin :
- d'avoir participé à une entente entre 1994 et novembre 2008 portant sur la détermination des prix des prestations des vétérinaires dans leurs relations avec la SPA de Strasbourg ;
- d'avoir participé à une entente entre 1994 et novembre 2008 portant sur la répartition du marché des prestations vétérinaires destinées à la SPA de Strasbourg ;
- d'avoir participé à une entente consistant à étendre la politique tarifaire mise en place avec la SPA de Strasbourg à l'ensemble des SPA du Bas-Rhin en 2008
(...) il est fait grief au Syndicat départemental des vétérinaires d'exercice libéral du Haut-Rhin :
- d'avoir participé à une entente consistant à étendre la politique tarifaire mise en place avec la SPA de Strasbourg à l'ensemble des SPA du Haut-Rhin en 2008.
Ces pratiques ont eu pour effet de restreindre la libre fixation des prix et la liberté commerciale des opérateurs sur le marché et sont prohibées par l'article L. 420-1 du Code de commerce ".
II. Discussion
A. SUR LE SECTEUR EN CAUSE
75. Il résulte d'une pratique décisionnelle constante de l'Autorité que, lorsque les pratiques qui ont fait l'objet de la notification des griefs sont recherchées au titre de la prohibition des ententes, il n'est pas nécessaire de définir le marché avec précision dès lors que le secteur en cause a été suffisamment identifié pour permettre de qualifier les pratiques qui y ont été constatées et de les imputer aux opérateurs qui les ont mises en œuvre (décisions n° 05-D-27 du 15 juin 2005 relative à des pratiques relevées dans le secteur du thon blanc, paragraphe 28, et n° 09-D-17 du 22 avril 2009 relative à des pratiques mises en œuvre par le conseil régional de l'Ordre des pharmaciens de Basse-Normandie, paragraphe 40).
76. En l'espèce, il convient d'apprécier l'incidence des pratiques en cause dans le cadre du marché des soins vétérinaires dispensés pour le compte des SPA implantées dans la région Alsace.
77. Au surplus, la circonstance, à la supposer avérée, que les prestations tarifaires en cause seraient réalisées à perte est sans incidence sur l'existence dudit marché au sens du droit de la concurrence dès lors que les soins vétérinaires prestés résultent de la rencontre entre une demande émanant des SPA et incidemment des adoptants, d'une part, et une offre émanant des vétérinaires libéraux, d'autre part (voir, par analogie, arrêt de la cour d'appel de Paris du 4 avril 1997, Syndicat des médecins de la Somme, BOCCRF n° 10 du 17 mai 1997).
B. SUR LA QUALIFICATION DES PRATIQUES
1. RAPPEL DES PRINCIPES
78. Aux termes de l'article L. 420-1 du Code de commerce : " [s]ont prohibées (...), lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions, notamment lorsqu'elles tendent à : 1° Limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises ; 2° Faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse ; 3° Limiter ou contrôler la production, les débouchés, les investissements ou le progrès technique ; 4° Répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement ".
79. Il convient de rappeler que les syndicats et les organisations professionnels ne sont pas soustraits à l'application des règles de concurrence. Il ressort tant de la pratique décisionnelle de l'Autorité que d'une jurisprudence constante de la cour d'appel de Paris qu'une pratique anticoncurrentielle peut résulter de différents actes émanant des organes d'un groupement professionnel, tel qu'un règlement professionnel, un règlement intérieur, un barème ou une circulaire. L'élaboration et la diffusion, à l'initiative d'un syndicat ou d'une organisation professionnelle, d'un document destiné à l'ensemble de ses adhérents peuvent en effet constituer une entente, une action concertée ou une décision d'association d'entreprises contraire à l'article L. 420-1 du Code de commerce si ceux-ci ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence (voir, en ce sens, la décision n° 07-D-41 du 28 novembre 2007 relative à des pratiques s'opposant à la liberté des prix des services proposés aux établissements de santé à l'occasion d'appels d'offres en matière d'examens anatomo-cyto-pathologiques, paragraphe 111).
80. A cet égard, la Cour de cassation a jugé dans un arrêt du 16 mai 2000, Conseil central section A de l'Ordre national des pharmaciens (pourvoi n° 98-12.612), " qu'un ordre professionnel représente la collectivité de ses membres et qu'une pratique susceptible d'avoir un objet ou un effet anticoncurrentiel mise en œuvre par un tel organisme révèle nécessairement une entente au sens de l'article [L. 420-1 du Code de commerce] ".
81. Dès lors, un syndicat ou un ordre professionnel, lorsqu'il sort de la mission d'information, de conseil et de défense des intérêts professionnels que la loi lui confie, en adoptant un comportement de nature à influer directement ou indirectement sur la concurrence que se livrent ses membres, enfreint l'article L. 420-1 du Code de commerce.
82. En outre, il résulte d'une jurisprudence et d'une pratique décisionnelle constantes que la preuve de pratiques anticoncurrentielles peut résulter soit de preuves se suffisant à elles-mêmes, soit du rapprochement de divers éléments recueillis en cours d'instruction qui peuvent être tirés d'un ou plusieurs documents ou déclarations et qui, pris ensemble constituent un faisceau d'indices graves, précis et concordants (voir arrêt de la Cour de cassation du 8 décembre 1992, Etablissements Phibor e.a., pourvoi n° 90-20.258 ; voir également, en ce sens, arrêt de la cour d'appel de Paris du 4 février 2003, SNC Suburbaine de Canalisation et de Grands Travaux, BOCCRF, n° 14 du 30 septembre 2002, confirmant la décision n° 02-D-37 du Conseil de la concurrence du 14 juin 2002 relative à la situation de la concurrence dans le secteur des tuyauteries de gaz).
83. Par ailleurs, un document régulièrement saisi, quel que soit le lieu où il l'a été, est opposable à l'entreprise qui l'a rédigé, à celle qui l'a reçu et à celles qui y sont mentionnées et peut être utilisé comme preuve d'une concertation ou d'un échange d'informations entre entreprises, le cas échéant par le rapprochement avec d'autres indices concordants (arrêts de la Cour de cassation du 12 janvier 1993, Société Sogea, n° 91-11.623, et de la cour d'appel de Paris du 18 décembre 2001, SA Bajus Transport, BOCCRF, n° 3 du 26 février 2002, et du 8 avril 2009, Ela Médical, n° 2008/01092).
2. SUR LA PRATIQUE PORTANT SUR LA FIXATION DES PRIX DES PRESTATIONS VÉTÉRINAIRES FACTURÉES À LA SPA DE STRASBOURG (GRIEF N° 1)
a) Sur l'existence d'une entente
84. Les pratiques en cause concernent l'élaboration et l'application d'une grille tarifaire unique prévue dans une charte organisant les relations entre les vétérinaires et la SPA de Strasbourg. Cette charte mise en place par un ordre professionnel et par un syndicat professionnel est constitutive d'une entente conformément aux principes rappelés aux paragraphes 79 à 81 ci-dessus.
85. Les organismes mis en cause font valoir que la charte organisant les relations entres les vétérinaires et la SPA de Strasbourg a été mise en place à la demande de la SPA de Strasbourg elle-même.
86. Si la présidente de la SPA au moment des faits a attesté avoir " proposé à l'Ordre des vétérinaires la mise en place d'une charte avec l'ensemble des vétérinaires du département " (cote 1621), une telle proposition n'impliquait nullement une obligation au CROV d'Alsace d'adopter un comportement anticoncurrentiel. Cette attestation ne révèle d'ailleurs aucun souhait de la SPA de se voir appliquer des tarifs uniques.
87. En toute hypothèse, seul un comportement anticoncurrentiel imposé aux entreprises par une législation nationale ou si celle-ci crée un cadre juridique qui, en lui-même, élimine toute possibilité de comportement concurrentiel de leur part, exclut l'application des articles L. 420-1 ou L. 420-2 du Code de commerce (voir, par exemple, la décision n° 10-D-04 du 26 janvier 2010 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des tables d'opération, paragraphe 118 et jurisprudence citée). Une simple demande ou proposition, comme en l'espèce, dépourvue de tout caractère contraignant, ne peut a fortiori satisfaire à cette condition.
88. Les organismes mis en cause font également valoir que la grille tarifaire de la charte organisant les relations entre les vétérinaires et la SPA de Strasbourg répond aux exigences déontologiques qui s'imposeraient aux vétérinaires en vertu de l'article R. 242-49 du Code rural.
89. L'article R. 242-49 prohibe toutes pratiques tendant à abaisser le montant des rémunérations dans un but de concurrence, dès lors qu'elles compromettent la qualité des soins.
90. En application de cette disposition, des poursuites disciplinaires peuvent uniquement être intentées lorsque, dans un cas particulier, il est constaté un manquement à l'obligation déontologique de qualité des soins. Le CROV d'Alsace et le SNVEL 67 ne sont donc pas tenus, en application de cette disposition, d'élaborer et de mettre en œuvre une grille tarifaire unique applicable à l'ensemble de la profession. L'élaboration et la mise en œuvre de la grille tarifaire prévue par la charte organisant les relations entre les vétérinaires et la SPA de Strasbourg résultent donc de comportements autonomes des organismes en cause.
b) Sur l'objet de l'entente
91. La charte organisant les relations entre les vétérinaires et la SPA de Strasbourg est entrée en vigueur le 1er février 1991 et a été appliquée de façon continue jusqu'à novembre 2008. Les soins vétérinaires détaillés dans cette charte ont fait l'objet d'une tarification unique et commune à l'ensemble des vétérinaires adhérents. Cette grille tarifaire concernait, d'une part, certains actes effectués lors des visites régulières des praticiens au refuge et, d'autre part, des interventions susceptibles d'être réalisées sur des animaux après leur adoption ou sur des animaux appartenant à des personnes à faibles ressources, à partir d'un bon remis à l'adoptant par la SPA.
92. L'article L. 420-1, 1° du Code de commerce prohibe expressément tout accord ou pratique qui a pour objet ou peut avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, notamment lorsqu'il tend à " faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse ".
93. La cour d'appel de Paris a jugé, dans un arrêt du 17 octobre 2000, Syndicat national des ambulanciers de montagne (BOCCRF, n° 13 du 5 décembre 2000), que, " si les organisations professionnelles ou syndicales ont notamment pour mission la défense des intérêts collectifs de leurs membres ou adhérents, elles sortent du cadre de leur mission en diffusant à ceux-ci des tarifs ou des méthodes de calcul de prix qui ne prennent pas en considération les coûts effectifs de chaque entreprise ".
94. Elle a aussi rappelé, dans un arrêt du 29 janvier 2008, Union française des orthoprothésistes (n° 2007-04524) que, " si un organisme professionnel peut diffuser des informations destinées à aider ses membres dans l'exercice de leur activité, l'aide qu'il leur apporte ainsi ne peut avoir ni pour objet, ni pour effet de les détourner d'une appréhension directe de leur stratégie commerciale qui leur permette d'établir leurs prix de manière indépendante ".
95. Pour sa part, dans la décision n° 97-D-45 du 10 juin 1997 relative à des pratiques mises en œuvre par le Conseil national de l'Ordre des architectes, le Conseil de la concurrence a considéré que, " l'élaboration et la diffusion à l'initiative d'une organisation professionnelle d'un document destiné à l'ensemble de ses adhérents constitue une action concertée ; que, s'il est loisible à un syndicat professionnel ou à un groupement professionnel de diffuser des informations destinées à aider ses membres dans l'exercice de leur activité, l'aide à la gestion ainsi apportée ne doit pas exercer d'influence directe ou indirecte sur le libre jeu de la concurrence à l'intérieur de la profession ; qu'en particulier les indications données ne doivent pas pouvoir avoir pour effet de détourner les entreprises d'une appréhension directe de leurs coûts, qui leur permette de fixer individuellement leurs prix ou honoraires " (voir également la décision n° 96-D-78 du 3 décembre 1996 relative à des pratiques en matière d'honoraires mises en œuvre par le barreau de Tarascon-sur-Rhône, confirmée par un arrêt de la cour d'appel de Paris du 9 décembre 1997).
96. Au regard de la jurisprudence des juridictions de contrôle et de la pratique décisionnelle de l'Autorité rappelées ci-dessus, l'objet anticoncurrentiel de l'entente entre les vétérinaires adhérents à la charte est établi dans la mesure où cette charte a fait obstacle à toute compétition par les prix entre les vétérinaires adhérents dans leurs relations avec la SPA de Strasbourg. Cette dernière était dans l'impossibilité de faire jouer la concurrence entre les vétérinaires libéraux puisque, ainsi qu'il a été confirmé lors de la séance, la quasi-totalité des vétérinaires de l'agglomération strasbourgeoise était partie à la charte et a scrupuleusement respecté la grille tarifaire en cause.
97. Au cas d'espèce, les organismes mis en cause contestent le caractère anticoncurrentiel de la charte. Ils en veulent pour preuve que les tarifs fixés en commun à l'égard de la SPA de Strasbourg étaient nettement inférieurs à ceux qu'ils pratiquent dans le cadre de leur activité libérale. En outre, ils soutiennent que la mise en place de la charte avait pour objectif de faciliter l'adoption des animaux abandonnés et que le service rendu à la SPA de Strasbourg relevait pour les vétérinaires adhérents d'une obligation morale dont ils ignoraient le caractère anticoncurrentiel.
98. Ces circonstances sont toutefois sans incidence sur la qualification de la pratique litigieuse au regard du droit de la concurrence.
99. En premier lieu, la notion d'accord anticoncurrentiel par objet s'applique indépendamment de la circonstance éventuelle que les parties à l'accord n'ont pas eu l'intention, voire seulement la conscience, de violer les règles de concurrence. Dans sa décision n° 06-D-30 du 18 octobre 2006 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des taxis à Marseille, le Conseil a ainsi souligné que " aucune "bonne intention", aussi louable soit-elle, ne saurait exonérer un organisme ou une entreprise de ses obligations légales, parmi lesquelles figure le respect des règles de la concurrence " (paragraphe 82).
100. Du reste, l'Autorité relève que l'instance ordinale n'ignorait en l'espèce pas le caractère anticoncurrentiel des pratiques en cause, ainsi que l'atteste le courriel adressé par son président à un confrère le 22 février 2007 dont une partie a été retranscrite au paragraphe 56 ci-dessus.
101. En second lieu, la circonstance invoquée par les organismes mis en cause, à savoir que les tarifs fixés par la charte sont nettement inférieurs à ceux pratiqués par les vétérinaires auprès de leur clientèle libérale est sans incidence sur l'objet anticoncurrentiel de la pratique litigieuse. Comme le Conseil de la concurrence l'a rappelé dans sa décision n° 99-D-70 du 30 novembre 1999 relative à certaines pratiques mises en œuvre dans le secteur des transports sanitaires de skieurs accidentés, " l'instauration concertée d'un prix unique - quel que soit le niveau retenu - par une organisation professionnelle et des entreprises exerçant sur le même marché (...) est en elle-même constitutive d'une pratique anticoncurrentielle ".
102. Ayant qualifié la pratique en cause de restriction par objet, l'Autorité n'est pas tenue de caractériser par surcroît ses effets (arrêts de la cour d'appel de Paris du 26 janvier 2010, Adecco France, n° 2009-03532, p. 13, et du 31 janvier 2013, Pierre Fabre Dermo-Cosmétique, n° 2008-23812, p. 16).
c) Sur la durée de l'entente
103. En l'occurrence, la charte qui organisait les relations entre les vétérinaires et la SPA de Strasbourg est entrée en vigueur le 1er févier 1991 et a été appliquée de manière continue jusqu'en novembre 2008, soit 17 ans et 10 mois, ce que ne contestent pas dans leurs observations les organismes mis en cause.
d) Sur la participation des organismes mis en cause
104. Il ressort des déclarations du Dr D., ancien président du SNVEL 67, que le CROV d'Alsace a été à l'origine de la mise en place de la charte appliquée à Strasbourg (cote 273). L'un des membres de cette instance ordinale a été étroitement associé à la gestion de la charte en raison également de sa qualité de délégué national du SNVEL 67 (cote 626).
105. Le CROV d'Alsace a, par ailleurs, veillé au bon respect de la charte, en s'assurant notamment qu'aucun vétérinaire non adhérent n'intervienne à la SPA de Strasbourg. Le Dr D. a ainsi déclaré à ce sujet que, " [l]e conseil régional de l'ordre des vétérinaires impose a priori la signature de la charte pour entente avec la SPA. (...) Un vétérinaire qui ne souhaiterait pas adhérer à cette convention ne pourrait pas intervenir auprès de la SPA de Strasbourg " (cote 273). La participation du CROV au fonctionnement de la charte est en outre attestée par l'apposition de son sigle en en-tête sur la version applicable au 1er janvier 2007 de la charte (cote 196).
106. Quant à la participation du SNVEL 67, s'il ressort du dossier d'instruction que celui-ci a participé à l'entente dès son origine, comme en atteste un courrier du 18 décembre 1991 adressé par le président de ce syndicat aux vétérinaires adhérents (cote 636), le grief n'a été notifié au SNVEL 67 qu'à compter de l'année 1994, date à laquelle il s'est substitué au SNVF 67.
107. La participation effective du SNVEL 67 est également corroborée, d'une part, par l'affectation d'un membre du bureau du syndicat spécialement chargé de la gestion courante de la charte et des relations qui en découlent avec la SPA de Strasbourg et, d'autre part, par son rôle dans la mise à jour des tarifs de la charte.
Conclusion
108. Il résulte de ce qui précède que le CROV d'Alsace, pour la période allant de février 1991 à novembre 2008, et le SNVEL 67, pour la période allant de 1994 à novembre 2008, ont élaboré et mis en œuvre une entente portant sur les prix pratiqués par les vétérinaires adhérents à cette charte dans leurs relations avec la SPA de Strasbourg, pratique contraire, par son objet même, à l'article L. 420-1 du Code de commerce.
3. SUR LA PRATIQUE DE RÉPARTITION DES PRESTATIONS VÉTÉRINAIRES EFFECTUÉES POUR LE COMPTE DE LA SPA DE STRASBOURG (GRIEF N° 2)
a) Sur l'existence d'une entente
109. Les pratiques en cause concernent l'élaboration et l'application d'un système de répartition des interventions à la SPA de Strasbourg entre les vétérinaires adhérents, système prévu par la charte organisant les relations entre les vétérinaires et la SPA de Strasbourg. Cette charte, mise en place par un ordre professionnel et par un syndicat professionnel, est constitutive d'une entente conformément aux principes rappelés aux paragraphes 79 à 81 ci-dessus.
110. Dans leurs observations à la notification des griefs, les organismes en cause précisent que le fait de permettre à tous les vétérinaires de participer à ce service était, en réalité, destiné à prévenir toute rupture de concurrence entre eux, " en permettant à tous les vétérinaires de participer à ce service qui devient, dès lors, celui de toute la profession, aucun vétérinaire ne pouvant en retirer un avantage par rapport à ses confrères en se servant de ce moyen pour capter de la clientèle, en infraction avec l'article R. 242-49 du Code rural et de la pêche maritime " (cote 1608).
111. Cependant, les organismes ne peuvent valablement se prévaloir de l'article R. 242-47 du Code rural qui prohibe le détournement ou la tentative de détournement de clientèle pour remettre en cause la qualification d'infraction par objet retenue. Il suffit de constater que l'article R. 242-47 du Code rural, qui interdit le détournement ou la tentative de détournement de clientèle, n'impose pas une répartition de marché entre les vétérinaires.
D'ailleurs, l'article R. 247-48 du Code rural précise que le vétérinaire doit respecter le droit que possède tout propriétaire ou détenteur d'animaux de choisir librement son vétérinaire.
b) Sur l'objet de l'entente
112. L'article L. 420-1 du Code de commerce prohibe expressément tout accord ou pratique qui a pour objet ou peut avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, notamment lorsqu'il tend à " limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises ".
113. L'Autorité a déjà eu l'occasion de sanctionner de telles pratiques dans des circonstances analogues à celles de la présente affaire. Ainsi, dans sa décision n° 95-D-44 du 13 juin 1995 relative à des pratiques mises en œuvre par des entreprises de transport sanitaire lors de la passation de marchés avec le centre hospitalier de Saint-Gaudens, le Conseil de la concurrence a considéré que la convention conclue entre trois sociétés d'ambulances par laquelle elles se répartissaient, selon un calendrier préétabli, la prise en charge d'un service de garde ambulancière pour le compte du centre hospitalier de Saint-Gaudens, était de nature " à favoriser une répartition de marché et à limiter la concurrence entre les sociétés d'ambulance concernées, non seulement s'agissant des transports sanitaires requis par le centre hospitalier, mais aussi sur l'ensemble du marché des transports sanitaires dans la région de Saint-Gaudens ", dans la mesure où cette activité constituait pour les sociétés d'ambulances un facteur important d'accroissement de leur clientèle privée.
114. Le Conseil a considéré que ces pratiques avaient pour objet et pour effet de limiter l'accès au marché et le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises, de telles pratiques étant contraires à l'article L. 420-1 du Code de commerce. Cette décision a été confirmée par un arrêt de la cour d'appel de Paris du 26 mars 1996, société Etablissements Lacroix et autres (BOCCRF du 23 avril 1996). Par un arrêt du 16 décembre 1997, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé contre cet arrêt, jugeant " qu'en l'état des constations la cour d'appel a pu estimer que cette pratique, qui ne s'imposait pas pour assurer une permanence dans le service des transports hospitaliers était non seulement constitutive d'entente à l'encontre des autres ambulanciers du département, mais encore à l'égard des malades ou de leur famille "puisqu'en l'absence de demande expresse de ceux-ci il était fait appel à la société d'ambulance de permanence" " (pourvoi n° 96-14.479).
115. Au cas d'espèce, la répartition des interventions bihebdomadaires à la SPA de Strasbourg entre vétérinaires adhérents à la charte s'analyse comme une entente ayant pour objet de fausser le jeu de la concurrence prohibée par l'article L. 420-1 du Code de commerce. Cette répartition équivaut à une répartition du marché des soins vétérinaires dispensés au sein de ce refuge. Une telle rotation a permis aux vétérinaires adhérents de partager entre eux de façon égalitaire le chiffre d'affaires généré par ces interventions, en empêchant la SPA d'avoir recours exclusivement ou principalement à l'un d'entre eux ou, le cas échéant, à un vétérinaire non adhérent à la charte (voir, par analogie, la décision n° 09-D-17 du 22 avril 2009 relative à des pratiques mises en œuvre par le conseil régional de l'Ordre des pharmaciens de Basse-Normandie, paragraphes 43 et suivants).
116. A cet égard, la circonstance invoquée par le CROV d'Alsace et le SNVEL 67 selon laquelle l'adhésion à la charte appliquée à la SPA de Strasbourg était libre, tout vétérinaire qui le souhaitait ayant eu la possibilité d'y participer, est sans incidence sur l'objet anticoncurrentiel de la pratique en cause. En effet, l'objectif recherché à travers la mise en place du service de rotation n'était pas tant d'empêcher aux vétérinaires non adhérents d'entrer sur le marché en cause que d'éviter que l'un des leurs ne conquière la totalité de celui-ci.
117. La répartition du marché des soins vétérinaires pour le compte de la SPA de Strasbourg entre vétérinaires concurrents constitue une restriction de concurrence par objet contraire à l'article L. 420-1 du Code de commerce. Dès lors, l'Autorité n'est pas tenue de caractériser par surcroît ses effets.
c) Sur la durée de l'entente
118. En l'occurrence, la charte qui organisait les relations entre les vétérinaires et la SPA de Strasbourg est entrée en vigueur le 1er février 1991 et a été appliquée de manière continue jusqu'en novembre 2008 soit 17 ans et 10 mois, ce que ne contestent pas les organismes mis en cause dans leurs observations.
d) Sur la participation des organismes mis en cause
119. Les éléments relevés ci-dessus aux paragraphes 45 à 47 ci-dessus, qui concernent la mise en place et le suivi de la charte appliquée à Strasbourg, permettent d'attester de l'implication du CROV d'Alsace et du SNVEL 67 dans la pratique de répartition de marché au même titre que dans l'entente tarifaire.
120. Le CROV d'Alsace a mis au point cette répartition en élaborant la version initiale de la charte et a veillé à sa bonne application au fil du temps. Le SNVEL 67 a eu un rôle plus opérationnel consistant notamment dans l'organisation concrète du calendrier annuel de rotation des vétérinaires adhérents (voir sur ce point les paragraphes 41 et 42 ci-dessus).
Conclusion
121. Il résulte de ce qui précède que le CROV d'Alsace, pour la période allant du 1er février 1991 à novembre 2008, et le SNVEL 67, pour la période allant de 1994 à novembre 2008, ont mis en œuvre une entente ayant pour objet la répartition du marché des prestations vétérinaires dispensées pour le compte de la SPA de Strasbourg, pratique contraire, par son objet même, à l'article L. 420-1 du Code de commerce.
4. SUR LA PRATIQUE CONSISTANT À ÉTENDRE LA POLITIQUE TARIFAIRE MISE EN PLACE À LA SPA DE STRASBOURG AUX AUTRES SPA D'ALSACE (GRIEF N° 3)
a) Sur l'existence d'une entente
122. Il ressort des constatations figurant aux paragraphes 55 à 71 ci-dessus que le CROV d'Alsace a souhaité étendre à l'ensemble de la région Alsace une partie du dispositif tarifaire en vigueur à la SPA de Strasbourg à compter de décembre 2006.
123. Cette volonté d'étendre ce dispositif, sous couvert de ses prérogatives de surveillance des conditions d'exercice des activités vétérinaires de son ressort, s'est manifestée par l'envoi d'un courrier dès le 12 décembre 2006 dans lequel le CROV d'Alsace exprimait de façon claire et dépourvue d'ambiguïté sa volonté de mettre en place, pour l'ensemble des SPA présentes dans la région, certains aspects de la charte appliquée à la SPA de Strasbourg.
124. Cette volonté ressort également de certains comptes-rendus de ses réunions statutaires tenues en 2007 ainsi que des réunions ad hoc organisées à son initiative en 2008 avec les représentants des syndicats vétérinaires du SNVEL 67 et du SDVEL 68, d'une part, et les représentants des autres SPA de la région, d'autre part.
125. Cette volonté ressort enfin de conventions proposées à plusieurs SPA et contenant une grille tarifaire pour les interventions effectuées sur la base d'un " bon " SPA.
126. Cette pratique mise en œuvre par un ordre professionnel avec le concours de deux syndicats professionnels est constitutive d'une entente conformément aux principes rappelés aux paragraphes 79 à 81 ci-dessus.
b) Sur l'objet de l'entente
127. Le CROV d'Alsace a souhaité étendre à l'ensemble de la région Alsace une partie du dispositif tarifaire en vigueur à la SPA de Strasbourg à compter de décembre 2006.
128. Les courriers du CROV d'Alsace faisaient d'ailleurs état de menaces de poursuites disciplinaires à l'encontre des praticiens qui ne respecteraient pas les tarifs prévus, d'une part, et de pressions à l'égard des SPA de la région pour souscrire au dispositif, d'autre part. La présidente de la SPA de Haguenau a ainsi déclaré, lors de son audition, le 1er décembre 2008, ce qui suit : " face à ce climat d'intimidation et de peur que les vétérinaires ne puissent plus venir soigner les animaux dans les refuges, Mme B. et moi-même avons dû finalement accepter le principe de mise en place de cette convention. Mais cette acceptation "contrainte" va se traduire pour la SPA d'Haguenau par une augmentation conséquente du poste "frais vétérinaires" à une période où nos recettes subissent déjà le contrecoup des difficultés économiques actuelles " (cote 606).
129. Ainsi, sous couvert des prérogatives qui lui sont reconnues et des missions qui lui sont confiées, la volonté du CROV d'Alsace était en réalité d'étendre le volet tarifaire de la charte appliquée à la SPA de Strasbourg aux relations existant entre les vétérinaires bas-rhinois et haut-rhinois avec les autres SPA alsaciennes, ce qui constitue une action concertée contraire à l'article L. 420-1 du Code de commerce, par son objet même, conformément aux principes rappelés aux paragraphes 92 à 95 ci-dessus.
130. A cet égard, l'absence d'effets alléguée par les organismes mis en cause - le dispositif tarifaire souhaité par le CROV d'Alsace n'a finalement pas été conclu avec les SPA concernées - est sans incidence sur l'illégalité de la pratique, dès lors que l'objet anticoncurrentiel de celle-ci est établi ainsi que cela a été rappelé au paragraphe 102 ci-dessus.
131. Au demeurant, il ressort des constatations effectuées que la SPA de Haguenau a appliqué les tarifs en cause à compter du 1er mai 2008 (cote 620), alors qu'elle bénéficiait auparavant de tarifs plus avantageux. La pratique litigieuse a donc eu à l'égard de cette SPA des effets avérés se manifestant par une hausse des prix des soins vétérinaires et aurait pu avoir des effets sur d'autres SPA si l'enquête lancée en novembre 2008 n'avait pas permis d'y mettre fin, ainsi que cela ressort des déclarations de la vice-présidente de la SPA de Saverne (voir le paragraphe 67 ci-dessus).
c) Sur la participation des organismes mis en cause
Sur la participation du CROV d'Alsace
132. Le CROV d'Alsace a été l'initiateur et le principal coordinateur de la pratique. Ce sont en effet ses représentants qui ont, à compter du mois de décembre 2006, adressé aux vétérinaires et aux différentes SPA de la région les courriers mentionnés aux paragraphes
55 à 60 ci-dessus, et qui ont été à l'origine des deux réunions organisées en 2008 avec les syndicats professionnels et les SPA de la région Alsace.
133. A cet égard, le CROV d'Alsace ne peut sérieusement soutenir que c'est la SPA de Saverne qui l'aurait sollicité afin de mettre en place une charte analogue à celle existant à la SPA de Strasbourg dans la mesure où il a été établi qu'une telle allégation été infirmée par la vice-présidente en fonction dans cette SPA qui a fait état de l'existence d'un désaccord entre le comité de cette SPA et sa présidente (voir le paragraphe 67 ci-dessus). En tout état de cause, à supposer même que cette SPA soit à l'origine de l'extension, cette circonstance est dépourvue de toute portée au regard des principes rappelés au paragraphe 87 ci-dessus.
Sur la participation du SNVEL 67 et du SDVEL 68
134. Il convient de rappeler que la participation d'une entreprise ou d'un organisme à une seule réunion à objet anticoncurrentiel suffit à démontrer son adhésion à une entente (voir la décision n° 12-D-09 du 13 mars 2012 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des farines alimentaires, paragraphes 468 à 472, et la jurisprudence citée).
135. Par exception à ce principe, la participation à une seule réunion tenue dans le cadre statutaire d'une organisation professionnelle est insuffisante pour démontrer l'adhésion d'une entreprise ou d'un organisme à une entente. Cette adhésion est toutefois démontrée, notamment, si l'entreprise ou l'organisme en cause donne son accord exprès à l'entente ou à l'action concertée, si elle diffuse des consignes arrêtées lors de la réunion, si elle applique les mesures concrètes décidées lors de la réunion ou encore si elle participe à une autre réunion ayant le même objet anticoncurrentiel (voir, en ce sens, décision n° 07-D-48 du 18 décembre 2007 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du déménagement national et international, paragraphe 179).
136. En l'espèce, les réunions auxquelles ont participé des représentants du SNVEL 67 et du SDVEL 68, respectivement le 27 mars 2008, organisée à l'initiative conjointe du SNVEL 67 et du CROV d'Alsace (cote 525), et le 16 septembre 2008, organisée à l'initiative du CROV d'Alsace, ne constituaient pas des réunions tenues dans le cadre statutaire de cette instance ordinale, mais des réunions informelles auxquelles ont participé de leur propre initiative les organismes en cause. En effet, seuls les représentants des SPA et des syndicats vétérinaires du Haut-Rhin et du Bas-Rhin y ont été conviés, à l'exclusion des membres de la profession eux-mêmes.
137. Par ailleurs, il ressort des déclarations du président du SDVEL 68, que ce dernier avait connaissance de l'objet de la réunion litigieuse et en a accepté la tenue. Interrogé le 15 décembre 2008, il a déclaré : " J'ai ainsi été approché, au cours de l'été 2008, par M. P. R. lequel m'a rappelé la ferme volonté de fixer une grille de prix sur l'ensemble des SPA des deux départements alsaciens et m'a fait part de la nécessité, dans ces conditions, de réunir les responsables des trois SPA du Haut-Rhin dans le but de finaliser ce dispositif par la signature d'une charte avec chaque SPA. Au préalable, j'avais déjà été sensibilisé à cette démarche au travers de courriers à en-tête du CROV d'Alsace expliquant les motivations de ce dispositif ainsi que son mode de mise en place et de fonctionnement (...) J'ai accepté l'organisation de cette réunion à Rouffach et l'apposition du sigle SDVEL 68 sur l'annexe tarifaire à la convention car il s'agissait de la volonté du CROV destinée à éviter d'éventuels détournements de clientèle (...) " (cote 644).
138. Les responsabilités respectives du SNVEL 67 et du SDVEL 68 peuvent donc être valablement retenues pour l'année 2008 puisqu'ils ont chacun participé à une réunion en ayant un objet anticoncurrentiel.
Conclusion
139. Il résulte de ce qui précède que le CROV d'Alsace entre décembre 2006 et novembre 2008, ainsi que le SNVEL 67 et le SDVEL 68 au cours de l'année 2008, ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce en cherchant à étendre le dispositif tarifaire mis en place à la SPA de Strasbourg à l'ensemble des autres SPA présentes sur le territoire de la région Alsace.
C. SUR LA RÈGLE DITE " DE MINIMIS "
140. Les organismes mis en cause font valoir que les pratiques en causes n'ont eu qu'une portée limitée et ne pouvaient porter atteinte de façon sensible au jeu de la concurrence.
141. Ces derniers ne peuvent toutefois pas se prévaloir du bénéfice de la règle de minimis, dans la mesure où cette règle prévue par l'article L. 464-6-1 du Code de commerce ne s'applique pas, en vertu de l'article L. 464-6-2 du même Code, aux restrictions qui ont, comme en l'espèce, pour objet la fixation de prix de vente ou la répartition de marchés.
D. SUR LE CARACTÈRE EXEMPTABLE DES PRATIQUES
1. RAPPEL DES PRINCIPES
142. Les pratiques prohibées par l'article L. 420-1 du Code de commerce, peuvent néanmoins bénéficier d'une exemption individuelle au titre de l'article L. 420-4 du Code de commerce.
143. Le 2° du I de l'article L. 420-4 du Code de commerce prévoit que " ne sont pas soumises aux dispositions des articles L. 420-1 et L. 420-2 les pratiques : (...) dont les auteurs peuvent justifier qu'elles ont pour effet d'assurer un progrès économique, y compris par la création ou le maintien d'emplois, et qu'elles réservent aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, sans donner aux entreprises intéressées la possibilité d'éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause (...) ".
144. Quatre critères doivent être satisfaits pour octroyer une exemption à une pratique jugée anticoncurrentielle dans le cadre de l'alinéa 2 du I de l'article L. 420-4 du Code de commerce : la réalité du progrès économique, le caractère indispensable et adapté des pratiques en cause pour l'obtenir, l'existence d'un bénéfice pour les consommateurs et l'absence d'élimination de toute concurrence. Chacune de ces quatre conditions doit être remplie pour que le bénéfice d'une exemption individuelle soit admissible (arrêt de la Cour de justice du 17 janvier 1984, VBVB et VBBB/Commission, 43-82 et 63-82, Rec. p. 19 ; arrêt du Tribunal du 19 mars 2003, CMA CGM, T-213-00, Rec. p. II-913, point 226).
145. Il résulte tant de la jurisprudence de l'Union européenne que de la jurisprudence interne que la personne qui se prévaut des dispositions du paragraphe 3 de l'article 101 du TFUE ou de l'article L. 420-4 du Code de commerce doit démontrer, au moyen d'arguments et d'éléments de preuve convaincants, que les conditions requises pour bénéficier d'une exemption sont réunies (voir l'arrêt de la Cour de justice du 6 octobre 2009, GlaxoSmithKline, C-501-06 P, Rec. 2009, p. II-09291, point 82 ; voir également les arrêts de la cour d'appel de Paris du 14 décembre 2011, Compagnie Emirates, n° 09-20639, p. 6 et du 31 janvier 2013, Pierre Fabre Dermo-Cosmétique SAS, précité, p. 17).
146. En outre, dans l'arrêt du 17 octobre 2000, Syndicat national des ambulanciers de montagne (SNAM), précité, la cour d'appel de Paris a considéré que " la recherche d'un service de qualité ne justifie pas davantage l'instauration d'un tarif unique et d'une répartition du marché affectant le jeu de la concurrence (...) ".
2. EN L'ESPÈCE
147. Les parties mises en cause invoquent le bénéfice de l'exemption prévue au 2° du I de l'article L. 420-4 du Code de commerce. Elles soutiennent, en particulier, que le progrès économique engendré par les différentes pratiques en cause en l'espèce résiderait dans le fait que les animaux recueillis par les SPA sont correctement soignés au meilleur coût possible, ce qui ne serait pas le cas autrement.
148. S'agissant du progrès économique allégué, il n'est pas contestable que la recherche d'une meilleure qualité des soins vétérinaires dispensés auprès des animaux de la SPA de Strasbourg puisse dans certains cas remplir cette condition. Toutefois, à supposer que cela soit le cas en l'espèce, les organismes mis en cause ne démontrent pas en quoi seule une charte imposant une grille tarifaire unique à l'ensemble des vétérinaires adhérents, ni encore moins l'extension de cette charte aux autres SPA de la région, aurait été indispensable pour garantir la meilleure qualité des soins pouvant découler des pratiques.
149. L'Autorité relève d'ailleurs que les responsables des autres SPA de la région Alsace se sont déclarés satisfaits de la qualité des interventions effectuées par des vétérinaires pratiquant des tarifs inférieurs à ceux facturés à la SPA de Strasbourg (cote 579) et qu'aucun d'entre eux n'a jamais fait état de la nécessité d'une charte imposant une grille tarifaire unique à cette fin.
150. Il résulte de ce qui précède que les organismes en cause n'ont pas fait la démonstration que les conditions prévues au 2° du I de l'article L. 420-4 du Code de commerce sont remplies.
E. SUR LES SANCTIONS
151. Le I de l'article L. 464-2 du Code de commerce habilite l'Autorité à imposer des sanctions pécuniaires aux entreprises et organismes qui se livrent à des pratiques anticoncurrentielles interdites par l'article L. 420-1 du Code de commerce.
152. Les pratiques retenues à l'encontre des parties mises en cause dans la présente affaire ont été commises pour partie avant l'entrée en vigueur, le 18 mai 2001, de la loi n° 2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques, mais se sont poursuivies de façon continue après cette date. Les dispositions du livre IV du Code de commerce applicables en l'espèce sont donc celles issues de ladite loi (voir, en ce sens, arrêt de la cour d'appel de Paris du 22 février 2005, STAL, n° 2004-14592, pourvoi rejeté par un arrêt de la Cour de cassation du 14 mars 2006, Société Privileg, n° 05-13.048 et 05-13.118, p. 14).
153. Le troisième alinéa du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce prévoit que " les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation individuelle de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées par le [titre VI du livre IV du Code de commerce]. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction ".
154. Aux termes du quatrième alinéa du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce " [s]i le contrevenant n'est pas une entreprise, le montant maximum de la sanction est de 3 millions d'euros. (...) ".
155. Par ailleurs, l'article L. 464-5 du Code de commerce dispose que l'Autorité peut, lorsqu'elle met en œuvre la procédure simplifiée prévue à l'article L. 463-3 du Code de commerce, prononcer les sanctions prévues au I de l'article L. 464-2 de ce Code. Toutefois, la sanction pécuniaire ne peut excéder 750 000 euros pour chacun des auteurs des pratiques prohibées. L'Autorité vérifiera donc, au terme de la détermination des sanctions imposées à chacun des auteurs des pratiques en cause, qu'elles n'excèdent pas le maximum légal de 750 000 euros.
156. En l'espèce, l'Autorité appréciera ces critères légaux selon les modalités pratiques décrites dans son communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires (ci-après le " communiqué ").
157. Chacun des organismes mis en cause dans la présente affaire a été en mesure de formuler des observations sur les principaux éléments de droit et de fait du dossier susceptibles d'influer sur la détermination de la sanction pouvant lui être imposée, à la suite de la réception de la notification des griefs compte tenu de la mise en œuvre de la procédure simplifiée prévue à l'article L. 463-3 du Code de commerce. La présentation de ces différents éléments par les services de l'Autorité ne préjuge pas de l'appréciation du collège sur les déterminants de la sanction, qui relève de sa seule délibération.
158. Par ailleurs, l'Autorité peut imposer à chaque entreprise ou organisme en cause plusieurs sanctions dans l'hypothèse où l'intéressé aurait commis plusieurs infractions (arrêt de la Cour de cassation du 29 juin 2007, Bouygues Télécom e.a., n° 07-10.303, 07-10.354 et 07-10.397), comme c'est le cas en l'occurrence, en déterminant chacune d'elles en fonction des critères prévus par le Code de commerce (voir, en ce sens, arrêt de la Cour de cassation du 12 juillet 2011, Lafarge ciments e.a., n° 10-17482 et 10-17791, p. 5) et en vérifiant qu'aucune d'entre elles n'excède le maximum légal applicable. Néanmoins, il lui est loisible, si elle l'estime opportun eu égard à l'identité ou à la connexité des secteurs ou des marchés en cause, d'une part, et à l'objet général des pratiques, d'autre part, d'infliger une seule sanction pécuniaire au titre de plusieurs infractions (arrêts de la Cour de cassation du 22 novembre 2005, Dexxon Data Media e.a., n° 04-19.102, 04-19.108 et 04-19.136, p. 11, et de la cour d'appel de Paris du 28 janvier 2009, Epsé Joué Club e.a., n° 2008-00255, p. 20).
159. En l'espèce, les pratiques visées par les trois griefs ont porté sur le même secteur des prestations vétérinaires effectuées pour le compte des animaux pris en charge par les SPA d'Alsace, d'une part, et ont eu le même objet général, à savoir la mise en place à l'échelle régionale d'une tarification unique des actes vétérinaires réalisées par les vétérinaires libéraux alsaciens à l'égard des SPA de la région, d'autre part. Dès lors, il apparaît opportun d'infliger une seule sanction pécuniaire à chacun des organismes mis en cause, dans le respect du maximum légal applicable au cas d'espèce.
1. SUR LA MÉTHODE DE DÉTERMINATION DES SANCTIONS AU CAS D'ESPÈCE
160. Compte tenu du fait que le CROV d'Alsace, instance ordinale régionale de la profession de vétérinaire, d'une part, et le SNVEL 67 et le SDVEL 68, syndicats professionnels, d'autre part, ne disposent pas d'un chiffre d'affaires propre ou de valeur des ventes en relation avec les prestations fournies auprès des SPA d'Alsace, l'Autorité considère que leur sanction pécuniaire respective doit être déterminée à partir d'une assiette tenant compte de cette situation.
161. Elle retiendra en l'occurrence comme assiette le montant des cotisations professionnelles perçues au titre de la défense des intérêts des vétérinaires membres.
162. Les organismes mis en cause ont fourni des états financiers suffisamment précis pour permettre une identification des cotisations en question. Le tableau ci-dessous récapitule les données retenues par l'Autorité :
Organisme / Montant des cotisations (en euros) / Année de référence
CROV d'Alsace / 31 373 (1) / 2007
SNVEL 67 / 1 200 (2) / 2007
SDVEL 68 / 1 342 (3) / 2008
163. Pour autant, l'Autorité tiendra compte, dans le cadre de la détermination de la sanction, du fait que l'organisme en cause a la possibilité, au-delà de ses ressources immédiatement disponibles, de faire appel à ses membres pour lever les fonds nécessaires au paiement de sa sanction pécuniaire (voir, en ce sens, la décision n° 07-D-05 du 21 février 2007 relative à des pratiques mises en œuvre par l'Union française des orthoprothésistes (UFOP) sur le marché de la fourniture d'orthoprothèses, paragraphe 93).
2. SUR LA SANCTION IMPOSÉE AU CROV D'ALSACE
164. La responsabilité du CROV d'Alsace est établie pour les trois ententes constatées.
a) Sur la gravité des faits
165. Afin d'apprécier la gravité des faits au cas d'espèce, il convient d'évoquer successivement la nature des pratiques mises en œuvre, la nature du secteur sur lequel elles sont intervenues et leurs caractéristiques concrètes.
166. En l'espèce, la gravité des faits résulte de la nature même des infractions commises. Les ententes visant à influer sur les prix pratiqués par des concurrents, de même que les accords de répartition de marchés sont considérés comme étant d'une indéniable gravité (voir, arrêt de la cour d'appel de Paris du 4 avril 2006, n° 2005-14057, et décision n° 09-D-17, précitée).
167. La durée des pratiques, qui constitue un facteur pertinent pour apprécier tant la gravité des faits (arrêt de la Cour de cassation du 30 mai 2012, Orange France, n° 11-22144) que l'importance du dommage causé à l'économie (arrêt de la Cour de cassation du 12 juillet 2011, Lafarge ciments e.a., n° 10-17482 et 10-17791), doit également être prise en compte.
168. En l'espèce, il convient de relever que les pratiques ont été mises en œuvre à la SPA de Strasbourg pendant plus de 17 ans par la quasi-totalité des vétérinaires exerçant dans l'agglomération strasbourgeoise.
169. Il a ensuite été constaté une pratique visant à étendre aux cinq autres SPA de la région Alsace le dispositif de la charte organisant les relations entre les vétérinaires et la SPA de Strasbourg qui a impliqué l'usage de moyens de pression. Ces moyens de pression ont consisté en des menaces de poursuites disciplinaires à l'encontre des praticiens qui refuseraient d'appliquer la grille tarifaire validée par le conseil régional de l'Ordre, circonstance qui s'ajoute à la gravité desdites pratiques (voir, en ce sens, arrêt de la cour d'appel de Paris du 11 janvier 2005, conseil régional de l'Ordre des architectes d'Aquitaine et l'association Architecture et commande publique, BOCCRF n° 6 du 23 juin 2005).
170. Enfin, les faits sont d'autant plus graves que les personnes affectées ou susceptibles d'être affectées par les pratiques, à savoir principalement la SPA de Strasbourg et les autres SPA de la région Alsace, sont des associations reconnues d'utilité publique en droit local, sans but lucratif, et dont les ressources proviennent principalement de dons et de legs de particuliers.
b) Sur l'importance du dommage causé à l'économie
171. Il est de jurisprudence constante que l'importance du dommage causé à l'économie s'apprécie de façon globale pour les pratiques en cause, c'est-à-dire au regard de l'action cumulée de tous les participants, sans qu'il soit besoin d'identifier la part imputable à chacun d'entre eux pris séparément (arrêts de la Cour de cassation du 18 février 2004, CERP e.a., n° 02-11.754, et de la cour d'appel de Paris du 17 septembre 2008, Coopérative agricole L'ardéchoise, n° 2007-10371, p. 6).
172. Ce critère légal ne se confond pas avec le préjudice qu'ont pu subir les victimes des pratiques en cause, mais s'apprécie en fonction de la perturbation générale qu'elles sont de nature à engendrer pour l'économie (voir, par exemple, arrêt de la cour d'appel de Paris du 8 octobre 2008, SNEF, n° 2007-18040, p. 4).
173. En l'espèce, le dommage à l'économie est certain, mais son importance est limitée eu égard à l'étendue elle-même restreinte du secteur visé par les infractions qui n'ont produit d'effets qu'à l'égard de la SPA de Strasbourg et de façon plus marginale à la SPA de Haguenau.
174. En revanche, s'agissant en particulier des pratiques mises en œuvre à la SPA de Strasbourg, il convient de relever qu'elles ont perduré sur une très longue période (plus de 17 ans) et qu'elles ont supprimé toute concurrence entre les vétérinaires adhérents à la charte et restreint la liberté de choix de son prestataire par la SPA, tout en la privant de la possibilité d'obtenir de meilleurs tarifs que ceux fixés par la charte.
175. En effet, les éléments figurant au dossier montrent que les prix des prestations vétérinaires pratiqués dans les autres SPA de la région Alsace étaient souvent sensiblement inférieurs à ceux fixés dans la charte appliquée à la SPA de Strasbourg, en particulier dans les SPA ayant confié ces prestations à un vétérinaire ou un cabinet vétérinaire unique, le volume d'activité généré pour le ou les praticiens concernés ayant alors permis une réduction des prix proposés (cotes 65 et 66).
Conclusion sur le montant de base
176. Eu égard à la gravité des faits et à l'importance du dommage causé à l'économie, le montant de base de la sanction pécuniaire sera fixé à l'égard du CROV d'Alsace à 20 000 euros.
c) Sur la situation individuelle de l'organisme
177. L'Autorité s'est engagée à adapter les montants de base reflétant la gravité des faits et l'importance du dommage causé à l'économie au regard du critère légal tenant à la situation individuelle de chacune des parties en cause, qu'il s'agisse d'organismes ou d'entreprises, appartenant le cas échéant à des groupes plus larges.
178. A cette fin, et en fonction des éléments propres à chaque cas d'espèce, elle peut prendre en considération différentes circonstances atténuantes ou aggravantes caractérisant le comportement de l'intéressé dans le cadre de sa participation à l'infraction, ainsi que d'autres éléments objectifs pertinents relatifs à sa situation individuelle. Cette prise en considération peut conduire à ajuster les sanctions tant à la hausse qu'à la baisse.
179. Au cas d'espèce, il convient de tenir compte de deux circonstances aggravantes dans le chef du CROV d'Alsace.
180. En premier lieu, le CROV d'Alsace, en sa qualité d'instance ordinale, dispose incontestablement d'une autorité morale particulière qui rend d'autant plus répréhensibles les pratiques qu'il a commises (voir, en ce sens, décision n° 13-D-06 du 28 février 2013 relative à des pratiques mises en œuvre dans le marché de la télétransmission de données fiscales et comptables sous format EDI à l'administration fiscale, paragraphe 285).
181. En second lieu, le CROV d'Alsace a joué un rôle particulier dans la conception et dans la mise en œuvre de la troisième infraction, comme en témoignent les différents courriers que cet organisme a adressés aux vétérinaires ou aux SPA d'Alsace (voir les paragraphes 55 à 60 ci-dessus) ainsi que son implication dans l'organisation et le déroulement des réunions qui visaient à une uniformisation tarifaire à l'échelle de la région Alsace (voir les paragraphes 62 à 72 ci-dessus).
Conclusion sur le montant de la sanction
182. En fonction des éléments généraux liés à la gravité des faits et au dommage à l'économie décrits aux paragraphes 166 à 175 ci-dessus, et des éléments individuels décrits aux paragraphes 179 à 181 ci-dessus, la sanction pécuniaire infligée au CROV d'Alsace sera fixée à 25 000 euros.
183. Ce montant est inférieur au maximum légal mentionné au paragraphe 155 ci-dessus.
3. SUR LA SANCTION IMPOSÉE AU SNVEL 67
184. La responsabilité du SNVEL 67 est établie pour les trois ententes constatées.
a) Sur la gravité des faits
185. L'appréciation de la gravité des faits dans le cadre de la sanction pécuniaire infligée au SNVEL 67 est en partie identique à celle du CROV d'Alsace, la gravité des faits résultant de la nature même des infractions commises (voir le paragraphe 166 ci-dessus) et des personnes affectées (voir le paragraphe 170 ci-dessus).
186. S'il convient de prendre en compte le fait que la durée de sa participation ainsi que son périmètre d'action étaient plus limités que dans le cas du CROV d'Alsace, il est établi néanmoins que le SNVEL 67 était à l'initiative des revalorisations de la grille tarifaire de la charte appliquée à la SPA de Strasbourg et du calendrier annuel des rotations ainsi que cela ressort de déclarations concordantes retranscrites aux paragraphes 41, 42, 46 et 47 ci-dessus.
187. La circonstance que les pratiques incriminées seraient restées sans importance compte tenu de la faible proportion des soins vétérinaires concernés dans le chiffre d'affaires des vétérinaires n'est pas de nature à atténuer la gravité des faits reprochés au SNVEL 67 eu égard aux manquements tenant au dépassement de sa mission de défense des intérêts de ses adhérents, à sa représentativité dans le département du Bas-Rhin et à l'influence qu'il peut exercer au-delà du cadre de ses adhérents (voir, en ce sens, arrêt de la cour d'appel de Paris du 8 novembre 1996, chambre syndicale des imprimeurs de l'Ain, BOCCRF du 12 avril 1996). Elle sera prise en compte au titre du dommage à l'économie, qui est l'autre critère en fonction duquel doit être fixée la sanction.
b) Sur l'importance du dommage causé à l'économie
188. L'Autorité a rappelé au paragraphe 171 ci-dessus qu'elle n'est pas tenue d'identifier la part imputable à chacun des participants à l'entente, pris séparément, mais peut apprécier le dommage à l'économie de façon globale. Dès lors, il convient de se référer à l'appréciation effectuée aux paragraphes 173 à 175 ci-dessus.
c) Sur la situation individuelle de l'organisme
189. L'Autorité n'a pas relevé de circonstances atténuantes ou aggravantes ou d'autres éléments objectifs propres à la situation du SNVEL 67.
Conclusions sur le montant de la sanction
190. En fonction des éléments généraux liés à la gravité des faits et au dommage à l'économie décrits aux paragraphes 185 à 188 ci-dessus, et individualisés à la situation du SNVEL 67, sa sanction pécuniaire sera fixée à 5 000 euros.
191. Ce montant est inférieur au maximum légal mentionné au paragraphe 155 ci-dessus.
4. SUR LA SANCTION IMPOSÉE AU SDVEL 68
192. Il est uniquement reproché au SDVEL 68 d'avoir participé à l'entente avec le CROV d'Alsace visant à étendre le dispositif tarifaire appliqué à la SPA de Strasbourg aux SPA du Haut-Rhin au cours de l'année 2008.
193. La gravité des faits et l'importance du dommage causé à l'économie doivent être appréciées au regard de cette pratique tarifaire qui n'a perduré que sur une année et dont l'objectif recherché ne s'est pas concrétisé. En conséquence et eu égard à la situation individuelle de cet organisme, la sanction pécuniaire infligée au SDVEL 68 sera fixée à 1 000 euros.
194. Ce montant est inférieur au maximum légal mentionné au paragraphe 155 ci-dessus.
5. SUR L'OBLIGATION DE PUBLICATION
195. Afin d'attirer la vigilance des associations ou dispensaires oeuvrant à la protection animale en région Alsace, et plus généralement, des propriétaires d'animaux de compagnie, il y a lieu, compte-tenu des faits constatés par la présente décision et des infractions relevées, d'ordonner sur le fondement du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce la publication, à frais partagés des organismes sanctionnés et au prorata de leurs sanctions pécuniaires, dans les éditions du journal " Les Dernières Nouvelles d'Alsace " et de la revue " La Dépêche Vétérinaire ", du résumé de la présente décision figurant ci-après :
" Obligation de publication imposée par l'Autorité de la concurrence
Par décision du 11 juin 2013, l'Autorité de la concurrence a infligé une sanction de 25 000 euros au Conseil régional de l'Ordre des vétérinaires d'Alsace (CROV), ainsi que des sanctions pécuniaires, respectivement de 5 000 euros et 1 000 euros, aux syndicats départementaux des vétérinaires d'exercice libéral du Bas-Rhin (SNVEL 67) et du Haut-Rhin (SDVEL 68), pour avoir mis en œuvre des pratiques prohibées par l'article L. 420-1 du Code de commerce.
La décision rendue par l'Autorité de la concurrence a constaté l'existence d'une entente entre vétérinaires de l'agglomération de Strasbourg dans leurs relations avec la SPA de Strasbourg entre février 1991 et novembre 2008, à l'initiative du CROV d'Alsace et du SNVEL 67. Cette entente a pris la forme d'une charte conclue avec la SPA de Strasbourg qui prévoyait une grille tarifaire unique appliquée par l'ensemble des vétérinaires adhérents pour les soins vétérinaires exécutés au sein du refuge. Cette grille tarifaire concernait, d'une part, certains actes effectués lors des visites régulières des praticiens au refuge et, d'autre part, des interventions susceptibles d'être réalisées sur des animaux après leur adoption ou sur des animaux appartenant à des personnes à faibles ressources, à partir d'un bon remis à l'adoptant par la SPA. En outre, la charte prévoyait une rotation annuelle des interventions des vétérinaires adhérents au sein du refuge de Strasbourg.
La décision de l'Autorité de la concurrence sanctionne également le CROV d'Alsace, ainsi que le SNVEL 67 et le SDVEL 68 au cours de l'année 2008, pour avoir enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce en cherchant à étendre à partir de décembre 2006 le dispositif tarifaire mis en place à la SPA de Strasbourg à l'ensemble des autres SPA présentes sur le territoire de la région Alsace.
Le texte intégral de la décision de l'Autorité de la concurrence est accessible sur le site www.autoritedelaconcurrence.fr ".
DÉCISION
Article 1er : Il est établi que le conseil régional de l'Ordre des vétérinaires (CROV) d'Alsace et le syndicat national des vétérinaires d'exercice libéral - Section du Bas-Rhin (SNVEL 67) ont participé à une entente portant sur la détermination des prix des soins dans les relations des vétérinaires avec la SPA de Strasbourg, entre février 1991 et novembre 2008 pour le premier et entre 1994 et novembre 2008 pour le second, contraire à l'article L. 420-1 du Code de commerce.
Article 2 : Il est établi que le conseil régional de l'Ordre des vétérinaires (CROV) d'Alsace et le syndicat national des vétérinaires d'exercice libéral - Section du Bas-Rhin (SNVEL 67) ont participé à une entente portant sur la répartition des prestations vétérinaires effectuées au sein de la SPA de Strasbourg, entre février 1991 et novembre 2008 pour le premier et entre 1994 et novembre 2008 pour le second, contraire à l'article L. 420-1 du Code de commerce.
Article 3 : Il est établi que le conseil régional de l'Ordre des vétérinaires (CROV) d'Alsace a participé à une entente consistant à étendre la politique tarifaire mise en place à la SPA de Strasbourg à l'ensemble des SPA de la région Alsace de 2006 à 2008 et que le syndicat national des vétérinaires d'exercice libéral - Section du Bas-Rhin (SNVEL 67) ainsi que le syndicat départemental des vétérinaires d'exercice libéral du Haut-Rhin (SDVEL 68) ont participé à cette entente en 2008 s'agissant des SPA implantées dans leur département respectif.
Article 4 : Pour les infractions visées aux articles 1 à 3, sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :
- au conseil régional de l'Ordre des vétérinaires d'Alsace une sanction de 25 000 euros ;
- au syndicat national des vétérinaires d'exercice libéral - Section du Bas-Rhin (SNVEL 67) une sanction de 5 000 euros ;
- au syndicat départemental des vétérinaires d'exercice libéral du Haut-Rhin (SDVEL 68) une sanction de 1 000 euros.
Article 5 : Les organismes visés aux articles 1 à 3 feront publier le texte figurant au paragraphe 195 de la présente décision, en respectant la mise en forme, dans les éditions du journal " Les Dernières Nouvelles d'Alsace " et dans la revue spécialisée " La Dépêche Vétérinaire " dans les deux mois qui suivront la notification de la présente décision. Ces publications interviendront dans un encadré en caractères noirs sur fond blanc de hauteur au moins égale à trois millimètres sous le titre suivant, en caractère gras de même taille: " Décision n° 13-D-14 du 11 juin 2013 de l'Autorité de la concurrence relative à des pratiques mises en œuvre dans le cadre de relations entre des vétérinaires et les sociétés protectrices des animaux (SPA) en région Alsace ". Elles pourront être suivies de la mention selon laquelle la décision a fait l'objet d'un recours devant la cour d'appel de Paris si un tel recours est exercé. Les personnes morales concernées adresseront, sous pli recommandé, au bureau de la procédure, copie de ces publications, dès leur parution et au plus tard le 2 septembre 2013.
NOTES
1 Cote 1335.
2 Cote 1358.
3 Cote 1343.