CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 6 juin 2013, n° 10-25099
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Société dijonnaise d'artisanat et de loisirs (SARL)
Défendeur :
Galeries Lafayette (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perrin
Conseillers :
Mmes Pomonti, Michel-Amsellem
Avocats :
Mes Fisselier, Barbier, Poullain, Couturier, Sentex de Noirmont, Desclozeaux
FAITS ET PROCEDURE
Le 11 avril 1995, la société dijonnaise d'artisanat et de loisirs (la société DAL) a conclu un contrat d'affiliation avec la société Les Galeries Lafayette par lequel elle était, notamment, autorisée à utiliser l'enseigne "Nouvelles Galeries" et à bénéficier des services de la centrale d'achat du groupe des sociétés Galeries Lafayette, moyennant le paiement d'une commission calculée sur le chiffre d'affaires. Le contrat précisait qu'elle bénéficierait des prix les plus avantageux que la centrale d'achat pourrait obtenir des fournisseurs et que la société Les Galeries Lafayette la ferait bénéficier des ristournes et remises accordées par ceux-ci.
Ce contrat a fait l'objet d'un avenant le 26 septembre 2001 modifiant les conditions d'approvisionnement des affiliés. Un litige s'en est suivi entre la société Les Galeries Lafayette et un certain nombre de sociétés affiliées dont la société DAL. Cette dernière a, par lettre du 26 juin 2002, notifié la résiliation du contrat, avec effet au 1er janvier 2003, à la société Les Galeries Lafayette en indiquant que cette résiliation était la conséquence des relations déséquilibrées qu'elle lui imposait.
Avec plusieurs autres affiliées, la société DAL, soutenant que la société Les Galeries Lafayette avait manqué à ses obligations contractuelles, notamment celle de rétrocéder les ristournes et remises des fournisseurs, l'a fait assigner en paiement de dommages-intérêts devant le Tribunal de commerce de Paris.
Par une ordonnance du 2 avril 2003, le juge des référés du Tribunal de commerce de Paris a désigné un expert en lui donnant mission de vérifier si l'ensemble des affiliés avaient bien perçu, de la part de la société Les Galeries Lafayette, l'ensemble des avantages leur revenant sur la période de 1992 à 2002. Le rapport de l'expert a été déposé fin janvier 2007.
A la suite des désistements des autres anciens affiliés, la société DAL s'est retrouvée seule demanderesse dans la cause.
Par jugement en date du 14 octobre 2010, le Tribunal de commerce de Paris a :
- condamné la société Les Galeries Lafayette à payer à la SDAL la somme de 109 552 avec intérêts de retard au taux légal à compter du 20 novembre 2007 et anatocisme,
- condamné la société Les Galeries Lafayette à payer à la SDAL la somme de 20 000 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- dit les parties mal fondées dans leurs demandes plus amples et contraires.
Vu l'appel interjeté le 28 décembre 2010 par la société DAL contre cette décision.
Vu les dernières conclusions signifiées, le 20 mars 2013 par la société DAL par lesquelles il est demandé à la cour de :
- confirmer partiellement le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 14 octobre 2010 en ce qu'il a dit et jugé que la société Les Galeries Lafayette avait gardé indûment à son profit des ristournes en violation avec l'article 1 des conditions générales du contrat d'affiliation ;
- infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Paris du 14 octobre 2010 en ce qu'il a débouté la SDAL de ses demandes en paiement au titre des autres violations contractuelles de la société Les Galeries Lafayette et au titre de la rupture brutale et abusive intervenue en 2001 ;
En conséquence :
- dire et juger que la société Les Galeries Lafayette n'a pas respecté les termes essentiels du Contrat d'Affiliation et notamment l'article 1, et a substitué à son profit des avantages qui revenaient à la SDAL ;
- constater la reconnaissance par la société Les Galeries Lafayette de la substitution à son profit des avantages qui revenaient aux Affiliés ;
- dire et juger que la société Les Galeries Lafayette a manqué à ses obligations au titre du Contrat d'Affiliation la liant à la SDAL, en n'exécutant pas de bonne foi ledit contrat et notamment :
en négligeant ses obligations d'assistance commerciale et ce, en violation de l'article 1 (1er alinéa), de l'article 1 (3e alinéa) et de l'article 19 du Contrat d'Affiliation ;
en abusant de son droit de modifier unilatéralement les conditions d'approvisionnement ;
en rompant brutalement et abusivement les relations commerciales le 1er avril 2001 ;
- condamner la société Les Galeries Lafayette à payer, au titre de l'indemnisation du préjudice de la SDAL entre 1996 et 2002 résultant de la non-rétrocession des avantages perçus des fournisseurs pour son compte, la somme totale de 374 120 , somme qui devra être assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation annuelle à la date de l'échéance selon les termes de l'article 1154 du Code civil ;
- condamner la société Les Galeries Lafayette à payer la somme de 1 648 000 euros, au titre de l'indemnisation du préjudice de la SDAL résultant des autres violations de ses obligations contractuelles par la société Les Galeries Lafayette ;
- dire et juger que la société Les Galeries Lafayette a brutalement et abusivement rompu la relation entre les parties en 2001 ;
- condamner la société Les Galeries Lafayette à payer la somme de 2 272 000 euros, au titre de l'indemnisation du préjudice de la SDAL résultant de la rupture brutale et abusive du Contrat par la société Les Galeries Lafayette ;
- condamner la société Les Galeries Lafayette au paiement de 40 000 euros à la SDAL sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société DAL soutient que les opérations d'expertise ont établi le comportement déloyal de la société Les Galeries Lafayette vis-à-vis de ses affiliés ainsi que le préjudice que ce comportement lui a causé. Elle fait valoir que la société Les Galeries Lafayette a manqué à ses obligations contractuelles, notamment, en ne répercutant pas systématiquement les ristournes et avantages qu'elle avait nécessairement obtenus des fournisseurs dans le cadre des achats pour lesquels elle était mandatée par les affiliés.
L'appelante ajoute que le tribunal n'a pas indemnisé l'intégralité des préjudices subis par elle du fait de la violation du contrat, telles que les pertes au titre des démarques et des retours de stocks invendus.
Elle soutient, par ailleurs, que l'intimée a violé le contrat en prélevant sur les ventes "Hors Gestion" des commissions à un taux inapproprié et qu'elle a manqué à ses obligations d'assistance commerciale, administrative et financière.
Enfin, la société DAL soutient que la société Les Galeries Lafayette lui a imposé des modifications substantielles aux conditions d'approvisionnement sous la menace d'une résiliation du contrat et que ce comportement constitue une violation des dispositions des articles L. 442-6-I, 4° et L. 442-6-I, 5° du Code de commerce. Le bouleversement, qui est intervenu sans réel préavis et avant l'amortissement des travaux imposés par la société Les Galeries Lafayette, a, selon elle, constitué une rupture brutale et abusive des relations commerciales entre les parties.
Vu les dernières conclusions signifiées, le 27 mars 2013 par la société Les Galeries Lafayette par lesquelles il est demandé à la cour de :
sur l'appel principal :
- déclarer la SDAL mal fondée en ses prétentions fins et conclusions,
- l'en débouter,
- dire et constater que c'est la SDAL qui a pris l'initiative le 26 juin 2002 de résilier le contrat d'affiliation signé le 11 avril 1995, à effet du 1er janvier 2003 ;
- dire et constater, en tout état de cause, qu'il ne saurait y avoir, de la part de la société Les Galeries Lafayette, rupture brutale et abusive des relations commerciales ;
- confirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris le 14 octobre 2010 en ce qu'il a débouté la SDAL de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour rupture abusive ou brutale des relations commerciales ;
- confirmer également le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la SDAL de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour de prétendus manquements aux obligations contractuelles ;
sur l'appel incident :
- recevant la société Les Galeries Lafayette en son appel incident du jugement susvisé :
- l'y déclarer bien fondée ;
- dire et constater, tout d'abord, qu'aux termes de l'article 1 alinéa 2 du contrat du 11 avril 1995, l'Affilié ne peut prétendre qu'au bénéfice des ristournes, escomptes et conditions de règlement, à l'exclusion d'autres avantages, spécialement lorsque ceux-ci sont négociés directement entre les fournisseurs et le Magasin ;
- dire et juger, notamment, que la SDAL ne peut, en aucune façon, prétendre à des avantages commerciaux, tels que participations à la démarque, retours de stocks invendus, participation publicitaire ou prêt de personnel ;
- infirmer le jugement entrepris en ce qui concerne la condamnation de la société Les Galeries Lafayette au paiement d'une somme de 109 552 ;
- dire et juger qu'aux termes des dispositions de l'article 246 du CPC :
"le juge n'est pas lié par les constatations ou les conclusions de l'expert"
- dire et juger que le rapport de Monsieur Antoine Thierry est, en l'état, inexploitable compte tenu des erreurs flagrantes qui l'affectent et de l'absence de toute réponse sérieuse au Dire Récapitulatif de la société Les Galeries Lafayette du 30 novembre 2006 ;
- ordonner un complément de mesure d'instruction, au besoin aux frais avancés par la société Les Galeries Lafayette, afin d'obtenir une réponse précise, soit de l'expert Thierry, soit d'un autre expert, sur l'ensemble des arguments développés par la société Les Galeries Lafayette dans son Dire Récapitulatif du 30 novembre 2006 ;
Subsidiairement :
- dire et juger que l'expert sera entendu par la cour, conformément aux dispositions de l'article 283 du CPC ;
- dire et juger qu'il sera sursis à statuer sur la demande en paiement des ristournes prétendument non reversées, jusqu'à l'issue de la mesure d'instruction complémentaire susvisée ;
- condamner la SDAL à payer à la société Les Galeries Lafayette une somme globale de 20 000 sur le fondement de l'article 700 du CPC.
La société Les Galeries Lafayette soutient que le tribunal aurait dû ordonner un complément de mesure d'instruction en raison des erreurs qu'elle a relevées dans le rapport d'expertise. Elle indique, qu'en outre, l'expert n'a pas été impartial dans l'établissement de son rapport, en reprenant notamment systématiquement les insinuations des affiliés sur une prétendue rétention, voire dissimulation d'informations.
Elle fait valoir que la société DAL ne pouvait pas bénéficier des ristournes des fournisseurs prévues dans le contrat car elle ne respectait pas la procédure du "bon à payer", condition d'obtention de ces avantages. Elle précise qu'a fortiori elle-même n'a pas perçu ces ristournes. Elle ajoute que la société DAL ne pouvait pas bénéficier d'autres avantages qu'elle revendique, comme la participation à la démarque et le retour de stock, car ceux-ci ne se trouvaient pas dans le champ contractuel et qu'elle n'a fait aucune démarche pour en bénéficier.
Par ailleurs, la société Les Galeries Lafayette oppose que la fixation des nouvelles conditions d'approvisionnement n'était pas unilatérale et qu'elle a été librement acceptée par la société DAL.
Concernant le grief de défaut d'assistance qui lui est fait par l'appelante, elle soutient que le système des contrats "hors gestion" n'était pas prévu par le contrat et que le prétendu défaut d'aide commerciale et son implication dans la perte par son affiliée de son rayon bijouterie ne sont pas fondés. Elle rappelle que la société DAL était un commerçant indépendant et qu'elle n'avait pas d'obligation d'assistance à son égard.
Enfin, elle fait valoir que le contrat a été unilatéralement résilié par l'appelante pour des raisons qui lui étaient propres et qu'elle n'en a pas pris l'initiative et, qu'en tout état de cause, la rupture n'a pas été brutale, notamment, en raison du préavis raisonnable laissé aux affiliés et du fait que le changement des conditions d'approvisionnement n'était pas substantiel. Elle rappelle à ce sujet que les affiliés ont été informés dès novembre 1999 de la nécessité de changer les modes d'approvisionnement.
LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
MOTIFS
Sur le reversement des avantages commerciaux
Le contrat d'affiliation, conclu le 11 avril 1995, prévoyait en son article I "Conditions générales" que la société Les Galeries Lafayette "fera profiter l'affiliée de tous les avantages - ristournes, escomptes, conditions de règlement - qu'elle pourra obtenir des fournisseurs". Ce contrat comportait une "Annexe financière" qui, sous un article 1.5 intitulé "gestion des statistiques marchandises et du règlement des fournisseurs", énonçait que "pour que l'affiliée puisse percevoir les ristournes ou remises de fin d'année, la société [les Galeries Lafayette] doit connaître les achats de l'affiliée par fournisseur pour que ses achats puissent être consolidés avec ceux de la société. A cette fin, l'affiliée, soit saisira - au fur et à mesure des réceptions - lui-même (...) le "bon à payer" (...) lequel validera la conformité réception marchandises/facture ; soit enverra à la société les doubles de factures - ou son relevé de factures - des fournisseurs tiers et de la SPAM Import pour saisie des BAP".
Par un avenant n° 1 la société française de manutention et de vente (la société SMV), qui est un fournisseur grossiste, lié à la société Les Galeries Lafayette, a été retenue par les parties pour "fournir un certain nombre de marchandises de manière groupée grâce à son système d'entrepôts".
Il est admis par les parties que la société Les Galeries Lafayette n'avait pas à communiquer aux affiliés les conditions de vente pratiquées par les fournisseurs en raison de leur caractère confidentiel.
Les termes de l'article 1 retranscrits ci-dessus indiquent clairement que les avantages, dont la société Les Galeries Lafayette s'est engagée à faire profiter son affiliée, sont ceux qui sont énoncés entre parenthèses à la suite du mot "avantages" soit, les ristournes, les escomptes, et les conditions de règlement qu'elle pourrait obtenir des fournisseurs. L'absence d'ambiguïté de cette clause interdit d'en faire une quelconque interprétation.
Sur la nécessité d'une expertise complémentaire
La société Les Galeries Lafayette soutient que, dans la mesure où l'expert n'a pas répondu au dire récapitulatif déposé par elle le 30 novembre 2006, il est nécessaire d'ordonner un complément de mesure d'instruction. Il convient toutefois d'observer que le rapport de l'expert consacre 17 pages (110 à 127) à la réponse au dire déposé par la société Les Galeries Lafayette le 30 novembre 2006. Par ailleurs, les erreurs qui auraient été commises par l'expert seront examinées ci-dessous et sont, ainsi qu'on le verra, sans portée.
Sur la question des "bon à payer"
Selon la société Les Galeries Lafayette, la société DAL ne saurait prétendre percevoir les avantages dont elle demande le reversement puisqu'il est reconnu par l'expert qu'elle n'a pas appliqué la procédure du "bon à payer" et que, dans l'ignorance des commandes que l'affiliée passait, elle-même n'a pu bénéficier des ristournes liées aux achats réalisés par la société DAL et ne saurait les reverser, puisqu'elle ne les a pas perçues. L'expert a précisé que la société DAL, n'avait effectivement pas respecté la procédure du "bon à payer". Il précise toutefois que cette procédure n'avait d'autre utilité que de permettre à la société Les Galeries Lafayette de disposer d'informations concernant les achats des affiliées et de l'ensemble du groupe, nécessaires à la répartition des bonifications acquises des fournisseurs. Il relève cependant que chaque magasin était identifié auprès des fournisseurs par un numéro individuel (le numéro de contremarque), lequel était mentionné sur les factures qui étaient adressées à la société Les Galeries Lafayette et que les états récapitulatifs des achats par fournisseurs communiqués par celle-ci indiquent en total général des achats n'ayant pas fait l'objet de transmission de "bon à payer". Il se déduit de l'ensemble de ces éléments que la société Les Galeries Lafayette connaissait les commandes des magasins affiliés sans avoir besoin du "bon à payer" et qu'elle disposait des éléments nécessaires au reversement des ristournes et bonifications, ce qu'elle a d'ailleurs fait dans certains cas, ainsi qu'il ressort du rapport. Le défaut de respect de cette procédure ne saurait donc justifier l'absence de reversement des ristournes et bonifications de fin d'année.
Sur les ristournes SMV
Ainsi que le fait observer la société Les Galeries Lafayette, la société SMV avait une double fonction, celle de grossiste et celle de plate-forme de répartition et de distribution aux affiliés afin de leur éviter le stockage. L'avenant n° 1, cité précédemment et désignant la société SMV pour fournir un certain nombre de marchandises à la société DAL, précisait que "La SMV pratiquera à l'égard de l'affiliée, les meilleurs prix de cession qu'elle pourra facturer, compte tenu des prix qu'elle aura obtenus de ses propres fournisseurs". En application de cette disposition, la société Les Galeries Lafayette soutient que les ristournes des produits commandés auprès de la société SMV et livrés par elle en sa qualité de grossiste n'avaient pas à être mises à sa charge.
Il résulte cependant du rapport de l'expert que ce dernier n'a appliqué un "taux SMV" dans les calculs qu'il a proposés que dans la mesure où il en détenait, de la part de la société Les Galeries Lafayette, le détail. Ceci démontre que cette société calculait les reversements des avantages commerciaux aussi au regard des achats effectués par l'intermédiaire de la société SMV. Par ailleurs, celle-ci a expliqué qu'elle ne reversait pas aux affiliées les ristournes perçues au titre de l'activité de plate-forme de marchandises de la société SMV car elle considérait que ces avantages étaient liés aux tâches de manutention et de répartition des marchandises. Cependant, le contrat d'affiliation prévoit dans les termes précités que la société Les Galeries Lafayette s'était engagée à faire profiter ses affiliées de "tous les avantages - ristournes, escomptes, conditions de règlement - qu'elle pourrait obtenir des fournisseurs", et cette disposition ne limitait pas les ristournes à celles qui récompensaient des services rendus aux fournisseurs par la seule société Les Galeries Lafayette. Dès lors, celle-ci devait faire bénéficier ses affiliées des ristournes obtenues au titre de l'activité de plate-forme, quand bien même ce service aurait-il été rendu par une société tierce, et c'est à juste titre que l'expert les a maintenues dans ses calculs.
Sur les erreurs commises par l'expert
La lecture du rapport d'expertise ne permet pas de déceler, contrairement à ce que soutient la société Les Galeries Lafayette, une partialité de l'expert au détriment de celle-ci. Le fait que ce dernier ait rappelé les circonstances dans lesquelles l'attention des affiliées a été appelée sur la nécessité de vérifier si la société Les Galeries Lafayette respectait l'obligation de les faire profiter des avantages perçus des fournisseurs, ne révèle pas un parti pris pour les affiliées, sans qu'importe que les faits les ayant alertées se soient, ensuite, révélés exacts ou non. Par ailleurs, la mention de ce que la société Les Galeries Lafayette ou certains fournisseurs n'aient pas communiqué certains accords commerciaux ou certaines pièces qui leur étaient demandées ne saurait être révélatrice d'un soupçon à l'égard de celle-ci, dès lors que l'expert n'en a pas tiré de conclusions particulières.
De plus, la société Les Galeries Lafayette ne peut reprocher à l'expert des erreurs dans les données prises en compte, dès lors que celui-ci a précisé qu'il avait établi ses taux de façon la plus représentative possible compte tenu du manque d'informations précises communiquées par elle. On relèvera à ce sujet que la société Les Galeries Lafayette ayant pris l'engagement auprès de ses affiliées de les faire profiter des avantages commerciaux perçus des fournisseurs, avait pour obligation corrélative de pouvoir justifier de la réalité du respect de ses engagements, notamment, en communiquant les données et justificatifs permettant l'exercice d'un contrôle effectif de leur part et qu'en ne le faisant pas, elle s'est exposée au risque d'une évaluation par déductions ou recoupement d'informations par un tiers expert, lequel a d'ailleurs énoncé les résultats de ses calculs avec la prudence nécessaire, précisant qu'ils étaient des minima compte tenu de données inconnues. En tout état de cause, elle ne démontre pas en quoi la prise en compte des montants TTC pour base des achats serait constitutive d'une erreur, dès lors que le ratio qui est appliqué dans la suite du calcul s'établit sur une même base comparative. De plus, la prise en compte du taux SMV est justifiée ainsi qu'il a été vu précédemment. Elle ne démontre, enfin, pas, dans quelle mesure le fait que l'expert ait finalement pris en compte certaines ristournes conditionnelles a pu fausser ses calculs.
Il ressort de l'ensemble de ce qui précède que les calculs de l'expert aboutissent à un taux que les premiers juges ont retenu à juste titre, sans qu'il soit nécessaire de procéder à une expertise complémentaire.
Sur le préjudice subi au titre des ristournes non rétrocédées
L'expert a, compte tenu des données manquantes, établi a minima le taux qui aurait dû être appliqué aux achats effectués par la société DAL pour chiffrer le montant dont elle devait bénéficier au tire des rétrocessions de ristournes. Le tribunal a, par une juste appréciation que la cour adopte, ajouté à ce montant un coefficient de 30 % permettant suffisamment de tenir compte de l'incertitude résultant du manque de données effectives. Il n'y a donc pas lieu de modifier la fixation du montant du préjudice subi à ce titre par la société DAL qui ne démontre pas qu'il aurait été plus important.
Sur les autres préjudices invoqués par la société DAL
La société DAL ne démontre pas que l'expert aurait évalué les préjudices résultant de l'absence de reversement des avantages concernant les taux de démarque ou les retours de stocks invendus en ne retenant que les achats effectués auprès de 44 fournisseurs sélectionnés dans le cadre des travaux d'expertise et ses demandes sur ce point ne peuvent être accueillies. Le fait que l'expert n'ait pu avoir connaissance de la totalité des conditions commerciales des fournisseurs sur ce point a, dans une mesure satisfaisante, été pris en compte par l'application des taux multiplicateurs à laquelle il a procédé et la société DAL ne rapporte pas la preuve que ses préjudices auraient été plus importants. Il convient sur ce point de relever que la société Les Galeries Lafayette n'apporte aucun document permettant d'attester de ce que les retours de stocks et les participations à la démarque n'auraient débuté qu'en septembre 2000 pour les magasins de catégorie B, à laquelle appartenait le magasin exploité par la société DAL. L'intimée ne justifie, par ailleurs, pas avoir proposé à la société DAL de bénéficier de ces ristournes en renvoyant les stocks de collections invendus ou en faisant prendre en charge un certain taux de démarques par les fournisseurs, ce qui lui incombait, compte tenu de l'engagement pris par elle de faire profiter ses affiliées des ristournes qu'elle pouvait obtenir de la part de ces fournisseurs.
Par ailleurs, la société DAL ne peut se prévaloir de ce que des avantages perçus par la société Les Galeries Lafayette au titre des participations publicitaires ou de la mise à disposition de personnels de démonstration auraient été reversés à celle-ci alors que seuls les ristournes, escomptes ou conditions de règlement, énoncés par le contrat d'affiliation devaient donner lieu à un reversement.
Au regard de l'ensemble de ces éléments, le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Les Galeries Lafayette à payer à la société DAL la somme de 109 552 euros au titre des avantages commerciaux non reversés.
Sur les autres inexécutions contractuelles
Les commissions sur les chiffres d'affaires réalisés "hors gestion"
Il résulte de la lecture combinée de l'article 9 du contrat d'affiliation et 6 des conditions particulières que lorsque l'affilié mettrait des surfaces de vente à la disposition de concessionnaires, la société Les Galeries Lafayette percevrait une commission fixée à 1 % du chiffre d'affaires réalisé par le concessionnaire. Le contrat ne comporte aucune autre disposition concernant des mises à dispositions de locaux et notamment aucune clause concernant des "ventes hors gestion". Il se déduit de ces éléments que la rémunération à laquelle la société Les Galeries Lafayette pouvait prétendre concernant les ventes de marques à l'égard desquelles elle n'intervenait pas, ne pouvait relever de l'application d'un taux de redevance de 2,3 % sur les ventes réalisées, mais de celui de 1 % prévue au titre des concessions. Dès lors, la perception de commissions au taux de 2,3 % sur ces ventes était injustifiée et la société Les Galeries Lafayette devra, à ce titre, reverser la somme de 16 067 euros réclamée par la société DAL, sans que ce montant soit contesté par l'intimée.
Le défaut d'assistance commerciale administrative et financière
Ainsi que le souligne la société DAL, le contrat d'affiliation précisait que les parties souhaitaient établir entre elles un partenariat fondé sur la confiance et l'ambition respectives et l'article I que la société Les Galeries Lafayette apporterait à son affiliée ses conseils et son assistance "dans des conditions à déterminer le moment venu", afin de maintenir son magasin à un niveau qualitatif suffisant pour répondre aux exigences éventuelles des fournisseurs.
Eu égard au partenariat ainsi conclu, il ne peut être reproché à la société Les Galeries Lafayette le fait, auquel elle a été étrangère, que la société ayant repris l'exploitation de la marque, "New Gold" n'ait pas souhaité continuer cette exploitation dans le magasin de la société DAL.
Par ailleurs, dans la mesure où les termes du contrat d'affiliation ne comportait aucune disposition en ce sens, il ne peut, non plus, être reproché à la société Les Galeries Lafayette de ne pas avoir "favorisé" l'implantation de concessions de marques "hors gestion", alors, d'une part qu'elle n'avait souscrit aucun engagement à ce titre, d'autre part, que la société DAL ne démontre pas qu'elle aurait sollicité un quelconque appui à ce sujet. De même, il ne résulte d'aucune disposition du contrat que la société Les Galeries Lafayette aurait dû donner une quelconque information dans l'organisation d'opération de promotions commerciales à la société DAL, laquelle demeurait, selon les termes de l'article 2 du contrat d'affiliation, un commerçant indépendant, assurant la pleine et entière liberté de gestion.
Sur la rupture brutale et abusive des relations commerciales
La société DAL soutient que la société Les Galeries Lafayette lui a imposé, de manière arbitraire et brutale, la conclusion d'un avenant au contrat d'affiliation bouleversant les conditions d'approvisionnement et que, par ce comportement, elle a violé les articles L. 442-6, I, 4° et 5° du Code de commerce.
La société Les Galeries Lafayette, par lettre adressée le 28 février 2001 à M. Ruste, dirigeant de la société DAL, a, dans la suite des informations délivrées au cours d'une réunion avec les affiliées, tenue quelques jours auparavant, adressé trois options d'avenants pour définir les relations à venir. Cette lettre précisait que le choix des affiliées devait intervenir avant le 2 avril 2001 et que l'hypothèse d'un défaut de réponse dans ce délai, ou le fait que les propositions ne conviennent pas, impliquerait de la part de la société DAL "le choix de ne plus poursuivre le partenariat" et que dans ce cas "la résiliation du Contrat d'affiliation prendrait effet le 1er juillet 2002".
Il convient d'analyser le procédé ainsi mis en œuvre par la société Les Galeries Lafayette au regard des situations de responsabilité énoncées par les dispositions du Code de commerce invoquées par la société DAL. On rappellera à cet égard que l'article L. 442-6, I instaure des cas de responsabilité per se pour un opérateur économique qui impose, sous la menace d'une rupture brutale totale ou partielle des relations commerciales, des conditions manifestement abusives concernant les prix, les délais de paiement, les modalités de vente ou de services ne relevant pas des obligations d'achat et de vente (4°) ou, qui rompt brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels (5°).
Aux termes de ces dispositions ne sont prohibées que les menaces de rupture ou les ruptures ayant un caractère brutal, c'est-à-dire sans que soit laissé à la partie qui subit la rupture un préavis raisonnable pour lui permettre de trouver une solution de remplacement à la relation commerciale en cause.
En l'espèce, les termes de la lettre du 28 février 2001 laissaient le choix à la société DAL entre la possibilité de conclure l'un des trois avenants ou de procéder à la résiliation du contrat qui prendrait effet à l'issue d'un préavis de 16 mois. Or la relation commerciale qui avait débuté en avril 1995 avait, à la date à laquelle a été reçue la lettre du 28 février 2001, pratiquement une durée de six ans.
Il est justifié par la société DAL qu'elle avait mis en œuvre, entre 1995 et 1996, d'importants travaux de restructuration des surfaces de son immeuble pour répondre aux préconisations de la société Les Galeries Lafayette qui se sont élevés au total de 2 021 586,36 F, soit 357 802, 89 euros. Par ailleurs la société Les Galeries Lafayette constituait, du fait du contrat d'affiliation, son partenaire quasi exclusif d'approvisionnement et donc de revenus.
Au regard de l'ensemble de ces éléments, il apparaît que le préavis de 16 mois que la société Les Galeries Lafayette prévoyait de lui accorder dans la lettre du 28 février 2001, était suffisant pour que la rupture soit réalisée avec un délai de préavis raisonnable. À cet égard la société Les Galeries Lafayette n'encourt pas de reproche au regard des deux dispositions précitées.
Cependant, le caractère brutal la rupture doit encore être apprécié compte tenu des circonstances dans lesquelles la société DAL a finalement signé le troisième avenant proposé. Il ressort des termes de la lettre du 28 février 2001 qu'il lui était laissé un délai d'un mois pour décider de la solution la plus favorable à ses intérêts. Il résulte cependant des pièces produites que les parties ont correspondu au-delà de la date limite, que la société DAL a demandé des compléments d'informations qui lui ont été donnés par la société Les Galeries Lafayette, puis que les affiliées ont tenté de négocier des modifications. Si ces négociations n'ont pas abouti, il n'en demeure pas moins que la société DAL n'a finalement retourné l'avenant n° 3 signé que le 26 septembre 2001, alors qu'il le lui était demandé depuis le 17 août 2001 et qu'elle ne peut prétendre n'avoir eu qu'un mois pour se décider, puisque dans les faits elle a bénéficié de sept mois pour se déterminer.
Enfin, le caractère brutal de la rupture doit aussi être examiné au regard de la situation qui a suivi la signature par la société DAL du troisième avenant, puisque, par lettre du 26 juin 2002, elle a notifié à la société Les Galeries Lafayette la résiliation du contrat avec effet au 1er janvier 2003, ce que celle-ci a accepté le 27 août et lui a confirmé le 6 décembre 2002. La société DAL impute cette rupture aux difficultés d'approvisionnement, auxquelles elle se serait heurtée à la suite des modifications liées à la signature de l'avenant, et qui auraient entraîné une baisse brutale de son chiffre d'affaires. On relèvera cependant sur ce point que cette baisse n'est que relative puisque le chiffre d'affaires est passé de 11 187 412 francs (soit 1 705 398 euros) TTC en 1999 à 1 467 562 euros en 2002 (si l'on intègre l'ouverture du magasin Jennyfer dont le chiffre d'affaires a été déclaré à la société Les Galeries Lafayette). Par ailleurs, il résulte des factures produites par la société DAL (pièce n° 25) que, dès le mois d'octobre 2001 (certaines factures datant d'ailleurs de mois précédents), elle a fait réaliser des travaux importants de reconversion de son magasin. Ceci démontre qu'elle avait d'ores et déjà programmé à ce moment, soit bien antérieurement à la rupture signifiée le 26 juin 2002, de modifier le modèle économique de son magasin et avait décidé de cesser ses approvisionnements auprès de la société Les Galeries Lafayette, dont elle a bénéficié jusqu'au 31 décembre 2002. Il n'est donc pas établi que la rupture du 26 juin 2002 serait intervenue brutalement du fait des manquements de la société Les Galeries Lafayette dans ses approvisionnements et le jugement doit être confirmé sur ce point.
Sur les frais irrépétibles
L'équité ne commande pas de faire application en l'espèce des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement rendu entre les parties par le Tribunal de commerce de Paris, le 14 octobre 2010, en toutes ses dispositions ; Y ajoutant, Condamne la société Les Galeries Lafayette à payer à la société DAL la somme de 16 067 euros au titre des commissions sur les chiffres d'affaires réalisés "hors gestion", Dit n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société Les Galeries Lafayette aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.