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Décisions

CA Rouen, 1re ch., 29 mai 2013, n° 12-03663

ROUEN

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Toleco (SAS)

Défendeur :

Comeltec (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dos Reis

Conseillers :

Mme Boisselet, M. Gallais

Avocats :

Mes Enault, Lachenaud, Couppey Leblond, Crevecoeur

T. com. Evreux, du 28 mai 2009

28 mai 2009

Selon contrat du 1er avril 2003, auquel s'est substitué un nouvel accord du 31 décembre 2005 à effet au 1er janvier 2006 et pour cinq ans, la société Comeltec (ci-après Comeltec) est devenue l'agent commercial de la société Toleco (ci-après Toleco), exerçant son activité dans le secteur de la construction mécanique et tôlerie, toutes deux animées par la même personne physique, Gilles Turgis. Ce dernier a cependant, par l'intermédiaire de la société holding Sepic qu'il anime, cédé l'intégralité des actions Toleco à une société LM Industrie ayant pour dirigeant Ludovic Marzin selon protocole du 28 avril 2006, tout en restant à la tête de Comeltec.

Des difficultés se sont élevées entre cédant et cessionnaire, ce dernier remettant en cause le prix définitif de cession. Dans ce contexte, Toleco a contesté le montant des commissions versées à Comeltec entre 2003 et le 31 décembre 2005, et a suspendu le versement de ses commissions à compter de mai 2007, ce qui a conduit Comeltec à prendre acte de la rupture.

Par acte du 13 septembre 2007, Toleco a assigné Comeltec devant le Tribunal de commerce d'Evreux en paiement de la somme de 66 056,03 euro au titre du remboursement de commissions selon elle indûment perçues entre 2003 et 2005.

Par acte du 19 octobre 2007, Toleco a à nouveau assigné Comeltec devant le Tribunal de commerce d'Evreux auquel elle demandait de constater la rupture du contrat d'agent commercial aux torts de son agent et de condamner ce dernier à lui payer la somme de 168 746,52 euro à titre d'indemnité compensatrice de la rupture. Comeltec a formé des demandes reconventionnelles en paiement d'indemnités compensatrices du préjudice né de la rupture du contrat aux torts de sa mandante, ainsi que des commissions dues depuis mai 2007 et jusqu'au terme prévu du contrat.

Le Tribunal de commerce d'Evreux a refusé de joindre les deux instances et a, par deux jugements du 28 mai 2009, d'une première part, condamné Comeltec à rembourser à Toleco la somme de 66 056,03 euro au titre de commissions indûment perçues, et, d'une seconde part, a admis la demande indemnitaire de Comeltec au titre de la perte des commissions jusqu'au terme du contrat, à hauteur de 280 000 euro, mais débouté les parties du surplus de leurs demandes, retenant qu'aucune indemnité de rupture n'était due dans la mesure où Comeltec s'était affranchie de la clause de non-concurrence stipulée au contrat d'agent commercial.

Par deux arrêts du 24 mars 2011, la cour de céans, a confirmé la condamnation de Comeltec pour la somme de 66 056,03 euro, mais, réformant le second jugement, a dit que chaque partie avait sa part de responsabilité dans la rupture contractuelle et rejeté leurs demandes respectives d'indemnisation.

Le pourvoi formé contre le premier arrêt ayant fait l'objet d'une décision de non-admission, la condamnation au titre des commissions indues pour 66 056,03 euro est devenue définitive.

Sur pourvoi de Comeltec, la Cour de cassation, a cassé le second arrêt dans toutes ses dispositions au visa des articles L. 134-12 et L. 134-13 du Code de commerce. Ayant rappelé qu'il résultait de ces textes que, sauf si la cessation du contrat est provoquée par sa faute grave ou résulte de son initiative, à moins que cette cessation ne soit justifiée par des circonstances imputables au mandant ou dues à l'âge, l'infirmité ou sa maladie, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi, la Cour de cassation a reproché à la cour de céans d'avoir ainsi statué sans relever de circonstances propres à exclure le droit à indemnisation de l'agent, et d'avoir dès lors violé les textes susvisés. L'affaire a été renvoyée devant la Cour de Rouen autrement composée.

Par conclusions du 5 mars 2013, Comeltec demande à la cour de :

- confirmer le jugement sur la condamnation de Toleco à lui payer la somme de 280 000 euro en principal,

- condamner Toleco à lui payer en outre les sommes de :

- 168 000 euro à titre d'indemnité de rupture sur la base de deux ans de commissions,

- 10 000 euro à titre de dommages et intérêts pour comportement déloyal,

- les intérêts au taux légal sur les indemnités allouées à compter du 13 septembre 2007, avec la majoration prévue à l'article L. 313-3 du Code monétaire et financier pendant la période de suspension de l'exécution provisoire,

- 8 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- confirmer le jugement en ses autres dispositions non contraires.

Par conclusions du 12 mars 2013, Toleco demande à la cour de :

- se déclarer incompétente en ce qui concerne la demande de maintien des intérêts pendant la période de suspension de l'exécution provisoire au profit du juge de l'exécution,

- condamner Comeltec à lui payer la somme de 168 746,52 euro en réparation du préjudice causé par la rupture abusive du contrat, avec intérêts au taux légal à compter du 24 septembre 2007,

- constater la violation par Comeltec de son obligation de non-concurrence et de confidentialité,

- désigner un expert afin de chiffrer le quantum du préjudice causé par cette violation,

- débouter Comeltec de sa demande d'indemnité de rupture, et au titre des commissions dues jusqu'à l'échéance du contrat,

- débouter Comeltec de sa demande de dommages et intérêts,

- condamner Comeltec à lui payer la somme de 8 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 13 mars 2013.

Sur quoi LA COUR :

Sur l'imputabilité de la rupture :

Les dispositions d'ordre public des articles L. 134-12 et L. 134-13 du Code de commerce prévoient qu'en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en raison du préjudice subi, mais que cette réparation n'est pas due si la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial, ou si elle résulte de son initiative, à moins que cette cessation ne soit justifiée par des circonstances imputables au mandant.

La chronologie précise des faits est la suivante:

LM Industrie remettant en cause le montant définitif du prix de vente des titres Toleco, une convention d'arbitrage a été signée par les parties le 29 juin 2007. Le 13 juillet suivant, le conseil de Toleco a, par courrier recommandé, indiqué à Comeltec qu'à raison de certaines irrégularités dans le calcul des commissions de Comeltec, assises sur l'intégralité du chiffre d'affaire de Toleco, et calculées sur la base d'un taux de 6 % au lieu de celui de 1,5 % stipulé au contrat de 2003 seul porté à sa connaissance, et sur le fondement de la compensation légale entre créances réciproques, le paiement des facturations de Comeltec serait suspendu jusqu'à ce que lui soient fournis les éclaircissements souhaités sur cette situation. Toleco a ainsi laissé impayées les factures des commissions de mai 2007, facturées le 11 juin 2007 pour 9 339 euro 70 TTC et de juin 2007, facturées le 6 juillet 2007 pour 10 491,16 euro, ce qui a donné lieu à protestations de Comeltec par courrier simple du 18 juillet 2007, courriel du 19 juillet 2007, courriers recommandés des 26 juillet et 3 septembre 2007, et enfin courrier recommandé du 13 septembre 2007 prenant acte de la résiliation du contrat pour défaut de paiement de ces commissions dans le délai contractuel, et indiquant au mandant que l'agent, en application du contrat en cas de défaut de paiement de commissions, s'estimait libéré de son obligation de confidentialité.

Sur la demande de Toleco tendant à la résiliation aux torts de son agent :

La réalité de paiements non causés de Toleco au profit de Comeltec a été reconnue par arrêt devenu définitif du 24 mars 2011, pour la somme de 66 056,03 euro au titre de la période située entre 2003 et le 31 décembre 2005, étant rappelé qu'à l'époque les deux sociétés étaient animées par Gilles Turgis. Le débat fourni entretenu par les parties sur la connaissance qu'avait ou non Toleco du taux de commission applicable à Comeltec est donc vain.

Pour autant, alors que l'importance de ces paiements exclut qu'ils aient pu être faits par erreur par Toleco (sous la direction de Gilles Turgis), cette dernière ne s'en est pas prévalue contre sa mandataire avant le changement intervenu dans la personne de son dirigeant, et, alors même que ce changement était effectif et qu'elle avait assigné Comeltec, le 13 septembre 2007, en remboursement de la somme de 66 056,03 euro, elle a, par courrier recommandé du 24 septembre 2007, expressément invité Comeltec à revenir sur son courrier du 13 septembre 2007 et à poursuivre l'exécution du contrat d'agent commercial, position qu'elle n'a abandonnée que près d'un mois plus tard lors de son assignation du 19 octobre 2007. Le montant des factures impayées a été réglé concomitamment à la lettre de résiliation du 13 septembre 2007 de Comeltec, ainsi qu'en témoigne la pièce n° 18 de Toleco, qui fait apparaître un débit du compte Carpa du conseil de Toleco du 12 septembre 2007 et un dépôt des chèques sur celui du conseil de Comeltec du 14 septembre 2007, l'encaissement des sommes par Comeltec étant du 6 octobre 2007.

Il est de droit constant que la faute grave de l'agent, susceptible de justifier la résiliation du contrat sans indemnité doit porter atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et rendre impossible le maintien du lien contractuel. Or en l'espèce, bien qu'incontestables depuis l'arrêt du 24 mars 2011, les paiements indus de commissions au profit de Comeltec sont imputables à la stratégie personnelle de Gilles Turgis en ses qualités cumulées de dirigeant des deux sociétés, et ne sont pas la cause déterminante de la rupture des relations contractuelles entre toutes deux, puisque Toleco, qui a effectué ces paiements en toute connaissance de cause, ne s'est jamais prévalue de leur caractère injustifié au cours des années 2003 et 2005, et a par ailleurs, alors que la nouvelle direction était en fonction, tergiversé sur l'attitude à adopter quant au sort du contrat. Ceci démontre suffisamment que, même aux yeux du mandant, cette situation, bien que constituant un grief légitime à l'encontre de Comeltec, ne rendait pas en elle-même impossible le maintien des relations contractuelles.

Toleco ne peut davantage se prévaloir d'un manquement à la probité imputable à son agent, c'est-à-dire à Comeltec, résultant des faits sanctionnés par le Tribunal correctionnel de Versailles en son jugement du 12 novembre 2012, puisque cette condamnation, qui n'est, selon les écritures de Toleco elle-même, pas définitive, avait pour objet de réprimer des faits d'abus de biens sociaux commis par Gilles Turgis en sa qualité de dirigeant de Toleco qui ne concernaient pas Comeltec puisqu'il s'agissait de revente pour son propre compte de produits appartenant à Toleco.

La perception non causée par Comeltec des sommes visées ne peut donc dans les circonstances qui viennent d'être rappelées justifier la résiliation du contrat d'agent commercial aux torts de l'agent et sans indemnité. La demande formulée à titre principal par Toleco dans son assignation introductive d'instance devait donc être rejetée. La cour ne peut qu'observer qu'elle l'a été implicitement par le tribunal.

Sur la demande reconventionnelle de Comeltec, tendant à ce qu'il soit jugé que la rupture est imputable à la faute du mandant :

Il résulte en effet de l'article 6, point 6 des contrats successifs qu'en cas de retard de paiement des commissions supérieur à un mois, l'agent se réserve le droit de rompre unilatéralement le contrat sans indemnisation à l'égard du mandant, la rupture étant annoncée par lettre recommandée et l'agent étant ensuite libre de tout engagement envers le mandant et pouvant immédiatement signer tout type de contrat avec un concurrent. Cette disposition, parfaitement claire, permettait, contrairement aux affirmations de Toleco sur ce point, à l'agent de rompre immédiatement le contrat sans recours à justice, et sans autre formalité que celle prévue.

Selon le point 4 de l'article 6 du contrat, les commissions sont payables chaque fin de mois "m + 1" sur la base du chiffre d'affaire du mois "m". Les commissions de mai 2007 étaient donc dues à compter du 30 juin 2007, et celles de juin du 31 juillet 2007. Elles n'ont été déposées sur le compte Carpa du conseil de Comeltec que le 14 septembre 2007, et perçues par Comeltec que le 6 octobre 2007. Comeltec était donc fondée, alors surtout qu'elle avait expressément et à plusieurs reprises mis en garde son mandant sur la faculté qui lui était offerte par le contrat, à prendre acte de sa rupture, dès le 1er juillet 2007, ce qu'elle n'a cependant fait que le 13 septembre, de sorte qu'il ne peut lui être reproché une précipitation excessive révélatrice de sa mauvaise foi. Par ailleurs Toleco ne soutient même pas avoir considéré que sa créance, au titre des sommes indûment versées, était en péril, et a au contraire unilatéralement privé son agent des commissions constituant une partie de son chiffre d'affaire et donc de sa trésorerie, alors que ni leur principe ni leur montant n'ont jamais été contestés. Elle ne pouvait enfin utilement invoquer le principe de la compensation entre créances réciproques, puisque les sommes dont elle se prétendait créancière étaient encore contestées, et ne sont devenues certaines dans leur principe et leur montant que le 24 mars 2011.

Le tribunal a donc justement retenu que le mandant était à l'origine de circonstances justifiant, selon les termes du contrat, une résiliation du contrat à l'initiative de l'agent.

Sur les demandes indemnitaires :

Il résulte de la chronologie ci-dessus rappelée, que l'initiative, prise par Comeltec, de résilier le contrat a été concomitante avec le règlement des sommes fautivement retenues par Toleco, et que Comeltec a, alors que leur règlement était en cours, refusé l'offre de Toleco de revenir sur sa décision de rupture. En outre, l'importance des sommes indûment perçues par Comeltec entre 2003 et 2005, ainsi que la confusion existant à cette période entre les directions des deux sociétés exclut toute bonne foi de Comeltec lors de la perception de ces sommes et démontre au contraire que Gilles Turgis a asséché la trésorerie de la société qu'il allait céder au profit de Comeltec qu'il projetait de conserver. Il est donc établi que la faute de Toleco a été très largement provoquée par celle, préalable, de Comeltec. Or, ayant pris l'initiative de mettre fin au contrat, Comeltec ne peut prétendre à une indemnité compensatrice de cessation du contrat que si cette dernière est justifiée exclusivement par des circonstances imputables à la société Toleco, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Comeltec sera donc déboutée de toutes ses demandes indemnitaires.

Celle de Toleco ne peut davantage prospérer puisque la rupture du contrat lui est partiellement imputable, étant rappelé que ce dernier prévoit expressément qu'en un tel cas l'agent n'est plus lié par l'obligation de confidentialité prévue à son article 8. En outre le seul fait que le chiffre d'affaire avec certains clients appartenant à la clientèle commune ait diminué ne suffit pas à démontrer que Comeltec aurait obtenu des commandes. La demande tendant à la désignation d'un expert afin d'évaluer le préjudice subi du chef de la violation de cette obligation est donc sans objet.

Comeltec étant déboutée de ses demandes indemnitaires, ses demandes intéressant les intérêts des sommes allouées par le tribunal sont sans objet.

Comeltec, dont le comportement n'est pas exempt de critique notamment au regard de l'encaissement de commissions indues, ne démontre pas de préjudice particulier spécifiquement causé par la déloyauté qu'elle reproche à Toleco, et sa demande de dommages et intérêts à ce titre sera rejetée.

Sur les autres demandes :

Chacune des parties succombant en ses demandes, chacune conservera la charge de ses dépens de première instance, de la présente instance d'appel ainsi que de celle ayant conduit à l'arrêt cassé, sans qu'il y ait lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, Vu l'arrêt de la Cour de cassation du 26 juin 2012 cassant en toutes ses dispositions l'arrêt de la cour de céans du 24 mars 2011, Infirmant le jugement entrepris et statuant à nouveau, Dit que la cessation du contrat d'agent commercial n'est que partiellement imputable à la société Toleco, Déboute les parties de leurs demandes indemnitaires respectives, Déboute les parties du surplus de leurs demandes au fond, Dit que chacune des parties conservera la charge des dépens par elle exposés en première instance et dans le cadre des deux instances d'appel.