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Décisions

CJUE, 9e ch., 20 juin 2013, n° C-186/12

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Impacto Azul Lda

Défendeur :

BPSA 9 - Promoção e Desenvolvimento de Investimentos Imobiliários SA , Bouygues Imobiliária - SGPS Lda , Bouygues Immobilier SA , Aniceto Fernandes Viegas , Óscar Cabanez Rodriguez

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Malenovský

Avocat général :

M. Wathelet

Juges :

Mme Prechal, M. Lõhmus (rapporteur)

Avocats :

Mes Faria, Coelho Rocha, Marques Mendes, Vilarinho Pires, Dias Henriques

CJUE n° C-186/12

20 juin 2013

LA COUR (neuvième chambre),

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l'interprétation de l'article 49 TFUE.

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d'un litige opposant Impacto Azul Lda (ci-après "Impacto Azul") à BPSA 9 - Promoção e Desenvolvimento de Investimentos Imobiliários SA (ci-après "BPSA 9"), à Bouygues Immobiliária - SGPS Lda, (ci-après "SGPS") et à Bouygues Immobilier SA (ci-après "Bouygues Immobilier"), ainsi que, à titre subsidiaire, à MM. A. Fernandes Viegas et Ó. Cabanez Rodriguez, au sujet de l'inexécution par BPSA 9 d'un contrat conclu avec Impacto Azul.

Le droit portugais

3 L'article 481 du titre VI du code des sociétés commerciales (Código das sociedades comerciais, ci-après le "CSC") dispose:

"Champ d'application de ce titre

1. Le présent titre s'applique aux rapports entre sociétés à responsabilité limitée, sociétés anonymes et sociétés en commandite par actions.

2. Le présent titre ne s'applique qu'aux sociétés ayant leur siège au Portugal [...]

[...]"

4 L'article 482 du CSC est libellé comme suit:

"Aux fins de la présente loi, sont considérées comme sociétés liées:

[...]

c) les sociétés en relation de contrôle;

d) les sociétés en relation de groupe."

5 Il résulte des articles 488, 489, 492 et 493 du CSC que deux sociétés sont en relation de groupe en cas de contrôle total de l'une sur l'autre (préexistante ou ultérieure), la circonstance que l'une de celles-ci ait été créée avant l'autre ou inversement étant sans importance à ce sujet, ou lorsque, en tant que sociétés indépendantes, elles sont convenues de se soumettre à une direction unitaire et commune (groupe paritaire), ou encore lorsque, qu'elle soit dépendante ou indépendante, une société confie à l'autre la gestion de ses activités (relation de subordination).

6 L'article 491 du CSC prévoit:

"Les dispositions des articles 501 à 504 et celles applicables en vertu de ces articles s'appliquent au groupes constitués par contrôle total."

7 Aux termes de l'article 501 du CSC:

"1. La société mère prend en charge les obligations de la filiale, constituées avant ou après la conclusion de l'accord de contrôle, jusqu'au terme de celui-ci.

2. La prise en charge par la société mère ne peut être exigée avant l'écoulement d'un délai de 30 jours à compter de la constitution en demeure de la filiale.

3. Un titre exécutoire contre la filiale ne peut être mis à exécution contre la société mère."

Le litige au principal et la question préjudicielle

8 Impacto Azul est une société portugaise à responsabilité limitée dont l'activité économique consiste, notamment, en l'achat et la vente d'immeubles. BPSA 9, SGPS et Bouygues Immobilier faisaient partie du groupe multinational de promotion immobilière Bouygues et formaient de facto un groupe avec des relations de contrôle total, au sens des articles 488 et 489 du CSC. En effet, la société portugaise BPSA 9 était détenue à 100 % par SGPS, qui avait également son siège au Portugal, et qui a été contrôlée, à son tour, totalement par la société française Bouygues Immobilier, société mère qui dirigeait toutes les sociétés qui composaient le groupe.

9 Le 28 juillet 2006, Impacto Azul et BPSA 9 ont conclu un contrat de promesse de vente et d'achat (ci-après le "contrat") aux termes duquel Impacto Azul avait promis de vendre à BPSA 9 un nouvel immeuble et cette dernière s'était engagée à le lui acheter. Selon Impacto Azul, BPSA 9 n'a pas respecté ses obligations contractuelles. En raison de la crise économique et de la conjoncture défavorable, Bouygues Immobilier aurait décidé de renoncer au projet en faisant ainsi supporter à Impacto Azul les dommages causés par ce renoncement.

10 Après une tentative de règlement amiable de ce litige avec BPSA 9, Impacto Azul a introduit devant le Tribunal Judicial de Braga une action en responsabilité contre cette société pour inexécution du contrat conclu avec celle-ci.

11 Dans le cadre de ce recours, Impacto Azul a fait valoir, notamment, que le manquement au contrat était imputable principalement à SGPS et à Bouygues Immobilier, en leur qualité de sociétés mères, conformément à la responsabilité solidaire des sociétés mères pour les obligations de leurs filiales, telle que prévue à l'article 501 du CSC, lu en combinaison avec l'article 491 de ce même code.

12 Il ressort de la décision de renvoi qu'il a été allégué par les parties défenderesses au principal, d'une part, que Bouygues Immobilier ne contrôlait pas totalement les sociétés BPSA 9 et SGPS, un tel contrôle étant un critère de forme essentiel pour l'application du régime légal de responsabilité des groupes de sociétés prévu à l'article 491 du CSC et, d'autre part, que le régime établi à l'article 501 du CSC n'était pas applicable en l'espèce, compte tenu de l'article 481, paragraphe 2, du même code, qui exclut l'application dudit régime aux sociétés mères ayant leur siège dans un autre État membre. La société Bouygues Immobilier ayant son siège en France, elle ne pourrait ainsi être tenue pour responsable envers les créanciers de BPSA 9.

13 Ladite exclusion conduisant à une différence de traitement entre les sociétés mères ayant leur siège au Portugal et les sociétés mères ayant leur siège dans un autre État membre, Impacto Azul a invoqué une violation de l'article 49 TFUE.

14 La juridiction de renvoi éprouve des doutes sur la compatibilité de la réglementation portugaise en cause avec le droit de l'Union et estime que la résolution du litige dont elle est saisie dépend de l'interprétation de ce droit.

15 Dans ces conditions, le Tribunal Judicial de Braga a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

"L'inapplicabilité du régime de l'article 501 du CSC aux entreprises établies dans un autre État membre, en vertu du régime prévu à l'article 481, paragraphe 2, du CSC, est-elle contraire au droit [de l'Union], notamment à l'article 49 TFUE, tel qu'interprété par la Cour de justice [de l'Union européenne]?"

Sur la compétence de la Cour et la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

16 BPSA 9 soulève, à titre liminaire, la question de la compétence de la Cour pour se prononcer sur l'article 49 TFUE au motif que le litige au principal porte sur une situation purement interne, ainsi que de la recevabilité de la décision préjudicielle, notamment en raison du fait que la pertinence de la question pour la solution de ce litige n'est pas évidente.

17 S'agissant de l'argument selon lequel le litige au principal porterait sur une situation purement interne, il y a lieu pour la Cour de vérifier sa propre compétence pour se prononcer sur l'interprétation de ladite disposition (voir, en ce sens, arrêts du 31 janvier 2008, Centro Europa 7, C-380-05, Rec. p. I-349, point 64; du 11 mars 2010, Attanasio Group, C-384-08, Rec. p. I-2055, point 22, ainsi que du 22 décembre 2010, Omalet, C-245-09, Rec. p. I-13771, point 10).

18 À cet égard, il convient de rappeler que la Cour a exclu sa compétence lorsqu'il est manifeste que la disposition du droit de l'Union soumise à l'interprétation de la Cour ne peut trouver à s'appliquer (arrêt du 1er octobre 2009, Woningstichting Sint Servatius, C-567-07, Rec. p. I-9021, point 43, et Omalet, précité, point 11).

19 Selon une jurisprudence constante, les dispositions du traité FUE en matière de liberté d'établissement ne trouvent pas à s'appliquer à une situation dont tous les éléments se cantonnent à l'intérieur d'un seul État membre (voir, en ce sens, arrêts du 3 octobre 1990, Nino e.a., C-54-88, C-91-88 et C-14-89, Rec. p. I-3537, point 11; du 30 novembre 1995, Esso Española, C-134-94, Rec. p. I-4223, point 17, ainsi que du 17 juillet 2008, Commission/France, C-389-05, Rec. p. I-5397, point 49).

20 Certes, il ressort de la décision de renvoi qu'Impacto Azul, BPSA 9 et SGPS ont leurs sièges au Portugal et que l'applicabilité de la législation en cause au principal est circonscrite à cet État membre. Cependant, le fait que Bouygues Immobilier est la société mère établie en France permet, en principe, d'identifier un élément transfrontalier et, partant également, le préalable indispensable à l'invocation des libertés de circulation garanties par le traité. Par conséquent, il ne saurait être considéré que la question concerne une situation purement interne, comme le soutient BPSA 9.

21 La Cour est donc compétente pour examiner cette question.

22 Pour ce qui est de la recevabilité de la demande de décision préjudicielle, BPSA 9 soutient que la question posée n'est pas pertinente, voire est de nature hypothétique, et que la juridiction de renvoi ne fournit pas suffisamment d'éléments de fait et de droit pour vérifier si l'interprétation de l'article 49 TFUE est nécessaire aux fins de la solution du litige au principal.

23 D'une part, BPSA 9 soutient qu'il est inutile de savoir si l'article 501 du CSC est conforme à l'article 49 TFUE dans la mesure où, à la lumière du droit portugais applicable en l'espèce, les trois sociétés concernées ne forment pas un groupe constitué par contrôle total. Or, la juridiction nationale ne se serait pas encore prononcée à cet égard.

24 D'autre part, BPSA 9 fait valoir qu'il résulte de l'application combinée des articles 491 et 501, paragraphe 2, du CSC que la prise en charge des obligations de sa filiale par une société mère ne peut être exigée avant l'écoulement d'un délai de 30 jours à compter de la constitution en demeure de la filiale, alors que ce délai n'a pas été respecté.

25 Il en résulterait que, quel que soit le lieu de son siège, Bouygues Immobilier ne pourrait pas être tenue pour responsable dans l'affaire au principal.

26 À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la procédure instituée par l'article 267 TFUE est un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d'interprétation du droit de l'Union qui leur sont nécessaires pour la solution du litige qu'elles sont appelées à trancher (voir, notamment, arrêts du 16 juillet 1992, Meilicke, C-83-91, Rec. p. I-4871, point 22; du 24 mars 2009, Danske Slagterier, C-445-06, Rec. p. I-2119, point 65, et du 19 juin 2012, Chartered Institute of Patent Attorneys, C-307-10, non encore publié au Recueil, point 31).

27 Dans le cadre de cette coopération, les questions portant sur le droit de l'Union bénéficient d'une présomption de pertinence. Le rejet par la Cour d'une demande formée par une juridiction nationale n'est possible que lorsqu'il apparaît de manière manifeste que l'interprétation sollicitée du droit de l'Union n'a aucun rapport avec la réalité ou l'objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (voir, notamment, arrêts du 5 décembre 2006, Cipolla e.a., C-94-04 et C-202-04, Rec. p. I-11421, point 25; du 1er juin 2010, Blanco Pérez et Chao Gómez, C-570-07 et C-571-07, Rec. p. I-4629, point 36, ainsi que Chartered Institute of Patent Attorneys, précité, point 32 et jurisprudence citée).

28 Tel n'est cependant pas le cas en l'occurrence. S'il est certes exact que la décision de renvoi fournit à la Cour de manière concise des éléments de fait et de droit, il n'en reste pas moins que ces éléments présentent un rapport manifeste avec l'objet du litige au principal et permettent, ainsi qu'il ressort des points 8 à 13 du présent arrêt, de déterminer la portée de la question préjudicielle et le contexte dans lequel celle-ci est posée. De même, ladite décision indique clairement les raisons qui ont conduit la juridiction de renvoi à estimer qu'une interprétation de l'article 49 TFUE était nécessaire pour rendre son jugement.

29 En outre, il n'apparaît pas que l'interprétation du droit de l'Union sollicitée soit sans rapport avec la question qui se pose dans le cadre du litige au principal et qui est celle de savoir si la société française Bouygues Immobilier pourrait ou non être tenue pour responsable envers les créanciers de la société BPSA 9.

30 Il découle de ce qui précède que la demande de décision préjudicielle est recevable.

Sur la question préjudicielle

31 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l'article 49 TFUE s'oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui exclut l'application du principe de responsabilité solidaire des sociétés mères envers les créanciers de leurs filiales à des sociétés mères ayant leur siège sur le territoire d'un autre État membre.

32 Il convient d'emblée de rappeler que la liberté d'établissement comprend, pour les sociétés constituées en conformité avec la législation d'un État membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l'intérieur de l'Union européenne, le droit d'exercer leur activité dans d'autres États membres par l'intermédiaire d'une filiale, d'une succursale ou d'une agence (arrêts du 23 février 2006, Keller Holding, C-471-04, Rec. p. I-2107, point 29; du 15 mai 2008, Lidl Belgium, C-414-06, Rec. p. I-3601, point 18, et du 27 novembre 2008, Papillon, C-418-07, Rec. p. I-8947, point 15).

33 L'article 49 TFUE impose la suppression des restrictions à la liberté d'établissement. Les dispositions du traité relatives à la liberté d'établissement visent, selon leur libellé, à assurer le bénéfice du traitement national dans l'État membre d'accueil. De plus, selon une jurisprudence constante, l'article 49 TFUE s'oppose à toute mesure nationale qui, même applicable sans distinction tenant à la nationalité, est susceptible de gêner ou de rendre moins attrayant l'exercice, par les ressortissants de l'Union, de la liberté d'établissement garantie par le traité (voir, en ce sens, arrêts du 29 novembre 2011, National Grid Indus, C-371-10, non encore publié au Recueil, points 35 et 36, ainsi que du 21 juin 2012, Susisalo e.a., C-84-11, non encore publié au Recueil, point 31).

34 Conformément à la réglementation portugaise en cause au principal, le régime de responsabilité solidaire des sociétés mères envers les dettes de leurs filiales portugaises ne s'applique pas aux sociétés mères ayant leur siège dans un autre État membre. Dès lors, il y a lieu d'examiner si une telle réglementation constitue une restriction au sens de l'article 49 TFUE.

35 Il convient de relever que, eu égard à l'absence d'harmonisation, au niveau de l'Union, des règles en matière de groupes de sociétés, les États membres demeurent en principe compétents pour déterminer le droit applicable à une dette d'une société liée. Ainsi, le droit portugais prévoit la responsabilité solidaire des sociétés mères envers les créanciers de leurs filiales aux seules sociétés mères ayant leur siège au Portugal. Or, ainsi que le relève à bon droit la Commission, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, l'article 49 TFUE ne s'oppose pas à ce qu'un État membre puisse légitimement améliorer le sort des créances des groupes présents sur son territoire (voir, par analogie, arrêt du 7 février 1984, Jongeneel Kaas e.a., 237-82, Rec. p. 483, point 20).

36 En effet, l'inapplicabilité d'un régime tel que celui de l'article 501 du CSC aux entreprises établies dans un autre État membre, en vertu d'un régime tel que celui prévu à l'article 481, paragraphe 2, du CSC, n'est pas de nature à rendre moins attrayant l'exercice, par les sociétés mères ayant leur siège dans un autre État membre, de la liberté d'établissement garantie par le traité.

37 En tout état de cause, il convient de souligner que les sociétés mères ayant leur siège dans un État membre autre que la République portugaise peuvent choisir d'introduire, par la voie contractuelle, un régime de responsabilité solidaire pour les dettes de leurs filiales.

38 Dès lors, il convient de constater que, en ce qui concerne le traitement accordé aux sociétés mères établies dans les États membres autres que la République portugaise, une réglementation nationale telle que celle en cause au principal ne constitue pas une restriction à la liberté d'établissement au sens de l'article 49 TFUE.

39 Au vu de ce qui précède, il convient de répondre à la question posée que l'article 49 TFUE doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui exclut l'application du principe de responsabilité solidaire des sociétés mères envers les créanciers de leurs filiales à des sociétés mères ayant leur siège sur le territoire d'un autre État membre.

Sur les dépens

40 La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) dit pour droit:

L'article 49 TFUE doit être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui exclut l'application du principe de responsabilité solidaire des sociétés mères envers les créanciers de leurs filiales à des sociétés mères ayant leur siège sur le territoire d'un autre État membre.