CJUE, 8e ch., 20 juin 2013, n° C-635/11
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Commission européenne
Défendeur :
Royaume des Pays-Bas
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Jaraiunas
Avocat général :
M. Bot
Juges :
MM. Ó Caoimh, Fernlund (rapporteur)
LA COUR (huitième chambre),
1 Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en n'ayant pas pris toutes les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour que les travailleurs des établissements d'une société, issue d'une fusion transfrontalière et ayant son siège statutaire aux Pays-Bas, situés dans d'autres États membres bénéficient de droits de participation identiques à ceux des travailleurs employés aux Pays-Bas, le Royaume des Pays-Bas a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 16, paragraphe 2, sous b), de la directive 2005-56-CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 octobre 2005, sur les fusions transfrontalières des sociétés de capitaux (JO L 310, p. 1, ci-après la "directive 'fusions'").
Le cadre juridique
Le droit de l'Union
2 Le considérant 13 de la directive 'fusions' est libellé comme suit:
"Si les travailleurs ont des droits de participation dans une des sociétés qui fusionnent, dans les conditions fixées par la présente directive, et si la législation nationale de l'État membre dans lequel la société issue de la fusion transfrontalière a son siège statutaire ne prévoit pas le même niveau de participation que celui qui s'applique aux sociétés concernées qui fusionnent, y compris au sein des comités du conseil de surveillance ayant des pouvoirs de décision, ou ne prévoit pas que les travailleurs des établissements issus de la fusion transfrontalière peuvent exercer les mêmes droits, la participation des travailleurs dans la société issue de la fusion transfrontalière et leur implication dans la définition de ces droits doivent être réglementées. À cette fin, les principes et modalités prévus dans le règlement (CE) n° 2157-2001 du Conseil du 8 octobre 2001 relatif au statut de la société européenne (SE) [(JO 294, p. 1)] et dans la directive 2001-86-CE du Conseil du 8 octobre 2001 complétant le statut de la Société européenne pour ce qui concerne l'implication des travailleurs [(JO L 294, p. 22, ci-après la 'directive SE')] doivent être pris comme base, sous réserve, toutefois, des modifications qui sont jugées nécessaires en raison du fait que la société issue de la fusion relèvera de la législation nationale de l'État membre où elle a son siège statutaire. Les États membres peuvent prendre des dispositions conformément à l'article 3, paragraphe 2, point b), de la directive [SE] en vue de l'ouverture rapide de négociations en vertu de l'article 16 de la présente directive afin d'éviter de retarder inutilement des fusions".
3 L'article 16 de la directive 'fusions', intitulé "Participation des travailleurs", dispose:
"1. Sans préjudice du paragraphe 2, la société issue de la fusion transfrontalière est soumise aux règles éventuelles relatives à la participation des travailleurs qui sont en vigueur dans l'État membre où son siège statutaire est établi.
2. Toutefois, les règles éventuelles relatives à la participation des travailleurs qui sont en vigueur dans l'État membre où le siège statutaire de la société issue de la fusion est situé ne s'appliquent pas, si au moins une des sociétés qui fusionnent emploie, pendant la période de six mois précédant la publication du projet de fusion transfrontalière tel que visé à l'article 6, un nombre moyen de travailleurs supérieur à cinq cents et est gérée selon un régime de participation des travailleurs au sens de l'article 2, point k), de la directive [SE], ou si la législation nationale applicable à la société issue de la fusion transfrontalière:
a) ne prévoit pas au moins le même niveau de participation des travailleurs que celui qui s'applique aux sociétés concernées dans le cadre de la fusion, mesuré en fonction de la proportion des représentants des travailleurs parmi les membres du conseil d'administration, du conseil de surveillance, de leurs comités ou du groupe de direction qui gère les unités chargées d'atteindre des objectifs en termes de profit dans ces sociétés, à condition qu'il y ait une représentation des travailleurs; ou
b) ne prévoit pas que les travailleurs des établissements de la société issue de la fusion transfrontalière situés dans d'autres États membres peuvent exercer les mêmes droits de participation que ceux dont bénéficient les travailleurs employés dans l'État membre où le siège statutaire de la société issue de la fusion transfrontalière est établi.
3. Dans les cas visés au paragraphe 2, la participation des travailleurs dans la société issue de la fusion transfrontalière et leur implication dans la définition des droits y afférents sont réglementées par les États membres, mutatis mutandis et sous réserve des paragraphes 4 à 7, conformément aux principes et aux modalités prévus à l'article 12, paragraphes 2, 3 et 4, du règlement [n° 2157-2001] et aux dispositions suivantes de la directive [SE]:
[...]
h) annexe, partie 3, point b).
[...]
5. L'extension des droits de participation aux travailleurs de la société issue de la fusion transfrontalière employés dans d'autres États membres, visés au paragraphe 2, point b), n'entraîne aucune obligation pour les États membres qui ont fait ce choix de prendre ces travailleurs en compte dans le calcul des seuils d'effectifs qui donnent lieu aux droits de participation en vertu de la législation nationale.
[...]"
4 En vertu de l'article 19 de la directive 'fusions', le délai de transposition de cette directive a expiré le 15 décembre 2007.
Le droit néerlandais
5 L'article 333k modifiant le livre 2 du code civil, par lequel l'article 16 de la directive 'fusions' a été transposé en droit national, se lit comme suit:
"1. Aux fins du présent article, on entend par dispositions relatives à la participation les dispositions en matière de participation telles que visées à l'article 1:1, paragraphe 1, de la loi concernant le rôle des travailleurs dans la société européenne.
2. Lorsque:
a) au moins l'une des sociétés qui fusionnent emploie en moyenne plus de cinq cents personnes au cours des six mois précédant la date de dépôt du projet de fusion visée à l'article 314 et est soumise à des dispositions relatives à la participation, ou
b) les dispositions relatives à la participation s'appliquent à l'une des sociétés qui fusionnent et que la société bénéficiaire ne respecte pas les dispositions des articles 157, 158 à 164, ou 158 à 161 et 164 ou 267, 268 à 274 ou 268 à 271 et 274,
les articles 12, paragraphes 2 à 4, du règlement [n° 2157-2001] et 1:4 à 1:12, 1:14, paragraphes 1, 2, 3, point a, et 4, 1:16, 1:17, 1:18, paragraphe 1, points a, h, i et j, paragraphes 3 et 6, 1:20, 1:21, paragraphe 2, point a, étant entendu que le pourcentage de 25 visé dans ce point est remplacé par 33 ?, paragraphes 4 et 5, 1:26, paragraphe 3, et 1:31, paragraphe 2, de la loi sur le rôle des travailleurs au sein des personnes morales européennes, ainsi que les articles 670, paragraphes 4 et 11, et 670a, paragraphe 1, point a, du livre 7 du code civil sont applicables par analogie."
6 En vertu du droit néerlandais, jouissent d'un droit de participation légal les sociétés soumises au régime structurel - c'est-à-dire les sociétés anonymes et à responsabilité limitée - qui répondent aux critères suivants (voir l'article 2:153-263, paragraphe 2, du code civil):
a) selon le bilan et ses annexes, le capital souscrit de la société et les réserves s'élèvent à un total d'au moins 16 millions d'euros;
b) la société ou une société dépendante a institué un comité d'entreprise comme le lui impose la loi, et
c) la société et les sociétés dépendantes occupent ensemble au moins cent travailleurs en moyenne.
7 Le régime structurel impose d'instaurer un conseil de surveillance doté de compétences essentielles. Les articles 2:158, paragraphe 5, et 2:268, paragraphe 5, du code civil confèrent au comité d'entreprise d'une société anonyme ou à responsabilité limitée soumise au régime structurel un droit de recommandation pour la nomination de tous les membres du conseil de surveillance. C'est l'assemblée générale qui nomme les membres du conseil de surveillance. Certaines sociétés sont, sous certaines conditions, exemptées de l'application du régime structurel. C'est notamment le cas des sociétés holding internationales. Le régime structurel peut également être appliqué sur une base volontaire.
La procédure précontentieuse
8 Nourrissant un doute sur la conformité de la réglementation néerlandaise au regard de l'article 16, paragraphe 2, sous b), de la directive 'fusions', la Commission a envoyé une lettre de mise en demeure au Royaume des Pays-Bas le 3 novembre 2009. Celui-ci a répondu par lettre du 18 mars 2010, en faisant valoir que cet article 16, paragraphe 2, sous a) et b), contenait une alternative et que les États membres pouvaient, par conséquent, choisir entre les deux possibilités offertes par celle-ci lorsqu'ils décidaient d'appliquer leur législation nationale en matière de droits de participation des travailleurs. N'étant pas satisfaite de la réponse obtenue, la Commission a, le 25 novembre 2010, adressé un avis motivé au Royaume des Pays-Bas auquel cet État membre a répondu par lettre du 27 janvier 2011.
Sur le recours
Argumentation des parties
9 La Commission soutient que l'article 16, paragraphe 1, de la directive 'fusions' contient une règle générale en matière de participation des travailleurs dans le cadre de fusions transfrontalières, en vertu de laquelle les dispositions en vigueur dans l'État membre où le siège statutaire de la société est établi s'appliquent.
10 Selon la Commission, les exceptions à cette règle générale, qui sont énumérées à l'article 16, paragraphe 2, de la directive 'fusions', peuvent être résumées de la manière suivante:
- au moins une des sociétés qui fusionnent emploie plus de 500 travailleurs et est gérée selon un régime de participation des travailleurs (article 16, paragraphe 2, phrase introductive, première partie de phrase), ou
- la législation nationale applicable à la société issue de la fusion transfrontalière prévoit un niveau de participation des travailleurs inférieur à celui qui s'appliquait déjà aux sociétés concernées dans le cadre de la fusion [article 16, paragraphe 2, sous a)], ou
- la législation nationale applicable à la société issue de la fusion ne prévoit pas que les travailleurs des établissements de la société situés dans d'autres États membres peuvent exercer les mêmes droits de participation que ceux dont bénéficient les travailleurs employés dans l'État membre où le siège statutaire de la société issue de la fusion transfrontalière est établi [article 16, paragraphe 2, sous b)].
11 La Commission fait valoir que la directive 'fusions' ne confère pas aux États membres, aux fins de l'application du droit national en matière de participation des travailleurs, la faculté de choisir entre les situations visées à l'article 16, paragraphe 2, sous a) et b), de la directive 'fusions'. Cette institution reproche ainsi au Royaume des Pays-Bas de n'avoir pris en compte que les dispositions de cet article 16, paragraphe 2, sous a), et de ne pas avoir étendu les droits de participation dont bénéficient les travailleurs employés aux Pays-Bas aux travailleurs concernés par la fusion employés dans d'autres États membres, conformément audit article 16, paragraphe 2, sous b).
12 Selon la Commission, la réglementation néerlandaise va à l'encontre de l'objectif, clairement visé à l'article 16, paragraphe 3, de la directive 'fusions', d'octroyer les mêmes droits de participation à tous les travailleurs d'une société issue d'une fusion indépendamment de l'État membre dans lequel ils sont employés et ne trouve aucun fondement dans le libellé de l'article 16 de cette directive.
13 La Commission soutient que son analyse est confirmée par le considérant 13 de la directive 'fusions', qui indique les cas dans lesquels le droit national, en matière de participation des travailleurs, ne s'applique pas au sein de la société issue de la fusion et dans lesquels d'autres règles, à savoir celles visées à l'article 16, paragraphe 3, de la directive 'fusions' (ci-après les "règles relatives à la société européenne"), doivent par conséquent être appliquées. Ces règles tiennent compte du règlement n° 2157-2001 et de la directive SE.
14 La Commission soutient que l'article 16, paragraphe 5, de la directive 'fusions' n'offre pas aux États membres la faculté de ne pas étendre leur droit national en matière de participation aux travailleurs concernés par la fusion et employés dans d'autres États membres.
15 La Commission souligne que c'est idéalement le droit national de l'État membre de l'établissement de la société nouvellement créée qui devrait s'appliquer, mais qu'il n'en va ainsi que s'il prévoit au moins le même niveau de participation que celui qui existait déjà avant la fusion au sein des sociétés concernées et s'il octroie aux travailleurs des établissements étrangers un régime de participation identique.
16 La Commission considère qu'il résulte du principe "avant-après", consacré par la directive SE, que la législation nationale en matière de participation des travailleurs doit toujours garantir à tous les travailleurs concernés par une fusion au moins le niveau le plus élevé de participation dont ces travailleurs ont bénéficié avant cette fusion. Le Royaume des Pays-Bas ne prévoyant pas cette garantie, il aurait manqué à ses obligations.
17 La Commission concède que la directive 'fusions' pourrait, à l'instar de ce que soutient le Royaume des Pays-Bas et au même titre que la directive SE, entraîner une restriction, et donc une perte partielle des droits de participation, mais cela uniquement si le groupe spécial de négociation prévu à l'article 3 de la directive SE omettait d'opter pour l'application des dispositions de référence.
18 La Commission rejette l'argumentation selon laquelle son interprétation de la directive 'fusions' rendrait les fusions transfrontalières plus onéreuses pour les sociétés de petite taille. Elle fait valoir que cette directive a considérablement simplifié les fusions transfrontalières et réduit les coûts élevés de celles-ci. Elle observe que ladite directive ne prévoit aucunement un régime de participation des travailleurs plus léger au profit des petites entreprises.
19 Le Royaume des Pays-Bas conteste avoir manqué à ses obligations en ne prévoyant pas dans sa législation les dispositions de l'article 16, paragraphe 2, sous b), de la directive 'fusions'.
20 Selon cet État membre, il n'était pas nécessaire de prévoir de telles dispositions dans son droit national. En prévoyant l'application des règles relatives à la société européenne dans la situation visée à l'article 16, paragraphe 2, phrase introductive, de la directive 'fusions', lorsqu'une des sociétés qui fusionnent emploie plus de 500 travailleurs, ainsi que dans la situation visée à l'article 16, paragraphe 2, sous a), de cette directive, le Royaume des Pays-Bas aurait correctement mis en œuvre l'article 16, paragraphe 2, de ladite directive.
21 Il soutient que l'article 16, paragraphe 2, sous a) et b), de la directive 'fusions' vise deux possibilités entre lesquelles les États membres peuvent choisir afin de garantir aux sociétés employant au maximum 500 travailleurs l'application du droit national en matière de participation au lieu des règles relatives à la société européenne.
22 Cette interprétation s'appuierait sur le libellé de l'article 16, paragraphe 2, de la directive 'fusions'.
23 Selon cette disposition, le droit national ne s'appliquerait pas pour les petites sociétés, c'est-à-dire celles employant au maximum 500 travailleurs, si le droit national ne prévoit pas l'hypothèse mentionnée à ladite disposition, sous a), "ou" sous b). Le Royaume des Pays-Bas souligne que le terme "ou", et non pas le terme "et", est utilisé à cette disposition ainsi qu'au considérant 13 de la directive 'fusions'. Or, la situation visée à l'article 16, paragraphe 2, sous a), de la directive 'fusions' serait toujours garantie dans le système néerlandais lorsqu'une société néerlandaise soumise au régime structurel est impliquée dans une fusion et que la société qui en résulte a son siège aux Pays-Bas.
24 Selon le Royaume des Pays-Bas et contrairement à ce qu'affirme la Commission, l'article 16, paragraphe 2, sous b), de la directive 'fusions' n'entraîne pas d'obligation pour les États membres de garantir que les règles de participation soient étendues aux travailleurs employés dans d'autres États membres. Cette interprétation serait corroborée par le libellé de l'article 16, paragraphe 5, de cette directive qui se réfère au "choix" fait par les États membres.
25 Cette interprétation serait également étayée par les objectifs et les effets de la directive 'fusions'. L'interprétation de la Commission, en revanche, contredirait le principe "avant-après" et la raison d'être de la distinction entre les grandes et les petites sociétés figurant à l'article 16, paragraphe 2, de cette directive.
26 En ce qui concerne le principe "avant-après" inscrit dans la directive SE, le Royaume des Pays-Bas fait valoir, en se référant au considérant 13 de la directive 'fusions', qu'il constitue également un principe fondamental et un objectif de cette directive. Toutefois, ce principe impliquerait non pas une extension des droits de participation, mais seulement leur maintien.
27 S'agissant de la distinction entre les grandes et les petites sociétés, le Royaume des Pays-Bas expose que, selon la phrase introductive de l'article 16, paragraphe 2, de la directive 'fusions', les grandes sociétés employant plus de 500 travailleurs sont soumises aux règles relatives à la société européenne, tandis que seules les petites sociétés comptant au maximum 500 travailleurs sont, en principe, soumises à la loi nationale en vertu de l'article 16, paragraphe 2, sous a) ou b), de cette directive.
28 La raison d'être de cette distinction résiderait dans le fait que la directive 'fusions', comme la législation de l'Union en général, vise à appliquer un régime plus léger aux petites sociétés par rapport aux grandes sociétés. Il en résulte, selon le Royaume des Pays-Bas, que l'application du droit national visé à l'article 16, paragraphe 2, de cette directive doit également impliquer un régime plus léger que ne le prévoient les règles relatives à la société européenne. Or, la lecture que fait la Commission de cette disposition, sous b), entraîne précisément l'effet inverse, en ce que des exigences plus strictes sont appliquées au régime de participation soumis au droit national que celles qui s'appliquent en vertu des règles relatives à la société européenne.
29 Dans ce contexte, le Royaume des Pays-Bas souligne qu'il découle des dispositions combinées des articles 7 et 3, paragraphe 6, de la directive SE ainsi que de l'article 16, paragraphe 3, de la directive 'fusions' que l'application des règles relatives à la société européenne peut en fait entraîner une restriction, et donc une perte, des droits de participation. Dès lors, la Commission ne pourrait soutenir que, dans le cas de l'application du droit national, il ne pourrait y avoir de perte de droits de participation, ce qui impliquerait qu'il n'y aurait de facto pas de régime plus léger pour les petites sociétés.
30 Par conséquent, dans la mesure où la distinction entre les grandes et les petites sociétés visée à l'article 16, paragraphe 2, de la directive 'fusions' autorise le fait que l'application du droit national peut également conduire à une perte des droits de participation des travailleurs, il n'y aurait pas d'obligation d'étendre les droits de participation à tous les travailleurs, ce qui conforterait l'interprétation selon laquelle cet article 16, paragraphe 2, sous a) et b), comporterait une alternative.
Appréciation de la Cour
31 Le Royaume des Pays-Bas ne conteste pas avoir prévu, dans son droit national, deux des trois exceptions énoncées à l'article 16, paragraphe 2, de la directive 'fusions' et n'avoir pas inscrit la troisième exception visée à cette disposition, sous b). Il est ainsi constant que la législation néerlandaise ne prévoit pas que les travailleurs des établissements de la société issue de la fusion transfrontalière situés dans d'autres États membres peuvent exercer les mêmes droits de participation que ceux dont bénéficient les travailleurs employés aux Pays-Bas. Cet État membre estime, toutefois, que l'absence d'une telle disposition ne fait pas obstacle à l'application du droit néerlandais en matière de participation des travailleurs.
32 En effet, selon le Royaume des Pays-Bas, il résulte de l'utilisation du terme "ou" que, si le droit national en matière de droit de participation des travailleurs prévoit l'un des deux cas, à l'instar du droit néerlandais, ce droit est applicable. Autrement dit, selon cet État membre, il suffit que le droit national ait prévu le cas énoncé à l'article 16, paragraphe 2, sous a), de la directive 'fusions' "ou" celui énoncé à cette même disposition, sous b), pour qu'il soit applicable.
33 Selon la Commission, le terme "ou", analysé dans le contexte de l'article 16, paragraphe 2, de la directive 'fusions', doit, à l'inverse, être interprété en ce sens que, si le droit national ne prévoit pas l'un des deux cas en question, il doit être écarté.
34 Il y a lieu de constater que l'interprétation de la Commission est confortée par le libellé de l'article 16, paragraphe 3, de la directive 'fusions'. Cette disposition énonce en effet que, "dans les cas visés au paragraphe 2", les règles particulières qu'elle précise, à savoir celles relatives à la société européenne, doivent être appliquées. Cet article 16, paragraphe 3, portant sur tous les cas mentionnés audit paragraphe 2, il s'ensuit que, selon une lecture littérale, il s'applique à chacun d'eux et, partant, que, dans chacun des cas mentionnés, la législation nationale doit être écartée au profit des règles relatives à la société européenne.
35 L'objectif de la directive 'fusions', tel qu'il ressort des travaux préparatoires et du préambule de celle-ci, corrobore cette interprétation.
36 S'agissant des travaux préparatoires, il convient de mentionner l'avis de la commission de l'emploi et des affaires sociales du 16 mars 2005 incorporant certaines propositions d'amendement. En effet, cette commission a, d'une part, soutenu dans son avis que la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur les fusions transfrontalières des sociétés de capitaux, du 18 novembre 2003 [COM(2003) 703 final], ne répondait pas d'une manière satisfaisante à la situation où la législation nationale à laquelle est soumise la société résultant de la fusion offre un degré ou un niveau de participation différent de celui dont bénéficient les salariés d'au moins l'une des sociétés qui fusionnent.
37 Elle a, d'autre part, souligné qu'il convenait de se préoccuper également de la protection des droits de participation des salariés d'une entreprise fusionnant dans un État membre qui deviennent, du fait de la fusion, des salariés d'une nouvelle société immatriculée dans un autre État membre, lorsque la législation de ce second État ne prévoit pas la participation des travailleurs hors du territoire où s'exerce sa compétence. Ainsi, les amendements proposés par ladite commission étaient destinés à couvrir ces deux problèmes de manière non pas alternative mais cumulative. Or, ces amendements ont été incorporés dans le texte final de la directive 'fusions' précisément au moyen des points a) et b) de son article 16, paragraphe 2.
38 Le préambule de la directive 'fusions' reflète également ces deux problèmes à son considérant 13 en faisant référence à une législation nationale qui ne prévoirait pas le même niveau de participation ou les mêmes droits pour tous les travailleurs concernés par la fusion.
39 Il résulte de l'article 16, paragraphe 3, de la directive 'fusions', lu à la lumière dudit considérant 13, que, dans cette situation, la réglementation particulière qui s'applique doit prendre pour base les principes et les modalités prévus par le règlement n° 2157-2001 et par la directive SE.
40 À cet égard, la Commission cite, à juste titre, le considérant 18 de la directive SE aux termes duquel la garantie des droits acquis des travailleurs en matière d'implication dans les décisions prises par l'entreprise est un principe fondamental et l'objectif déclaré de cette directive. Ce considérant énonce également que "[l]es droits des travailleurs existant avant la constitution des SE devraient être à la base de l'aménagement de leurs droits en matière d'implication dans la SE (principe 'avant-après')".
41 Il ressort de la directive SE que la garantie des droits acquis voulue par le législateur de l'Union implique non seulement le maintien des droits acquis des travailleurs dans les sociétés participant à la fusion, mais aussi l'extension de ces droits à l'ensemble des travailleurs concernés.
42 La partie 3, sous b), de l'annexe de la directive SE, notamment, illustre cette constatation. Ce texte concerne la désignation des membres de l'organe d'administration ou de l'organe de surveillance de la société européenne. Il prévoit que les travailleurs de cette société, de ses filiales et établissements et/ou leur organe de représentation ont le droit d'élire, de désigner, de recommander ou de s'opposer à la désignation d'un nombre de membres de l'organe d'administration ou de celui de surveillance de ladite société égal à la plus élevée des proportions en vigueur dans les sociétés participantes concernées avant l'immatriculation de la société européenne. Ce texte prévoit ainsi en la matière un alignement sur le régime le plus protecteur des travailleurs parmi les régimes existant dans les sociétés concernées.
43 Compte tenu de la volonté du législateur de l'Union de protéger le droit de participation des travailleurs tant dans les situations régies par les règles relatives à la société européenne que dans celles gouvernées par le droit national, il y a lieu de considérer que, dans ces dernières règles également, il importe non seulement que la participation des travailleurs dans les sociétés concernées par la fusion soit maintenue, conformément à l'article 16, paragraphe 2, sous a), de la directive 'fusions', mais aussi que les droits dont bénéficient les travailleurs employés dans l'État membre où le siège statutaire de la société issue de la fusion est établi soient, conformément à l'article 16, paragraphe 2, sous b), de cette directive, étendus aux autres travailleurs concernés par la fusion et employés dans d'autres États membres.
44 Il résulte ainsi du libellé de l'article 16, paragraphes 2 et 3, de la directive 'fusions' et de l'objectif de ces dispositions que les règles éventuelles relatives à la participation des travailleurs qui sont en vigueur dans l'État membre où le siège statutaire de la société issue de la fusion est situé ne s'appliquent pas si la législation nationale applicable à cette société ne prévoit pas cumulativement les deux cas visés aux points a) et b) de ce paragraphe 2.
45 Les arguments du Royaume des Pays-Bas fondés sur l'article 16, paragraphe 5, de la directive 'fusions' ou sur une prétendue différence de traitement des grandes et des petites entreprises ne sauraient remettre en cause cette interprétation.
46 L'article 16, paragraphe 5, de la directive 'fusions' emploie certes le terme "choix", mais ce terme ne désigne aucunement une faculté dont disposeraient les États membres de choisir entre le cas visé à cet article 16, paragraphe 2, sous a), et celui visé à cette même disposition, sous b). Ce terme vise l'hypothèse où l'État membre a prévu l'extension des droits des travailleurs visés à l'article 16, paragraphe 2, sous b), de cette directive. Pour déterminer si le seuil prévu à l'article 16, paragraphe 5, de la directive 'fusions' est franchi, seuls les travailleurs employés dans cet État membre doivent être pris en compte. Il n'est pas nécessaire de compter les travailleurs employés dans d'autres États membres. Ainsi qu'il ressort de l'avis mentionné au point 36 du présent arrêt, le but du législateur de l'Union était d'assurer un équilibre entre la protection des droits des travailleurs qui sont employés dans un autre État membre et les exigences des dispositions nationales relatives au seuil d'effectifs.
47 S'agissant d'une prétendue différence entre petites et grandes entreprises, la Commission soutient, à juste titre, que la directive 'fusions', et notamment son article 16, ne prévoit aucunement l'application d'un régime de participation plus léger aux petites entreprises, en vertu duquel les travailleurs employés dans des États membres autres que celui du siège de la société issue de la fusion pourraient être durablement privés de leurs droits de participation au sein de cette société.
48 Il s'ensuit que les arguments avancés par le Royaume des Pays-Bas sur une éventuelle perte de certains droits de participation qui serait reconnue dans le cadre de fusions impliquant de grandes entreprises, perte qui devrait a fortiori être admise dans le contexte de fusions entre petites entreprises et qui impliquerait qu'il n'existerait pas d'obligation d'étendre les droits de participation prévus aux Pays-Bas à des travailleurs dans d'autres États membres, ne sauraient être retenus.
49 Dans ces conditions, il y a lieu de considérer le recours introduit par la Commission comme étant fondé.
50 Par conséquent, il convient de constater que, en n'ayant pas pris toutes les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour que les travailleurs des établissements d'une société, issue d'une fusion transfrontalière et ayant son siège statutaire aux Pays-Bas, situés dans d'autres États membres bénéficient de droits de participation identiques à ceux des travailleurs employés aux Pays-Bas, le Royaume des Pays-Bas a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 16, paragraphe 2, sous b), de la directive 'fusions'.
Sur les dépens
51 Aux termes de l'article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation du Royaume des Pays-Bas et celui-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens.
Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) déclare et arrête:
1) En n'ayant pas pris toutes les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour que les travailleurs des établissements d'une société, issue d'une fusion transfrontalière et ayant son siège statutaire aux Pays-Bas, situés dans d'autres États membres bénéficient de droits de participation identiques à ceux des travailleurs employés aux Pays-Bas, le Royaume des Pays-Bas a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 16, paragraphe 2, sous b), de la directive 2005-56-CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 octobre 2005, sur les fusions transfrontalières des sociétés de capitaux.
2) Le Royaume des Pays-Bas est condamné aux dépens.