CA Colmar, 1re ch. civ. A, 12 juin 2013, n° 12-00405
COLMAR
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Demelux (SARL)
Défendeur :
Charl'Antoine (SARL), Meubles Ikea France (SNC)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vallens
Conseillers :
MM. Cuenot, Allard
Avocats :
Selarl Wemaere-Leven-Laissue, Mes Spieser, Fittante, Richard-Frick, Rapp
Attendu que la SARL Demelux a poursuivi la SARL Charl'Antoine en paiement de diverses factures d'un montant total de 80 009,54 euro ;
Qu'elle a mis en cause la société en nom collectif Meubles Ikea France pour lui demander le paiement des mêmes factures sur le fondement de l'action directe des sous-traitants ;
Qu'elle s'est plainte enfin d'une brusque rupture des relations commerciales avec la société Charl'Antoine, et qu'elle a sollicité diverses indemnités ;
Attendu que la société Charl'Antoine a opposé la prescription pour les factures de transport émises en 2007, et qu'elle a demandé reconventionnellement le paiement de diverses sommes au titre d'un ajustement des comptes à la suite notamment de livraisons non exécutées ou mal exécutées ;
Attendu que par jugement du 10 janvier 2012, le Tribunal de grande instance de Strasbourg a déclaré prescrite l'action en paiement de deux factures émises en 2007 ;
Qu'il a condamné la société Charl'Antoine à payer à la société Demelux une somme de 8 347,64 euro et ses intérêts au taux légal à compter du 1er septembre 2008 ;
Qu'il a rejeté le recours contre la société Ikea France, et qu'il a condamné la société Demelux à payer à la société Charl'Antoine une somme de 2 182,45 euro ;
Qu'il a condamné la société Charl'Antoine à payer à la SARL Demelux une somme de 2 000 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Attendu que la SARL Demelux a relevé appel de ce jugement le 20 janvier 2012, dans des conditions de recevabilité non contestées ;
Attendu qu'au soutien de son recours, la société Demelux indique essentiellement que ses conventions avec la société Charl'Antoine pour la livraison de meubles Ikea dépassaient le cadre du simple transport, et comprenaient plusieurs autres prestations telles que le montage de meubles ;
Qu'elle souligne divers éléments contractuels et factuels susceptibles de corroborer son allégation ;
Qu'elle estime en conséquence que la prescription d'une année n'est pas applicable à l'action en paiement de ses prestations ;
Qu'elle conteste par ailleurs le bien fondé des demandes reconventionnelles présentées par la société Charl'Antoine, en faisant valoir essentiellement que le stock de meubles Ikea qu'elle détenait a été restitué sans réserves, et que les litiges avec certains clients ne la concernent pas ;
Qu'elle fait valoir que la société Charl'Antoine a rompu les relations commerciales avec un préavis insuffisant au regard des exigences de l'article L. 442-6 du Code de commerce, et qu'elle estime qu'un préavis d'une année aurait été justifié ;
Qu'en réparation de cette rupture considérée comme brutale, elle met en compte une perte de marge de 60 357,33 euro, des coûts de licenciement de 15 139,51 euro et des coûts générés par la flotte de véhicules de 6 467,50 euro ;
Qu'elle demande enfin la condamnation solidaire de la société Ikea France à prendre en charge ses factures sur la base de l'action directe conférée aux sous-traitants par la loi du 31 décembre 1975 ;
Attendu que la société Demelux conclut en conséquence à l'infirmation du jugement entrepris, et qu'elle demande la condamnation solidaire de la société Charl'Antoine et de la SNC Meubles Ikea France à lui payer la somme de 80 009,54 euro ;
Qu'elle demande par ailleurs la condamnation de la société Charl'Antoine à lui payer des indemnités de 60 357,33 euro, 15 139,51 euro et 6 467,50 euro ;
Qu'elle conclut au rejet des demandes reconventionnelles de la société Charl'Antoine, et qu'elle demande 3 000 euro en compensation de son obligation de plaider ;
Attendu que la société Charl'Antoine conclut à la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a considéré comme prescrite l'action en paiement des prestations de transport effectuées plus d'une année avant l'assignation, et en ce qu'il a mis à sa charge un arriéré de 8 347,64 euro ;
Qu'elle rappelle que le contrat-type de sous-traitance en matière de transport approuvé par décret fixe un préavis de trois mois, lequel est spécifiquement applicable selon la jurisprudence à l'exclusion des règles prévues par l'article L. 442-6 du Code de commerce ;
Qu'elle indique que les litiges justifiés par des retards ou par des défauts de livraison s'élèvent à la somme de 2 597,44 euro et que les contre-remboursements restant dus s'élèvent à 1 191,75 euro ;
Qu'elle conclut à l'infirmation partielle du jugement entrepris, et qu'elle demande reconventionnellement le paiement des montants précédents, outre les intérêts au taux légal majoré de 10 points et capitalisés ;
Qu'elle sollicite des compensations de son obligation de plaider ;
Attendu que la SNC Meubles Ikea France indique qu'elle avait bien passé un contrat avec la société Charl'Antoine le 27 octobre 1999, mais que les relations contractuelles ont cessé le 1er février 2006, date à laquelle la société Ikea Distribution France a assuré la distribution des ventes de mobilier ;
Qu'elle fait valoir qu'elle n'était plus le donneur d'ordre de la société Charl'Antoine à l'époque des faits ;
Qu'elle conteste par ailleurs les conditions de mise en œuvre de l'action directe des sous-traitants, et qu'elle appelle subsidiairement en garantie la société Charl'Antoine ;
Qu'elle demande 3 000 euro en compensation de son obligation de plaider ;
Attendu que les pièces versées aux débats montrent que par contrat du 27 octobre 1999, la SNC Meubles Ikea France a confié à la société Charl'Antoine ses livraisons dans plusieurs départements de l'est de la France ;
Attendu que par contrat du 21 mars 2005, la société Charl'Antoine a sous-traité le service de livraison auprès de la société Demelux Vaglio à un tarif progressif en fonction des zones de livraison ;
Que le contrat stipulait un forfait également progressif par zone pour le montage de mobilier ;
Que le dernier article du contrat renvoyait au contrat-type de transport routier de marchandises exécuté par des sous-traitants ;
Attendu que le 1er février 2006, un nouveau contrat est intervenu entre une société en nom collectif Ikea Distribution France et la société Charl'Antoine pour la distribution du mobilier Ikea ;
Attendu que par courrier du 5 février 2008, la société Charl'Antoine a résilié son contrat de sous-traitance avec la société Demelux avec un préavis de trois mois ;
Attendu que le stock de meubles, que le service de livraison devait conserver dans ses entrepôts, a été transféré à la société Charl'Antoine le 14 mai 2008 ;
Attendu que la société Charl'Antoine a refusé de solder plusieurs factures, notamment une facture relative aux livraisons de juin 2007, en prétendant qu'elle n'avait pas les bons de livraison et qu'il y avait des litiges ;
Attendu que la société Charl'Antoine a proposé un temps de reprendre certains salariés de son sous-traitant et de payer une somme pour solde de tout compte, mais que la transaction a échoué finalement ;
Attendu que la facture relative aux livraisons de juin 2007 est d'un montant de 51 286,76 euro ;
Attendu qu'une autre facture de 12 000 euro a été émise le 31 décembre 2007 pour une revalorisation forfaitaire de l'ensemble des livraisons effectuées en 2007 ;
Qu'indépendamment même du problème de prescription, cette seconde facture pose à l'évidence un problème de justification ;
Attendu que la cour observe que la prestation essentielle sous-traitée auprès de la société Demelux constituait bien une prestation de transport ;
Attendu qu'il est exact que l'entreprise chargée des livraisons pouvait assurer également le montage du mobilier, à l'exception assez évidente cependant des cuisines ;
Attendu que l'examen de la facturation de la société Demelux montre cependant que cette prestation était exceptionnelle ;
Que par exemple, la facturation de mai 2007 montre 27 604 euro de livraisons en zone A, 8 697 euro de livraisons en zone B, 1 661 euro de livraisons en zone C, et 354 euro de montages de meubles en zone A ;
Attendu que le stockage du mobilier en voie de livraison dans les entrepôts du livreur constituait par ailleurs une prestation accessoire indispensable ;
Attendu que la cour confirme par conséquent que le contrat était bien pour l'essentiel un contrat de transport ;
Attendu que dans une affaire comparable, la Cour de cassation a jugé le 11 décembre 2012 que l'action en paiement était soumise à la prescription d'une année de l'article L. 133-6 du Code de commerce ;
Attendu d'ailleurs qu'en l'espèce, il serait pratiquement possible de dissocier la demande de paiement des livraisons et la demande de paiement du montage, cette prestation ayant été sous-traitée en fait par la société Demelux auprès d'une autre personne ;
Que l'on ne voit pas qu'il y ait eu des prestations de montage dans la facturation de juin 2007 ;
Attendu donc que si l'on peut s'interroger sur le "comportement procédural" de la société Charl'Antoine, qui s'intitule elle-même "les gentlemen du déménagement", dans l'invocation d'un tel moyen relatif à une dette assez importante, il reste qu'en droit, la cour ne peut que confirmer que l'action en paiement des prestations effectuées en 2007 est bien prescrite conformément à l'article L. 133-6 du Code de commerce ;
Attendu qu'en ce qui concerne la facture de 12 339,29 euro de mai 2008, les parties ne contestent pas qu'elle ait été en partie payée, et qu'il reste dû au titre de celle-ci un solde de 6 172,64 euro ;
Attendu que les factures de 3 507 euro et de 1 584 euro du 31 mai et du 20 juin 2008 concernent des frais de manutention et de stockage après le 14 mai 2008 ;
Attendu qu'après la restitution de l'essentiel du mobilier le 14 mai 2008, du mobilier est donc resté dans les entrepôts de la société Demelux après cette date-là, alors que par courrier du 9 mai 2008 (pièce 4-20 de l'appelante), la société Demelux avait averti qu'elle décompterait un montant journalier de 81 euro en ce cas ;
Attendu que la société Charl'Antoine admet la facturation de la manutention le 15 mai 2008 et le 19 juin 2008, et admet par conséquent nécessairement qu'il restait du mobilier;
Que dans ces conditions, la facturation de l'occupation du dépôt à raison de 81 euro par jour est également justifiée, et que la cour est amenée à faire droit à la demande de paiement de la totalité de ces deux factures ;
Attendu que les autres demandes de la société Demelux ne sont pas fondées, et que la cour ne trouve pas de justification précise à une compensation irrégulière à laquelle aurait procédé la société Charl'Antoine ;
Attendu qu'infirmant par conséquent partiellement le jugement entrepris, cette cour condamne la SARL Charl'Antoine à payer à la SARL Demelux une somme totale de 11 263,64 euro, majorée de ses intérêts au taux légal à compter de la date non contestée du 1er septembre 2008 ;
Attendu que la société en nom collectif Meubles Ikea France n'est pas concernée par cet arriéré de factures, pour avoir été remplacée à compter du 1er février 2006 par la société Ikea Distribution ;
Qu'au demeurant, les conditions édictées par la loi du 31 décembre 1975 pour l'action directe des sous-traitants n'étaient nullement réunies dans le cas d'espèce ;
Que la cour confirme par conséquent la mise au hors de cause de la société Meubles Ikea France ;
Attendu que la société Charl'Antoine demande le remboursement de litiges pour 2 597,44 euro, ainsi qu'une somme de 1 191,75 euro au titre de contre-remboursements ;
Attendu que les litiges sont afférents à des objets qui sont arrivés endommagés, ou à des objets qui paraissent avoir été retournés à la société Demelux, mais dont la trace n'a pas été retrouvée ;
Attendu que les réclamations en matière d'avaries étaient prescrites au moment de la demande reconventionnelle de la société Charl'Antoine, tandis que les réclamations en matière d'objets disparus n'apparaissent pas comme précisément justifiées, alors que les stocks ont été restitués ;
Attendu que la cour observe que le sens de l'exactitude de la société Charl'Antoine n'a pas été jusqu'à régler les livraisons de juin 2007 de son sous-traitant pour un montant de plus de 50 000 euro ;
Attendu qu'en ce qui concerne les contre-remboursements, cette cour n'en trouve pas la justification dans les pièces nombreuses de manière confuse produites par la société Charl'Antoine ;
Attendu qu'infirmant par conséquent le jugement entrepris de ce chef, la cour rejette intégralement la demande reconventionnelle présentée par la société Charl'Antoine ;
Attendu que le compte entre les parties ayant été apuré au titre des opérations de transport, cette cour doit examiner la demande de la société Demelux relative à la rupture des relations contractuelles ;
Attendu que le contrat-type de sous-traitance en matière de transport public de marchandises, approuvé par un décret du 26 décembre 2003, prévoit un préavis de trois mois quand la durée de la relation contractuelle est supérieure à une année ;
Attendu qu'il est acquis actuellement en jurisprudence que cette disposition spécifique s'applique à la matière, et qu'il ne peut pas y avoir de brusque rupture au sens de l'article L. 442-6 du Code de commerce lorsque ce préavis est respecté ;
Qu'en l'espèce, la dénonciation des relations contractuelles a été effectuée avec un préavis de trois mois ;
Attendu que la cour confirme par conséquent le rejet des demandes de la société Demelux en matière de rupture des relations contractuelles ;
Attendu que malgré une correction modérée en faveur de la société Demelux, cette cour observe que celle-ci succombe pour la plus grande part en cause d'appel ;
Attendu que dans ces conditions, cette cour n'alloue de compensation de l'obligation de plaider en cause d'appel qu'à la seule société Meubles Ikea France ;
Que la société Demelux est condamnée à lui payer une compensation de 1 000 euro pour l'avoir intimée à tort et sans motif sérieux en cause d'appel ;
Que les autres demandes présentées sur ce fondement par les autres parties sont rejetées, mais que la cour confirme la compensation allouée en première instance à la société Demelux sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Attendu que la cour confirme la condamnation aux dépens de première instance, mais laisse à la société Charl'Antoine et à la société Demelux la charge de leurs frais de postulation en cause d'appel ;
Que la société Demelux devra prendre en charge les frais de postulation de la société Meubles Ikea France ;
Par ces motifs : LA COUR, Reçoit l'appel de la SARL Demelux contre le jugement du 6 janvier 2012 du Tribunal de grande instance de Strasbourg ; Au fond, Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré irrecevables comme prescrites les demandes de la société Demelux en paiement des factures des 30 juin et 31 décembre 2007 ; Reforme le jugement entrepris en ce qui concerne le paiement des autres factures de la société Demelux, et statuant à nouveau de ce chef, Condamne la SARL Charl'Antoine à payer à la SARL Demelux une somme totale de 11 263,64 euro (onze mille deux cent soixante-trois euros soixante-quatre) et ses intérêts aux taux légal à compter du 1er septembre 2008 ; Confirme le rejet des plus amples demandes de la société Demelux, et notamment le rejet de sa demande présentée contre la société Meubles Ikea France, ainsi que le rejet de ses demandes en matière de rupture des relations contractuelles ; Reforme le jugement entrepris en ce qu'il a fait partiellement droit, à la demande reconventionnelle de la société Charl'Antoine, et statuant à nouveau de ce chef, Déboute la société Charl'Antoine de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles ; Confirme la condamnation de la société Charl'Antoine à payer à la SARL Demelux une compensation de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile pour son obligation d'intervenir en première instance ; Rejette les demandes présentées en cause d'appel sur ce fondement, à l'exception de la demande présentée par la SNC Meubles Ikea France ; Condamne la SARL Demelux à lui payer une compensation de 1 000 euro (mille euros) sur le fondement de cette disposition pour son obligation d'intervenir en cause d'appel ; Confirme la condamnation de la société Charl'Antoine aux entiers dépens de première instance, et Laisse à la société Demelux et à la société Charl'Antoine la charge de leurs frais en cause d'appel ; Condamne la société Demelux aux dépens exposés en cause d'appel par la SNC Meubles Ikea France.