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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 13 juin 2013, n° 12-04354

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

GACD (SA), FS Holding (Sté)

Défendeur :

Vatech France (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mmes Pomonti, Michel-Amsellem

Avocats :

Mes Bernabe, Jacob, Grappotte-Benetreau, Hannebert

T. com. Paris, 15e ch., du 27 janv. 2012

27 janvier 2012

FAITS CONSTANTS ET PROCÉDURE

La société Medical Project, dont la société FS Holding est actionnaire, est spécialisée dans la vente par correspondance de matériels de radiologie à destination des cabinets dentaires.

Elle a conclu le 7 novembre 2007 un contrat de distribution exclusive avec la société de droit coréen Vatech Co Ltd et sa filiale française, la société Vatech France, anciennement dénommée E.Woo Technology France, spécialisées dans la fabrication d'appareils de radiologie dentaire.

Considérant que la société Vatech France s'était livrée à une concurrence déloyale à leur égard, la société Medical Project et la société GACD, sociétés du même groupe, l'ont assigné le 7 janvier 2009 devant le Tribunal de commerce de Paris aux fins d'obtenir réparation du préjudice qu'elles estiment avoir subi.

Par jugement du 27 novembre 2010, le Tribunal de commerce de Paris s'est déclaré incompétent en raison d'une clause compromissoire désignant une cour arbitrale en Corée du Sud, contenue dans le contrat.

Par un arrêt du 18 juin 2011, la Cour d'appel de Paris a rejeté le contredit de compétence formé par la société Medical Project, au motif qu'il "n'est pas prétendu qu'elle [la société Medical Project] a participé à la négociation du contrat passé par celle-ci" et que la clause compromissoire ne s'appliquait pas à elle. Elle a en revanche accueilli le contredit de compétence formé par la SA GACD et a renvoyé son action en paiement de dommages et intérêts pour concurrence déloyale devant le Tribunal de commerce de Paris afin qu'il se prononce sur les demandes de la société GACD en remboursement de frais de publicité ainsi que sur les demandes de la société FS Holding, intervenue volontairement dans la procédure, en réparation des pertes qu'elle affirme avoir subies du fait d'investissements qui auraient été réalisés dans la société Medical Project, dont elle était actionnaire, ainsi qu'en réparation d'un manque à gagner.

Par jugement prononcé le 27 janvier 2012, le Tribunal de commerce de Paris a:

- débouté les sociétés FS Holding et GACD de toutes leurs demandes,

- débouté la SARL Vatech de sa demande reconventionnelle, et de sa demande en dommages et intérêts ;

- condamné les sociétés FS Holding et GACD à verser chacune à la SARL Vatech la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile déboutant pour le surplus,

- dit les parties mal fondées en leurs demandes plus amples ou contraires et les en a déboutées respectivement.

Vu l'appel interjeté le 7 mars 2012 par la société GACD et la société FS Holding.

Vu les dernières conclusions, signifiées le 7 juin 2012 par lesquelles les sociétés GACD et FS Holding demandent, à la cour de :

- constater que la société E.Woo Technology France s'est livrée à des actes de désorganisation visant les sociétés Medical Project et GACD, notamment par l'obtention frauduleuse et l'utilisation d'informations techniques et commerciales développées par lesdites Sociétés, le débauchage de leur personnel et le démarchage systématique de leur clientèle.

- constater que la société E. Woo Technology France s'est également livrée à des actes de parasitisme, utilisant à son profit et au détriment de la société Medical Project et GACD les efforts et investissements de ces dernières.

- dire et juger que la société E.Woo Technology France a ainsi commis des actes de concurrence déloyale à l'égard des sociétés Medical Project et GACD.

- dire et juger que ce comportement déloyal de la société E.Woo Technology France a entraîné un préjudice important qu'il y a lieu de réparer.

En conséquence,

- condamner la société E.Woo Technology France au paiement au bénéfice de la société GACD de la somme de 104 000 euro en remboursement de ses frais de publicité.

- ordonner l'exécution provisoire pour le remboursement des frais engagés susmentionnés.

- condamner E.Woo Technology France au paiement de la somme de 5 000 euro HT au bénéfice de GACD au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

- recevoir la société FS Holding, venant aux droits de Ras Holding, en son intervention volontaire en demande.

- constater que la société Medical Project a perdu la somme de 283 576 35 euro [sic] et subi un manque à gagner de 4 817 144,40 euro par la faute de la société E.Woo Technology France.

- constater que les actes de concurrence déloyale commis par la société E.Woo Technology France ont entraîné la mise en liquidation judiciaire de la Société Medical Project.

- constater que de ce fait, la société FS Holding a perdu l'ensemble de ses investissements en capital et en compte courant dans la Société Medical Project, et a subi un manque à gagner.

- condamner la société E. Woo Technology France à verser à la société FS Holding à titre de dommages-intérêts, la somme de 217 406,62 euro en réparation de ses pertes, avec exécution provisoire.

- condamner la société E. Woo Technology France à verser à la société FS Holding à titre de dommages-intérêts, la somme de 2 360,400 euro [sic] en réparation de son manque à gagner.

- condamner E.Woo Technology France au paiement de la somme de 5 000 euro HT au bénéfice de la société FS Holding au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Les sociétés GACD et FS Holding reprochent, tout d'abord, à la société E.Woo Technology France d'avoir déloyalement mis à profit les relations construites entre les parties à partir de mars 2007 pour s'approprier les éléments qui lui ont permis de lancer son activité commerciale en France, en entretenant la confusion d'identité, se présentant tantôt comme "Vatech France SARL", tantôt comme "Vatech & E.Woo", au cours des négociations et de l'exécution du contrat ainsi qu'à l'égard des tiers.

Elles considèrent, ensuite, que la société E. Woo Technology France s'est livrée à leur encontre à des actes de concurrence déloyale par désorganisation de leur activité et appropriation parasitaire des investissements qu'elles ont effectués pour promouvoir les produits objets de la concurrence.

Elles affirment, d'une part, que la société E. Woo Technology France a lancé son activité de vente en s'appropriant les informations commerciales et le savoir-faire de la société Medical Project et de la société GACD, en pratiquant le débauchage systématique des salariés de la société Medical Project ainsi qu'en détournant leur clientèle grâce à l'un des salariés, et par des procédés déloyaux, d'autre part, qu'elle a agi sur le même marché que ses partenaires et a vendu les mêmes appareils.

Elles soutiennent, enfin, qu'elles ont subi un préjudice direct occasionné par cette concurrence déloyale et réclament réparation, pour la société GACD, de ses frais engagés en vain, et, pour la société Medical Project, des conséquences du dommage qu'elle a subi et qui a, selon elles, conduit à sa liquidation judiciaire.

Vu les dernières conclusions, signifiées le 2 août 2012 par lesquelles la société Vatech France demande à la cour de :

A titre principal,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré les demandes des sociétés FS Holding et GACD irrecevables, ces dernières n'ayant ni d'intérêt ni de qualité à agir,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté l'intégralité des demandes des sociétés FS Holding et GACD.

A titre subsidiaire, si par extraordinaire, la cour venait à déclarer GACD et FS Holding recevables en leurs actions,

- juger que l'intégralité des demandes des sociétés GACD et FS Holding se fondent sur les prétendues violations du contrat conclu avec la société Medical Project,

- juger que la société Vatech France n'a commis aucune faute de nature délictuelle à l'égard de la société GACD ou FS Holding,

- juger que les sociétés GACD et FS Holding ne justifient pas d'un préjudice certain et direct,

En conséquence,

- débouter les sociétés FS Holding et GACD de l'ensemble de leurs demandes,

- condamner la société GACD et la société FS Holding à payer chacune à la société Vatech France la somme de 10 000 euro pour appel abusif en application de l'article 559 du Code de procédure civile.

- condamner la société GACD et la société FS Holding à payer chacune à la société Vatech France la somme de 8 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

La société Vatech fait valoir, sur le fondement de l'article 122 du Code de procédure civile, que les sociétés GACD et FS Holding sont irrecevables pour défaut d'intérêt et de qualité à agir. Elle prétend en effet que les demandes de la société FS Holding se fondent sur les conséquences de l'exécution d'un contrat exclusivement conclu entre la société E.Woo France, aux droits de laquelle vient la société Vatech France, et la société Medical Project, de sorte que la société FS Holding n'est pas partie au contrat.

Elle observe que le Tribunal de commerce de Paris a jugé qu'il était incompétent pour apprécier la violation du contrat invoquée par la société Medical Project compte tenu de la clause d'arbitrage insérée au contrat, que la société Medical Project n'a pas saisi le tribunal arbitral pour voir juger des violations invoquées et, qu'ainsi, en l'absence de toute décision arbitrale, les demandes indemnitaires de la société FS Holding sont irrecevables.

Elle considère que les demandes de la société GACD se fondent également sur les conséquences de l'exécution d'un contrat dont elle n'est pas signataire et pas partie et qu'elle ne peut donc en revendiquer ni l'application ni la violation.

Elle estime, en tout état de cause, n'avoir commis aucune faute de nature délictuelle à l'encontre de la société GACD ou de FS holding, ces dernières ne justifiant au demeurant pas de leur préjudice.

En effet, elle soutient que, ni la société Vatech, ni la société GACD, n'étaient en relation contractuelle ou en charge de la distribution d'appareils identiques destinés à des marchés similaires, qu'il n'est pas démontré qu'elle aurait commercialisé les mêmes produits que la société Medical Project et qu'elle aurait contacté les clients de la société Medical Project.

Elle conteste la désorganisation commerciale alléguée par la société GACD dans la mesure où elle ne peut avoir violé les obligations d'un contrat auquel elle n'était pas partie et où elle n'était pas titulaire d'une quelconque exclusivité.

Elle considère aussi, qu'en application de la règle "nul ne plaide par procureur", la société GACD ne peut opposer des débauchages et démarchages concernant les salariés d'une autre société et que cette dernière n'apporte pas la preuve du parasitisme économique qu'elle lui reproche.

LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

MOTIFS

Il convient de rappeler que le présent litige est consécutif à la signature, le 7 novembre 2007, entre la société Medical Project et la société de droit coréen Vatech Co Ltd et sa filiale française, la société Vatech France, anciennement E. Woo Technology France, d'un contrat de distribution exclusive.

La société GACD fait valoir que la société E. Woo Technology France, qui se présente, tantôt comme Vatech France SARL, tantôt comme Vatech & E. Woo, a utilisé les relations nouées avec la société Medical Project et avec elle-même pour se livrer à leur encontre à des actes de concurrence déloyale, caractérisés par la désorganisation de leur activité et par l'appropriation de leurs investissements. La demande de réparation du préjudice subi du fait de ces agissements est formée non seulement par la société GACD, pour les frais qu'elle a engagés en vain, mais également par la société FS Holding, intervenante volontaire à l'instance, qui se prévaut de sa qualité d'actionnaire de la société Medical Project et donc du dommage qu'elle a subi du fait de la mise en liquidation de cette dernière.

La société Vatech France soutient que les sociétés GACD et FS Holding sont irrecevables pour défaut d'intérêt et de qualité pour agir, car elles invoquent de manière artificielle des fautes délictuelles commises à leur encontre alors qu'en réalité, elles entendent uniquement se prévaloir de l'exécution fautive d'un contrat auquel elles n'étaient pas parties.

La société FS Holding fait état d'un préjudice, en sa qualité d'actionnaire de la société Medical Project, résultant des investissements qu'elle a fait en pure perte dans cette société et de la perte des profits qu'elle espérait réaliser sur le chiffre d'affaires qu'aurait pu obtenir cette dernière, préjudice qui est né des agissements de la société Vatech France à l'encontre de la société Medical Project.

Mais, force est de constater que la société FS Holding est dans l'incapacité de démontrer l'existence de fautes délictuelles commises par la société Vatech France à son détriment, alors que ses demandes se fondent exclusivement sur les conséquences de l'exécution d'un contrat auquel elle n'est pas partie et dont le Tribunal de commerce de Paris, confirmé par la Cour d'appel de Paris, a jugé qu'il était incompétent pour apprécier la violation invoquée par la société Medical Project, compte tenu de la clause d'arbitrage qui y est insérée.

Or, la société Medical Project n'a jamais saisi le tribunal arbitral pour voir juger les violations du contrat de distribution exclusive du 7 novembre 2007 et, en l'absence de toute décision ayant jugé que la société Vatech France aurait engagé sa responsabilité au titre d'une violation dudit contrat occasionnant un préjudice à la société Medical Project, les demandes indemnitaires de la société FS Holding, uniquement fondées sur les liens capitalistiques existant entre elle et la société Medical Project, sont radicalement irrrecevables, faute pour elle de qualité à agir, en application de l'article 122 du Code de procédure civile.

La société GACD sollicite, sur le fondement délictuel, se prévalant de sa qualité de société soeur de la société Medical Project, la condamnation de la société Vatech France à l'indemniser au titre des frais qu'elle aurait engagé en pure perte du fait de la concurrence déloyale commise, selon elle, par cette dernière, résultant de la violation de l'exclusivité dont bénéficiait la société Medical Project, en exécution du contrat du 7 novembre 2007, dans la distribution d'appareils de radiographie dentaire.

La société GACD, qui ne vient pas aux droits de la société Medical Project, prétend que la société Vatech France aurait commis à son égard des fautes délictuelles mais se prévaut en réalité d'un préjudice exclusivement fondé sur la violation alléguée du contrat conclu avec la société Medical Project, auquel elle n'est pas partie et dont elle n'est pas signataire.

En effet, lorsqu'elle fait état de l'obtention déloyale par la société Vatech France d'informations techniques et commerciales, ces agissements, s'ils sont avérés, ont été commis au détriment de la société Medical Project, en participant à ses réunions commerciales internes, en assistant à certaines de ses interventions techniques, en accompagnant ses agents commerciaux dans les cabinets dentaires, en faisant connaissance avec ses salariés.

De même, les débauchages et démarchages systématiques de salariés allégués, concernent des salariés de la société Medical Project (MM. Kandel, Gay et Philippe et Mme Couvert) et non des employés de la société GACD. La désorganisation commerciale invoquée concerne également la seule société Medical Project.

Enfin, la concurrence parasitaire, dont il est fait état, concerne la société Medical Project, alors qu'il est reproché à l'intimée de vendre les mêmes appareils que ceux vendus par celle-ci, à destination de la même clientèle et donc de profiter illégitimement des investissements de la société Medical Project.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que c'est bien la violation des dispositions du contrat de distribution exclusive du 7 novembre 2007 qui est en cause et que la société GACD n'a pas qualité pour s'en prévaloir, faute d'y avoir été partie et faute pour elle d'établir l'existence de fautes délictuelles commises par la société Vatech France à son détriment, alors que celles qui pourraient éventuellement être invoquées par la société Medical Project n'ont jamais été jugées par le tribunal arbitral, qui n'a jamais été saisi.

En conséquence, le jugement dont appel doit être confirmé en toutes ses dispositions, y compris en son rejet de la demande de la société Vatech France pour procédure abusive, car il a relevé à juste titre qu'il avait été saisi par un renvoi de la Cour d'appel de Paris.

Devant la cour, la société Vatech France sollicite à nouveau des dommages et intérêts pour appel abusif, au motif qu'aucun moyen sérieux, en droit ou en fait, n'a été développé par les appelantes, qui se sont contentées de reprendre purement et simplement leurs conclusions de 1re instance.

Il est exact que les appelantes n'ont pas jugé nécessaire de répondre au moyen d'irrecevabilité de leur demande, pourtant longuement développé par l'intimée et qui constituait le motif du rejet de leurs demandes par les premiers juges. Dès lors, leur appel est incontestablement abusif et il doit être alloué, à la charge de chacune d'entre elles, une indemnité de 2 000 euro à la société Vatech France en réparation du préjudice qui en résulte pour elle.

L'équité commande d'allouer à cette dernière une indemnité de 4 000 euro, à la charge de chacune des sociétés appelantes, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, Déboute les sociétés GACD et FS Holding de leurs plus amples demandes, Condamne chacune des sociétés GACD et FS Holding à payer à la société Vatech France la somme de 2 000 euro à titre de dommages et intérêts pour appel abusif et celle de 4 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne les sociétés GACD et FS Holding aux dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.