CA Versailles, 13e ch., 13 juin 2013, n° 12-01983
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Arpal, Bernat-Freixas
Défendeur :
Estampaciones Colom (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Besse
Conseillers :
Mmes Beauvois, Vaissette
Avocats :
Mes Buquet-Roussel, Foussat, Jullien, Picot
Monsieur Germinal Arpal exerce en France en tant qu'agent commercial de la société Estampaciones Colom en vertu d'un contrat non écrit depuis 1992.
En 2008, un différend s'est fait jour sur les commissions de M. Arpal, celui-ci se plaignant du défaut de paiement d'une partie de ses commissions et de la minoration unilatérale de son taux de commission appliquée par la société Estampaciones Colom.
Par courrier du 19 septembre 2008, M. Arpal a pris acte de la rupture de son contrat, aux torts de la société Estampaciones Colom invoquant la violation de ses obligations contractuelles, du fait du non-paiement de certaines factures de commissions et de la modification unilatérale du taux de commission.
Le 3 octobre 2008, M. Arpal a assigné en référé devant le Tribunal de commerce de Nanterre la société Estampaciones Colom pour obtenir le paiement provisionnel de la somme de 8 176,38 euro au titre des commissions demeurées impayées et par ordonnance de référé du 4 novembre 2008, le président du tribunal a fait droit à sa demande provisionnelle à hauteur de 8 000 euro.
M. Arpal a également assigné au fond la société Estampaciones Colom devant le Tribunal de commerce de Nanterre lui demandant de dire que la cessation du contrat d'agent commercial était imputable à la société Estampaciones Colom et sollicitant le paiement des sommes dues au titre de la rupture du contrat.
Par jugement rendu le 20 octobre 2011, le tribunal a débouté M. Arpal de toutes ses demandes et l'a condamné à payer à la société Estampaciones Colom une indemnité de 1 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
M. Arpal a interjeté appel de ce jugement :
Par dernières conclusions signifiées le 11 mars 2013, M. Arpal demande à la cour de :
Vu les articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce,
Dire que la cessation du contrat d'agent commercial est intervenue du fait de circonstances imputables à la société Estampaciones Colom,
En conséquence :
Infirmer le jugement du Tribunal de commerce de Nanterre en ce qu'il l'a débouté de ses demandes et l'a condamné au titre des articles 700 et 699 du Code de procédure civile,
Condamner la société Estampaciones Colom à lui payer les sommes suivantes :
170 476 euro à titre d'indemnité de fin de contrat,
15 075 euro à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
30 000 euro à titre de dommages-intérêts,
le tout avec intérêts au taux légal à compter de l'acte introductif de première instance et capitalisation des intérêts,
Débouter la société Estampaciones Colom de toutes ses demandes,
Condamner la société Estampaciones Colom à lui payer la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d'appel y compris les frais de traduction.
Par dernières conclusions signifiées le 13 juillet 2012, la société Estampaciones Colom (société Colom) demande à la cour d'infirmer le jugement sur la question de la prescription et de constater que la demande de M. Arpal est prescrite, sur le fond de confirmer le jugement et de débouter M. Arpal de toutes ses demandes, de le condamner à lui payer 4 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie aux dernières conclusions signifiées conformément à l'article 455 du Code de procédure civile.
DISCUSSION :
Sur la prescription de la demande de M. Arpal soutenue par la société Colom
La société Colom soutient qu'en vertu de l'article L. 134-12 du Code de commerce, l'agent commercial dispose d'une année à compter de la cessation du contrat afin de notifier au mandant qu'il entend faire valoir ses droits relativement à son indemnité de rupture, que M. Arpal a formé sa demande d'indemnisation au titre de la rupture du contrat qu'il impute à son mandant par assignation qui lui a été notifiée le 7 septembre 2009, que le point de départ de la prescription annale est la cessation effective des relations contractuelles, que même si M. Arpal a notifié la rupture le 19 septembre 2008, cette notification qui dépend de la seule volonté de M. Arpal ne peut être retenue comme le point de départ du délai, qu'en réalité, les relations contractuelles ont cessé dès lors que M. Arpal a cessé de promouvoir les produits de la société Colom et a donc cessé de remplir ses obligations inhérentes à l'exécution de la relation contractuelle, que la date la plus tardive qui pourrait être retenue serait celle du 20 août 2008, soit antérieure de plus d'une année à l'assignation.
Cependant, si le délai d'un an de l'article L. 134-12 du Code de commerce court à partir de date de la cessation effective des relations laquelle peut être distincte de celle à laquelle une partie a manifesté son intention de rompre le mandat d'agent commercial, lorsqu'il y a exécution d'un préavis contractuel, en revanche, la date de cessation effective du mandat ne peut être antérieure à la date à laquelle l'une ou l'autre partie a manifesté sans équivoque la volonté d'y mettre fin.
En l'espèce, M. Arpal a notifié sa volonté de rompre le mandat d'agent commercial par lettre recommandée expédiée le 19 septembre 2008 avec un accusé de réception signé mais dont la date n'est pas lisible. Le courrier du 6 octobre 2008 émanant de la société Colom adressé en réponse à M. Arpal démontre qu'elle l'a reçue au plus tard à cette date.
Il n'est pas établi comme le prétend la société Colom qu'antérieurement au 20 août 2008, M. Arpal n'aurait plus présenté ses produits puisque M. Arpal verse aux débats des offres datées de septembre 2008.
Mais à supposer que ce serait avéré, dès lors que de son côté, la société Colom n'a plus payé les factures de commissions qui étaient dus à M. Arpal après le 1er juillet 2008, même en appliquant le taux qu'elle estimait devoir lui payer, il ne résulte pas de ces circonstances qu'il y aurait eu de la part de M. Arpal la volonté non équivoque de mettre un terme à la relation contractuelle avant le 19 septembre 2008, la société Colom ne prétendant pas de son côté avoir pris l'initiative de la rupture avant cette date.
Le délai d'un an n'a donc pas pu courir avant cette date et la demande de M. Arpal notifiée par l'assignation reçue par la société Colom le 7 septembre 2009 l'a été dans le délai prévu par l'article L. 134-12.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a déclaré non prescrite l'action de M. Arpal.
Sur la rupture du contrat d'agent commercial
M. Arpal soutient que la rupture est imputable à la société Colom pour deux motifs : d'une part à raison du défaut de paiement de ses commissions qui à lui seul justifie d'imputer la rupture à la société Colom, faisant valoir que la société Colom lui devait la somme de 8 176,38 euro et que même à retenir le montant des commissions telles que calculées par la société Colom, le montant des commissions impayées s'élevait à 4 243,79 euro, d'autre part à raison de la tentative de lui imposer en 2008 une minoration des taux de commissionnement de 3 et 5 % qui avaient été constamment utilisés depuis 2005, en appliquant outre ses taux, deux autres taux de 2 et 4 %.
La société Colom réplique sur le taux de commission en versant aux débats les justificatifs de l'ensemble des commissions payées à M. Arpal depuis l'année 2000 et fait valoir qu'il prétend faussement qu'il y aurait eu un accord des parties pour commissionner à hauteur de 5 % les commandes de 1 à 15 000 pièces et à hauteur de 3 % les commandes au-delà de 15 000 pièces et qu'elle aurait cessé de respecter ces taux.
Elle soutient que l'accord des parties prévoyait que la commission était calculée en fonction de la rentabilité de la commande, c'est-à-dire de la marge générée, que M. Arpal touchait une commission s'élevant de 2 à 5 %, que l'examen des quantités et des taux appliqués démontre qu'il n'y avait pas de lien direct entre le nombre d'unités commandées ou le montant des commandes.
Elle fait valoir qu'elle a continué de manière légitime à appliquer ces critères et n'a pas opéré une quelconque modification unilatérale du taux de commission, qu'elle n'a donc commis aucune faute et que M. Arpal n'est donc pas fondé à prendre acte de la rupture du contrat aux torts de la société.
Sur ce :
Il n'existe pas de contrat écrit entre les parties.
Il résulte des pièces produites que dans le courant de l'année 2008, la société Colom a laissé impayées des factures émises par M. Arpal en tout ou en partie représentant le montant des commissions qu'il estimait lui être dues, que celui-ci a adressé à compter du 20 juillet 2008 de nombreux courriels et courriers de réclamation à la société Colom, qu'ainsi :
- il a réclamé le 20 juillet le paiement de trois factures 168, 178 et 188,
- il a marqué son désaccord le 31 juillet 2008 sur la modification de la commission appliquée et rappelé que le paiement de la facture 167 de 2007 n'était jamais arrivé,
- il a mis en demeure le 13 août par lettre recommandée avec demande d'avis de réception reçue le 25 août 208 la société Colom d'avoir à lui payer la somme de 7 571,65 euro correspondant à la facture 167 de 2007 et 14 factures de 2008 impayées partiellement ou en totalité,
- il a réitéré sa mise en demeure par courrier recommandé du 3 septembre 2008 reçu le 8 septembre,
- il a encore formulé ses demandes par courriels des 5, 13 et 17 septembre 2008.
La société Colom a reconnu le 23 septembre ne pas lui avoir réglé la facture 167 de 2007 qui a été payée le 25 septembre 2008.
Le relevé de compte figurant en pièce n° 15 du bordereau de M. Arpal fait apparaître un solde de commissions dues à la date de la rupture, non compris la facture 167 de 2007, d'un montant de 8 176,38 euro, 10 factures émises entre le 22 mai et le 15 septembre étant impayées en totalité, d'autres ayant fait l'objet de paiements partiels.
Le défaut de paiement des factures de l'agent commercial, et ce malgré plusieurs mises de demeure, constitue à lui seul une circonstance qui rend la rupture imputable au mandat.
La société Colom n'oppose aucun moyen sur ce point à M. Arpal se bornant à répondre sur la minoration des taux de commissionnement.
Ainsi, quel que soit le désaccord entre les parties sur le taux de commissionnement qui s'est fait jour dans le courant de l'année 2008, la société Colom ne conteste pas que même après retraitement par elle des factures émises par M. Arpal suivant les taux de commissionnement qu'elle estimait devoir être appliqués, elle restait devoir 4 243,79 euro à M. Arpal au jour de la rupture et ce malgré deux mises en demeure des 13 août et 3 septembre 2008.
Or, le paiement à bonne date des commissions dues à l'agent commercial est une obligation essentielle qui pèse sur le mandant.
Cette seule circonstance rend la rupture imputable à la société Colom.
Au surplus, sur les taux de commissionnement, il résulte des pièces produites y compris celles versées aux débats par la société Colom que si sur les années antérieures à 2005, le taux de commissionnement servi à M. Arpal a pu varier, entre 2005 et 2007 inclus, à l'exception de deux commandes en 2005 - et encore M. Arpal soutient-il qu'il s'agit de commandes passées en 2004 sans être démenti - soit sur un total de 766 commandes, toutes les commandes ont été commissionnées sur la base de 3 ou 5 %.
Il ressort du courrier électronique de M. Arpal du 19 novembre 2004 que les taux de 3 et 5 % ainsi retenus ont été appliqués, à compter du 1er janvier 2005 après l'année 2004 pendant laquelle M. Arpal avait consenti la réduction de ses commissions afin de permettre à la société Colom de passer un cap difficile. Dans ce courriel, M. Arpal précisait que les clients Aba, Lorch et Salmson seront facturés à 5 % pour tous les envois actuels et futurs ainsi qu'à compter du 1er janvier 2005, tous les autres envois de clients à part Actaris pour le plateau Tium qui reste à 3 %.
L'application de ces taux pendant près de trois années sur les factures de M. Arpal et le paiement sans contestation ni réserve pendant cette même période par la société Colom des factures présentées par ce dernier établit l'accord intervenu entre les parties sur les modalités de commissionnement de M. Arpal suivant ces taux, même si en effet comme le fait justement observer la société Colom, il n'apparaît pas que le taux appliqué ait été déterminé suivant les quantités commandées, ce dont ne faisait pas état M. Arpal dans son courriel du 19 novembre 2004.
Force est de constater que la société Colom qui explique de son côté que le taux aurait été calculé suivant la rentabilité de la commande, c'est-à-dire la marge générée, est dans l'incapacité d'étayer le bien-fondé de cette affirmation, de prouver un accord sur ce principe, aucun échange entre les parties ne s'y référant et d'établir notamment que sur la même période de 2005 à 2007 pendant laquelle il n'a existé aucun différend entre les parties sur le montant des commissions payées, les taux de 3 et 5 % qui ont été appliqués répondaient à cette modalité de calcul.
Il ressort des pièces versées aux débats qu'en 2008, la société Colom a tenté d'imposer à M. Arpal la modification de ces taux. Cela résulte clairement notamment de ses courriels des 8 et 16 septembre 2008 dans lesquels elle a demandé à M. Arpal de corriger ses factures "conformément aux accords d'application de nouvelles commissions" reconnaissant ainsi l'application de nouveaux taux sans pour autant établir l'accord donné par M. Arpal sur ce point lequel s'y était au contraire opposé ainsi que cela résulte de son courriel du 13 juin 2008.
L'aveu de cette modification unilatérale est contenu dans la lettre du 6 octobre 2008 faisant suite à la rupture du contrat dans lequel la société Colom a écrit :
"En ce qui concerne le pourcentage de vos commissions à appliquer aux factures, nous vous rappelons qu'en plusieurs occasions, nous vous avons demandé d'adapter nos commissions à la nouvelle situation du marché si vous souhaitiez que nous puissions poursuivre notre collaboration.
Nous vous rappelons donc que nous tenons à votre disposition le montant des relevés n° 218 (...), que nous vous réglerons dès que vous nous les aurez fait parvenir après les avoir corrigés, conformément à nos fax des 8, 19 et 23 septembre".
Le fait d'exiger de M. Arpal de corriger ses factures suivant de nouveaux taux qu'il n'avait pas acceptés et de retenir le paiement des factures dues tant que celui-ci ne corrigeait pas les taux de commissionnement appliqués, qui constitue un manquement de la mandante à ses obligations, rend également la rupture imputable à la société Colom.
Si l'opportunité de modifier le taux de commissionnement pour s'adapter à la situation nouvelle du marché relevait de la société Colom, face au refus de l'agent commercial, il lui appartenait alors de prendre l'initiative de la rupture sans tenter de lui imposer une modification en retenant les paiements qui lui étaient dus.
Sur les demandes en paiement de M. Arpal
Conformément aux articles L. 134-12 et L. 134-13 du Code de commerce, la rupture du contrat étant intervenue à l'initiative de M. Arpal mais justifiée par des circonstances imputables à la société Colom, M. Arpal a droit à l'indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi par la cessation du contrat.
M. Arpal sollicite la somme de 170 476 euro correspondant à trois années de commissionnement.
Eu égard à la durée des relations contractuelles, M. Arpal étant agent commercial de la société Colom depuis 1992 et en considération des circonstances ayant accompagné la rupture, sur la base d'une moyenne annuelle de commissions de 56 825 euro sur les trois dernières années civiles de son mandat, le préjudice de M. Arpal sera justement évalué à la somme de 123 120 euro.
M. Arpal a également droit en application de l'article L. 134-11 au paiement d'une indemnité compensatrice égale à trois mois de commission calculée sur la moyenne mensuelle des commissions perçues pendant la dernière année civile. Il sera fait droit à sa demande à hauteur de la somme de 15 075 euro.
L'indemnité allouée en vertu de l'article L. 134-12 du Code de commerce réparant l'entier préjudice résultant de la cessation du contrat, y compris celui subi du fait des circonstances de la rupture, M. Arpal ne justifie pas avoir subi un préjudice distinct résultant d'un comportement fautif de la société Colom.
Il sera débouté de sa demande de dommages-intérêts supplémentaires.
Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile
Les dépens seront à la charge de la société Colom qui succombe.
L'équité commande de la condamner à payer à M. Arpal une indemnité de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : Statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort, Infirme le jugement du 20 octobre 2011 sauf en ce qu'il a dit non prescrite la demande de M. Germinal Arpal. Statuant à nouveau, Dit que la cessation du contrat d'agent commercial conclu entre la société Estampaciones Colom et M. Germinal Arpal est intervenue du fait de circonstances imputables à la société Estampaciones Colom. Condamne la société Estampaciones Colom à payer à M. Germinal Arpal la somme de 123 120 euro à titre d'indemnité compensatrice de la cessation du contrat et la somme de 15 075 euro à titre d'indemnité compensatrice de préavis. Déboute M. Germinal Arpal du surplus de sa demande. Condamne la société Estampaciones Colom aux dépens qui seront recouvrés par les avocats de la cause conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile. La condamne à payer à M. Germinal Arpal une indemnité de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. La déboute de sa demande au même titre.