CA Agen, 1re ch. com., 12 juin 2013, n° 12-00270
AGEN
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Couturier
Défendeur :
Ampack (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Muller
Conseillers :
Mmes Auber, Blum
Avocats :
SCP Narran Guy, Mes Roquain, Vimont, Geyer
FAITS ET PROCÉDURE
Le 1er janvier 2007, Monsieur Daniel Couturier a signé un contrat d'agent commercial avec la SARL Ampack.
Le 2 septembre 2009, la SARL Ampack a notifié à Monsieur Couturier la rupture du contrat d'agent commercial avec effet au 30 septembre 2009, pour faute grave, en invoquant les motifs suivants : mauvaise volonté, actions très négatives et attitudes totalement irrespectueuses lors d'un meeting de vente à Marseille, absence à une réunion organisée à Bordeaux, chiffre d'affaires très éloigné du chiffre d'affaires à réaliser pour l'exercice en cours.
Par lettre du 10 septembre 2009, puis dans une lettre recommandée avec avis de réception du 28 septembre 2009, M. Couturier a contesté les motifs invoqués, mentionnant expressément son intention d'obtenir paiement des indemnités prévues par l'article L. 134-12 du Code de commerce.
Le 14 février 2011, Monsieur Couturier a fait assigner la SARL Ampack devant le Tribunal de commerce d'Agen qui, par jugement du 7 décembre 2011, auquel le présent arrêt se réfère expressément pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties en première instance et des motifs énoncés par les premiers juges, a condamné la SARL Ampack, outre aux dépens, à payer à Monsieur Couturier les sommes de 21 813,26 euros avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation, à titre de dommages-intérêts et de 4 000 euros à titre d'indemnité de procédure.
Monsieur Daniel Couturier a interjeté appel de ce jugement par déclaration enregistrée au greffe de la cour le 26 janvier 2012.
La procédure de mise en état a été clôturée par ordonnance en date du 15 octobre 2012.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par ordonnance du 10 octobre 2012, le conseiller de la mise en état a déclaré irrecevables les conclusions déposées pour l'appelant le 19 septembre 2012, pour non-respect du délai imparti par les articles 910 et 911 du Code de procédure civile.
Par conclusions enregistrées au greffe le 26 avril 2012, expressément visées, Monsieur Couturier sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a dit que la faute grave ne pouvait être retenue comme motif de rupture du contrat entre les parties et en sollicitant le prononcé de la rupture du contrat aux torts exclusifs de la société Ampack et la condamnation de celle-ci, outre aux dépens, à lui payer les sommes de :
- 34 213,26 euros au titre de l'indemnité compensatrice du préjudice subi ;
- 38 489,85 euros au titre des pertes de commission jusqu'à la fin contractuelle du contrat ;
- 9 237,58 euros au titre de l'indemnité de réemploi ;
- 17 106,63 euros au titre de l'indemnité réparant le préjudice subi du fait de la rupture abusive ;
- 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Au soutien de ses prétentions, Monsieur Couturier fait valoir que la rupture du contrat est abusive dans la mesure où aucune faute, a fortiori grave, ne peut lui être reprochée dès lors qu'il n'a fait que manifester son opposition à un projet de réorganisation qui avait pour conséquence de générer pour les agents commerciaux de l'entreprise, et donc notamment pour lui, une perte de commissions, projet constituant donc une modification unilatérale du contrat.
Par conclusions enregistrées au greffe le 26 juin 2012, la SARL Ampack sollicite l'infirmation partielle du jugement et demande à la cour de débouter Monsieur Couturier de l'ensemble de ses prétentions et de le condamner aux dépens et au paiement d'une indemnité de procédure de 7 000 euros en faisant valoir :
- que les griefs imputés à Daniel Couturier sont établis et sont constitutifs d'une faute grave justifiant la rupture du contrat d'agence commerciale sans indemnité ;
- que Daniel Couturier a fait preuve de mauvaise volonté face au projet de révision de la politique commerciale de la société, impliquant réorganisation des secteurs, projet auquel les agents étaient associés ;
- qu'il a critiqué le projet de réorganisation lors d'un meeting, faisant ainsi preuve d'une attitude irrespectueuse à l'égard de la SARL Ampack, qu'il a été absent d'une réunion tripartite organisée dans son secteur et qu'il y avait un retard certain sur le chiffre d'affaires qu'il était tenu contractuellement de réaliser ;
- que la proposition d'indemnisation qu'elle avait faite ne vaut pas reconnaissance du caractère abusif de la rupture et qu'elle est intervenue pour manifester une volonté d'apaisement ;
- qu'à défaut de retenir la faute grave, il convient pour la détermination de l'assiette de l'indemnité compensatrice d'écarter les frais remboursés à Monsieur Couturier qui ne peuvent être assimilés à une rémunération et donc de limiter l'indemnisation au montant retenu par le tribunal soit 21 813,26 euros ;
- que l'inexécution du contrat en ce qui concerne l'objectif de chiffre d'affaires justifie à elle seule la rupture du contrat d'agent commercial de sorte que Monsieur Couturier ne peut se prévaloir d'une indemnisation au titre du caractère anticipé du contrat, mais seulement de l'indemnité de rupture de l'article L. 134-12 du Code de commerce ;
- que le contrat d'agent commercial prévoyait en l'absence de faute grave ou de force majeure la possibilité de résilier le contrat en respectant un préavis de trois mois lorsque les relations commerciales duraient depuis plus de deux ans, que par suite le contrat est arrivé à son terme le 31 décembre 2009 et que Monsieur Couturier ne peut prétendre à une indemnité correspondant à la perte de commissions jusqu'au terme initialement fixé du contrat.
MOTIFS DE L'ARRÊT
I. SUR LA RUPTURE DU CONTRAT D'AGENT COMMERCIAL
À titre liminaire, il convient de rappeler, en droit, d'une part, que la résiliation du contrat d'agent commercial ouvre droit à l'indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi prévue par l'article L. 134-12 du Code de commerce au profit de l'agent commercial lorsque le mandant met fin unilatéralement à un contrat à durée indéterminée ou à un contrat à durée déterminée pendant l'exécution de celui-ci, d'autre part, que l'agent ne peut prétendre à cette réparation si la rupture du contrat est provoquée par la faute grave qu'il a commise, c'est-à-dire une faute qui porte atteinte à la finalité commune du mandat et qui rend impossible le maintien du lien contractuel.
En l'espèce, la SARL Ampack a notifié à Monsieur Couturier la rupture du contrat d'agent commercial pour faute grave par un courrier du 2 septembre 2009 faisant état d'un certain nombre de griefs.
Monsieur Couturier a notifié au mandant, par courriers des 10 et 28 septembre 2009, dans le délai prévu par l'article L. 134-12 du Code de commerce, son intention de faire valoir ses droits. Son action est donc parfaitement recevable.
Pour confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu qu'aucune faute grave ne pouvait être reprochée à Monsieur Couturier, il suffira de relever :
- que la "mauvaise volonté" et les "actions très négatives" invoquées dans la lettre du 2 septembre 2009, sont des termes vagues et généraux, qui ne sont illustrés par aucun fait précis, qu'elles ne peuvent à l'évidence être retenues comme faute à l'encontre de M. Couturier, à fortiori comme faute grave ;
- que l'attitude "irrespectueuse" lors du meeting de vente en juin 2009 n'est pas explicitée, que le compte rendu écrit de cette réunion qui s'est tenue à Marseille les 24 et 25 juin 2009, établi par la SARL Ampack ne mentionne aucun comportement particulier de Monsieur Daniel Couturier qui pourrait caractériser "l'irrespect" invoqué ; que ce grief ne peut qu'être écarté ;
- que ce qui est en réalité reproché à Monsieur Couturier c'est d'avoir manifesté son opposition à la réorganisation envisagée par le mandant, que celle-ci ne peut être constitutive en elle-même d'une faute grave dès lors que Monsieur Couturier était parfaitement en droit de se prévaloir des dispositions du contrat d'agent commercial qui le liait à la SARL Ampack et qu'il ne peut lui être reproché d'avoir manifesté son désaccord avec un projet de réorganisation qui impliquait pour lui la perte de certains secteurs géographiques pour lesquels il avait mandat exclusif, et qui paraissait donc de nature à générer une diminution de ses commissions, respectivement à constituer une modification unilatérale du contrat d'agent commercial ;
- que l'absence de Monsieur Couturier à une réunion prévue le 26 août 2009 à Bordeaux ne peut pas davantage lui être imputée à faute dès lors que la convocation pour cette réunion lui avait été adressée par courrier électronique le 17 août alors qu'il se trouvait en congé et réitérée la veille de la réunion alors qu'il était toujours en congé, qu'il apparaît donc qu'il n'avait pas été informé en temps utile de la tenue de cette réunion ;
- que le grief tenant à l'insuffisance du chiffre d'affaires réalisé pour l'exercice en cours manque en fait dès lors qu'un contrat d'agent commercial ne saurait être rompu pour faute grave au seul motif que l'agent n'atteint pas les objectifs commerciaux contractuellement fixés, que leur non-réalisation ne pourrait caractériser une faute grave que si elle résultait d'une négligence délibérée de l'agent commercial dans la prospection de nouveaux clients ou dans l'omission du suivi d'anciens clients et qu'il n'est ni allégué ni a fortiori établi que l'insuffisance de chiffre d'affaires alléguée relèverait d'une insuffisance d'activité de Monsieur Couturier ;
- qu'au surplus, le grief est invoqué alors que l'exercice n'était pas terminé et qu'il a été formulé après seulement huit mois d'activité dans l'exercice, alors que le chiffre d'affaires avait progressé par rapport à la même période de l'exercice précédent ;
- que l'ensemble des fautes reprochées ne sont pas établies et qu'en toute hypothèse elles ne seraient pas de nature, même à les supposer établies, à caractériser la faute grave privative de l'indemnité compensatrice.
II - SUR LES CONSÉQUENCES DE LA RUPTURE DU CONTRAT D'AGENT COMMERCIAL
A. Sur l'indemnité compensatrice du préjudice subi
La cessation du contrat d'agent commercial ouvre droit à réparation du préjudice résultant de la perte pour l'avenir des revenus tirés de l'exploitation de la clientèle commune et de la perte de la possibilité pour l'agent commercial de transmettre à titre onéreux son mandat à un successeur.
Eu égard à la durée des relations contractuelles, il y a lieu de fixer l'indemnité de cessation de contrat due par la SARL Ampack à deux années de commissions calculées sur la moyenne des trois derniers exercices.
L'indemnité ayant pour objet de réparer le préjudice subi, qui comprend la perte de toutes les rémunérations acquises au cours de l'activité développée dans l'intérêt commun des parties sans qu'il y ait lieu de distinguer selon la nature des rémunérations perçues, il n'y a pas lieu d'écarter de l'assiette du calcul de la commission le forfait de frais fixes mensuels prévu par l'article 9 du contrat d'agent commercial.
Au regard de ces éléments et sur la base de la moyenne de la rémunération perçue par Monsieur Couturier sur les trois dernières d'exercices, il convient de lui allouer une indemnité de 34 213,26 euros.
Le jugement entrepris sera donc réformé en ce sens.
B. Sur la perte des commissions jusqu'au terme du contrat
Lorsqu'un contrat d'agence commerciale à durée déterminée est rompu de manière anticipée par le mandant, l'agent commercial peut obtenir la réparation du préjudice que lui cause la perte des commissions qui lui auraient été versées jusqu'au terme du contrat. Cette indemnisation ne peut être confondue avec l'indemnisation précédente qui a pour objet la réparation du préjudice résultant de la perte pour l'avenir des revenus tirés de l'exploitation de la clientèle commune alors que le caractère anticipé de la cessation ouvre droit à réparation du préjudice résultant de la perte de commissions jusqu'à la date conventionnellement fixée.
Pour confirmer le jugement qui a écarté cette demande de Monsieur Couturier, il suffira de relever que contrairement à ce qu'il allègue le contrat n'était pas conclu pour une durée ferme et définitive de cinq ans, l'article 7 du contrat qui mentionne cette durée précisant qu'elle n'était valable que sous réserve que des chiffres d'affaires particuliers aient été réalisés, ce qui n'était pas le cas en l'espèce, l'article 13 précisant d'ailleurs que le contrat pourrait être résilié par les parties en respectant un préavis égal à un mois la première année, deux mois la deuxième année, trois mois au-delà, ce qui confirme que la volonté des parties n'était pas de conclure un contrat à durée déterminée mais bien un contrat à durée indéterminée susceptible de résiliation moyennant un préavis.
C. Sur l'indemnité de réemploi
Monsieur Couturier demande à bénéficier d'une indemnité de réemploi au motif que l'indemnité de rupture est soumise à l'impôt au titre des plus-values et qu'elle est due puisqu'elle est la conséquence de la rupture et de l'indemnité de résiliation qui n'aurait pas existé si le contrat s'était poursuivi.
Pour confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté cette demande, il suffira de rappeler que l'assujettissement à l'impôt de l'indemnité de cessation de contrat ne constitue pas un préjudice réparable.
D. Sur l'indemnité pour rupture brutale et injustifiée du contrat d'agent commercial
Il convient de rappeler, en droit, que des dommages-intérêts peuvent être alloués à l'agent commercial lorsque les circonstances de la rupture révèlent un comportement fautif du mandant, notamment en cas de rupture brutale ou injurieuse ou accompagnée de manœuvre déloyale.
En l'espèce, force est de constater que c'est de manière brutale et vexatoire, en invoquant une prétendue faute grave de l'agent commercial, que la SARL Ampack a résilié le contrat d'agence commerciale que ce comportement fautif de la SARL Ampack a causé un incontestable préjudice à Monsieur Couturier qui sera indemnisé par l'allocation d'une indemnité de 7 500 euros.
III. SUR LES FRAIS NON RÉPÉTIBLES ET LES DÉPENS
La SARL Ampack, qui succombe, sera condamnée aux dépens d'appel.
L'équité justifie par ailleurs sa condamnation à verser à Monsieur Couturier une indemnité de procédure de 2 500 euros.
Par ces motifs : LA COUR, après en avoir délibéré, statuant contradictoirement, par arrêt prononcé par sa mise disposition au greffe et en dernier ressort, Déclare régulier en la forme et recevable l'appel interjeté par Monsieur Daniel Couturier ; Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a considéré qu'aucune faute grave ne pouvait être imputée à Monsieur Couturier et en ce qu'il a condamné la SARL Ampack à supporter les dépens d'instance et à payer à Monsieur Couturier une indemnité de procédure de 4 000 euros ; Infirme le jugement entrepris pour le surplus, Statuant à nouveau des chefs infirmés et ajoutant au jugement, Condamne la SARL Ampack à payer à Monsieur Couturier une indemnité compensatrice du préjudice subi de 34 213,26 euros ; Condamne la SARL Ampack à payer à Monsieur Couturier une indemnité de 7 500 euros en réparation du préjudice découlant de la rupture brutale et vexatoire du mandat d'agent commercial ; Condamne la SARL Ampack payer à Monsieur Couturier une indemnité de procédure de 2 500 euros ; Condamne la SARL Ampack aux entiers dépens d'appel.