ADLC, 25 juin 2013, n° 13-D-15
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Décision
Relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du transport maritime de fret entre l'Europe du Nord et les Antilles françaises
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Délibéré sur le rapport oral de Madame Iratxe Gurpegui, Monsieur Henry-Pierre Mélone, rapporteurs, , l'intervention de Monsieur Nicolas Deffieux, rapporteur général adjoint, par Madame Élisabeth Flüry-Hérard, vice-présidente, présidente de séance, Madame Pierrette Pinot, Messieurs Noël Diricq, Jean-Bertrand Drummen, membres.
L'Autorité de la concurrence (section IV),
Vu la décision n° 09-SO-02 du 3 novembre 2009 enregistrée sous le numéro 09-0119 F par laquelle l'Autorité de la concurrence, conformément au III de l'article L. 462-5 du Code de commerce, s'est saisie d'office des pratiques mises en œuvre dans le secteur susmentionné ; Vu l'article 81 du traité instituant la Communauté européenne, devenu 101 du TFUE à compter du 1er décembre 2009 ; Vu le livre IV du Code de commerce ; Vu les décisions de secret des affaires n° 10-DSA-150 du 3 août 2010 ; n° 11-DSA-101 du 5 avril 2011 ; n° 11-DSA-104 du 11 avril 2011 ; n° 11-DSA-111 du 13 avril 2011 ; n° 11-DSA-168 du 12 mai 2011 ; n° 11-DSA-200 du 13 juillet 2011 ; n° 11-DSA-201 du 13 juillet 2011 ; n° 11-DSA-202 du 13 juillet 2011 ; n° 11-DSA-232 du 27 juillet 2011 ; n° 11-DSA-291 du 27 septembre 2011 ; n° 11-DSA-314 du 19 octobre 2011 ; n° 11-DSA-335 du 7 novembre 2011 ; n° 12-DSA-154 du 6 avril 2012 ; n° 12-DSA-161 du 20 avril 2012 ; n° 12-DSA-182 du 4 mai 2012 ; n° 12-DSA-433 du 20 décembre 2012 ; n° 12-DSA-434 du 20 décembre 2012 ; n° 12-DSA-435 du 20 décembre 2012 ; n° 12-DSA-436 du 20 décembre 2012 ; n° 12-DSA-437 du 21 décembre 2012 ; n° 12-DSA-438 du 21 décembre 2012 ; n° 12-DSA-439 du 21 décembre 2012 ; n° 12-DSA-440 du 21 décembre 2012 ; n° 13-DSA-04 du 3 janvier 2013 ; n° 13-DSA-03 du 3 janvier 2013 ; n° 13-DSA-05 du 3 janvier 2013 ; n° 13-DSA-06 du 4 janvier 2013 ; n° 13-DSA-124 du 16 avril 2013 ; n° 13-DSA-127 du 17 avril 2013 ; n° 13-DSA-128 du 18 avril 2013 ; n° 13-DSA-129 du 19 avril 2013 ; n° 13-DSA-134 du 19 avril 2013 ; n° 13-DECR-25 du 23 avril 2013 ; Vu les évaluations préliminaires de préoccupations de concurrence des rapporteurs, notifiées par procès-verbal aux sociétés CMA-CGM SA (ci-après CMA-CGM), AP Moller-Maersk A/S (ci-après Maersk), Marfret SA (ci-après Marfret) et WEC Lines BV (ci-après WEC Lines) les 19 et 21 décembre 2012 et transmises au commissaire du gouvernement le 11 janvier 2013 ; Vu les engagements communs proposés de manière conjointe par les sociétés CMA-CGM, Maersk, Marfret et WEC Lines le 8 février 2013 et mis en ligne le 13 février 2013 ; Vu les observations présentées par un particulier le 6 mars 2013, par la société Sea Shipping Services le 8 mars 2013; Vu les nouvelles versions des engagements communs proposés de manière conjointe par les sociétés CMA-CGM, Maersk, Marfret et WEC Lines le 19 avril 2013 et, en séance, le 29 avril 2013 ; Vu les autres pièces du dossier ; Les rapporteurs, le rapporteur général adjoint, le commissaire du gouvernement et les représentants des sociétés CMA-CGM, Maersk, Marfret et WEC Lines entendus lors de la séance de l'Autorité de la concurrence du 24 et du 29 avril 2013 ; Adopte la décision suivante (1) :
I. Constatations
A. RAPPEL DE LA PROCÉDURE
1. La présente saisine s'inscrit dans le cadre de l'affaire enregistrée sous le numéro n° 09-0119 F qui concerne le secteur du transport maritime de fret entre l'Europe du Nord et les Antilles. Elle résulte de la décision n° 09-SO-02 du 3 novembre 2009 par laquelle l'Autorité de la concurrence, conformément au III de l'article L. 462-5 du Code de commerce, s'est saisie d'office des pratiques mises en œuvre dans le secteur susmentionné. Cette décision fait notamment suite à l'avis de l'Autorité de la concurrence n° 09-A-45 du 8 septembre 2009 relatif aux mécanismes d'importation et de distribution des produits de grande consommation dans les départements d'outre-mer.
2. Dans la mesure où le poids du fret peut représenter jusqu'à 15 % du prix de vente des produits importés, l'Autorité de la concurrence, dans le cadre de l'avis précité, a notamment préconisé, parmi les actions souhaitables, d'" accroître la concurrence sur les liaisons maritimes ".
3. S'agissant plus particulièrement de la liaison avec les Antilles, sur laquelle une seule compagnie (CMA-CGM) affrète des bateaux en partageant ses capacités avec les autres transporteurs maritimes, l'Autorité a indiqué dans ce même avis que " c'est la liaison qui pose les plus grandes difficultés du point de vue de la concurrence puisqu'il s'agit d'un service structurellement bénéficiaire compte tenu d'un taux de remplissage des navires, très bon à l'aller et non négligeable au retour. Il devrait donc attirer les grands opérateurs, au moins autant que la liaison vers La Réunion qui offre des volumes inférieurs de 20 % à l'aller et des flux retour trois fois plus faibles (...). "
4. Enfin, l'Autorité a dressé le constat d'une " inertie du marché " qu'elle explique par une " rigidité des capacités " et a appelé à un " assouplissement des règles " de réservation des capacités au sein des bateaux de la société CMA-CGM sur la ligne Europe du Nord - Antilles.
5. Par procès-verbaux en date des 19 et 21 décembre 2012, les rapporteurs ont fait connaître à CMA-CGM, Maersk, Marfret et WEC Lines leur évaluation préliminaire des pratiques en cause, telles qu'appréciées par les services d'instruction.
6. Le 8 février 2013, CMA-CGM, Maersk, Marfret et WEC Lines ont transmis à l'Autorité de la concurrence un courrier comprenant une proposition commune d'engagement.
7. Cette proposition d'engagement a été mise en ligne le 13 février 2013.
8. La société Sea Shipping Services et un particulier ont répondu au test de marché dans le délai imparti.
9. À la suite des observations reçues dans le cadre de ce test de marché, CMA-CGM, Maersk, Marfret et WEC Lines ont transmis à l'Autorité de la concurrence, le 23 avril 2013, une deuxième version des engagements, puis une troisième version lors de la séance de l'Autorité de la concurrence du 24 et du 29 avril 2013.
B. LES PARTIES CONCERNÉES
1. A. P. MOLLER - MAERSK A/S
10. AP Moller-Maersk A/S (ci-après Maersk), leader mondial, est une compagnie maritime danoise. Elle est née de la fusion des armements Maersk Sealand et P&O NedLloyd en février 2006. En 2011, Maersk a réalisé un chiffre d'affaires d'environ 25 milliards d'euros. Elle arme plus de 600 navires et possède une capacité d'environ 3,8 millions d'EVP (2). L'agent maritime d'AP-Moller-Maersk A/S pour la France est la société Maersk France SAS, filiale à 100 % d'AP Moller-Maersk A/S.
2. CMA-CGM
11. La Compagnie Maritime d'Affrètement - Compagnie Générale Maritime société anonyme (ci-après CMA-CGM) est une compagnie maritime française qui a acquis une envergure mondiale. Elle est le troisième groupe mondial de transport maritime par conteneur et un acteur logistique majeur. CMA-CGM transporte globalement plus de 10 millions d'EVP, arme plus de 390 navires. Son chiffre d'affaires en 2011 s'est élevé à environ 15 milliards d'euros.
3. MARFRET S.A.
12. La Compagnie Maritime Marfret société anonyme (ci-après Marfret) est la deuxième compagnie maritime française et figure parmi les 70 premières compagnies mondiales. Son chiffre d'affaires 2009 s'est élevé à 135 millions d'euros. Elle est présente dans trois grandes zones géographiques : l'Europe et la Méditerranée, l'Amérique et les Caraïbes, l'Asie du Sud-est et le Pacifique sud.
4. WEC LINES B.V.
13. West European Container Lines (ci-après WEC Lines) est une société néerlandaise créée en 1973. Elle transporte environ 450 000 EVP par an, arme 20 navires et possède une capacité propre d'environ 16 000 EVP.
C. LE SECTEUR CONCERNÉ
14. La majorité des marchandises consommées dans les DOM sont importées et la plus grande part vient d'Europe, très majoritairement de la métropole. Le fret maritime est le mode de transport prédominant, alors que le fret aérien, trop onéreux pour les produits de grande consommation à faible valeur ajoutée, n'est utilisé que pour des cas où les délais sont le critère décisif du choix du transporteur. Le fret maritime concerne le vrac, sec ou liquide, le transport de véhicules et surtout le transport de conteneurs qui représente plus de 80 % des tonnages importés, hors hydrocarbures.
15. La principale liaison entre l'Europe et les Antilles françaises est celle reliant l'Europe du Nord, notamment les ports français de la Manche et de l'Atlantique, et les Antilles françaises. Elle représente 89 % des échanges maritimes de transport conteneurisé entre les deux zones, tandis que l'Europe du Sud n'en représente que 11 %.
16. Depuis 2008, la liaison entre l'Europe du Nord et les Antilles françaises est assurée principalement par sept compagnies maritimes : CMA-CGM, Maersk, Marfret, WEC Lines, Geest Line, Horn Linie jusqu'en octobre 2009 et Sea Shipping Services (ci-après Seatrade) depuis janvier 2011.
17. Ces sept compagnies opèrent ou ont opéré sur quatre lignes maritimes différentes :
- le service PCRF (ou NEFWI) ;
- la liaison Geest Line ;
- jusqu'en octobre 2009, la liaison Horn Linie ; et
- depuis janvier 2011, le service Streamlines de Seatrade.
1. DESCRIPTION DES LIAISONS MARITIMES ENTRE L'EUROPE DU NORD ET LES ANTILLES
a) Le service PCRF
18. Le PCRF est un service ouvert par CMA-CGM entre l'Europe du Nord et les Antilles françaises depuis 1976. La durée de rotation est de 28 jours avec un départ tous les 7 jours. La capacité nominale des 4 bateaux de cette ligne est de 2 200 EVP, ce qui correspond à une capacité nominale annuelle de 117 843 EVP (dont 57 200 EVP alloués à CMA-CGM). Entre 2008 et 2010, ce service a représenté 90 % des échanges de marchandises conteneurisées entre l'Europe du Nord et les Antilles françaises.
19. Les escales de cette ligne sont : Dunkerque (France), Rouen (France), Le Havre (France), Montoir-de-Bretagne (France), Pointe-à-Pitre (Guadeloupe), Fort-de-France (Martinique), Pointe-à-Pitre (Guadeloupe), Montoir-de-Bretagne (France) et Dunkerque (France). À l'aller, les navires PCRF de CMA-CGM effectuent un cabotage entre des ports français métropolitains puis entre Pointe-à-Pitre et Fort-de-France. Au retour, ces navires sont spécialement conçus pour assurer le transport des bananes vers Dunkerque par conteneurs réfrigérés (aussi appelés reefer) (3).
20. Les compagnies CMA-CGM, Maersk, Marfret et WEC Lines sont liées entre elles par un accord de Slot Charter Agreement (SCA) (4) et utilisent les navires de CMA-CGM. En octobre 2009 (depuis que la société Horn Linie a arrêté de desservir les Antilles françaises), CMA-CGM a conclu un nouvel accord de mise à disposition de capacités avec la Société Française de Consignation (ci-après SFC), précédemment agent maritime de Horn Linie.
b) Les autres liaisons maritimes
21. Dans le cadre de sa ligne dédiée au transport de la banane produite dans les îles anglaises des Caraïbes, la société Geest Line a créé une escale aux Antilles françaises en 1994 (uniquement la Martinique). À l'aller, Geest Line assure un service au départ de l'Angleterre et ne charge en France qu'un seul arrêt au Havre. Au retour, les navires effectuent une série de cabotages pour charger des bananes dans les Antilles anglophones avant un retour à Portsmouth. La capacité nominale des 4 bateaux de cette ligne est de 385 EVP. Geest Line ne transporte, pour l'essentiel, que ses propres conteneurs.
22. De même, jusqu'en octobre 2009, la compagnie Horn Linie assurait un service hebdomadaire au départ d'Anvers. Ses navires, d'une capacité nominale comprise entre 300 et 320 EVP, allaient ensuite aux Antilles puis en Colombie et au Costa-Rica. Depuis octobre 2009, ces navires ne font plus escale aux Antilles françaises.
23. À la suite de ce retrait, la société Seatrade, qui opère également un service entre l'Europe du Nord et la Colombie (service Streamlines), a ouvert en janvier 2011 une escale supplémentaire à la Guadeloupe. Seatrade ne loue pas de capacité à des tiers sur ses navires. Ces derniers ont une capacité maximale de 200 EVP.
24. Il convient de noter que chacune de ces compagnies ne couvre qu'une faible part des conteneurs transportés aux Antilles françaises, leurs navires étant plus petits et plus polyvalents (ils chargent aussi du vrac) que les bateaux de CMA-CGM, ce qui limite la capacité réelle de chargement en conteneurs.
2. L'ÉQUILIBRE ÉCONOMIQUE DES OFFRES
a) Analyse des prix
Évolution des taux de fret sur la zone Europe du Nord - Antilles françaises
25. Entre janvier 2008 et décembre 2011, le taux de fret moyen (conteneurs secs) de CMA - CGM sur le service PCRF s'est établi à [confidentiel] euros. Comme l'indique le graphique suivant, les taux de fret de la compagnie ont globalement diminué de [30-40] % au cours de cette même période (-[20-30] % pour les conteneurs secs) :
<EMPLACEMENT TABLEAU 1>
26. CMA-CGM a en effet indiqué dans le cadre de l'instruction qu'" en 2008 et 2009, la crise économique et l'effondrement du trafic maritime international de conteneurs ont conduit à une surcapacité de la flotte mondiale de porte-conteneurs qui a provoqué une chute des taux de fret sur les grandes lignes internationales " (5).
27. L'érosion des taux de fret du service PCRF de CMA-CGM depuis 2008 doit ainsi s'apprécier au regard de la baisse générale des taux de fret maritime. Le graphique suivant compare le taux de fret moyen trimestriel du service PCRF (conteneurs secs) et l'indice des prix du transport de fret maritime publié par le Ministère de l'Écologie, du Développement durable, des Transports et du Logement entre le premier trimestre 2008 et le quatrième trimestre 2011 (6).
Comparaison entre le taux de fret moyen trimestriel du service PCRF et l'indice des prix du transport de fret maritime entre 2008 et 2011
<EMPLACEMENT GRAPHIQUE 1>
28. Bien qu'il n'existe pas d'indice mesurant spécifiquement l'évolution des prix du transport de fret par conteneur, il peut être noté que le taux de fret moyen trimestriel du service PCRF de CMA-CGM (conteneurs secs) a baissé de [20-30] % entre le premier trimestre de l'année 2008 et le 4ème trimestre de l'année 2011, lorsque, dans le même temps, l'indice des prix du transport de fret maritime publié chaque trimestre par le Commissariat général au développement durable laisse apparaître une baisse de 41,7 %, soit une baisse près de [une à deux] fois supérieure à celle constatée sur le service PCRF de CMA-CGM (conteneurs secs). Les taux de fret du service PCRF de CMA-CGM ont certes baissé entre 2008 et 2011, mais cette baisse semble moins prononcée que celle qui a affecté l'ensemble des prix mondiaux de fret maritime.
Comparaison des tarifs de fret maritime
29. Dans son avis n° 09-A-45, l'Autorité a constaté que, sur la ligne Europe du Nord - Antilles françaises, le prix du fret brut pour un conteneur 20 pieds ordinaire est en moyenne, tous clients et toutes compagnies confondus, mais sans pondération par les quantités, de l'ordre de 1 400 , avec des différences significatives, puisque l'écart entre les meilleures conditions et les moins bonnes peut atteindre 300 euros. De même, le prix du fret brut pour un conteneur 40 pieds est de l'ordre de 2 500 euros, avec des écarts qui peuvent dépasser 600 selon les clients et les compagnies (7).
30. Les tableaux ci-dessous présentent une comparaison entre les tarifs pratiqués en 2011 sur la route entre l'Europe du Nord et les Antilles françaises et les tarifs de fret maritime pratiqués sur d'autres routes entre l'Europe du Nord et le bassin caribéen, selon la taille des conteneurs transportés (20 pieds et 40 pieds).
<EMPLACEMENT TABLEAU 2>
<EMPLACEMENT TABLEAU 3>
31. Il apparaît ainsi que la moyenne des tarifs de fret maritime pratiqués par CMA-CGM, Maersk, Marfret et WEC Lines sur les conteneurs secs est supérieure de 10 à 25 % à la moyenne des tarifs pratiqués par les autres compagnies opérant sur des routes similaires autres qu'Europe du Nord - Antilles françaises.
32. Ceci confirme les constatations faites par l'Autorité dans l'avis précité. En 2009, l'Autorité a en effet indiqué que, même si le niveau absolu des prix n'était pas aisé à déterminer, faute de marché fortement concurrentiel directement comparable sur l'axe Europe - Caraïbes, plusieurs éléments pouvaient laisser penser que les prix observés étaient au-dessus de ceux d'un équilibre de pleine concurrence. L'Autorité relevait ainsi " qu'un armateur, non membre de la conférence, fait état d'une baisse de ses propres tarifs sur la période 2006-2008 avec des gains de parts de marché et annonce pour 2009 des prix sensiblement inférieurs aux prix moyens constatés jusqu'en 2008 au sein du SCA, ce qui laisse supposer que l'exploitation de ce service serait encore bénéficiaire à des niveaux de prix inférieurs ". (8)
b) Analyse des coûts
33. Les coûts et les revenus de CMA-CGM sur le service PCRF sont synthétisés dans le tableau suivant (9) :
<EMPLACEMENT TABLEAU 4>
34. À la lecture de ce tableau, il convient de noter que, malgré la chute des taux de fret constatés entre 2008 et 2011, la marge du service PCRF dégagée par CMA-CGM est globalement positive et s'établit sur cette même période à [10-20] %. Si l'on cherche à isoler les coûts et les revenus du marché de gros (vente de slots) (10) des coûts et revenus dégagés sur le marché de détail (services de transport aux clients), il peut être observé que le profit dégagé par CMA-CGM provient uniquement de son service de transport aux clients avec une marge moyenne de [15-25] % et des marges négatives sur son activité de vente de slots (-[10-20] %), ce qui corrobore l'analyse selon laquelle CMA-CGM pratiquerait sur le service PCRF des prix de détail élevés et des prix de gros faibles.
35. À ce titre et comme l'indique le tableau suivant (11), lorsque l'on cherche à comparer les coûts et les revenus de la société CMA-CGM relatifs au service de transport aux clients pour les lignes PCRF et Guyane, il peut être noté que la marge moyenne du service PCRF est [une à deux] fois supérieure à celle du service Guyane.
<EMPLACEMENT TABLEAU 5>
36. Par conséquent, si l'on se réfère aux analyses développées ci-avant, plusieurs indices tendent à démontrer que les prix pratiqués sur le service PCRF sont éloignés de ceux qui seraient pratiqués en situation de pleine concurrence et laissent supposer que des dysfonctionnements existent faisant obstacle au mécanisme d'ajustement des prix.
D. LA DÉFINITION DU MARCHE PERTINENT ET L'ANALYSE DE LA POSITION DES ACTEURS
1. DÉFINITION DU MARCHÉ
a) Marché de produits et de services
37. La pratique décisionnelle de la Commission européenne, la jurisprudence des cours de justice de l'Union Européenne et l'information recueillie lors de l'instruction du dossier signalent l'existence d'un marché qui inclut des services de transport maritime de ligne par conteneur au départ (ou à destination) de l'Europe du Nord et à destination (ou au départ) des Antilles françaises. L'information recueillie de la part des utilisateurs du service de CMA-CGM confirme la définition du marché de produits faite par la Commission européenne et les cours de justice de l'Union Européenne.
38. Le marché de produits pertinent est le marché de transport de ligne par conteneur. Celui-ci se distingue notamment du marché de transport non régulier ou de tramp du fait que ces derniers n'offrent généralement pas la fréquence, la régularité et la fiabilité exigées par de nombreux chargeurs et que les services de transport non réguliers ne peuvent pas assurer le service porte-à-porte souvent requis par les clients. Le marché pertinent retenu dans la présente affaire se distingue également du marché de transport non conteneurisé ou en vrac compte tenu de la nature du fret convoyé et des avantages économiques liés à l'utilisation des conteneurs, en particulier l'adaptation au transport multimodal. Or, une fois la conteneurisation achevée, le retour au vrac est très rare. Par ailleurs, le transport par conteneur réduit les frais de stockage et les marchandises risquent moins d'être endommagées (ou volées) au cours des opérations de chargement et de déchargement.
b) Délimitation géographique
39. S'agissant de la délimitation géographique des marchés, il convient de distinguer à la fois une zone de départ et une zone de destination pour l'ensemble des produits et services concernés.
40. S'agissant tout d'abord du point de départ, conformément à la pratique décisionnelle de la Commission et à la majorité des réponses exprimées par les entreprises interrogées dans le cadre de l'instruction de la présente affaire, deux marchés peuvent être distingués :
- un marché des services de transport maritime de ligne régulière par conteneur au départ de l'Europe du Nord ;
- un marché des services de transport maritime de ligne régulière par conteneur au départ de l'Europe du Sud.
41. S'agissant ensuite de la destination, il apparaît que les deux marchés précédemment identifiés peuvent a priori se limiter au marché de transport maritime à destination des Antilles françaises. Bien que la Commission ait analysé, dans le cadre de l'opération de concentration entre Maersk et Ponl (12), un marché regroupant les Caraïbes et l'Amérique centrale, aucune explication concernant la délimitation de ce marché ne figure dans la décision.
42. Lors de l'instruction, la société CMA-CGM a défendu la substituabilité entre la route directe Europe du Nord/Antilles et les routes desservant d'autres ports du bassin caribéen ou l'Amérique centrale (en utilisant un service de transbordement vers les Antilles françaises pour la dernière partie du trajet) (13).
43. Pourtant, les informations recueillies lors de l'instruction de la présente affaire mettent en évidence la possible existence d'un marché du transport maritime de fret à destination des Antilles françaises distinct d'un marché de transport maritime de fret à destination de la zone Caraïbes et Amérique centrale.
44. Du point de vue de la demande, la substituabilité entre la route directe Europe du Nord/Antilles et les routes desservant d'autres ports du bassin caribéen ou l'Amérique centrale en utilisant un service de transbordement aux Antilles françaises n'a pas lieu d'être constatée. La plupart des utilisateurs interrogés privilégient toujours le service direct aux services de transbordement. Ce choix semble le seul possible pour les produits périssables pour lesquels la durée de transit doit être la plus courte possible. Même pour les produits non périssables, un transit court favorise une meilleure gestion des stocks et une plus grande réactivité. En effet, les données qui ont été recueillies jusqu'à présent montrent que les volumes des marchandises transportés vers les Antilles françaises par des services de transbordement depuis un port du bassin caribéen/Amérique centrale sont très limités. En 2010, ils n'ont ainsi représenté qu'un pourcentage infime du volume total des marchandises à destination des ports du bassin caribéen et d'Amérique centrale.
45. Par ailleurs, la sécurité et la fiabilité du service direct, très supérieures à celles d'un service incluant des transbordements, penchent plutôt vers l'absence de substituabilité entre les routes directes et les lignes incluant une escale dans d'autres ports du bassin caribéen et d'Amérique centrale. Certaines compagnies ont en effet constaté que, pour des destinations proches, les tarifs de fret maritime pratiqués sur les lignes à destination des Caraïbes sont moins chers que ceux pratiqués sur la route à destination des Antilles françaises, ce qui semble indiquer une absence de pression concurrentielle entre les deux routes.
46. Certes, les sociétés utilisatrices du service PCRF interrogées considèrent, à l'instar de CMA-CGM, qu'une compagnie qui dessert actuellement le bassin caribéen pourrait, en théorie, facilement modifier sa route et faire une escale aux Antilles. Mais il s'agit là d'une concurrence potentielle et non pas d'une concurrence réelle.
47. L'existence d'une concurrence potentielle est un élément qui est de manière générale analysé au stade de la détermination d'une position dominante plutôt qu'au stade de la délimitation du marché pertinent. La contrainte concurrentielle créée par une entrée potentielle peut avoir un effet d'affaiblissement du pouvoir de marché des entreprises effectivement présentes dans le marché. (14) Or, aucun armateur interrogé présent dans la zone du bassin caribéen et de l'Amérique centrale n'envisage à court ou moyen terme de desservir les Antilles françaises.
48. Ainsi, la route Europe du Nord/Antilles présente un certain nombre de spécificités (durée de transit court, navires adaptés au transport de la banane et aux ports antillais) qui permettent de présumer l'existence d'un marché distinct. Par conséquent, les éléments exposés ci-dessus confortent une possible limitation du marché géographique aux Antilles françaises.
c) Conclusion
49. Le marché pertinent retenu est susceptible d'être défini comme celui des services de transport maritime de ligne régulière par conteneur au départ de l'Europe du Nord et à destination des Antilles françaises. Ce marché inclut les trajets aller (Europe du Nord vers Antilles) et retour (Antilles vers Europe du Nord) effectués par bateaux sur des lignes régulières.
2. ANALYSE DE LA POSITION DES ACTEURS
a) Calcul des parts de marché
50. Au regard de la définition retenue du marché pertinent, les parts de marché des différents acteurs sur la zone Europe du Nord - Antilles françaises sont récapitulées dans le tableau suivant (15). Les parts de marché sur les zones Europe du Sud - Antilles françaises, Europe du Nord - bassin caribéen et Europe du Sud - bassin caribéen sont données à titre illustratif.
<EMPLACEMENT TABLEAU 6>
51.Sur le marché pertinent des services de transport maritime de ligne régulière par conteneur au départ de l'Europe du Nord et à destination des Antilles françaises, la part de marché cumulée de CMA-CGM, Maersk, Marfret et WEC Lines s'élèvent ainsi à 88,7 %.
b) Taille du marché
52. Le volume annuel moyen de marchandises transportées par conteneur sur ce marché s'est établi, pour la période 2008-2011, à [>100000] EVP. [>90] % de ces marchandises ont été transportées sur le service PCRF.
53. Le chiffre d'affaires annuel moyen de CMA-CGM sur le service PCRF s'est établi sur cette même période à [80-120] millions d'euros. La vente des lots à ses concurrents a par ailleurs représenté [15-25] millions d'euros par an.
E. LES PRATIQUES CONCERNÉES
54. La présente affaire vise la plupart des accords de SCA conclus sur le service PCRF, notamment ceux conclus entre CMA-CGM et ses concurrents Maersk, Marfret et WEC Lines. L'accord de location de capacités conclu entre CMA-CGM et SFC n'est pas visé par la présente évaluation préliminaire (cf. paragraphe58).
1. DESCRIPTIONS DES PRINCIPALES CLAUSES DES ACCORDS DE SCA SIGNÉS ENTRE CMA-CGM ET SES PARTENAIRES
55.Ces accords portent sur une durée indéterminée et fixent les capacités allouées aux différents opérateurs. Tous les accords de SCA contiennent des clauses interdisant aux opérateurs de revendre à des tiers les capacités allouées par CMA-CGM sans son autorisation préalable. Les accords contiennent également des clauses d'exclusivité qui interdisent aux opérateurs de faire transporter entre l'Europe du Nord et les Antilles françaises des marchandises sur d'autres services que le service PCRF. Le tableau ci-dessous présente de manière synthétique les accords de SCA actuellement en vigueur, ainsi que leurs principales clauses :
<EMPLACEMENT TABLEAU 7>
F. LA MISE EN OEUVRE DE LA PROCÉDURE D'ENGAGEMENTS
56. Le 8 février 2013, CMA-CGM, Maersk, Marfret et WEC Lines ont transmis à l'Autorité de la concurrence un courrier comprenant une proposition commune d'engagement (I.F.2) visant à répondre aux préoccupations de concurrence telles qu'appréciées par les services d'instruction et rappelées ci-après.
1. L'ÉVALUATION PRÉLIMINAIRE
57. Conformément aux dispositions de l'article R. 464-2 du Code de commerce, les services d'instruction de l'Autorité ont exprimé des préoccupations de concurrence, signifiées aux parties lors des auditions qui se sont tenues le 19 et 21 décembre 2012 au siège de l'Autorité. Ces auditions ont fait l'objet d'un procès-verbal exposant les éléments suivants.
58. Dans la mesure où Maersk, Marfret, WEC Lines et CMA-CGM sont des concurrents, les accords de SCA signés par ces derniers sur la liaison entre l'Europe du Nord et les Antilles françaises pourraient être analysés sur la base de l'article L. 420-1 du Code du commerce et de l'article 101 du Traité de Fonctionnement de l'Union Européenne (ci-après TFUE)). L'accord de location de capacités conclu entre CMA-CGM et SFC n'est pas visé par la présente évaluation préliminaire de concurrence. En effet, SFC agissant en tant que revendeur de capacités et n'exploitant pas de navires, la société ne peut pas être considérée comme un concurrent.
a) Le droit applicable
59. Le droit national et le droit européen s'appliquent tous les deux puisque les accords de SCA affectent non seulement le transport entre ports français, mais sont également susceptibles d'affecter le commerce entre États membres.
Droit national
60. L'article L. 420-1 du Code de commerce s'applique aux pratiques qui sont susceptibles d'avoir des effets sur un ou plusieurs marchés situés sur le territoire national.
61. Le fait que certains auteurs des pratiques (WEC Lines et Maersk) ne soient pas implantés en France n'est pas pertinent à cet égard. Les accords de SCA mis en cause affectent les services de transport maritime entre les ports français métropolitains de Dunkerque, Rouen, Le Havre et Montoir et les ports de Pointe-à-Pitre et Fort-de-France situés dans les Antilles françaises, départements d'outre-mer (DOM) français (20).
Droit de l'Union européenne
62. L'article 101 du traité de fonctionnement de l'Union Européenne (ci-après TFUE) s'applique aux pratiques susceptibles d'affecter le commerce entre États membres. Le critère de l'effet sur le commerce entre États membres est rempli dès lors qu'il apparaît de façon suffisamment certaine, sur la base d'un ensemble de facteurs juridiques ou empiriques objectifs, que l'accord en question peut avoir une influence, directe ou indirecte, effective ou potentielle, sur la structure des échanges de biens ou de services entre les États membres (21). Se fondant sur le traité et les lignes directrices de la Commission relatives à la notion d'affectation du commerce figurant aux articles 81 et 82 du traité (JO 2004 C 101, p. 84), l'Autorité de la concurrence considère que trois éléments doivent être démontrés pour établir que des pratiques sont susceptibles d'avoir affecté le commerce intracommunautaire de façon sensible : (i) l'existence d'échanges entre États membres portant sur les produits faisant l'objet de la pratique (ii) l'existence de pratiques susceptibles d'affecter ces échanges et (iii) le caractère sensible de cette possible affectation (22).
63. Selon les lignes directrices de la Commission relatives à l'application de l'article 81 du traité CE aux services de transport maritime du 28 septembre 2009, les services de transport offerts par les opérateurs de services de ligne sont souvent de nature internationale dans la mesure où ils relient des ports communautaires avec des pays tiers et/ou impliquent des exportations et des importations entre deux États membres ou plus (et donc du commerce intracommunautaire). Dans la plupart des cas, ils sont susceptibles d'affecter le commerce entre les États membres notamment en raison de l'effet qu'ils exercent sur les marchés des transports et des services intermédiaires (23). En effet, le service de transport maritime ne constitue généralement que le maillon d'une chaîne de l'offre englobant notamment d'autres services, comme les services de manutention et d'acheminement terrestre intérieur. Une restriction de concurrence au niveau du transport maritime aurait inévitablement un effet collatéral sur les autres activités et sur le commerce en dehors de la liaison maritime en question. (24)
64. Bien que les accords de SCA concernent le service PCRF qui ne relie que des ports français, ils sont susceptibles d'affecter des importations et des exportations entre États membres. Les parties aux accords de SCA sont des compagnies maritimes opérant dans plusieurs États membres et proposant des services de transport maritime à des clients implantés partout dans le monde souhaitant exporter des marchandises vers les Antilles françaises et/ou importer des marchandises produites aux Antilles françaises.
65. L'affectation du commerce entre États membres est susceptible d'être d'autant plus sensible qu'elle concerne des compagnies maritimes de très grande taille (dont le leader mondial, Maersk et le troisième opérateur mondial, CMA-CGM).
Dès lors, les pratiques constatées sont susceptibles d'affecter le commerce entre les États membres. Par conséquent, l'article 101 du TFUE est susceptible de s'appliquer parallèlement à l'article L. 420-1 du Code de commerce. Ainsi les règlements relatifs à l'application du droit communautaire de la concurrence au secteur du transport maritime de ligne s'appliquent au cas d'espèce.
b) Le cadre économique et juridique
66. Les accords actuels de SCA entre CMA-CGM, d'une part, et Maersk, Marfret et WEC Lines, d'autre part, sont susceptibles d'être le résultat d'un arrangement plus large entre CMA-CGM, Maersk et Marfret notifié à la Commission européenne en 2000 quand le règlement CE n° 823-2000, imposant l'obligation de notifier les accords de consortium, était en vigueur (25).
67. Cet arrangement aurait consisté dans le retrait des cinq bateaux de Maersk qui desservaient depuis 1999 la ligne Europe du Nord/Caraïbes (desservant dans le bassin caribéen les ports de la Guadeloupe, de la Martinique et du Venezuela) et l'affrètement de quatre bateaux de ce même opérateur sur la route Europe du Sud/Caraïbes. En conséquence, deux accords ont été conclus et notifiés à la Commission européenne :
a. CMA-CGM, restant le seul opérateur à affréter des bateaux sur la route Europe du Nord/Caraïbes (desservant dans le bassin caribéen et les ports de la Guadeloupe et de la Martinique), a conclu un accord d'allocation de capacité (accord de SCA) sur ses bateaux avec Maersk et Marfret ;
b. Maersk, Marfret et CMA-CGM ont conclu un accord de Vessel Sharing Agreement (accord de VSA) (26) sur la route Europe du Sud/Caraïbes, Maersk y contribuant à hauteur de quatre bateaux, CMA-CGM d'un bateau et Marfret d'un autre bateau. Depuis le 1er avril 2007, Maersk s'est retirée de cette ligne en se désengageant du VSA.
68. Il peut également être observé que Marfret et WEC Lines se sont retirées de la ligne Europe du Nord - Antilles françaises avant de conclure des contrats de SCA avec CMA-CGM. Marfret s'est retirée du marché en 1980 et WEC Lines en 2005. Après l'arrêt des services concurrents, CMA-CGM est resté le seul opérateur crédible sur le marché et ses concurrents ont décidé de signer des accords de SCA avec lui afin de pouvoir continuer à offrir un service de transport maritime de ligne vers les ports antillais.
69. Les différentes compagnies maritimes justifient leur sortie du marché et la signature de contrats de SCA avec CMA-CGM par des raisons de rentabilité, de viabilité, de partage de coûts et de meilleure adaptabilité des bateaux de CMA-CGM aux ports antillais :
- WEC Lines, qui avait démarré un service entre l'Europe du Nord et les Antilles françaises en 2003 avec ses propres bateaux, s'est retiré du marché, car le service n'était plus viable financièrement, compte tenu notamment des prix pratiqués par son concurrent CMA-CGM. L'entreprise a ainsi signé son premier accord de SCA avec CMA-CGM en septembre 2005. (27)
- Maersk a quant à elle arrêté son service de transport maritime de ligne par conteneur entre l'Europe du Nord et les Antilles françaises en 2000 car [confidentiel]. (28)
- S'agissant de Marfret, la société a conclu un accord de SCA avec CMA-CGM [confidentiel]. (29)
70. Il faut noter que la situation concurrentielle du secteur du transport maritime est le produit de l'existence de plusieurs règlements d'exemption par catégorie, notamment le règlement d'exemption par catégorie n° 4056-86 (30) qui permettait aux transporteurs de fixer les prix et de réguler les capacités conjointement. Ces " cartels autorisés ", aussi nommés " conférences maritimes ", ont organisé le transport maritime de ligne depuis les années 1870.
71. Le règlement d'exemption par catégorie en faveur des conférences maritimes a été abrogé le 18 octobre 2008 par le règlement n° 1419-2006 (31). À partir de cette date, le transport maritime de ligne est soumis aux règles de concurrence.
72. L'ancien règlement d'exemption par catégorie n° 823-2000 (32) et le nouveau règlement d'exemption par catégorie n° 906-2009, qui se substitue au précédent depuis le 26 avril 2010, établissent les conditions d'exemption pour des accords de " consortium ", c'est-à-dire des accords de coopération pour l'exploitation en commun d'un service de transport maritime, notamment les accords de SCA.
73. Lors de la notification des accords en vertu du règlement n° 823-2000, la Commission européenne, constatant que le délai d'opposition était passé, a considéré que les accords notifiés étaient réputés exemptés pour la durée du règlement n° 823-2000 c'est-à-dire jusqu'au 25 avril 2005. (33)
c) Les accords de SCA
74. CMA-CGM, Maersk, Marfret et WEC Lines sont des entreprises au sens des articles L. 420-1 du Code de commerce et 101 du TFUE. L'existence des accords de volonté entre CMA-CGM, d'une part, et Maersk, Marfret et WEC Lines, d'autre part, ne pose aucun doute au cas d'espèce, car il a été matérialisé par des contrats en bonne et due forme.
75. Les accords de SCA décrits ci-dessus concernent la vente et l'achat de capacités sur le service PCRF. CMA-CGM vend ainsi de l'espace à ses concurrents sur ses quatre bateaux qui relient les ports métropolitains de Dunkerque, Le Havre, Rouen et Montoir de Bretagne aux ports antillais de Pointe-à-Pitre et Fort-de-France. Les bateaux de CMA-CGM transportent environ 90 % de marchandises sur cette liaison. Les deux autres compagnies maritimes actives sur cette ligne sont de petite taille et ne desservent qu'une des îles des Antilles françaises chacune (Seatrade fait escale à la Guadeloupe et Geest Line à la Martinique).
76. S'il n'est pas exclu que les accords de SCA puissent contribuer à rationaliser les activités des compagnies membres ou permettre une utilisation plus efficace de la capacité des navires, tout en améliorant la fréquence des dessertes, des escales ou la qualité de services (du fait notamment du recours à des navires plus modernes et adaptés aux ports antillais), certaines clauses de ces accords sont cependant susceptibles de restreindre la concurrence et ne paraissent pas, comme l'a relevé l'énoncé des préoccupations de concurrence, indispensables pour atteindre ces objectifs.
77. Parmi les stipulations susceptibles de restreindre la concurrence, les points suivants ont notamment été identifiés :
- l'existence de clauses d'exclusivité, interdisant aux cocontractants de CMA-CGM de charger des quantités en dehors du SCA sans son accord (34) ;
- le mécanisme d'allocation des capacités au sein des navires qui, en l'état actuel des contrats, fait l'objet de décisions discrétionnaires de CMA-CGM et ne répond à aucun critère objectif ;
- l'interdiction, pour les cocontractants de CMA-CGM, de revendre la capacité non utilisée à des tiers ;
- la durée des contrats qui est aujourd'hui indéterminée.
78. En empêchant les parties à l'accord, autres que CMA-CGM, de transporter des marchandises vers les Antilles françaises sur des services concurrents et en interdisant la possibilité de revente des capacités non utilisées, ces stipulations sont susceptibles de réduire la possibilité de ces parties de s'adapter à la demande et de contester le marché. Par ailleurs, la clause d'exclusivité peut constituer un obstacle au développement de services de transport de conteneurs concurrents du service PCRF comme à la création de nouveaux services.
79. Dans ces conditions, ces stipulations contractuelles ont pour effet de freiner l'entrée de nouveaux opérateurs sur le marché, dont elles limitent la contestabilité. La durée indéterminée des accords et la clause interdisant la revente de capacité à des tiers ont tendance à perpétuer la présence des mêmes opérateurs sur le marché. Elles ne permettent pas aux nouveaux entrants potentiels de louer des capacités sur les bateaux de CMA-CGM et limitent la capacité des opérateurs présents à contester leurs marchés respectifs.
80. Il résulte du jeu cumulé de l'ensemble de ces stipulations que les opérateurs actifs n'ont aucune incitation à se concurrencer par les prix pour gagner des parts de marché, comme le démontre la stabilité des parts de marché depuis 2007, ainsi que les niveaux de prix et de marges relativement élevés constatés sur la ligne Europe du Nord-Antilles françaises (cf. IC.2.).
d) Conclusion
81. Il résulte de ce qui précède que, bien que les accords de SCA puissent générer en principe des effets économiques positifs pour le marché, certaines clauses des accords visés restreignent la concurrence au point de pouvoir être regardés comme susceptibles d'être contraires à l'article L. 420-1 du Code de commerce et à l'article 101 du TFUE, dès lors qu'ils ne sont pas nécessaires à la réalisation des effets économiques positifs constatés.
82. Comme développé ci-dessus, ces stipulations concernent :
- l'existence de clauses d'exclusivité, dans les accords de SCA, interdisant aux cocontractants de CMA-CGM de charger des quantités en dehors du SCA sans son accord (35) ;
- le mécanisme d'allocation des capacités au sein des navires qui, en l'état actuel des contrats, reste soumis à la discrétion de CMA-CGM et ne répond à aucun critère objectif ;
- l'interdiction, pour les cocontractants de CMA-CGM, de revendre la capacité non utilisée à des tiers ;
- la durée des contrats qui est aujourd'hui indéterminée.
2. PROPOSITION COMMUNE D'ENGAGEMENTS DU 8 FÉVRIER 2013
83. Au vu des préoccupations de concurrence exprimées, les parties ont présenté, par lettre enregistrée le 8 février 2013, une proposition d'engagements. Une synthèse des préoccupations de concurrence et les engagements proposés par les parties ont été mis en ligne le 13 février 2013 sur le site Internet de l'Autorité de la concurrence afin de recueillir les observations des éventuels tiers intéressés.
84. Le texte des engagements proposés par les parties le 8 février 2013 est le suivant :
a) Engagement n° 1 - Sur la clause d'exclusivité
85. " Les Parties s'engagent à supprimer, avec effet immédiat, la clause d'exclusivité contenue dans les SCA qui lient CMA-CGM aux Partenaires actuels sur cette ligne ".
b) Engagement n° 2 - Sur la clause d'interdiction de revente
86. " Les Parties s'engagent, dans les conditions décrites ci-dessous, à modifier les SCA de manière à donner aux Partenaires actuels la faculté de céder à des tiers tout ou partie des capacités dont ils disposent sur les PCRF au titre des SCA.
87. Les Partenaires détermineront tous les ans s'ils souhaitent remettre des capacités fixes ou variables sur le marché pour une durée d'un an.
88. Les capacités qu'un Partenaire décidera de céder seront vendues à un prix négocié de manière bilatérale entre le Partenaire et l'acheteur ".
Droit de préemption
89. " CMA-CGM disposera d'un droit de préemption relatif aux capacités que ses Partenaires souhaitent revendre. Le prix de rachat par CMA-CGM sera identique au prix de vente du slot selon les termes du SCA passé avec le Partenaire concerné.
90. Ce droit ne pourra être exercé par CMA-CGM que pour utiliser les capacités, non pour les céder à un tiers ou pour empêcher un de ses concurrents de les utiliser ".
Agrément du cessionnaire
91. " Si CMA-CGM décide de ne pas exercer son droit de préemption, le Partenaire est libre de céder les capacités à un tiers de son choix.
92. Néanmoins, l'opérateur tiers cessionnaire des capacités doit au préalable recevoir l'agrément de CMA-CGM qui acceptera toute demande raisonnable, l'agrément de CMA-CGM visant à assurer que l'accès aux PCRF donné à un tiers ne porte pas atteinte aux intérêts ou à l'image de CMA-CGM.
93. À ce titre, CMA-CGM ne pourra refuser son agrément que si :
- l'opérateur tiers figure sur une liste de destinataires de sanctions économiques ou de mesures d'embargo (qu'elles soient décidées par l'Union européenne, les Etats-Unis, les Nations-Unies, etc.) ;
- l'opérateur tiers ne respecte pas la réglementation applicable aux marchandises dangereuses (Code IMDG de l'OMI), aux espèces protégées (liste rouge UICN, convention CITES), aux déchets (convention de Bâle), à la contrefaçon et à la lutte contre la fraude et la corruption ; ou
- l'opérateur tiers opère son propre service sur la ligne Europe du Nord - Antilles françaises et dispose donc à ce titre de ses propres capacités.
94. Le défaut de réponse de CMA-CGM à une demande d'agrément d'un Partenaire pendant une durée de 15 jours ouvrés, à compter du jour de la notification de la demande, vaudra agrément tacite de la part de CMA-CGM ".
Respect des dispositions du SCA
95. " D'un point de vue contractuel, le Partenaire de CMA-CGM ayant cédé à un tiers des capacités sur les PCRF demeure seul responsable, vis-à-vis de CMA-CGM, de la bonne exécution des termes et conditions du contrat de SCA passé avec CMA-CGM ".
c) Engagement n° 3 - Sur la durée des contrats de SCA
96. " Les Parties s'engagent à modifier les dispositions relatives à la durée des SCA en transformant les actuels SCA à durée indéterminée en contrats à durée déterminée d'une durée de deux ans, susceptibles d'être renégociés ou dénoncés à tout moment par l'une ou l'autre des parties moyennant un préavis d'une durée de trois à six mois. Si d'un commun accord les parties à un SCA donné le souhaitent, la durée de ce préavis pourrait alors être raccourcie. Les SCA conclus entre CMA-CGM et les Partenaires pourront notamment être renégociés ou dénoncés dans l'hypothèse où un Partenaire ouvrirait son propre service à destination des Antilles françaises.
97. Les nouvelles dispositions contractuelles négociées entre CMA-CGM et chacun des Partenaires à l'issue de chaque cycle de deux ans prendront effet immédiatement ou, à la demande du partenaire concerné, dans un délai pouvant aller jusqu'à 6 mois à compter de la date anniversaire du contrat de SCA concerné.
98. L'attribution des capacités à l'occasion d'un nouveau cycle de deux ans se déroule de la manière séquentielle suivante :
- CMA-CGM détermine les capacités dont elle a besoin au cours du prochain cycle de deux ans. L'allocation de CMA-CGM au titre du nouveau cycle peut être inférieure ou supérieure à celle dont CMA-CGM disposait au cours du cycle précédant. CMA-CGM s'engage à respecter un taux moyen annuel minimum d'utilisation de ses capacités de 80 % pour les conteneurs chargés depuis l'Europe du Nord vers les Antilles françaises (ci-après Taux Moyen Annuel Minimum d'Utilisation des Capacités). À défaut, CMA-CGM s'engage à justifier a posteriori, sur demande de l'Autorité, les raisons pour lesquelles elle n'a pu atteindre le Taux Moyen Annuel Minimum d'Utilisation des Capacités.
- CMA-CGM alloue aux Partenaires et aux éventuels nouveaux entrants des capacités en fonction de leurs demandes dans la limite des capacités disponibles, selon les règles suivantes :
- Dans l'hypothèse où l'ensemble des demandes de capacités des Partenaires et des éventuels nouveaux entrants peuvent être satisfaites sur la base des capacités disponibles, CMA-CGM satisfait à l'ensemble de ces demandes.
Dans l'hypothèse où les capacités disponibles sont inférieures aux capacités demandées par les Partenaires et les éventuels nouveaux entrants, CMA-CGM alloue les capacités disponibles de la manière suivante :
- Si le Partenaire a atteint au cours du cycle précédent le Taux Moyen Annuel Minimum d'Utilisation des Capacités fixes et variables de 80 %36, le Partenaire disposera d'un droit prioritaire à l'obtention de capacités par rapport (i) aux autres Partenaires qui n'auraient pas atteint ce Taux Moyen Annuel Minimum d'Utilisation des Capacités et (ii) aux éventuels nouveaux entrants ;
- Les capacités disponibles seront ensuite réparties entre les éventuels nouveaux entrants et les Partenaires n'ayant pas atteint le Taux Moyen Annuel Minimum d'Utilisation des Capacités fixes et variables de 80 % ".
d) Sur les délais de mise en œuvre des engagements
99. Les engagements proposés par les parties " entreront en vigueur immédiatement après la notification aux Parties de la décision de l'Autorité de la concurrence et s'appliqueront aux contrats en cours entre les Parties sur la ligne Europe du Nord - Antilles françaises. Ils sont proposés pour une durée indéterminée. À l'expiration d'un délai de quatre ans après le début de leur mise en œuvre, les Parties proposent de se rencontrer avec l'Autorité de la concurrence pour discuter de la pertinence du maintien de ces engagements au vu notamment de la structure de l'offre sur la ligne Europe du Nord - Antilles françaises et/ou des conditions économiques du transport maritime de l'Europe vers les Caraïbes.
100. Si intervient à quelque moment que ce soit une modification significative des circonstances de droit ou de fait ayant cours au moment de l'acceptation par l'Autorité de la concurrence des présents engagements, chacune des Parties pourra saisir l'Autorité d'une demande de révision ou de suppression des présents engagements. Par exemple, constituerait une telle modification ouvrant un droit à renégociation des présents engagements le lancement d'une ou plusieurs nouvelles offres de services réguliers (hebdomadaire, bimensuel ou mensuel) desservant les Antilles soit directement soit par transbordement. À ce titre, une nouvelle offre de services pourra être constituée sur la base des navires opérant déjà à destination des Antilles françaises ".
e) Sur la vérification de la mise en œuvre des engagements
101. " Les Parties proposent de communiquer aux services d'instruction de l'Autorité copie des amendements apportés aux SCA en exécution de la présente proposition d'engagements et copie des nouveaux contrats conclus à l'issue de la période de deux ans entre CMA-CGM et ses Partenaires.
102. CMA-CGM transmettra également à l'Autorité, à l'issue de chaque période de deux ans, les données relatives aux taux d'utilisation des capacités par CMA-CGM et par les Partenaires, sous forme d'envoi individualisé pour chacun des Partenaires. Chaque Partenaire obtiendra copie du courrier transmis à l'Autorité comprenant son propre taux d'utilisation des capacités ".
3. LES RÉPONSES AU TEST DE MARCHÉ
103. Dans le délai imparti, la société Sea Shipping Services et un particulier ont notamment présenté des observations sur les propositions d'engagements formulées par les parties.
104. Les contributeurs au test de marché soulignent la position prééminente de CMA-CGM sur la ligne Europe du Nord/Antilles françaises. Ils proposent d'interdire les actuels contrats de SCA, ce qui pourrait avoir comme résultat la création de deux partenariats entre les parties mises en cause (par exemple un SCA entre CMA-CGM et Marfret et un autre entre Maersk et WEC Lines). La création de partenariats sous la forme de VSA - qui permettraient aux participants de s'échanger de l'espace en mettant des bateaux en commun - a également été proposée.
4. LES ENGAGEMENTS DÉFINITIFS PROPOSÉS PAR LES PARTIES
105. La proposition d'engagements des parties a été modifiée le 23 avril 2013 et lors de la séance de l'Autorité qui a eu lieu les 24 et 29 avril 2013. La version définitive de ces propositions est reproduite ci-après :
a) Contexte de la proposition d'engagements
106. " CMA-CGM opère quatre navires (les PCRF) sur la ligne Europe du Nord - Antilles françaises et, à ce titre, est amenée à conclure avec d'autres opérateurs (ci-après les Partenaires) des contrats d'affrètement d'espace (Slot Charter Agreement - SCA).
107. La proposition d'engagements ci-dessous répond aux préoccupations de concurrence exprimées par les services d'instruction de l'Autorité de la concurrence concernant les SCA passés par CMA-CGM avec trois opérateurs (AP Moller Maersk, Marfret et WEC Lines ; ci-après les Partenaires actuels) relativement aux PCRF opérant la ligne Europe du Nord - Antilles françaises. Elle s'applique à tout SCA - ou contrats équivalents - que CMA-CGM peut être amenée à passer dans ce cadre.
108. La proposition d'engagements ci-dessous est conjointement déposée au nom et pour le compte de CMA-CGM et des Partenaires actuels (ci-après les Parties) ".
b) Engagement n° 1 - Sur la clause d'exclusivité
109. " Les Parties s'engagent à supprimer, avec effet immédiat, la clause d'exclusivité contenue dans les SCA qui lient CMA-CGM aux Partenaires actuels sur cette ligne ".
c) Engagement n° 2 - Sur la clause d'interdiction de revente
110. " Les Parties s'engagent, dans les conditions décrites ci-dessous, à modifier les SCA de manière à donner aux Partenaires actuels la faculté de céder à des tiers tout ou partie des capacités dont ils disposent sur les PCRF au titre des SCA.
111. Les Partenaires détermineront tous les six mois s'ils souhaitent remettre des capacités fixes ou variables sur le marché pour une durée de six mois.
112. Les capacités qu'un Partenaire décidera de céder seront vendues à un prix négocié de manière bilatérale entre le Partenaire et l'acheteur ".
Droit de préemption
113. " CMA-CGM disposera d'un droit de préemption relatif aux capacités que ses Partenaires souhaitent revendre. Le prix de rachat par CMA-CGM sera identique au prix de vente du slot selon les termes du SCA passé avec le Partenaire concerné.
114. Ce droit ne pourra être exercé par CMA-CGM que pour utiliser les capacités, non pour les céder à un tiers ou pour empêcher un de ses concurrents de les utiliser.
115. Ce droit de préemption ne pourra être exercé par CMA-CGM que pour autant qu'elle anticipe, sur les 6 mois suivant l'exercice du droit de préemption, un taux d'utilisation (i) des capacités dont elle disposait avant l'exercice de son droit de préemption (Capacités Initiales) de 90 % et (ii) un taux minimum d'utilisation des capacités préemptées (Capacités Préemptées) de 80 %.
116. CMA-CGM s'engage à communiquer à un mandataire, à l'issue de chaque semestre au cours duquel CMA-CGM aura éventuellement fait usage de son droit de préemption, les données permettant de calculer le taux d'utilisation de ses Capacités Initiales et le taux d'utilisation de ses Capacités Préemptées sur ladite période.
117. Dans l'hypothèse où CMA-CGM n'aurait pas pu respecter le taux minimum d'utilisation des Capacités Initiales ou le taux minimum d'utilisation des Capacités Préemptées, CMA-CGM s'engage à communiquer à l'Autorité de la concurrence les éléments permettant de justifier les raisons du non respect de ces taux d'utilisation au regard de l'impact constaté des éléments objectifs limitativement énumérés ci-après :
- modification de la situation économique, politique ou sociale dans la zone Caraïbe/Amérique centrale/Amérique latine ;
- évolution réglementaire concernant les Antilles ;
- défaillance d'un client existant ou d'un futur client ayant entamé des négociations ;
- aléa climatique ;
- modification de la structure de l'offre de services de transport desservant la zone Caraïbe/Amérique centrale/Amérique latine ;
- problème technique affectant le service PCRF.
118. Les Partenaires devront notifier à CMA-CGM leur souhait de mettre en vente des capacités entre huit et six semaines avant le départ du voyage. CMA-CGM disposera de la moitié de ce délai à compter de cette notification pour exercer son droit de préemption sur tout ou partie des capacités mises en vente.
119. A défaut de l'exercice du droit de préemption dans ce délai, CMA-CGM pourra, au même titre que les autres Partenaires, acheter tout ou partie de la capacité mise à disposition à un prix négocié de manière bilatérale ".
Agrément du cessionnaire
120. " Si CMA-CGM décide de ne pas exercer son droit de préemption, le Partenaire est libre de céder les capacités à un tiers de son choix.
121. Néanmoins, l'opérateur tiers cessionnaire des capacités doit au préalable recevoir l'agrément de CMA-CGM qui acceptera toute demande raisonnable, l'agrément de CMA-CGM visant à assurer que l'accès aux PCRF donné à un tiers ne porte pas atteinte aux intérêts ou à l'image de CMA-CGM.
122. À ce titre, CMA-CGM ne pourra refuser son agrément que si :
- l'opérateur tiers figure sur une liste de destinataires de sanctions économiques ou de mesures d'embargo (qu'elles soient décidées par l'Union européenne, les États-Unis, les Nations-Unies, etc.) ;
- l'opérateur tiers ne respecte pas la réglementation applicable aux marchandises dangereuses (Code IMDG de l'OMI), aux espèces protégées (liste rouge UICN, convention CITES), aux déchets (convention de Bâle), à la contrefaçon et à la lutte contre la fraude et la corruption ; ou
- l'opérateur tiers opère son propre service sur la ligne Europe du Nord - Antilles françaises et dispose donc à ce titre de ses propres capacités.
123. Le défaut de réponse de CMA-CGM à une demande d'agrément d'un Partenaire pendant une durée de 15 jours ouvrés, à compter du jour de la notification de la demande, vaudra agrément tacite de la part de CMA-CGM ".
Respect des dispositions du SCA
124. " D'un point de vue contractuel, le Partenaire de CMA-CGM ayant cédé à un tiers des capacités sur les PCRF demeure seul responsable, vis-à-vis de CMA-CGM, de la bonne exécution des termes et conditions du contrat de SCA passé avec CMA-CGM ".
d) Engagement n° 3 - Sur la durée des contrats de SCA
125. " Les Parties s'engagent à modifier les dispositions relatives à la durée des SCA en transformant les actuels SCA à durée indéterminée en contrats d'une durée de deux ans, susceptibles d'être renégociés ou dénoncés à tout moment par l'une ou l'autre des parties moyennant un préavis d'une durée de trois à six mois. Si d'un commun accord les parties à un SCA donné le souhaitent, la durée de ce préavis pourrait alors être raccourcie. Les SCA conclus entre CMA-CGM et les Partenaires pourront notamment être renégociés ou dénoncés dans l'hypothèse où un Partenaire ouvrirait son propre service à destination des Antilles françaises.
126. Les nouvelles dispositions contractuelles négociées entre CMA-CGM et chacun des Partenaires à l'issue de chaque cycle de deux ans prendront effet immédiatement ou, à la demande du partenaire concerné, dans un délai pouvant aller jusqu'à 6 mois à compter de la date anniversaire du contrat de SCA concerné.
127. CMA-CGM s'engage à fournir à tout nouvel entrant potentiel, à sa demande, les informations pertinentes concernant les capacités disponibles, ainsi que la date de disponibilité de ces capacités.
128. L'attribution des capacités à l'occasion d'un nouveau cycle de deux ans se déroule de la manière séquentielle suivante :
- CMA-CGM détermine les capacités dont elle a besoin au cours du prochain cycle de deux ans. L'allocation de CMA-CGM au titre du nouveau cycle peut être inférieure ou supérieure à celle dont CMA-CGM disposait au cours du cycle précédant. CMA-CGM s'engage à respecter un taux moyen annuel minimum d'utilisation de ses capacités de 80 % pour les conteneurs chargés depuis l'Europe du Nord vers les Antilles françaises (ci-après Taux Moyen Annuel Minimum d'Utilisation des Capacités). À défaut, CMA-CGM s'engage à justifier a posteriori, sur demande de l'Autorité, les raisons pour lesquelles elle n'a pu atteindre le Taux Moyen Annuel Minimum d'Utilisation des Capacités.
- CMA-CGM alloue aux Partenaires et aux éventuels nouveaux entrants des capacités en fonction de leurs demandes dans la limite des capacités disponibles, selon les règles suivantes :
- Dans l'hypothèse où l'ensemble des demandes de capacités des Partenaires et des éventuels nouveaux entrants peuvent être satisfaites sur la base des capacités disponibles, CMA-CGM satisfait à l'ensemble de ces demandes.
- Dans l'hypothèse où les capacités disponibles sont inférieures aux capacités demandées par les Partenaires et les éventuels nouveaux entrants, CMA-CGM alloue les capacités disponibles de la manière suivante :
- si le Partenaire a atteint au cours du cycle précédent le Taux Moyen Annuel Minimum d'Utilisation des Capacités fixes et variables de 80 %37, le Partenaire disposera d'un droit prioritaire à l'obtention de capacités par rapport (i) aux autres Partenaires qui n'auraient pas atteint ce Taux Moyen Annuel Minimum d'Utilisation des Capacités et (ii) aux éventuels nouveaux entrants ;
- les capacités éventuellement disponibles seront ensuite réparties entre les éventuels nouveaux entrants et les Partenaires n'ayant pas atteint le Taux Moyen Annuel Minimum d'Utilisation des Capacités fixes et variables de 80 %. Dans l'hypothèse où les capacités restantes seraient insuffisantes pour satisfaire ces demandes, les capacités seront allouées par priorité au demandeur ayant proposé le prix par EVP le plus élevé ".
e) Sur les délais de mise en œuvre des engagements
129. " Les présents engagements entreront en vigueur immédiatement après la notification aux Parties de la décision de l'Autorité de la concurrence portant validation de la présente proposition d'engagements et s'appliqueront aux contrats en cours entre les Parties et à tout SCA - ou contrats équivalents - que CMA-CGM peut être amenée à passer dans le cadre de la ligne Europe du Nord - Antilles françaises.
130. Les présents engagements sont proposés pour une durée indéterminée. À l'expiration d'un délai de quatre ans suivant le début de leur mise en œuvre, les Parties et l'Autorité de la concurrence se rencontreront pour discuter de la pertinence du maintien de ces engagements au vu notamment de la structure de l'offre sur la ligne Europe du Nord - Antilles françaises et/ou des conditions économiques du transport maritime de l'Europe vers les Caraïbes.
131. Si intervient à quelque moment que ce soit une modification significative des circonstances de droit ou de fait ayant cours au moment de l'acceptation par l'Autorité de la concurrence des présents engagements, chacune des Parties pourra saisir l'Autorité d'une demande de révision ou de suppression des présents engagements. Par exemple, constituerait une telle modification ouvrant un droit à saisine de l'Autorité de la concurrence le lancement d'une ou plusieurs nouvelles offres de services réguliers (hebdomadaire, bimensuel ou mensuel) desservant les Antilles soit directement soit par transbordement ".
f) Sur la vérification de la mise en œuvre des engagements
132. " Les Parties s'engagent à nommer un mandataire indépendant. Le Mandataire aura pour mission de contrôler l'exercice du droit de préemption de CMA-CGM décrit au point 2.2.1 ci-dessus [cf. paragraphes 113 à 119]. Les règles concernant la nomination et le rôle du mandataire sont annexées aux présents engagements [cf. I.F.4.g)].
133. Les Parties proposent de communiquer à l'Autorité de la concurrence copie des amendements apportés aux SCA ou tout contrat équivalent en exécution de la présente proposition d'engagements et copie des nouveaux contrats conclus à l'issue de la période de deux ans entre CMA-CGM et ses Partenaires, ainsi que ses futurs Partenaires.
134. CMA-CGM transmettra également à l'Autorité, à l'issue de chaque période de deux ans, les données permettant de calculer les taux d'utilisation des capacités par CMA-CGM et par les Partenaires, sous forme d'envoi individualisé pour chacun des Partenaires. Chaque Partenaire obtiendra copie du courrier transmis à l'Autorité comprenant son propre taux d'utilisation des capacités.
135. Enfin, lorsqu'elle fera usage du droit de préemption visé à la section 2.2.1. ci-dessus [cf. paragraphes 113 à 119], CMA-CGM le notifiera sans délai au mandataire agréé. À la fin de la période semestrielle durant laquelle ce droit aura été exercé, CMA-CGM transmettra au mandataire les éléments nécessaires à la bonne exécution de sa mission telle que définie en annexe ".
g) Sur la nomination et le rôle du mandataire (partie annexée aux engagements)
Nomination du mandataire
136. " Dans un délai de 30 jours ouvrés suivant la notification de la décision rendant obligatoires les présents engagements, les Parties proposeront le nom d'un Mandataire à l'Autorité, ainsi qu'un projet de mandat lui permettant d'accomplir les missions décrites ci-dessous.
137. Le Mandataire devra disposer des structures d'appui nécessaires à l'accomplissement de sa mission.
138. La proposition contiendra toutes les informations permettant à l'Autorité de s'assurer que le Mandataire est indépendant des Parties et qu'il remplit les conditions de professionnalisme, d'impartialité et d'expertise nécessaires à l'exécution de son mandat. En particulier, la proposition devra inclure le texte intégral du mandat et les grandes lignes du plan de travail que le Mandataire envisagera de suivre pour accomplir sa mission.
139. La proposition prévoira également les modalités de rémunération du Mandataire. Celui- ci sera rémunéré par les parties selon des modalités qui ne porteront pas atteinte à la bonne exécution de son mandat ni à son indépendance.
140. L'Autorité pourra accepter le Mandataire proposé, ainsi que le contrat de mandat, avec les modifications qu'elle jugera nécessaires, ou le refuser par décision écrite. En cas de refus d'agrément du Mandataire par l'Autorité, un nouveau candidat sera proposé dans les mêmes conditions, dans un délai de 10 jours ouvrés suivant la notification écrite aux Parties du refus d'agrément. En cas de deuxième refus d'agrément, l'Autorité proposera elle-même, dans les meilleurs délais, un Mandataire dont la nomination sera effectuée après consultation des Parties ".
Conflits d'intérêts
141. " Les relations existant éventuellement entre le Mandataire, d'une part, et les Parties ou toute autre entreprise dont les intérêts peuvent être proches des Parties, d'autre part, seront décrites dans la proposition qui sera soumise à l'Autorité.
142. Sur cette base, le Mandataire confirmera qu'à compter de la date de signature du Mandat, il est indépendant des Parties ou de toute autre entreprise dont les intérêts peuvent être proches des Parties, et n'est exposé à aucun conflit d'intérêts qui porte atteinte à son objectivité et à sa capacité d'exécuter avec indépendance les missions qui lui sont confiées aux termes du Mandat.
143. Le Mandataire s'engage à ne créer aucun conflit d'intérêts durant l'exécution du Mandat. Le Mandataire ne pourra dès lors, au cours de l'exécution de ce Mandat :
- occuper ou accepter tout emploi, fonction ou mandat social au sein des sociétés parties à la présente procédure à l'exception des nominations éventuelles relatives à la mise en œuvre et à l'exécution du Mandat ;
- exécuter ou accepter toute mission ou toute autre relation commerciale avec les sociétés parties à la présente procédure et qui pourrait donner lieu à un conflit d'intérêts.
144. Si le Mandataire est informé de l'existence d'un conflit d'intérêts l'impliquant, il s'engage à le résoudre immédiatement. Si le conflit d'intérêts ne peut être résolu dans un délai raisonnable, le Mandataire en informe immédiatement l'Autorité. De même, si les Parties sont informées de l'existence d'un conflit d'intérêts impliquant le Mandataire, elles en informent l'Autorité dans les meilleurs délais.
145. Pour la durée de l'exécution du Mandat, et pour une période d'un an à compter de la fin du Mandat, le Mandataire s'engage à ne pas fournir aux Parties de prestations de service de toute nature, et notamment de conseil, et plus généralement s'engage à n'accepter aucun emploi, fonction ou mandat social au sein des sociétés parties à la procédure.
146. En outre, le Mandataire s'engage à mettre en place les mesures nécessaires afin de garantir son indépendance ainsi que celle de ses éventuels employés ".
Missions du mandataire
147. " Dès lors que CMA-CGM exerce son droit de préemption décrit au point 2.2.1 des engagements [cf. paragraphes 113 à 119], le Mandataire fera un rapport qui sera transmis à l'Autorité de la concurrence et à CMA-CGM.
148. Lorsque CMA-CGM exerce son droit de préemption, le Mandataire, ou une personne désignée par lui, vérifiera que :
- le taux moyen d'utilisation des Capacités Initiales est supérieur à 90 % et
- le taux moyen d'utilisation des Capacités Préemptées est supérieur à 80 %.
149. Le Mandataire pourra produire, à la demande de l'Autorité, toute explication de nature à éclairer celle-ci quant à l'exécution par les Parties des présents engagements.
150. CMA-CGM communiquera au mandataire tous documents nécessaires à l'accomplissement de ses missions, et notamment :
- Lorsque CMA-CGM exerce le droit de préemption prévu au point 2.2.1 des engagements [cf. paragraphes 113 à 119], les données qui permettent de calculer le taux moyen d'utilisation des Capacités Initiales, ainsi que les données qui permettent de calculer le taux moyen d'utilisation des Capacités Préemptées.
151. Le mandataire pourra également adresser aux Parties toute demande d'éclaircissement nécessaire à l'accomplissement de ses fonctions ".
Fin du mandat
152. " Le Mandataire exercera sa mission pendant toute la durée des engagements. En cas d'impossibilité définitive pour le Mandataire d'exécuter sa mission, pour quelque raison que ce soit, y compris des raisons de conflit d'intérêts, ou en cas de manquements dans l'exécution de ses missions, l'Autorité peut exiger que les Parties révoquent le Mandataire.
153. Les Parties peuvent révoquer le Mandataire avec l'autorisation préalable de l'Autorité. Les Parties s'engagent alors à proposer à l'Autorité de la concurrence un nouveau Mandataire dans les conditions prévues ci-dessus dans un délai de quinze jours ouvrés. Il peut être exigé du Mandataire révoqué qu'il continue à exercer ses fonctions jusqu'à ce que le nouveau Mandataire, à qui le Mandataire révoqué aura transmis l'ensemble des informations et documents pertinents, soit en fonction ".
II. Discussion
154. Selon les dispositions du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce, modifié par l'article 2 de l'ordonnance n° 2008-1161 du 13 novembre 2008 portant modernisation de la régulation de la concurrence, l'Autorité de la concurrence peut " accepter des engagements proposés par les entreprises ou organismes et de nature à mettre un terme à ses préoccupations de concurrence susceptibles de constituer des pratiques prohibées visées aux articles L. 420-1, L. 420-2 et L. 420-5 ".
A. SUR LES OBSERVATIONS GÉNÉRALES
155. Comme mentionné ci-dessus, dans sa réponse au test de marché, un particulier propose l'interdiction des actuels contrats de SCA afin d'introduire plus de concurrence sur le marché.
156. Cette suggestion ne semble toutefois pas adaptée à une procédure d'engagements. Dans le cadre d'une procédure d'engagements, l'entreprise (ou les entreprises) concernée(s) propose(nt) de son (leur) plein gré, pour l'avenir, des comportements qui répondent aux préoccupations de concurrence, à la différence d'une décision de condamnation, qui constate le caractère anticoncurrentiel du comportement en cause, en impose - via notamment des injonctions - la cessation ou la modification, et le sanctionne le cas échéant. Dans la présente procédure, le champ d'appréciation de l'Autorité de la concurrence est limité aux préoccupations de concurrence exposées ci-dessus. Compte tenu des engagements proposés par les parties, l'interdiction des actuels accords de SCA et/ou l'imposition d'une obligation aux parties mises en cause de conclure des accords sous une autre forme n'apparaissent pas proportionnés aux préoccupations de concurrence.
157. D'autres propositions, comme : (i) favoriser une concurrence entre le fret maritime et le fret aérien, (ii) faciliter une réelle concurrence entre importateurs (importateurs français et importateurs d'autres pays européens, importateurs de petite taille et importateurs de plus grande taille ou (iii) faire limiter la marge des affréteurs n'ont pas été abordées par les préoccupations de concurrence et ne rentrent pas, dès lors, dans le champ de la présente procédure. Si le gouvernement l'estime nécessaire, ces solutions pourraient toutefois être analysées dans le cadre de mesures gouvernementales relatives à la régulation économique outre-mer, en application de l'article 1er de la loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012 (38).
B. SUR L'APPRÉCIATION DES ENGAGEMENTS PROPOSÉS PAR LES PARTIES MISES EN CAUSE
1. SUR LA SUPPRESSION DE LA CLAUSE D'EXCLUSIVITÉ (ENGAGEMENT N° 1)
158. Par l'engagement n° 1, dans sa version définitive, les parties s'engagent à supprimer la clause d'exclusivité. Cette suppression permettra aux partenaires de CMA-CGM ayant signé un contrat de SCA (ou un contrat équivalent) d'utiliser d'autres services que le seul service PCRF pour transporter des marchandises entre l'Europe du Nord et les Antilles françaises.
159. L'Autorité de la concurrence considère que l'engagement n° 1 proposé par les parties permet d'animer le jeu de la concurrence et répond ainsi de manière pertinente, crédible et vérifiable à la préoccupation de concurrence afférente à l'impossibilité pour les partenaires actuels de CMA-CGM et d'éventuels nouveaux entrants de contester le marché.
2. SUR LA CESSION DE CAPACITÉS (ENGAGEMENT N° 2)
160. Par l'engagement n° 2, dans sa version définitive, les parties s'engagent à modifier les SCA de manière à donner aux partenaires actuels la faculté de céder à des tiers tous les six mois tout ou partie des capacités dont ils disposent sur les PCRF au titre des SCA.
161. L'Autorité considère que l'engagement n° 2, en permettant la revente de capacités à des tiers, ouvre la possibilité pour les parties déjà présentes sur le marché, voire pour d'éventuels nouveaux entrants, de s'adapter à la demande, de se développer et de contester la position de leurs concurrents. Cet engagement permettrait ainsi d'animer le jeu de la concurrence sur la ligne Europe du Nord-Antilles françaises.
162. L'engagement proposé par les parties prévoit, toutefois, un droit de préemption en faveur de CMA-CGM qui pourra réserver les capacités que ses partenaires souhaitent revendre au prix de vente du " slot ", selon les termes du SCA passé avec le partenaire concerné. CMA-CGM s'est engagée à utiliser les capacités préemptées et à ne pas exercer ce droit pour céder les capacités préemptées à un tiers ou pour empêcher un de ses concurrents de les utiliser.
163. L'engagement n° 2, dans sa version définitive, permet de répondre au souhait de CMA-CGM d'avoir un droit de préemption, tout en donnant une force incontestable à l'objectif principal, qui est de permettre la revente de capacités aux tiers.
164. Afin de pouvoir contrôler l'utilisation des capacités préemptées, l'engagement n° 2 prévoit que CMA-CGM devra respecter " un taux d'utilisation (i) des capacités dont elle disposait avant l'exercice de son droit de préemption (Capacités Initiales) de 90 % et (ii) un taux minimum d'utilisation des capacités préemptées (Capacités Préemptées) de 80 %. " Le respect de ce taux sera contrôlé par un mandataire. L'Autorité de la concurrence estime que ce système introduit des garde-fous suffisamment rigoureux pour permettre de vérifier de manière efficace l'utilisation par CMA-CGM des capacités préemptées, afin que l'engagement de cession garde tout son sens.
165. Dans ces conditions, l'Autorité considère que l'engagement n° 2 répond de manière pertinente, crédible et vérifiable aux préoccupations de concurrence exprimées précédemment.
3. SUR LA DURÉE DES CONTRATS DE SCA (ENGAGEMENT N° 3)
166. Par l'engagement n° 3, dans sa version définitive, les parties s'engagent à transformer les actuels SCA à durée indéterminée en contrats d'une durée de deux ans. Tous les deux ans, les parties devront renégocier leurs contrats avec CMA-CGM et de nouveaux entrants auront la possibilité de conclure un accord avec CMA-CGM relatif à l'allocation de capacités sur les bateaux de cette dernière.
167. Le mécanisme d'allocation des capacités tous les deux ans prévu par l'engagement n° 3, en lieu et place d'une allocation des capacités d'une durée indéterminée (telle qu'elle existe aujourd'hui), ouvre une fenêtre d'opportunité pour les parties déjà présentes sur le marché. Celles-ci pourront ainsi s'adapter à la demande et faire évoluer leurs parts de marché de manière plus fréquente. D'éventuels nouveaux opérateurs pourront également entrer sur le marché.
168. La période de deux ans semble adaptée. Les opérateurs mis en cause ont souligné à plusieurs reprises l'importance, pour pouvoir offrir des services de transport maritime, de s'appuyer sur une certaine prévisibilité du marché. En effet, un mécanisme d'allocation des capacités qui s'exercerait de manière plus fréquente pourrait déstabiliser le marché en empêchant les opérateurs de planifier leurs opérations et en les contraignant à conclure des contrats de court terme de manière régulière. Le mécanisme d'allocation de capacités tous les deux ans semble être un bon compromis, car il répond de manière pertinente, crédible et vérifiable à la fois à la préoccupation de concurrence exprimée par les services d'instruction tenant à l'absence de contestabilité du marché, et aux demandes des acteurs qui ont besoin d'une prévisibilité suffisante.
169. L'engagement n° 3 prévoit un mécanisme d'allocation des capacités à l'occasion d'un nouveau cycle de deux ans. Celui-ci se déroule de la manière séquentielle suivante :
- CMA-CGM détermine d'abord les capacités dont elle a besoin au cours du prochain cycle de deux ans et s'engage à respecter un taux moyen annuel minimum d'utilisation de ses capacités de 80 %.
- Dans un second temps CMA-CGM alloue aux partenaires et aux éventuels nouveaux entrants des capacités en fonction de leurs demandes dans la limite des capacités disponibles.
- S'il y a de la capacité disponible pour satisfaire toutes les demandes, CMA-CGM alloue les capacités en fonction des capacités demandées.
- Si les capacités disponibles sont inférieures aux capacités demandées, CMA-CGM alloue les capacités disponibles de la manière suivante :
- Si le partenaire a atteint au cours du cycle précédent le taux moyen annuel minimum d'utilisation des capacités fixes et variables de 80 %, le partenaire disposera d'un droit prioritaire à l'obtention de capacités ;
- S'il reste encore des capacités disponibles, elles sont ensuite réparties entre les éventuels nouveaux entrants et les partenaires n'ayant pas atteint le taux de 80 %. Dans l'hypothèse où les capacités restantes seraient insuffisantes pour satisfaire ces demandes, les capacités seront allouées par priorité au demandeur ayant proposé le prix par EVP le plus élevé.
170. Afin de favoriser l'entrée de nouveaux acteurs, CMA-CGM s'est engagée dans la version définitive de l'engagement n° 3 à fournir à tout nouvel entrant potentiel, à sa demande, les informations pertinentes concernant les capacités disponibles, ainsi que la date de disponibilité de ces capacités. Les potentiels nouveaux entrants pourront dès lors se manifester au moment où les capacités sont renégociées.
171. S'agissant du taux moyen annuel minimum d'utilisation des capacités de 80 %, l'Autorité de la concurrence estime que, compte tenu des éléments du dossier, ce taux est suffisamment contraignant et adapté à la réalité actuelle du marché.
172. Lors de la séance, les parties ont proposé une méthode de calcul du taux moyen annuel minimum d'utilisation permettant d'éviter le double compte des capacités variables (capacités qui sont réservées par certaines parties, mais pas payées). En pratique, quand les parties n'exercent pas leur droit d'utiliser les capacités variables dont elles disposent, CMA-CGM peut les utiliser pour son propre compte. Dans ces cas, les capacités variables seront comptabilisées comme capacités disponibles pour CMA-CGM et décomptées des capacités disponibles pour les parties concernées. La formule suivante a été proposée par les parties afin de calculer le taux moyen annuel minimum d'utilisation (cf. note de bas de page n° 37) :
" Ce taux est fondé exclusivement sur les capacités conservées par le partenaire concerné, c'est-à-dire excluant les capacités éventuellement cédées à un tiers. En outre ce calcul est fondé sur les capacités fixes et les capacités variables allouées au Partenaire, utilisées ou non par celui-ci. Toutefois, dans l'éventualité où CMA-CGM utiliserait tout ou partie des capacités variables des Partenaires, ces capacités utilisées par CMA-CGM :
- seront déduites de la base de calcul du taux d'utilisation des Partenaires considérés, en proportion des capacités variables du Partenaire dans le total des capacités variables allouées, et
- seront prises en compte pour le calcul du taux d'utilisation de CMA-CGM ".
173. Dans ces conditions, l'Autorité de la concurrence considère que l'engagement n° 3, dans la version finale proposée par les parties, permet d'animer le jeu de la concurrence sur le marché et répond ainsi de manière pertinente, crédible et vérifiable à la préoccupation de concurrence tenant à l'absence de contestabilité du marché.
4. SUR LE CHAMP D'APPLICATION DES ENGAGEMENTS
174. Les engagements dans leur version définitive s'appliquent " à tout SCA - ou contrats équivalents - que CMA-CGM peut être amenée à passer dans ce cadre ". Cette extension du champ d'application représente une amélioration par rapport à la version des engagements du 8 février, car ces derniers sont dorénavant applicables non seulement aux contrats actuels de SCA, mais également aux contrats futurs conclus avec d'autres partenaires et aux contrats équivalents à un SCA conclus avec d'autres opérateurs.
5. SUR LA NOMINATION D'UN MANDATAIRE
175. Les engagements dans leur version définitive proposent la nomination d'un mandataire indépendant pour contrôler l'exercice éventuel du droit de préemption décrit dans l'engagement n° 2. La nomination d'un mandataire représente une amélioration par rapport à la précédente version des engagements en facilitant la vérification de ceux-ci. Au cas d'espèce, l'analyse, à terme régulier, qui est semestrielle, des données permettant de vérifier l'exercice du droit de préemption imposerait à l'Autorité une charge disproportionnée, alors que l'un des objectifs d'une procédure d'engagement est de gagner en simplicité et rapidité, afin de permettre à l'Autorité de libérer des ressources pour d'autres activités. Par conséquent, la nomination d'un mandataire indépendant s'avère à la fois utile et nécessaire, car elle permet à l'Autorité de la concurrence de vérifier et de contrôler de manière efficace l'exercice du droit de préemption tout en ne mobilisant pas de façon excessive ses ressources.
III. Conclusion
176. L'Autorité de la concurrence considère que les engagements proposés par les parties, dans leur version finale, répondent aux préoccupations de concurrence soulevées par les rapporteurs et présentent un caractère substantiel, crédible et vérifiable. Il y a donc lieu d'accepter les engagements des parties, de les rendre obligatoires et de clore la procédure.
DÉCISION
Article 1 : L'Autorité de la concurrence accepte les engagements pris de manière conjointe par les sociétés CMA-CGM S.A., AP Moller-Maersk A/S., Marfret S.A. et WEC Lines B.V., qui font partie intégrante de la décision. Ces engagements sont rendus obligatoires à compter de la date de notification de la décision aux parties.
Article 2 : La saisine enregistrée sous le numéro 09-0119 F est close.
Notes :
1 Version communicable
2 EVP = Equivalent Vingt Pieds (en anglais, twenty-foot equivalent unit : TEU). Le vingt pieds est le format de base traditionnel des conteneurs. Pour faciliter le calcul des prix de fret unitaire, on compte les chargements en " équivalent vingt pieds " (EVP) qui représente donc l'unité de mesure de conteneurs. On l'utilise pour simplifier le calcul du volume de conteneurs dans un terminal ou dans un navire. Il est ainsi possible d'additionner les EVP, indépendamment de la taille des conteneurs chargés.
3 Conteneur possédant son propre compresseur pour produire du froid positif (produits frais) ou négatif (produits congelés).
4 SCA = Slot Charter Agreement ou accord de location d'espace. Il s'agit, pour une compagnie de louer un quota d'emplacement sur le navire d'une autre compagnie pour y charger ses conteneurs, moyennant un prix fixé contractuellement à l'avance. Les deux compagnies conservent leur liberté commerciale et pratiquent vis-à-vis des clients finaux des prix différents.
5 Eléments de réponse complémentaires à l'audition du 13 avril 2011.
6 cf. Chiffres & Statistiques n° 200, 224, 247, 275 et 302, Commissariat général au développement durable (ministère de l'Ecologie, du Développement durable, des Transports et du Logement). L'indice des prix du transport maritime de fret est constitué des prestations de transport pour compte d'autrui réalisées par des entreprises immatriculées en France, ayant pour activité le transport maritime de fret. Le champ actuellement couvert est partiel. Il comprend le transport de vrac (pétrole brut, produits pétroliers raffinés et gaz, vrac sec) et le transport de fret par ferry soit 35 % du chiffre d'affaires 2006 du secteur.
7 Les montants publiés par la conférence maritime jusqu'en octobre 2008 étaient respectivement de 1 809 et de 3 438 pour un 20' et un 40'. Ces montants publics n'intégraient pas les remises commerciales et ne sont donc pas directement comparables aux précédents. En l'absence de données sur le prix réel après remise, il est difficile de dire si la suppression de la conférence maritime a entraîné une baisse des prix et, le cas échéant, de quelle importance. On peut seulement relever que les prix moyens constatés sur les trois dernières années de fonctionnement de la conférence, c'est-à-dire entre l'annonce de sa suppression en 2006 et sa suppression effective fin 2008, ont été relativement constants.
8 cf. Avis n° 09-A-45 du 8 septembre 2009, § 52.
9 Le tableau ci-dessous présente, de manière synthétique, le bilan analytique de l'activité de CMA-CGM sur le service PCRF entre 2008 et 2011, tel qu'il résulte du traitement par les services d'instruction des données obtenues de CMA-CGM.
10 Les coûts fixes relatifs à la vente de slot ont ainsi été attribués au prorata des capacités annuelles allouées entre CMA-CGM et l'ensemble des autres compagnies maritimes utilisant le service PCRF, tandis que la totalité des coûts variables a été attribuée au service de transport de ligne régulière par conteneur.
11 Le tableau ci-dessous présente, de manière synthétique, une comparaison des coûts de la société CMA-CGM relatifs au service de transport aux clients pour les lignes PCRF et Guyane entre 2008 et 2011, tel qu'il résulte du traitement par les services d'instruction des données obtenues de CMA-CGM.
12 COMP/M. 3829 - Maersk /Ponl du 29 juillet 2005.
13 PV d'audition de CMA-CGM du 29 avril 2010.
14 Communication de la Commission sur la définition du marché, Journal officiel n° C 372 du 09/12/1997, paragraphe 24.
15 Le calcul des parts de marché s'effectue sur la base des éléments communiqués par les acteurs dans le cadre de l'instruction en prenant en compte, pour les trajets aller et retour, les volumes de marchandises conteneurisées effectivement transportées sur la période 2008-2011.
Notes du Tableau 7 :
- 16 Contrat de SCA entre CMA-CGM et WEC Lines.
- 17 Contrat de SCA entre CMA-CGM et Maersk.
- 18 Contrat de SCA entre CMA-CGM et Marfret.
- 19 Contrat de SCA entre CMA-CGM et SFC.
20 Les DOM sont considérés comme des collectivités territoriales intégrées à la République française, au même titre que les départements ou régions de la France métropolitaine.
21 Arrêt de la Cour de Justice du 13 juillet 1966 dans les affaires jointes 56 et 58-64, Consten et Grundig contre Commission.
22 cf. Arrêt de la Cour d'appel de Paris du 24 novembre 2009 rendu dans le cadre du recours formé contre la décision du Conseil de la concurrence n° 08-D-30 du 4 décembre 2008 relative à des pratiques mises en œuvre par les sociétés des Pétroles Shell, Esso SAF, Chevron Global Aviation, Total Outre-Mer et Total Réunion.
23 Décision de la Commission IV/32.448, IV/32.450 - CEWAL du 23 décembre 1992, IV/34.446 - TAA du 19 octobre 1994, IV/35.134 - TACA du 16 septembre 1998 et COMP/37.396 - TACA révisé du 14 novembre 2002 ; Arrêts du TPI T-24/93 à T-26/93 et T- 28/93 - Compagnie Maritime Belge du 8 octobre 1996 et -395/94, TAA du 28 février 2002.
24 TACA révisé du 14 novembre 2002, § 74.
25 Application for exemption Europe to Caribbean Consortium case COMP/38021.
26 VSA = Vessel Sharing Agreement, accord de partage de vaisseau. Il s'agit d'une mise en commun des navires, sans accord de prix.
27 Voir PV d'audition du 21 février 2012.
28 Voir PV d'audition du 21 mars 2012.
29 Voir PV d'audition du 22 février 2012.
30 Règlement n° 4056/86 déterminant les modalités d'application des articles 85 et 86 du traité (à présent articles 101 et 102 du TFUE), JO [1986] L378/4.
31 Règlement (CE) n° 1419/2006 du Conseil du 25 septembre 2006 abrogeant le règlement (CEE) n° 4056/86 déterminant les modalités d'application des articles 85 et 86 du traité aux transports maritimes, et modifiant le règlement (CE) n° 1/2003 de manière à étendre son champ d'application au cabotage et aux services internationaux de tramp.
32 Règlement n° 823-2000 du 19 avril 2000 relatif à l'application de l'article 81, paragraphe 3 à certaines catégories d'accords, de décisions et de pratiques concertées entre compagnies maritimes de ligne (consortiums), JO [2000] L100/24.
33 Lettre de la Commission Européenne du 15 juin 2001. Ce règlement a été prorogé ultérieurement jusqu'au 26 avril 2010. La nouvelle version du règlement n'incluait pas la procédure d'opposition qui prévoyait la notification des accords à la Commission européenne.
34 Notamment article [confidentiel] de l'accord avec [confidentiel] et article [confidentiel] de l'accord avec [confidentiel].
35 " Le calcul de ce taux est fondé exclusivement sur les capacités conservées par le partenaire concerné, c'est-à-dire excluant les capacités éventuellement cédées à un tiers. De plus, ce calcul est fondé sur les capacités effectivement mises à disposition du Partenaire. "
36 " Le calcul de ce taux est fondé exclusivement sur les capacités conservées par le partenaire concerné, c'est-à-dire excluant les capacités éventuellement cédées à un tiers. De plus, ce calcul est fondé sur les capacités effectivement mises à disposition du Partenaire. "
37 " Le calcul de ce taux est fondé exclusivement sur les capacités conservées par le partenaire concerné, c'est-à-dire excluant les capacités éventuellement cédées à un tiers. En outre ce calcul est fondé sur les capacités fixes et les capacités variables allouées au Partenaire, utilisées ou non par celui-ci. Toutefois, dans l'éventualité où CMA-CGM utiliserait tout ou partie des capacités variables des Partenaires, ces capacités utilisées par CMA-CGM :
- seront déduites de la base de calcul du taux d'utilisation des Partenaires considérés, en proportion des capacités variables du Partenaire dans le total des capacités variables allouées, et
- seront prises en compte pour le calcul du taux d'utilisation de CMA-CGM.
Pour la détermination du droit de priorité éventuel des Partenaires il sera procédé à la moyenne de leurs Taux Moyen Annuel Minimum d'Utilisation des Capacités des deux années du cycle écoulé. "
38 Loi n° 2012-1270 du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer. Conformément à l'article 1er de cette loi, le titre Ier du livre IV du Code de commerce a été complété par un article L. 410-3 qui ouvre la possibilité pour le gouvernement, après avis public de l'Autorité de la concurrence, de prendre par décret en Conseil d'Etat les mesures nécessaires pour remédier aux dysfonctionnements des marchés de gros de biens et de services concernés, notamment pour les marchés d'acheminement vers les Antilles.