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Décisions

Cass. crim., 15 avril 2008, n° 07-84.187

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Farge

Rapporteur :

Mme Radenne

Avocats :

SCP Boré, Salve de Bruneton, SCP Waquet, Farge, Hazan

Nancy, du 3 mai 2007

3 mai 2007

LA COUR : - Statuant sur les pourvois formés par X Bernard, la Fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles des Vosges, partie civile, contre l'arrêt de la Cour d'appel de Nancy, chambre correctionnelle, en date du 3 mai 2007, qui, pour tromperie, mise en danger d'autrui et infraction à la législation sur la facturation, a condamné, le premier, à deux ans d'emprisonnement, dont dix-huit mois avec sursis, 40 000 euros d'amende, ainsi qu'à une interdiction définitive de gérer, a ordonné une mesure de publication et a prononcé sur les intérêts civils ;

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

I - Sur le pourvoi de la Fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles des Vosges : - Attendu qu'aucun moyen n'est produit ;

II - Sur le pourvoi formé par Bernard X : - Vu le mémoire produit ; - Attendu qu'un contrôle de la Direction générale de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes, commencé en janvier 1999, a fait apparaître que deux sociétés dirigées par Bernard X, la société Gibieroy, qui commercialise du gibier, et la société nouvelle d'exploitation de la Caille des Vosges, qui a pour activité l'élevage, l'abattage et la commercialisation de cailles, vendaient, comme fraîches, des viandes qui avaient fait l'objet d'opérations de congélation et décongélation ou de procédés d'ionisation afin de masquer leur état ; que l'examen des factures a révélé que la société Gibieroy a revendu, en 1996, beaucoup plus de viandes qu'elle n'en a acquis ; qu'à l'issue de l'information Bernard X et l'un de ses associés ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel, des chefs, notamment, de tromperie, mise en danger d'autrui et défaut de conservation des factures d'achat ;

En cet état ; -Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 463, 513, 591, 593 du Code de procédure pénale, 6 § 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, violation des droits de la défense, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que la cour d'appel a dit n'y avoir lieu à ordonner une confrontation entre M. Y et Bernard X et a, en conséquence, déclaré ce dernier coupable du chef de tromperie ;

"aux motifs que M. Y, lors de son audition du 5 décembre 2001, en réponse au magistrat instructeur qui l'interrogeait sur la nature de ses fonctions, a rappelé qu'il avait été embauché par la Caille des Vosges selon contrat du 1er avril 1992 en qualité de directeur technique, qu'il a précisé qu'il avait été contacté par Bernard X pour réaliser un audit sur les travaux à effectuer suite à une mise en demeure du préfet ; qu'interrogé sur le point de savoir s'il était amené à faire le contrôle de la qualité des viandes, M. Y a répondu par la négative en déclarant qu'il était directeur technique mais en admettant qu'il s'était ensuite intéressé à cet aspect ; qu'il a contesté les propos de Bernard X selon lesquels il aurait été le responsable du contrôle de la qualité des viandes, en précisant qu'il n'avait jamais eu de délégation de pouvoirs dans ce domaine, ni de responsabilités, et en affirmant qu'il n'était pas chargé de la qualité de la viande ; que, lorsqu'il se permettait de mettre des cailles qu'il avait trouvées au sol à la poubelle, il se faisait engueuler par Bernard X qui les remettait dans la chaîne qui ne voulait jamais mettre de côté la viande, par avarice ; que M. Y a ajouté qu'il avait constaté au bout d'un moment qu'en matière de gibier, beaucoup de viande était décongelée pour être revendue comme fraîche et qu'il en avait d'ailleurs parlé au sous-préfet ; que la déposition de M. Y, sur son rôle au sein des entreprises de Bernard X, permet donc de connaître sa position sur sa situation ; qu'elle est confirmée par son contrat de travail du 1er avril 1992 qui fait état d'une embauche en qualité de directeur technique et non pas de responsable en matière de qualité des viandes ; qu'aucune délégation de pouvoirs en la matière n'a été produite par Bernard X ; que le supplément d'information sollicité par ce dernier n'est pas nécessaire ;

"alors qu'il résulte de l'article 6 § 3 de la Convention européenne des droits de l'homme que, sauf impossibilité dont il leur appartient de préciser les causes, les juges d'appel sont tenus d'ordonner l'audition contradictoire des témoins à charge qui n'ont, à aucun stade de la procédure, été confrontés avec le prévenu ; qu'il ressort des propres constatations de l'arrêt que M. Y portait des accusations graves contre Bernard X ; que dès lors, la cour ne pouvait, pour refuser d'ordonner un supplément d'information en vue d'organiser une confrontation entre Bernard X et M. Y, se borner à relever que la déposition de ce dernier, sur son rôle au sein des entreprises du prévenu, permettait de connaître sa position sur sa situation, sans caractériser les causes rendant impossible leur confrontation au cours d'un supplément d'information ; qu'en ne motivant pas spécialement son refus à ce titre, la cour n'a pas donné de base légale à sa décision " ;

Attendu que, pour rejeter la demande de supplément d'information tendant à une nouvelle audition, non contradictoire, d'un témoin, et, le cas échéant, à une confrontation, l'arrêt, après avoir énoncé que le juge d'instruction avait multiplié les auditions et interrogatoires en vue de parvenir à la manifestation de la vérité, retient que la position de ce témoin, déjà entendu, est connue ;

Attendu qu'en cet état, et dès lors que le prévenu n'avait pas fait citer le témoin devant la cour d'appel, comme l'y autorise l'article 513, alinéa 2, du Code de procédure pénale, les juges, sans méconnaître les dispositions de l'article 6 § 3, d, de la Convention européenne des droits de l'homme, ont justifié leur décision ; d'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 213-1, L. 216-2, L. 216-3 du Code de la consommation, 121-1 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que Bernard X a été déclaré coupable du chef de tromperie et a été, en conséquence, condamné à une peine de 2 ans d'emprisonnement, à une amende délictuelle de 40 000 euros ainsi qu'à payer diverses sommes à titre de dommages-intérêts ;

"aux motifs que, dans ses conclusions au fond, le prévenu énonçait que M. Y avait en charge le contrôle de la qualité des marchandises élaborées et commercialisées, ainsi qu'il résulte notamment de fiches d'agrément qualité revêtues de sa signature le 8 janvier 1999, d'une lettre du 17 juin 1999 adressée par M. Y à un fournisseur et encore d'une lettre du 27 janvier émanant du Laboratoire de Bromathologie de l'Est adressée à la Caille des Chaumes d'où il ressort que M. Y continuait à s'occuper des questions sanitaires chez le repreneur ; qu'il précise que dès son embauche, M. Y s'occupait de la qualité et des questions sanitaires et bactériologiques et en veut pour preuve une lettre émanant du ministère de l'agriculture en date du 2 juin 1993 ; qu'interrogé sur le point de savoir s'il était amené à faire le contrôle de la qualité des viandes, M. Y a répondu par la négative, en déclarant qu'il était directeur technique mais en admettant qu'il s'était ensuite intéressé à cet aspect ; que son contrat de travail du 1er avril 1992 fait état d'une embauche en qualité de directeur technique et non pas de responsable en matière de qualité des viandes ; qu'aucune délégation de pouvoirs en la matière n'a été produite par Bernard X ;

"et aux motifs que la vente de denrées préalablement congelées et décongelées ayant le cas échéant subi des traitements ionisants, est établie tant par le procès-verbal de la DGCCRF en date du 19 septembre 1999 que par les nombreux témoignages précis et concordants qui ont été recueillis au cours de l'enquête ; que la vente de cailles impropres à la consommation est de même établie par les témoignages de salariés ; qu'il est constant que la fraîcheur d'une viande en constitue une qualité substantielle et que la viande fraîche est vendue à un prix supérieur à la viande congelée ; que Bernard X avait nécessairement conscience d'enfreindre la loi en vendant comme fraîches des viandes qui ne l'étaient pas ou en commercialisant des cailles impropres à la consommation ; qu'il ne peut s'exonérer de sa responsabilité en invoquant le fait de M. Y, dès lors que celui-ci n'était pas chargé du contrôle de la qualité et ne disposait d'aucune délégation de pouvoirs en la matière ; que certains des témoignages recueillis indiquent au demeurant que Bernard X, non seulement était au courant des pratiques mises en œuvre pour " rajeunir " la viande, mais encore avait personnellement participé aux opérations de décongélation réalisées dans des conditions inacceptables ; qu'ils mentionnent que le prévenu ne voulait rien perdre et qu'il remettait lui-même en circuit viande fraîche des morceaux avariés ;

"1°) alors que le chef d'entreprise peut s'exonérer de sa responsabilité pénale s'il apporte la preuve qu'il a délégué ses pouvoirs à une personne pourvue de la compétence, de l'autorité et des moyens nécessaires ; que cette preuve n'est soumise à aucune forme particulière ; qu'en se bornant, pour écarter le moyen tiré de la délégation de pouvoir consentie à M. Y, à se fonder sur les mentions du contrat de travail et sur l'absence de production d'une telle délégation aux débats, sans rechercher s'il ne résultait pas des documents produits par le prévenu, dont une lettre du 27 janvier 2000 émanant du laboratoire de bromathologie et une autre du 2 juin 1993 du ministère de l'agriculture, qu'une délégation de pouvoirs avait été consentie à M. Y pour la surveillance de la qualité et de l'hygiène alimentaires au sein des entreprises de Bernard X, la cour d'appel n'a pas suffisamment motivé sa décision ;

"2°) alors qu'en cas de délégation le chef d'entreprise peut s'exonérer de sa responsabilité pénale s'il n'a pas personnellement pris part à la réalisation de l'infraction ; qu'en se fondant, au surplus, sur le fait que le prévenu avait personnellement participé aux opérations de décongélations réalisées dans des conditions inacceptables, circonstance qui n'était pas de nature à caractériser la participation personnelle du prévenu à l'infraction de tromperie pour laquelle il était poursuivi, à savoir la vente de viande décongelée, et donc à priver la délégation de pouvoirs de son effet exonératoire, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision " ;

Attendu que, pour déclarer Bernard X coupable de tromperie, l'arrêt relève, notamment, qu'il a personnellement participé à des pratiques de décongélation de produits afin de les vendre comme frais ;

Attendu qu'en l'état de ce seul motif, procédant de son pouvoir souverain d'appréciation, la cour d'appel a justifié sa décision ;

Que, dès lors, le moyen, pour partie inopérant, ne peut être admis ;

Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 223-1, 223-18, 223-20 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que Bernard X a été déclaré coupable du chef de mise en danger d'autrui et a été, en conséquence, condamné à une peine de 2 ans d'emprisonnement, à une amende délictuelle de 40 000 euros ainsi qu'à payer diverses sommes à titre de dommages et intérêts ;

"aux motifs que l'infraction de mise en danger d'autrui (menace de mort ou d'infirmité) par violation manifestement délibérée d'une obligation réglementaire de sécurité ou de prudence est pareillement constituée en tous ses éléments, en l'état des conclusions du professeur Z... d'où il résulte que du fait des traitements infligés au gibier (décongélations suivies de recongélations), la mise en danger d'autrui était patente ; qu'il n'importe à cet égard que les marchandises livrées aux grandes surfaces n'aient pas suscité d'objections de la part de leurs services de contrôle sanitaire et qu'aucune affection n'ait été signalée aux enquêteurs, parmi la clientèle, ces circonstances n'excluant pas que la santé des consommateurs de ces produits ait été mise en danger ; que Bernard X, professionnel du conditionnement et du commerce de la viande de gibier, ne pouvait ignorer les risques qu'il faisait courir à sa clientèle, en commercialisant des produits ayant subi des décongélations et recongélations ;

"1°) alors que le délit de mise en danger d'autrui exige, pour être caractérisé, la violation d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement exposant directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente ; qu'en déclarant le prévenu coupable de cette infraction sans constater qu'il aurait violé une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement et exposé les consommateurs à un tel risque, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;

"2°) alors que le délit de mise en danger d'autrui suppose, pour être constitué, la violation manifestement délibérée d'une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement ; que dès lors, la cour d'appel, qui se borne à relever que le prévenu ne pouvait ignorer les risques qu'il faisait encourir à sa clientèle en commercialisant des produits décongelés et recongelés, n'a caractérisé ni l'élément matériel ni l'élément intentionnel du délit poursuivi en sorte que la condamnation prononcée est dépourvue de base légale " ;

Attendu que, pour déclarer Bernard X coupable de mise en danger d'autrui, l'arrêt retient que la décongélation du gibier suivie de la recongélation a exposé les consommateurs à des intoxications botuliques de nature à causer la mort ou des infirmités permanentes ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, qui établissent que le prévenu, professionnel du négoce de gibier, a délibérément violé l'obligation particulière de sécurité édictée par l'arrêté du 26 juin 1974 pris en application du décret du 21 juillet 1971 en matière de réglementation des conditions hygiéniques de congélation, de conservation et de décongélation des denrées animales et d'origine animale, la cour d'appel a justifié sa décision ; d'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 441-3, L. 441-4 (dans leur rédaction issue de la loi du 1er avril 1996) du Code de commerce, 26 du décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986, applicable à la cause, 121-3 du Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que Bernard X a été déclaré coupable d'avoir omis de conserver les factures d'achat correspondant à 17 tonnes de viande de gibier et a été, en conséquence, condamné à une peine de 2 ans d'emprisonnement, à une amende délictuelle de 40 000 euros ainsi qu'à payer diverses sommes à titre de dommages-intérêts ;

"aux motifs, d'une part, que les critiques émises à l'encontre du procès-verbal de la DGCCRF ne sont toutefois pas pertinentes et sont à la vérité sans impact sur les poursuites exercées au vu de ce procès-verbal ; que, lors de son audition par le tribunal, Mme A a en effet précisé que le stock Buvens, correspondant à environ 12 tonnes, n'avait pas été pris en compte en 1995 car seule avait été retenue la viande fraîche de chevreuil (correspondant à 27 708, 54 kg) ; que les approvisionnements " sans facture " tels que constatés pour un montant de kg étaient des produits frais ;

"et aux motifs, d'autre part, que le délit d'achat sans facture de produits ou prestations de services est établi en sa matérialité par le procès-verbal de la DGCCRF, en date du 19 septembre 1999, d'où il résulte que les achats de 17 tonnes de gibier n'ont pu être justifiés au moyen de factures ; que Bernard X avait la haute main sur la direction de l'entreprise Gibieroy, dans laquelle le contrôle a été effectué, même si Bernard B, en sa qualité de directeur commercial, avait en charge la gestion de cette entreprise ; que ce dernier rendait compte de tous ses actes au quotidien ; qu'il est constant que Bernard X ouvrait le courrier, le traitait, avait seul la signature et était au courant de tout ; qu'à l'évidence, il ne pouvait ignorer les irrégularités comptables constatées par les agents de la DGCCRF ainsi que leur caractère délictueux ;

"1°) alors que le délit d'omission de conserver les factures exige pour être constitué que les originaux ou les copies des factures n'aient pas été conservés pendant un délai de trois ans à compter de la vente ou de la prestation de service ; que la cour qui, tout en constatant que sur les 17 tonnes de gibier ne figurant pas dans la comptabilité, 12 tonnes de viande n'avait pas été comptabilisées en 1995, soit à une période relative à des faits prescrits, non visés dans l'acte de prévention, n'a pas davantage précisé la date exacte d'achat des 5 autres tonnes non comptabilisées, n'a pas légalement justifié sa décision ;

"2°) alors que la mauvaise foi est caractérisée par la constatation de la violation en connaissance de cause de l'obligation légale, pour l'acheteur, de conserver la facture émise par le vendeur, pendant trois ans ; qu'en se bornant à relever que Bernard X ne pouvait ignorer les irrégularités comptables constatées dans le procès-verbal dressé par la DGCCRF, la cour d'appel n'a pas constaté que ce dernier avait violé, en connaissance de cause, la prescription légale lui imposant de conserver les factures d'achat pendant un délai de trois ans à compter des achats de gibier et n'a pas donc pas caractérisé sa mauvaise foi, privant ainsi sa décision de base légale " ;

Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu'intentionnel, le délit de défaut de conservation de factures d'achat dont elle a déclaré le prévenu coupable ; d'où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l'appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause, ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

Rejette les pourvois.