CA Lyon, 1re ch. civ. A, 27 juin 2013, n° 12-03759
LYON
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Marlautin (SARL), Walczak (ès qual.), Meynet (ès qual.)
Défendeur :
Arcs Fidusero (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gaget
Conseillers :
MM. Martin, Semeriva
Avocats :
SCP Laffly & Associés, Mes Albertelli, Auboyer-Treuille, Nouvellet
EXPOSÉ DU LITIGE
La société Arcs Fidusero assurait des missions comptables auprès de la société Marlautin ; elle les a poursuivies durant la période d'observation ouverte à la suite du redressement judiciaire de cette dernière, qui a ultérieurement mis fin à son intervention, avec l'autorisation du juge-commissaire.
Par acte délivré le 6 décembre 2010, la société Arcs Fidusero a assigné la société Marlautin en paiement des prestations dispensées après l'ouverture du redressement judiciaire ; elle a également formé une demande complémentaire en dommages et intérêts.
Le tribunal a ainsi statué :
- déclare recevable et bien fondée la demande de la société Arcs Fidusero et lui donne acte de ce que la société Marlautin reconnaît dans ses écritures, lui devoir la somme de 2 876,96 euros, ou à tout le moins lui devoir la somme de 1 599,97 euros dans son courrier du 4 décembre 2010,
- condamne la société Marlautin à payer à la société Arcs Fidusero la somme de 5 558,56 euros outre intérêts au taux légal, frais et accessoires postérieurs au 3 novembre 2010,
- rejette la demande de dommages-intérêts de la société Arcs Fidusero,
- condamne la société Marlautin à verser à la société Arcs Fidusero la somme de 750 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- ordonne l'exécution provisoire de la présente décision nonobstant opposition ou appel et sans caution,
- condamne la société Marlautin aux entiers dépens.
La société Marlautin, M. Walczak mandataire judiciaire, et M. Meynet, commissaire à l'exécution du plan, ont relevé appel.
Ils défèrent l'ordonnance qui a dit cet appel irrecevable par application de l'article D. 442-3 du Code de commerce, au motif que l'appel formé contre un jugement statuant en matière de rupture brutale de relations commerciales établies ne peut être porté que devant la Cour d'appel de Paris.
Les auteurs du recours soutiennent que la société Arcs Fidusero ayant signifié le jugement à trois reprises en indiquant diverses cours d'appel, elle ne peut se prévaloir de sa propre turpitude, que leur appel étant limité par le dispositif de leurs conclusions, le débat ne porte que sur les obligations contractuelles des parties et non sur une rupture de relations, qu'aucune demande fondée sur l'article L. 442-6 du Code de commerce n'a été formée en première instance et que ce texte est à présent invoqué de manière purement dilatoire.
Ils demandent de réformer l'ordonnance, de déclarer l'appel recevable et de refuser la radiation demandée par la partie adverse, l'exécution du jugement ayant des conséquences manifestement excessives.
La société Arcs Fidusero indique qu'elle a relevé appel incident, dans la mesure où le tribunal n'a pas statué sur la demande qu'elle lui avait présentée sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce et qu'elle a signifié le jugement à plusieurs reprises pour indiquer à l'autre partie que la cour d'appel compétente est celle de Paris ; elle considère que ses conclusions sont recevables et que si l'appel est reçu, il y a lieu à radiation pour défaut d'exécution du jugement contesté ; elle réclame une somme de 800 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Le tribunal de commerce qui, en procédure orale, ne statue pas sur le seul dispositif des dernières conclusions des parties, relève dans son jugement que l'assignation réclamait paiement d'une somme de 4 247,97 euros "à titre de dommages-intérêts pour rupture brutale de ses relations commerciales établies avec la société Arcs Fidusero".
Selon le jugement, cette dernière a répliqué que "la condamnation de la concluante au paiement d'une somme de 4 247,97 euros, à titre de dommages-intérêts correspondant à neuf mois de chiffre d'affaires, en application de l'article L. 442-6 du Code de commerce, et en raison de la rupture brutale des relations commerciales établies, ne saurait prospérer aux termes des dispositions précitées et, en tout état de cause, serait irrecevable".
Le tribunal était bien saisi d'une demande fondée sur l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et la société Marlautin, qui y avait répondu, ne s'est pas méprise sur ce point.
Contrairement à ce que soutient la société Marlautin, le tribunal a statué sur cette demande ("rejette la demande de dommages-intérêts de la société Arcs Fidusero") et d'ailleurs par décision motivée ("la décision de nomination d'un nouvel expert-comptable a été prise sur décision du juge-commissaire").
Le jugement entre ainsi dans les prévisions de l'article D. 442-3 du Code de commerce et le pouvoir de juger en la matière n'appartient qu'à la Cour d'appel de Paris.
Aucun des moyens présentés par la société Marlautin ne permet d'écarter l'irrecevabilité consécutive de l'appel formé devant la Cour d'appel de Lyon.
En effet, les multiples significations de cette décision sont sans conséquence sur la désignation légale de la juridiction d'appel compétente ; elles conduisent seulement à s'abstenir de relever d'office l'éventuelle tardiveté de l'appel au regard de la première signification qui, précisément, n'indiquait aucune juridiction ; mais il n'en ressort aucune "turpitude".
Par ailleurs, la déclaration d'appel est générale ; la dévolution s'est donc opérée pour le tout.
Certes, la portée de l'appel est déterminée par les dernières conclusions prises par la société Marlautin qui, naturellement, n'entendaient pas remettre en cause le débouté de la demande adverse tendant à la voir condamner au paiement de dommages et intérêts.
Mais il n'en demeure pas moins que la déclaration d'appel ne mentionnant aucune limitation, l'appel ne pouvait pas être limité par ces conclusions : même si la cour d'appel ne devait examiner que les critiques qui s'y trouvaient formulées, il lui revenait de statuer sur l'ensemble de la décision attaquée, y compris en confirmant celles de ses dispositions qui n'auraient pas été contestées.
Il n'importe pas, en conséquence, que l'appel incident visant le rejet de la demande formée au visa de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce soit postérieur à ces conclusions de l'appelant principal ; la cour d'appel était déjà saisie de cette question par la déclaration d'appel.
En conséquence, le grief pris d'un comportement dilatoire de la société Arcs Fidusero est inopérant.
Il ne peut, enfin, être dérogé à l'application de l'article D. 442-3, même dans le cas où les divers chefs de demande sont divisibles ; au demeurant, les questions posées par le paiement des factures, d'une part, et par la rupture brutale des relations, d'autre part, ne peuvent être considérées comme suffisamment indépendantes ; en effet, les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, notamment en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations, et impliquent en conséquence l'examen de la qualité, contestée, des prestations de la société Arcs Fidusero.
L'appel principal est irrecevable.
La situation économique de la partie qui succombe conduit à écarter l'application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : LA COUR, Vu l'ordonnance entreprise, - Dit l'appel principal irrecevable, - Vu l'article 700 du Code de procédure civile, rejette la demande, - Condamne la société Marlautin aux dépens d'incident, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, par ceux des mandataires des parties qui en ont fait la demande.