CA Colmar, 3e ch. civ. A, 17 juin 2013, n° 12-03155
COLMAR
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Brasserie Meteor (SA)
Défendeur :
Vermay
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Litique
Conseillers :
Mmes Mazarin-Georgin, Schneider
Avocats :
Mes Heichelbech, Boucon
Le 28 avril 2008, la SA Brasserie Météor a mis à la disposition M. Vermay exploitant un bar à l'enseigne "Le 11.43" situé à Cerdon une installation de tirage de bière et du matériel d'intérieur en contrepartie de son engagement d'approvisionnement exclusif auprès de son entrepositaire désigné pendant une durée de 84 mois et une quantité minimale de 420 hl.
Le contrat stipulait qu'en cas de cessation anticipée des relations d'affaires ou de non-réalisation des quantités prévues au contrat, l'investissement devait être remboursé à raison de 21,97 euro HT par hectolitre restant à acheter.
Un second contrat d'approvisionnement de 50 hl par an était en outre conclu le 21 juillet 2010 en échange de la mise à disposition d'une terrasse.
Reprochant à M. Vermay de n'avoir pas respecté son obligation, la SA Brasserie Météor a, par acte du 17 novembre 2011, fait assigner M. Vermay devant le Tribunal d'instance de Strasbourg pour obtenir sa condamnation au paiement de la somme de 9 802,20 euro en application de la clause de résiliation, représentant l'hectolitrage restant à réaliser jusqu'au terme du contrat du 28 avril 2008 (6 551,45 euro) ainsi que la valeur de la terrasse mise à disposition (3 250,75 euro).
Concluant au rejet de la demande, M. Vermay a fait valoir que le commercial de la société Dagier, entrepositaire, lui avait affirmé qu'il pourrait conserver le matériel en vendant ce qu'il pouvait suite à son changement d'activité de bar en brasserie et que l'entrepositaire a brusquement cessé de l'approvisionner.
Il a répliqué que le contrat n'était pas résilié, subsidiairement qu'il devait être résilié aux torts de la demanderesse, très subsidiairement que la clause relative aux effets de la résiliation devait être annulée, ou que son montant devait être réduit.
Par jugement du 14 mai 2012, le Tribunal d'instance de Strasbourg a considéré :
- s'agissant du contrat du 28 avril 2008 que la cessation des relations contractuelles n'était pas contestée, que le prétendu défaut de livraison ou de toute autre faute de la société Dagier n'était pas démontré, et que le fait qu'il ait entrepris de nouvelles activités était indifférent à la solution du litige ;
- que la demanderesse ne justifiait pas de la date précise de cessation des relations d'affaires, que le décompte produit faisait mention d'une commande de 121,80 hl sur la période du 28 avril 2008 au 28 avril 2011 soit une réalisation de 29 % de la commande totale sur une période couvrant 43 % de la période fixée ;
- que si la cessation des relations d'affaires emportait l'acquisition de la clause pénale, l'absence de date précise et motivée des relations interdisait la détermination d'une quantité précise d'hectolitres commandés et permettait d'écarter l'évaluation faite par le défendeur ;
- que le montant demandé apparaissait manifestement excessif au regard du rythme des commandes sur les trois premières années d'exécution du contrat, et qu'il y avait lieu de limiter l'indemnité à la somme de 1 291,84 euro soit la différence entre d'une part 43 % des 420 hl à réaliser en sept ans et d'autre part 121,80 hl effectivement réalisés (58,80 hl) au prix de 21,97 euro par hl ;
- s'agissant du contrat du 21 juillet 2010, qu'aucune pièce ne démontrait que M. Vermay n'avait pas commandé pour 50 hl de bière par an entre le 21 juillet 2010 et la fin des relations contractuelles, et que la preuve d'un manquement du défendeur à ses obligations n'était pas rapportée.
Le tribunal d'instance a ainsi condamné M. Vermay à payer à la SA Brasserie Météor la somme de 1 291,44 euro ainsi qu'une somme de 300 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile et a rejeté toutes autres demandes.
La SA Brasserie Météor a régulièrement interjeté appel de ce jugement.
Vu les dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile ;
Vu les conclusions de l'appelante la SA Brasserie Météor reçues au Greffe le 8 janvier 2013 tendant à l'infirmation du jugement déféré, au rejet des demandes de M. Vermay et à sa condamnation à lui payer la somme de 9 802,20 euro à titre d'indemnité de résiliation ainsi qu'une somme de 2 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Vu les conclusions de l'intimé M. Vermay reçues au greffe le 9 novembre 2012 tendant à la confirmation du jugement déféré sous réserve de son appel incident, à ce que la cour dise et juge que le contrat n'est pas résilié et déboute la SA Brasserie Météor de sa demande en paiement de la somme de 3 250,75 euro, subsidiairement à ce qu'elle dise et juge que la résiliation est intervenue aux torts de la SA Brasserie Météor et qu'il conservera le matériel à titre de dommages-intérêts, très subsidiairement à ce que la cour dise que la clause est purement potestative et doit être annulée, encore plus subsidiairement écarte l'application de la clause pénale ou tout au moins ramène son montant à de plus justes proportions, lui accorde des délais de paiement et condamne la SA Brasserie Météor à lui payer la somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile, et sur son appel incident, infirme le jugement déféré en ce qu'il l'a condamné au paiement de la somme de 1 291,44 euro au titre du contrat du 28 avril 2008 et à une indemnité en application de l'article 700 du Code de procédure civile, dise et juge que le contrat n'est pas résilié, subsidiairement dise et juge que le contrat doit être résilié aux torts de la SA Brasserie Météor, déboute la SA Brasserie Météor de sa demande en paiement de la somme de 6 551,45 euro, très subsidiairement écarte ou réduise à de plus justes proportions l'indemnité revendiquée à titre de clause pénale.
Vu les pièces de la procédure ;
Attendu qu'il convient d'examiner successivement les conséquences de la rupture du contrat du 28 avril 2008 et celles du contrat du 21 juillet 2010 ;
Sur la rupture du contrat du 28 avril 2008
Moyens des parties
Attendu que la SA Brasserie Météor se prévaut du non-respect par M. Vermay de son obligation d'approvisionnement, puisqu'il reconnaît lui-même que la fermeture du bar "le 11-43" et l'ouverture du fonds de commerce de restauration ne lui ont pas permis d'honorer son engagement, de sorte qu'il est seul responsable de l'inexécution contractuelle ;
qu'elle considère que le différend opposant M. Vermay à la société Dagier est indifférent et que les prétendus propos tenus par le commercial de la société Dagier sont également sans incidence sur le contrat conclu avec la SA Brasserie Météor ;
qu'elle estime que la rupture des relations contractuelles est intervenue le 1er mai 2011 puisque plus aucune bière n'a plus été commandée à partir du mois d'avril 2011, mais qu'en réalité la date précise de rupture du contrat est sans emport sur son droit à indemnité et les modalités de remboursement de l'investissement réalisé ;
qu'elle soutient que le calcul de l'indemnité correspond très exactement au manque à gagner qu'elle subit, puisque la bonne exécution des contrats d'approvisionnement lui permet de déterminer les quantités à produire.
Attendu que M. Vermay réplique qu'il n'est pas établi qu'il ait manqué à ses engagements qui étaient de ne pas s'approvisionner auprès d'un autre brasseur et de réaliser sur 84 mois un approvisionnement de 420 hl ;
qu'il fait valoir que c'est la société Dagier qui a cessé de l'approvisionner à compter du mois de mai 2011 en estimant que les quantités acquises n'étaient pas suffisantes, que d'ailleurs, par jugement du 16 mars 2012 le Tribunal de commerce de Bourg-en-Bresse a prononcé la rupture du contrat aux torts de la société Dagier et qu'ainsi, elle n'a plus pu s'approvisionner en bières à raison de la seule carence de l'entrepositaire, sans commettre lui-même aucune faute ;
qu'il relève que la SA Brasserie Météor n'a pas davantage assuré les livraisons et ne lui a pas désigné un autre entrepositaire, de sorte que la résiliation du contrat devra être prononcée aux torts de la brasserie ;
qu'il affirme que le montant de l'indemnité de résiliation est manifestement excessif alors que le contrat a été correctement exécuté durant près de quatre années, compte tenu de la période d'amortissement du matériel et de sa vétusté.
Motifs
Attendu qu'il résulte des termes de la convention du 28 avril 2008 que M. Vermay s'était engagé pour une durée de sept années à s'approvisionner de manière exclusive en bières produites par la SA Brasserie Météor et à acquérir une quantité de 420 hl de bière ;
que les documents comptables de la SA Brasserie Météor démontrent que M. Vermay a reçu livraison par l'intermédiaire de la société Dagier de 35,80 hl de bière en 2008, 36,20 hl en 2009, de 39,60 hl en 2010 et de janvier à avril 2011 de 10,20 hl de bière, puis ne s'est plus approvisionné en bière ;
que la seule comparaison entre les quantités convenues et celles réalisées démontre qu'à compter du mois de mai 2011, M. Vermay n'a plus respecté son obligation d'exclusivité et s'est nécessairement approvisionné en bières auprès d'un brasseur concurrent, et que la quantité livrée sur la période de trois années (121,80 hl) très éloignée de celle convenue établit nécessairement que M. Vermay a manqué à ses obligations contractuelles ;
que s'il est constant que l'approvisionnement en bière devait avoir lieu par l'intermédiaire de l'entrepositaire désigné la société Dagier, il n'en demeure pas moins qu'une éventuelle défaillance de l'entrepositaire n'est pas de nature à libérer M. Vermay de son obligation à l'égard de la brasserie ;
qu'en pareille hypothèse, il appartenait à M. Vermay de solliciter la désignation d'un autre entrepositaire par la SA Brasserie Météor et qu'en l'espèce, M. Vermay n'a à aucun moment informé la brasserie de quelconques difficultés pouvant l'opposer à la société Dagier ;
qu'en toute hypothèse, le litige existant entre M. Vermay et la société Dagier n'est pas opposable à la SA Brasserie Météor, et qu'il n'est nullement démontré que la société Dagier aurait refusé de le livrer comme il le soutient ;
qu'il convient d'en conclure que M. Vermay a manqué à ses obligations contractuelles en cessant de s'approvisionner en bières produites par la SA Brasserie Météor ;
que dans la mesure où le contrat ne contient aucune clause de résiliation anticipée ou de déchéance du terme, il convient de prononcer la résiliation du contrat aux torts de M. Vermay, la condition résolutoire étant toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques.
Attendu que la clause fixant l'indemnité de résiliation est ainsi libellée : "vous nous rembourserez notre investissement à raison de 21,97 euro HT par hectolitre restant à acheter..." ;
que cette clause fixant de manière forfaitaire l'indemnité de résiliation s'analyse en une clause pénale que le juge peut réduire en cas d'excès manifeste ;
que le premier juge a, à juste titre considéré que le montant de la clause pénale chiffré à 6 551,45 euro (298,20 hl x 21,97 euro) était manifestement excessif ;
qu'en effet en considération de la quantité débitée par M. Vermay dans son fonds de commerce soit une moyenne annuelle de 40 hl depuis la conclusion du contrat, et indépendamment du changement de destination du fonds, il était évident que l'objectif annuel de 60 hl était totalement irréalisable et ne l'a jamais été en cours d'exécution du contrat ;
que la SA Brasserie Météor s'est d'ailleurs satisfaite pendant trois années des conditions d'exécution du contrat, sans alléguer aucune désorganisation de sa production, laquelle ne peut sérieusement reposer sur des prévisions erronées des quantités débitées ;
que compte tenu de ces observations, la cour dispose des éléments suffisants pour fixer à 3 000 euro le montant de l'indemnité de résiliation due à la SA Brasserie Météor.
Sur la rupture du contrat du 21 juillet 2010
Attendu qu'au soutien de son appel, la SA Brasserie Météor fait valoir que la cessation des relations d'affaires remonte au début de l'année 2011 et au plus tard le 4 mai 2011, date de la mise en demeure, sans que la date précise de rupture du contrat n'ait une quelconque incidence sur son droit à réclamer l'indemnité de résiliation ;
qu'elle affirme que le cumul des deux contrats obligeait M. Vermay à se fournir à hauteur de 110 hl par an, sachant qu'entre le mois d'avril 2008 à avril 2011 il n'avait commandé que 121,80 hl de bières, de sorte qu'elle est en droit de réclamer la valeur TTC de la terrasse fournie.
Attendu qu'en contrepartie de la mise à disposition par la SA Brasserie Météor d'une terrasse d'une valeur hors taxes de 2 718,02 euro, M. Vermay s'est engagé à "débiter dans son établissement de façon exclusive et constante les bières ci-après spécifiées pour un volume annuel minimum de 50 hl" ;
qu'aucune durée n'a été mentionnée dans ce contrat et qu'aucune référence n'y est faite au contrat précédemment conclu le 28 avril 2008 ;
que ce contrat s'intitule "bordereau d'engagement et reconnaissance de mise à disposition de matériel" et apparaît comme un engagement autonome et non comme un avenant au précédent contrat ;
qu'ainsi rien n'établit que, comme le soutient la SA Brasserie Météor, l'objectif annuel aurait été augmenté de 60 hl à 110 hl par an, le contrat du 21 juillet 2010 ne visant nullement une telle quantité, au demeurant irréalisable en considération de celles livrées au cours des deux années précédentes ;
que la SA Brasserie Météor a entendu mettre fin à ce contrat de mise à disposition par courrier du 4 mai 2011, soit moins d'une année après la conclusion du contrat, ce qui en toute hypothèse, ne permettait pas de vérifier la réalisation de l'objectif ;
qu'ainsi le jugement déféré a, à juste titre considéré que la preuve d'un manquement de M. Vermay à ses obligations n'était pas rapportée.
Attendu que M. Vermay ne produit aucune pièce comptable justifiant de sa situation économique, et que sa demande de délais de paiement sera rejetée.
Attendu qu'il ne paraît pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties les frais exposés et non compris dans les dépens ;
qu'il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : Déclare les appels recevables ; Au fond Dit l'appel principal partiellement fondé ; Rejette l'appel incident ; Infirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné M. Vermay à payer à la SA Brasserie Météor la somme de 1 291,44 euro (mille deux cent quatre-vingt-onze euros quarante-quatre cents) à titre d'indemnité de résiliation ; Et, statuant à nouveau sur ce point, Condamne M. Vermay à payer à la SA Brasserie Météor la somme de 3 000 euro (trois mille euros) à titre d'indemnité de résiliation du contrat du 28 avril 2008 ; Confirme le jugement déféré pour le surplus ; Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne M. Vermay aux dépens d'appel.