CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 26 juin 2013, n° 10-10870
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Dyson (SAS)
Défendeur :
Rowenta France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Cocchiello
Conseillers :
Mmes Luc, Pomonti
Avocats :
Mes Fisselier, Fourgoux, Grappotte-Benetreau, Dupuis-Toubol, Nicod
Vu le jugement rendu le 20 avril 2010 par le Tribunal de commerce de Paris qui a :
- déclaré irrecevable la demande reconventionnelle de la société Dyson,
- déclaré illicite la campagne de publicité comparant l'aspirateur Rowenta "Silence Force" et un aspirateur Dyson,
- interdit à la société Dyson de reprendre, sur quelque support que ce soit, la diffusion de sa publicité "Rowenta concentre ses efforts sur le silence. Mais son appareil perd 1/4 de son aspiration", sous astreinte de 10 000 par infraction constatée passé le délai de 48 heures à compter de la signification du jugement,
- condamné la société Dyson à payer à la société Rowenta France la somme de 100 000 , à titre de dommages-intérêts, pour concurrence déloyale et celle de 15 000 par application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- débouté les parties de toutes leurs autres demandes,
- ordonné l'exécution provisoire de la décision,
- condamné la société Dyson aux dépens;
Vu l'appel relevé par la société Dyson et ses dernières conclusions signifiées le 8 avril 2013 par lesquelles elle demande à la cour, au visa des articles L. 121-1 du Code de la consommation et 1382 du Code civil, d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de :
- débouter la société Rowenta France de toutes ses demandes,
- la déclarer recevable et bien fondée en sa demande reconventionnelle,
- y faisant droit, juger que la campagne publicitaire relative au modèle "Silence Force Cyclonic" constitue une publicité trompeuse et de nature à induire en erreur,
- condamner la société Rowenta France, sous astreinte de 500 par infraction constatée à compter du prononcé du jugement à intervenir, à cesser la campagne publicitaire, quel que soit le support, sur le modèle "Silence Force Cyclonic",
- condamner la société Rowenta aux dépens et à lui payer la somme de 15 000 par application de l'article 700 du Code de procédure civile;
Vu les dernières conclusions signifiées le 18 avril 2012 par lesquelles la société Rowenta France demande à la cour :
1) Sur sa demande principale, au visa des articles L. 121-8 et suivants du Code de la consommation, R. 123-237 et R. 123-238 du Code de commerce, 1382 du Code civil, de :
- confirmer partiellement le jugement en ce qu'il a :
* déclaré illicite la campagne de publicité comparative diffusée par Dyson comparant l'aspirateur Rowenta "Silence Force" à l'aspirateur Dyson,
* interdit à la société Dyson de reprendre sur quelque support que ce soit la diffusion de sa publicité "Rowenta concentre ses efforts sur le silence. Mais son appareil perd 1/4 de son aspiration", sous astreinte de 10 000 par infraction constatée passé le délai de 48 heures à compter de la signification du jugement,
- infirmer le jugement pour le surplus et, statuant à nouveau :
* condamner la société Dyson à lui payer la somme de 400 000 HT, à titre de dommages-intérêts, en réparation des préjudices subis du fait des actes de concurrence déloyale commis,
* ordonner aux frais de la société Dyson la diffusion en page d'accueil de son site Internet (www.dyson.fr), sur un espace occupant au moins la moitié de celle-ci et en caractères très apparents, du dispositif de la décision à intervenir,
* ordonner aux frais de la société Dyson la publication du jugement à intervenir dans dix magazines à diffusion nationale, au choix de Rowenta et pour un coût qui ne saurait être inférieur à 10 000 par publication,
2) Sur la demande reconventionnelle de la société Dyson :
- au visa de l'article 70 du Code de procédure civile, de confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré cette demande irrecevable,
- subsidiairement, de juger que la société Dyson ne démontre aucunement que la campagne publicitaire de Rowenta sur son aspirateur "Silence Force Cyclonic" constituerait une pratique commerciale trompeuse et, en conséquence, débouter la société Dyson de sa demande reconventionnelle,
- en tout état de cause, de condamner la société Dyson aux dépens et à lui payer la somme de 25 000 par application de l'article 700 du Code de procédure civile;
SUR CE LA COUR
Considérant que les sociétés Dyson et Rowenta France produisent et commercialisent des aspirateurs; que la société Dyson se présente comme le premier fabricant à avoir créé un modèle d'aspirateur sans sac; que la société Rowenta France précise avoir mis sur le marché un aspirateur avec sac dénommé "Silence Force" en 2007 et, depuis septembre 2009, un aspirateur sans sac dénommé "Silence Force Cyclonic" ;
1) Sur les demandes de la société Rowenta France :
Considérant que la société Dyson, à partir du mois de septembre 2009 a lancé une campagne publicitaire comparative dans la presse écrite nationale; qu'il ressort de l'examen de cette publicité qu'elle met en comparaison l'aspirateur de marque Rowenta "Silence Force" et un aspirateur Dyson sans autre précision; que sous la photographie du premier de ces appareils figure, en caractères grands et gras le slogan : "Rowenta concentre ses efforts sur le silence. Mais son appareil perd 1/4 de son aspiration", avec un astérisque qui renvoie en fin de page à la phrase en tous petits caractères : "test effectué conformément à la norme IEC 60312:2.9", tandis que sous le second, figure également en caractères grands et gras le slogan : "Pour Dyson, ne pas perdre d'aspiration est ce qui compte le plus. Ainsi il ne perd pas d'aspiration." ; qu'à la suite de ces slogans sont mentionnés, en caractères plus petits, sous l'aspirateur Rowenta : "Un aspirateur Rowenta Silence Force utilise des sacs et des filtres pour capturer la saleté et la poussière. Dans la mesure où l'air a des difficultés à passer à travers le sac qui se bouche, il peut perdre 1/4 de son aspiration" et sous l'aspirateur Dyson : "Un aspirateur Dyson n'utilise pas de sac. Il possède une technologie cyclone brevetée séparant la poussière de l'air. Il ne perd donc pas d'aspiration. Garantie de 5 ans" ;
Considérant que la société Rowenta France fait valoir, sur le fondement des articles L. 121-8 et L. 121-9 du Code de la consommation, que cette publicité est dénigrante, qu'elle présente un caractère trompeur ou de nature à induire en erreur le consommateur et qu'elle déroge au critère d'objectivité en n'énonçant pas clairement les modèles d'aspirateurs comparés ; que la société Rowenta France invoque encore l'absence de pertinence de la caractéristique comparée par la société Dyson, s'agissant non de la capacité d'aspiration, mais de la variation de la capacité d'aspiration ; qu'elle ajoute que la publicité ne satisfait pas aux articles R. 123-237 et R. 123-238 du Code de commerce qui précisent les mentions obligatoires que les sociétés commerciales doivent indiquer sur tous leurs documents publicitaires ;
Considérant que la société Dyson réplique que le but de sa publicité était de mettre en avant son produit et en aucun cas de porter atteinte à l'image de son concurrent ; qu'elle conteste le dénigrement qui lui est imputé ; qu'elle expose que la rédaction de l'article L. 121-8 du Code de la consommation est issue des dispositions de l'ordonnance du 23 août 2001 qui a transposé en droit interne la directive communautaire du 6 octobre 1997 relative à la publicité comparative dont le régime a été assoupli en vue de faciliter ce type de publicité ; qu'elle se réfère à plusieurs décisions de la Cour de justice des Communautés européennes d'où il ressort, notamment, que l'objectif de la publicité comparative est de mettre en évidence de manière objective les avantages des différents produits comparables et ainsi de stimuler la concurrence entre les fournisseurs de biens et de services dans l'intérêt des consommateurs, raisons pour lesquelles les conditions exigées de la publicité doivent être interprétées dans le sens le plus favorable à celle-ci et encore que les comparaisons auxquelles l'annonceur souhaite procéder entre les produits qu'il offre et ceux offerts par ses concurrents relève de l'exercice de sa liberté économique; qu'elle soutient, en fait, que sa comparaison est fondée sur des éléments objectifs et vérifiables et non de nature à induire en erreur ;
Considérant que l'article L. 121-8 du Code de la consommation dispose que "toute publicité qui met en comparaison des biens ou services en identifiant, implicitement ou explicitement, un concurrent ou des biens ou services offerts par un concurrent n'est licite que si :
1° elle n'est pas trompeuse ou de nature à induire en erreur,
2° elle porte sur des biens ou services répondant aux mêmes besoins ou ayant le même objectif,
3° elle compare objectivement une ou plusieurs caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives de ces biens ou services, dont le prix peut faire partie."
Qu'il résulte de l'article L. 121-9 du même Code que la publicité comparative ne peut entraîner le discrédit ou le dénigrement des marques, noms commerciaux, autres signes distinctifs, biens, services, activité ou situation d'un concurrent ;
Considérant que la société Dyson critique le jugement en ce qu'il a retenu, par une argumentation qu'elle estime contestable, que l'association des termes "concentre" et "ses efforts" implique a contrario que Rowenta concentre moins ses efforts, voire néglige les autres critères dans la mise en avant de ses aspirateurs ; qu'elle prétend que le slogan "concentre ses efforts sur le silence" n'est pas un message négatif mais ne fait que souligner l'investissement marketing de la société Rowenta France, laquelle effectue sa communication publicitaire sur le thème du silence; qu'elle invoque sa liberté en qualité d'annonceur de ne pas mettre en avant d'autres critères comme la puissance, le poids ou la maniabilité; qu'elle expose que si l'utilisation de la conjonction "mais" peut faire le lien entre la première et la deuxième partie du slogan, la lecture des phrases en dessous permet de comprendre l'explication sur la perte d'aspiration avec le sac qui se bouche; que selon elle, la référence au fait que "l'air a des difficultés à passer au travers du sac qui se bouche" qui n'est pas davantage dénigrante explique au consommateur la cause de la perte de puissance ;
Mais considérant que l'opposition entre le slogan "Rowenta concentre ses efforts sur le silence. Mais son appareil perd 1/4 de son aspiration" et le slogan "Pour Dyson, ne pas perdre d'aspiration est ce qui compte le plus" conduit le consommateur à croire que la société Rowenta France privilégie le niveau acoustique sur l'efficacité de son aspirateur, ce qui ne s'appuie sur aucun élément probant ;
que les termes "Mais son appareil perd 1/4 de son aspiration" incitent à croire que de manière générale et sans prise en compte des conditions d'utilisation, l'aspirateur Rowenta perd 1/4 de sa puissance ; que de plus, le message expliquant "Dans la mesure où l'air a des difficultés à passer à travers le sac qui se bouche, il peut perdre 1/4 de son aspiration", sans aucune précision sur les conditions dans lesquelles le sac se remplit et la perte d'aspiration survient, est de nature à faire douter le consommateur du bon fonctionnement de l'appareil ;
Qu'il est ainsi démontré que la publicité de la société Dyson présente à la fois un caractère dénigrant pour la société Rowenta France et un caractère trompeur ou de nature à induire en erreur le consommateur; qu'en conséquence, le jugement doit être confirmé en ce qu'il a déclaré illicite la campagne de publicité et fait interdiction à la société Dyson de la reprendre sur quelque support que ce soit ;
Considérant que société Rowenta France demande réparation du préjudice que lui ont causé les actes de concurrence déloyale de la société Dyson ; qu'elle invoque le préjudice d'image, qualifié d'autant plus important que la campagne publicitaire a été largement diffusée, et fait valoir que pour le réparer seule une contre-campagne publicitaire de même envergure peut être lancée pour un coût évalué à 400 000 HT ; qu'elle expose que la publication de l'arrêt doit être ordonnée afin que les consommateurs soient conscients qu'il leur faut prendre avec précaution les messages publicitaires de la société Dyson ; que cette dernière conteste l'existence d'un préjudice ;
Considérant que, contrairement à ce qui est allégué par la société Dyson, la campagne publicitaire n'a pas été annulée avant son lancement; mais a été interrompue au bout de 10 publications et 2 semaines ; que la société Rowenta France ne justifie pas de la nécessité d'une contre-campagne publicitaire ; que l'atteinte à son image et le trouble commercial subi à raison du caractère dénigrant et trompeur de la publicité comparative seront réparés par la somme de 100 000 ; qu'il n'y a pas lieu d'ordonner les mesures de publication demandées ;
2) Sur la demande reconventionnelle de la société Dyson :
Considérant que la société Dyson soutient que la campagne publicitaire télévisée lancée par la société Rowenta France à la fin de l'année 2009 pour un nouveau modèle d'aspirateur sans sac, dénommé "Silence Force Cyclonic" est de nature à induire en erreur le consommateur au sens des dispositions de l'article L. 121-1 du Code de la consommation, parce que lui laissant croire qu'il est quasiment silencieux, ce qui n'est pas le cas ; que pour conclure à la recevabilité de sa demande, elle allègue qu'il existe un lien indéniable entre les communications des deux mêmes sociétés concurrentes, portant sur des aspirateurs et sur l'argument du silence ; que selon elle, il est nécessaire de procéder à une interprétation identique de la notion de publicité de nature à induire en erreur le consommateur pour les publicités des deux sociétés diffusées de façon concomitante ;
Mais considérant que les campagnes publicitaires de Dyson et de Rowenta sont parfaitement distinctes, la première étant comparative entre un aspirateur Rowenta sans sac "Silence Force" et un aspirateur Dyson, la seconde non comparative portant sur un aspirateur Rowenta avec sac "Silence Force Cyclonic" ; que l'appréciation portée sur l'une des campagnes est sans aucune incidence sur l'autre ; qu'il n'existe pas de lien suffisant entre la demande reconventionnelle et les prétentions originaires au sens de l'article 70 du Code de procédure civile ; qu'en conséquence, la société Dyson est irrecevable en sa demande reconventionnelle ;
3) Sur les demandes au titre de l'article 700 du Code de procédure civile :
Considérant qu'il y a lieu d'allouer à la société Rowenta France la somme de 20 000 et de rejeter la demande de la société Dyson ;
Par ces motifs : Confirme le jugement en toutes ses dispositions sauf sur l'indemnité allouée à la société Rowenta France en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile, Statuant à nouveau de ce chef, Condamne la société Dyson à payer à la société Rowenta France la somme de 20 000 par application de l'article 700 du Code de procédure civile, Déboute les parties de toutes leurs autres demandes, Condamne la société Dyson aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.