CA Pau, 1re ch., 27 juin 2013, n° 12-01851
PAU
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Glochon
Défendeur :
Best Fires (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Pons
Conseillers :
M. Augey, Mme Beneix
Avocats :
Selarl Boulous-Chevallier & Associés, Me Gallardo
M. Glochon a été engagé par la SARL Best Fires en qualité d'agent commercial à compter du mois de juillet 2006.
Par courrier du 31 octobre 2008, cette société a mis fin à son contrat en faisant état de différents griefs, en respectant un délai de préavis de trois mois, et en lui demandant de chiffrer ses prétentions " en termes d'indemnité de résiliation de contrat ".
Elle soutient que M. Glochon n'a jamais répondu à sa demande au motif qu'il essayait de s'approprier la clientèle de la société ainsi que son fournisseur principal, distributeur de la marque " M. Design ".
La société Best Fires a adressé un nouveau courrier le 4 décembre 2008 à M. Glochon en prononçant la résiliation du contrat pour faute grave, privative du droit au paiement d'indemnités.
Par acte d'huissier du 18 juin 2010, M. Glochon a fait assigner la SARL Best Fires devant le Tribunal de commerce de Bayonne afin de voir dire et juger que la rupture de son contrat d'agent commercial est abusive, et de condamnation au paiement de la somme de 75 445,18 euro représentant le montant de son préjudice ainsi que celui de l'indemnité de préavis.
Par jugement du 16 avril 2012, cette juridiction l'a débouté de ses demandes, a jugé qu'elles sont prescrites, et l'a condamné au paiement d'une indemnité de 500 euro pour frais irrépétibles.
Par déclaration au greffe du 30 mai 2012, M. Glochon a relevé appel de ce jugement.
Dans ses dernières écritures déposées le 2 janvier 2013, il a conclu à la réformation de cette décision ainsi qu'à la condamnation de l'intimée au paiement de la somme de 67 062,38 euro HT au titre de l'indemnité de rupture, 18 332,79 euro à titre de dommages-intérêts en raison de la rupture brutale de la relation commerciale, ainsi qu'une indemnité de 3 000 euro pour frais irrépétibles.
Il soutient que les dispositions de l'article L. 134-12 du Code du commerce ne sont pas applicables, puisqu'il a sollicité à de multiples reprises le paiement d'indemnités de rupture notamment dans des courriers des 18 novembre 2008 et 22 avril 2009, et qu'ainsi ses demandes ne sont pas prescrites.
Il fait valoir par ailleurs qu'aucune faute grave ne peut lui être reprochée, en faisant observer que dans la première lettre de résiliation du mandat, le mandant avait bien reconnu que les fautes dont il invoquait l'existence n'étaient pas de nature à priver l'agent de son droit à indemnité.
Il prétend en outre que les griefs invoqués par l'intimée dans le courrier du 4 décembre 2008 tenant aux prétendues manœuvres développées auprès d'un fournisseur du mandant sont postérieures à la résiliation de la convention et ne peuvent donc être valablement invoquées pour justifier la rupture pour faute grave.
Dans ses dernières écritures du 14 décembre 2012, la société Best Fires a conclu à la confirmation du jugement ainsi qu'à la condamnation de M. Glochon au paiement d'une indemnité de 3 000 euro pour frais irrépétibles.
Elle fait valoir que la faute grave est parfaitement établie et qu'elle est constituée par le fait que M. Glochon a tenté de détourner la clientèle de la société à son seul profit en essayant de s'approprier la distribution de la marque M. Design.
Elle ajoute que cette faute a été commise pendant la durée du préavis, et que la lettre adressée à l'agent commercial le 4 décembre 2008 avait pour objet de lui notifier la résiliation du contrat pour un motif autre que celui contenu dans la lettre du 31 octobre 2008.
Elle soutient donc que M. Glochon ne peut prétendre au paiement d'aucune indemnité, au motif que les dispositions qu'il invoque, issues de l'article 18-a de la directive numéro 86-653-CEE du Conseil des Communautés du 18 décembre 1986 ne peuvent recevoir application, puisqu'elles ne concernent que le cas où le manquement de l'agent commercial a été établi après la notification de la résiliation du contrat moyennant préavis mais avant l'échéance de celui-ci, alors qu'en l'espèce, la résiliation du contrat par courrier du 4 décembre 2008 pour faute grave constitue un motif de résiliation différent de celui qui avait fait l'objet du courrier antérieur du 31 octobre 2008.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 11 janvier 2013.
Motifs de l'arrêt
1) sur la fin de non-recevoir opposée par la société Best Fires :
La société Best Fires s'appuie sur les dispositions de l'article L. 134-12 du Code du commerce dont il résulte que l'agent commercial perd le droit à réparation s'il n'a pas notifié au mandant, dans un délai d'un an à compter de la cessation du contrat, qu'il entend faire valoir ses droits.
Elle expose que la rupture du contrat d'agent commercial est intervenue le 4 décembre 2008 à la réception du courrier recommandé qu'elle a adressé à M. Glochon, et que celui-ci s'est borné à contester les motifs de la rupture sans revendiquer le paiement des indemnités de rupture avant la date d'assignation en justice délivrée le 18 juin 2010.
Or, M. Glochon justifie avoir adressé un courrier le 18 novembre 2008 à la suite d'une première lettre du 31 octobre 2008 par laquelle la société Best Fires déclarait mettre fin à son contrat en faisant état de divers griefs, mais en lui demandant de chiffrer ses prétentions " en termes d'indemnités de résiliation de contrat ".
Dans cette lettre du 18 novembre 1008, M. Glochon sollicitait expressément l'obtention " d'une indemnité compensatrice du préjudice subi conforme aux usages de ma profession ".
A la suite du deuxième courrier du 4 décembre 2008, l'informant de la rupture de son contrat pour faute grave, M. Glochon a adressé un courrier du 22 avril 2009, non contesté par la société Best Fires, dans lequel il déclare " solliciter auprès de vous une indemnité compensatrice du préjudice subi à laquelle je peux prétendre ".
Il en résulte que M. Glochon a présenté sa demande dans le délai d'un an suivant la rupture du contrat, et qu'elle doit donc être déclarée recevable en la forme.
2) sur la rupture du contrat d'agent commercial :
Il convient d'observer en premier lieu que dans le premier courrier du 31 octobre 2008, la société Best Fires n'invoquait pas de motifs précis et circonstanciés pour justifier la rupture du contrat pour faute grave, seule susceptible de priver M. Glochon de son droit au paiement d'indemnités de rupture. En effet, ce courrier est ainsi libellé : " vous ne faites aucun effort pour commercialiser des nouveaux produits tels que Faber pour lesquelles vous avez suivi une formation. Nous ne recevons de vous aucune information sur votre activité, vos actions de prospection, l'état du marché, etc... Enfin nous recevons des plaintes de clients tant par rapport à vos compétences que par rapport à vos diligences. En conséquence la présente vaut résiliation du contrat qui nous lie et constitue le point de départ du préavis de trois mois conformément aux dispositions légales ".
En revanche, la lettre du 4 décembre 2008 est ainsi motivée : " nous venons d'apprendre avec surprise que vous avez tenté d'obtenir à votre seul profit un contrat de distribution exclusive avec un autre fournisseur, M. Design. Cette tentative constitue une manœuvre destinée à détourner à votre seul profit non seulement notre clientèle mais également un de nos fournisseurs essentiel. Nous considérons que cette faute justifie une rupture immédiate du contrat sans préavis ni indemnité ".
Les faits de tentative de détournement de la clientèle invoqués par la société Best Fires pour justifier le licenciement pour faute grave sont donc survenus pendant la période de préavis suivant la première lettre de licenciement du 31 octobre 2008.
L'article L. 134-13-1° du Code du commerce dispose que la réparation prévue à l'article L. 134-12 n'est pas due notamment lorsque la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial.
Cet article est la transposition en droit interne de l'article 18 a) de la directive européenne numéro 86-653 du 18 décembre 1986.
La Cour de justice de l'Union européenne dans un arrêt du 28 octobre 2010, saisie d'une demande de décision préjudicielle portant sur l'interprétation de cet article 18, a jugé que cette disposition " s'oppose à ce qu'un agent commercial indépendant soit privé de son indemnité de clientèle lorsque le commettant établit l'existence d'un manquement de l'agent commercial ayant eu lieu après la notification de la résiliation du contrat moyennant préavis et avant l'échéance de celui-ci, qui était de nature à justifier une résiliation sans délai et du contrat en cause ".
Or, en l'espèce, la lettre de licenciement du 31 octobre 2008 a instauré un délai de préavis de trois mois, et ce n'est qu'au terme de ce délai que le contrat devait être résilié, soit le 31 décembre 2008.
Les faits invoqués par la société Best Fires, fondés sur un courrier du 27 novembre 2008 adressé par la société M. Design au responsable de la société Best Fires se sont produits pendant cette période de trois mois et donc avant le terme du contrat.
En conséquence, ils ne sont pas de nature à priver M. Glochon de son droit à indemnité, en vertu de la réponse apportée par la Cour de justice de l'Union européenne à la question préjudicielle qui lui avait été soumise.
M. Glochon a exercé son activité pour le compte de la société Best Fires pendant environ deux ans et demi.
Jusqu'au 31 octobre 2008, aucun reproche ne lui a été fait sur la qualité de son travail, qui pourrait être de nature à réduire le montant de l'indemnité à laquelle il peut prétendre.
M. Glochon a sollicité le paiement d'une somme de 67 062,38 euro HT au titre de l'indemnité de rupture, correspondant à deux années de commission sur la base de la dernière année d'activité qui constitue selon lui, la seule année pertinente de référence, en soutenant que les 18 premiers mois ne correspondent pas à une période d'activité réelle mais à la mise en place de l'action commerciale.
Cette argumentation ne peut pas être prise en considération, puisqu'il convient seulement de prendre en compte le montant des commissions effectivement perçues par M. Glochon pendant sa période d'activité.
Il ressort d'un rapport d'évaluation de préjudice établi à sa demande par M. Aymeric, expert-comptable et commissaire aux comptes le 28 avril 2010, que le montant total des commissions perçues pour la période allant de juillet 2006 à janvier 2009 s'est élevé à 55 290,31 euro pour une période de deux ans et demi, soit selon la société Best Fires une moyenne annuelle de commission de 22 116 euro.
En conséquence, la société Best Fires sera condamnée à payer à M. Glochon la somme de 44 232 euro représentant le montant de deux années de commission.
M. Glochon a sollicité d'autre part le paiement d'une indemnité pour rupture abusive de la relation commerciale.
Cette demande ne repose sur aucun fondement juridique, et en outre, M. Glochon ne rapporte pas la preuve d'une faute ou du caractère abusif et vexatoire de la procédure engagée à son encontre.
Il sera donc débouté de cette demande.
Par contre, il serait inéquitable de laisser à sa charge les frais irrépétibles qu'il a été contraint d'exposer pour faire valoir sa demande en justice ; la SARL Best Fires sera condamné à lui payer à ce titre d'indemnité de 2 500 euro.
La SARL Best Fires qui succombe dans cette procédure sera déboutée de sa demande en paiement d'une indemnité pour frais irrépétibles.
Par ces motifs : LA COUR, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort, Réforme le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Bayonne du 16 avril 2012, et statuant à nouveau : Déclare recevable l'action engagée par M. Frank Glochon. Condamne la SARL Best Fires à payer à M. Frank Glochon : - la somme de 44 232 euro (quarante-quatre mille deux cent trente-deux euros) au titre de l'indemnité de rupture, - une indemnité de 2 500 euro (deux mille cinq cents euros) en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile. Déboute les parties de leurs autres demandes. Condamne la SARL Best Fires aux dépens. Autorise les avocats de la cause qui en ont fait la demande à recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils auraient fait l'avance sans avoir reçu provision.