CA Versailles, 12e ch., 2 juillet 2013, n° 12-04490
VERSAILLES
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Lissfactor (SARL), Jebrane (Consorts)
Défendeur :
Body and Clothes (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Rosenthal
Conseillers :
Mmes Brylinski, Orsini
Avocats :
Mes Guttin, Placktor, Pedroletti, Bardet
Vu l'appel interjeté le 25 juin 2012, par la société Lissfactor, Rachida Jebrane, Rhizlane Jebrane d'un jugement rendu le 1er décembre 2011 par le Tribunal de grande instance de Nanterre qui a :
* déclaré nuls les enregistrements des marques "Lissage permanent japonais" déposée le 28 septembre 2006 sous le n° 063453718 visant les produits et services relevant des classes 3,41,44 et "Lissage japonais" déposée le 9 novembre 2007 sous le n° 073536491 visant les classes 3,41,44,
* dit que le jugement sera transmis à l'institut national de la propriété industrielle à la diligence de la société Body and Clothes aux frais des demanderesses,
* rejeté toutes autres demandes présentées par la société Lissfactor, Rachida Jebrane, Rhizlane Jebrane,
* rejeté la demande reconventionnelle de la société Body and Clothes,
* condamné in solidum la société Lissfactor, Rachida Jebrane, Rhizlane Jebrane à payer à la société Body and Clothes la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens ;
Vu les dernières écritures en date du 10 mai 2013, par lesquelles la société Lissfactor, Rachida Jebrane, Rhizlane Jebrane, poursuivant l'infirmation du jugement déféré, demandent à la cour de :
* constater la validité de la marque "Lissage japonais" n° 073536491,
* dire qu'en proposant à la vente des produits capillaires désignés sous les noms de "Lissage japonais" et "Lissage japonais quantum Formule normale", la société Body and Clothes s'est livrée à des actes de contrefaçon de la marque "Lissage japonais" n° 07353649,
* interdire à la société Body and Clothes, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir, de continuer à faire fabriquer, promouvoir, commercialiser les articles litigieux sous les dénominations "Lissage japonais" et "Lissage japonais quantum Formule normale",
* enjoindre à la société Body and Clothes de communiquer à la société Lissfactor sous astreinte notamment des documents comptables établissant le nombre d'exemplaires de produits litigieux, le chiffre d'affaires généré en France, les noms et adresses des producteurs, fabricants, fournisseurs, grossistes, détenteurs antérieurs des articles de mode reproduisant ou imitant la marque "Lissage japonais",
* désigner un expert afin de fixation du montant des indemnités,
* d'ores et déjà, condamner la société Body and Clothes au paiement, au titre des actes de contrefaçon, au paiement d'une provision de 90 000 euros,
* condamner la société Body and Clothes à payer à la société Lissfactor la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts sur le fondement de la concurrence déloyale,
* ordonner la publication du jugement à intervenir aux frais de la société Body and Clothes dans trois journaux, périodiques ou revues au choix de la société Lissfactor et sur la page d'accueil du site Internet "lissage-intense.oxatis.com" sans que le coût de chaque insertion excède 3 000 euros hors taxes,
* condamner la société Body and Clothes au paiement de la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens ;
Vu les dernières écritures en date du 22 avril 2013, aux termes desquelles la société Body and Clothes, outre divers constater, prie la cour de :
à titre principal,
* confirmer le jugement,
* débouter la société Lissfactor, Mmes Jebrane de leurs demandes,
à titre subsidiaire,
* prononcer la déchéance des droits de la société Lissfactor et Mmes Jebrane sur les marques "Lissage japonais" n° 073536491 et "Lissage permanent japonais" n° 063453718,
* dire que la décision à intervenir sera inscrite au registre des marques aux frais des demanderesses,
sur le préjudice,
* infirmer le jugement,
* condamner solidairement la société Lissfactor et Mmes Jebrane au paiement de la somme de 30 000 euros de dommages et intérêts,
* condamner la société Lissfactor, Rachida Jebrane et Rhizlane Jebrane, chacune, au versement de la somme de 2 500 euros, soit 7 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens de la procédure ;
SUR CE, LA COUR,
Considérant que, pour un exposé complet des faits et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties ; qu'il convient de rappeler que :
* la société Lissfactor, constituée le 23 août 2005, par Rachida Jebrane et Rhizlane Jebrane, a pour objet la distribution de produits capillaires et cosmétiques, la formation à leur utilisation à la coiffure, les soins esthétiques, la vente de tous produits et services liés à ces activités,
* elle distribue en France des produits de fabrication japonaise permettant de défriser les chevelures, dont l'application doit être réalisée par un professionnel de la coiffure formé à cet effet à la mise en œuvre de la technique du défrisage,
* elle fournit cette prestation de formation,
* Rachida Jebrane, Rhizlane Jebrane et la société Lissfactor ont déposé à l'institut national de la propriété industrielle le 28 septembre 2006, la marque verbale "Lissage permanent japonais" enregistrée sous le n° 063453718, le 8 novembre 2007, la marque verbale "Lissage japonais" enregistrée sous le n° 073536491,
* ces dépôts visent notamment les "cosmétiques, lotions pour les cheveux",
* ayant constaté que la société Body and Clothes commercialisait des produits sous la dénomination "Lissage japonais Quantum", la société Lissfactor lui a adressé une lettre recommandée le 5 décembre 2008, lui rappelant l'existence de ses droits et la mettant en demeure de cesser l'usage de cette dénomination,
* le 27 mars 2009, la société Lissfactor a fait constater la diffusion d'offres de commercialisation de produits sur le site Internet www.lissage-intense.oxatis.com, par une boutique en ligne proposant notamment deux produits dénommés "Lissage japonais Quantum formule normale" et "Lissage japonais Quantum formule coloré/décoloré",
* c'est dans ces circonstances, que la société Lissfactor, Rachida Jebrane et Rhizlane Jebrane ont assigné la société Body and Clothes devant le Tribunal de grande instance de Nanterre en contrefaçon, en concurrence déloyale et parasitisme,
* la société Body and Clothes a répliqué à la nullité du dépôt des marques opposées, subsidiairement à la déchéance des droits des demandeurs ;
Sur la contrefaçon :
Considérant que la société Body and Clothes fait valoir que les dénominations "Lissage japonais" et "Lissage permanent japonais" couramment utilisés dans le domaine de la coiffure sont dépourvus de caractère distinctif ;
qu'elle soutient que la dénomination "Lissage japonais", traduction de "Japonese Straightening" était en France en 2007, la désignation usuelle d'une technique visant à lisser le cheveu, mise au point au Japon en 1996, utilisée depuis 1999 aux Etats Unis ;
qu'elle ajoute que si la société Lissfactor a été constituée au mois de septembre 2005, elle ne justifie pas cependant d'une exploitation des expressions revendiquées antérieurement à leurs dépôts à titre de marques ;
considérant que la société Lissfactor, Rachida Jebrane et Rhizlane Jebrane répliquent que la technique capillaire baptisée "Lissage japonais" a été mise au point par Mmes Jebrane en 2004, date à laquelle des tests ont été entrepris, qu'en 2005, ce terme a été introduit en France par la société Lissfactor, aucune autre technique de défrisage n'étant proposée sous cette appellation, qu'au moment du dépôts des marques, en septembre 2006 et novembre 2007, les dénominations en présence n'étaient nullement, dans le langage courant ou professionnel, la désignation nécessaire, générique ou usuelle des produits et services en cause, à savoir notamment, les huiles essentielles, cosmétiques, lotions pour cheveux, masques de beauté, soins d'hygiène et de beauté pour êtres humains, salons de beauté, salons de coiffure ;
considérant selon les termes de l'article L. 711-2 du Code de la propriété intellectuelle que sont dépourvus de caractère distinctif :
a) les signes ou dénominations qui, dans le langage courant ou professionnel, sont exclusivement la désignation nécessaire, générique ou usuelle du produit ou du service,
b) les signes ou dénominations pouvant servir à désigner une caractéristique du produit ou du service, et notamment l'espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique, l'époque de la production du bien ou de la prestation de services,
considérant que si la validité d'une marque s'apprécie au jour de son dépôt, en revanche, lorsqu'un tiers poursuivi pour contrefaçon de marque fait valoir que cette marque est la désignation générique ou usuelle des produits et services pour lesquels il en a fait usage, l'étendue de sa protection doit s'apprécier à la date à laquelle a commencé l'usage prétendument contrefaisant ;
qu'il convient donc de rechercher si l'expression "Lissage japonais" n'était pas devenue nécessaire, dans le langage du public concerné et des professionnels de la coiffure, pour désigner des cosmétiques, lotions pour les cheveux visés à l'enregistrement, au 1er février 2009, date à laquelle la société Lissfactor et Mmes Jebrane auraient découvert la diffusion d'offres de commercialisation par la société Body and Clothes de produits cosmétiques sur Internet sous la dénomination "Lissage japonais Quantum" ;
considérant que dans un article intitulé "Défrisage-Lissfactor arrive en France" publié le 19 décembre 2005, dans le magazine L'éclaireur, il est relevé que la technique du lissage permanent japonais a fait son entrée sur le marché français grâce à la société Lissfactor, qu'exportée aux Etats unis (...), cette technique du Levant a déjà séduit des milliers de femmes dans le monde ;
que dans un article du 6 février 2006, ce même magazine a publié un article relatant que portées par le succès de ces prestations dans les pays anglo-saxons, notamment auprès des stars telles que Gwyneth Paltrow ou Jennifer Aniston, des sociétés telles que Lissfactor ont importé en France le lissage permanent japonais ;
que cet article cite ainsi les propos de Rhizlane Jebrane : On peut s'étonner que notre technique provienne du Japon (...) mais dans cet archipel humide les cheveux "frisottent" très vite et deviennent difficiles à coiffer ; les Japonais sont donc des fans du lissage! (...) Aux Etats unis, pour parler du lissage permanent on utilise souvent l'expression de "chirurgie esthétique" du cheveu ;
mais considérant par ailleurs, que la société Body and Clothes verse aux débats de nombreux extraits de pages de sites Internet, dont la valeur probante ne saurait être déniée par les appelants lesquels produisent pareillement des extraits de sites au soutien de leurs prétentions ;
que force est de constater qu'au cours de l'année 2006, sur de nombreux sites Internet (Lille Forum, Beauté test, Magicliss, Aquadesign, Webwech, Feminin, Yabiladi, Mademoiselle, Look et Esthétique, Yuko, Forum gothique) il est fait usage soit de l'expression "Lissage japonais" soit de l'expression "Lissage permanent japonais" pour désigner une technique ou des produits capillaires visant à lisser le cheveu durablement ;
qu'en 2007, 2008 et 2009 ces expressions sont également amplement reprises et utilisées, dans leur acception courante, sur des sites Internet (Web-libre, Forum Genaisse, Elle, Doctissimo, Yabiladi, Amaryllis, Forum Beauté, L'actualité au féminin, Volcreole, Orientale, Yabiladi, Produits coiffeur) ;
considérant qu'il est ainsi démontré qu'en 2009, date de l'usage incriminé, les termes "Lissage japonais" et "Lissage permanent japonais" étaient perçus par le public pertinent dans le secteur de la coiffure comme la désignation nécessaire ou usuelle de produits cosmétiques capillaires et une technique de lissage pour les cheveux mise au point au Japon ;
considérant dès lors, que s'il n'est pas suffisamment démontré qu'à la date du dépôt des marques "Lissage japonais" et "Lissage permanent japonais", celles-ci étaient dépourvues de toute distinctivité pour désigner les produits et services visés aux dépôts, il n'en subsiste pas moins qu'à la date des faits argués de contrefaçon, ces expressions étaient devenues, auprès du public pertinent concerné, usuelles et nécessaires ;
qu'il s'ensuit qu'infirmant la décision déférée, s'il n'y pas lieu de prononcer la nullité des marques revendiquées, en revanche, la société Body and Clothes est fondée à prétendre qu'à la date à laquelle elle a fait usage de la dénomination "Lissage japonais Quantum", soit au mois de février 2009, les dénominations "Lissage japonais" et "Lissage permanent japonais" étaient devenues usuelles auprès du public pertinent, constitué des utilisateurs et des professionnels dans le domaine de la coiffure, pour désigner des produits cosmétiques capillaires et une technique de lissage du cheveu, de sorte que la société Lissfactor et Mmes Jebrane ne peuvent lui interdire leur usage dans le langage courant ;
que par voie de conséquence, aucun acte de contrefaçon de marque ne peut être reproché à la société Body and Clothes ;
que les demandes formées à ce titre à l'encontre de la société Body and Clothes seront rejetées ;
considérant que la demande reconventionnelle en déchéance des droits de la société Lissfactor et de Mmes Jebrane, formée par la société Body and Clothes, au visa de l'article L. 714-5 du Code de la propriété intellectuelle, ne saurait prospérer dès lors qu'il n'est nullement établi que la société Lissfactor et Mmes Jebrane auraient fait preuve de passivité face à l'emploi massif et amplement répandu des dénominations "Lissage japonais" et "Lissage permanent japonais" ;
Sur la concurrence déloyale :
Considérant que la société Lissfactor ne démontre nullement qu'en faisant usage en 2009, de la dénomination "Lissage japonais", devenue usuelle pour désigner des produits destinés au traitement du cheveu, la société Body and Clothes aurait eu un comportement déloyal, cherché à détourner sa clientèle ;
que le fait de vendre sur un site Internet un produit au nom devenu générique n'est pas constitutif de concurrence déloyale ;
qu'il n'est pas davantage établi que la société Body and Clothes aurait cherché à se placer dans le sillage de la société Lissfactor, en profitant des investissements réalisés par cette dernière ;
Sur les autres demandes :
Considérant que la société Body and Clothes ne justifie d'aucun préjudice lié à des ventes manquées de son produit "Lissage japonais Quentum", de sorte que confirmant la décision déférée, sa demande en dommages et intérêts sera rejetée ;
considérant que le premier juge a exactement statué sur le sort des dépens et les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile dont il a fait une équitable application ;
qu'en vertu de ce texte, il y a lieu de faire partiellement droit aux prétentions de la société Body and Clothes, au titre de ses frais irrépétibles exposés à l'occasion de ce recours, contre la société Lissfactor et Mmes Jebrane qui succombent et doivent supporter la charge des dépens ;
Par ces motifs : Statuant par décision contradictoire, Infirme le jugement déféré en ce qu'il a prononcé la nullité des enregistrements des marques "Lissage permanent japonais" déposée le 28 septembre 2006 sous le n° 063453718 visant les produits et services relevant des classes 3,41,44 et "Lissage japonais" déposée le 9 novembre 2007 sous le n° 073536491 visant les classes 3,41,44, dit que le jugement sera transmis à l'institut national de la propriété industrielle à la diligence de la société Body and Clothes aux frais des demanderesses, Le confirme pour le surplus, Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant, Dit n'y avoir lieu à prononcer la nullité des enregistrements des marques "Lissage permanent japonais" déposée le 28 septembre 2006 sous le n° 063453718 visant les produits et services relevant des classes 3,41,44 et "Lissage japonais" déposée le 9 novembre 2007 sous le n° 073536491 visant les classes 3,41,44, Déboute la société Lissfactor, Rachida Jebrane, Rhizlane Jebrane de leurs demandes au titre d'actes de contrefaçon, Y ajoutant, Condamne la société Lissfactor, Rachida Jebrane, Rhizlane Jebrane à payer à la société Body and Clothes la somme globale de 7 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel, Rejette toutes autres demandes, Condamne la société Lissfactor, Rachida Jebrane, Rhizlane Jebrane aux dépens d'appel et dit que ceux-ci pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.