Cass. com., 25 juin 2013, n° 12-20.123
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Mr Bricolage (SA), MB Brico Sud-Ouest (SAS)
Défendeur :
Bricorama France (SAS), Marie (Epoux)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Espel
Rapporteur :
M. Le Dauphin
Avocats :
SCP Célice, Blancpain, Soltner, Me Foussard
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. et Mme Marie étaient titulaires de la quasi-totalité des actions représentant le capital de la société Vertamont distribution et de la totalité des parts représentant le capital de la société civile immobilière Vertamont, la première exploitant, sous le régime de la franchise, dans des locaux appartenant à la seconde, une surface de vente à l'enseigne " Mr Bricolage " ; que le 30 mai 2008, M. et Mme Marie ont notifié à la société Mr Bricolage, afin de lui permettre d'exercer le droit de préemption dont elle était contractuellement bénéficiaire, les actes de cession de leurs actions et parts sociales qu'ils avaient conclus sous la condition suspensive de non-exercice de ce droit, avec la société Bricorama France (la société Bricorama), opérant sur le même marché ; que la société Mr Bricolage ayant décidé d'exercer son droit de préemption, les actions et parts sociales ont été acquises, pour le prix total de 4 millions d'euros, par la société MB Brico Sud-Ouest, substituée à la société Mr Bricolage ; que ces sociétés ont ensuite fait assigner M. et Mme Marie et la société Bricorama aux fins d'annulation de la clause insérée dans les conventions conclues par ceux-là avec celle-ci et prévoyant qu'en cas d'exercice du droit de préemption de la société Mr Bricolage, les vendeurs verseraient à la société Bricorama une indemnité d'un montant de 8 % du prix de cession ; que la société MB Brico Sud-Ouest a, en outre, sollicité l'allocation de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant selon elle de la fraude imputée aux défendeurs et de la concurrence déloyale de la société Bricorama ;
Sur le moyen unique, pris en ses première, deuxième et quatrième branches : - Attendu que les sociétés Mr Bricolage et MB Brico Sud-Ouest font grief à l'arrêt de rejeter ces demandes alors, selon le moyen : 1°) que le bénéficiaire d'un pacte de préférence a nécessairement qualité pour invoquer, sur le fondement de la fraude, la nullité d'une clause du protocole de cession qui lui a été notifié dont l'objet est de fausser le jeu normal du droit de préférence consenti en sa faveur et pour solliciter, sur ce même fondement, la réparation du préjudice que l'insertion de cette clause lui a causé ; qu'il résulte des constatations mêmes de l'arrêt attaqué que les deux protocoles de cession de titres conclus entre les époux Marie et la société Bricorama renfermaient une clause par laquelle les cédants s'étaient obligés à verser à la société Bricorama, à titre d'indemnité prétendue, une fraction de 8 % du prix de vente qu'ils recevraient de la société Mr Bricolage, soit 320 000 euros, dans l'hypothèse où celle-ci exercerait son droit de préférence ; qu'à l'appui de leurs demandes tendant à voir constater la nullité de cette clause sur le fondement de la règle fraus omnia corrumpit et à obtenir la réparation du préjudice qu'elle leur avait causé, les sociétés Mr Bricolage et MB Brico Sud-Ouest faisaient valoir que l'absence de cause de cet engagement prétendument " indemnitaire " était de nature à révéler le mobile frauduleux qui avait présidé à la conclusion de cet engagement, dont la véritable finalité était de dissuader l'exercice par la société Mr Bricolage de son droit de préférence ou, à défaut d'y parvenir, de lui faire supporter une majoration artificielle du prix d'acquisition destinée à enrichir indûment la société Bricorama, sa principale concurrente ; qu'en déboutant les sociétés Mr Bricolage et MB Brico Sud-Ouest de leurs demandes au motif, pour partie inopérant eu égard au fondement de ces demandes, et pour le surplus entaché d'erreur de droit, que les époux Marie auraient été " seuls recevables à se prévaloir du prétendu défaut de cause de ladite indemnité, et de manière générale, à en contester la validité ", la cour d'appel a violé l'article 31 du Code de procédure civile, ensemble la règle fraus omnia corrumpit ; 2°) que le bénéficiaire d'un pacte de préférence est fondé à en exiger l'exécution loyale de la part du promettant, les tiers devant s'abstenir de toute manœuvre frauduleuse ayant pour objet d'en troubler l'exercice ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté qu'une partie substantielle du prix acquitté par la société Mr Bricolage entre les mains des époux Marie était en fait " allée dans les caisses de son concurrent ", par l'effet de la clause en vertu de laquelle les époux Marie, cédants, s'étaient obligés à verser à la société Bricorama une fraction de 8 % du prix de vente qu'ils recevraient de la société Mr Bricolage, soit 320 000 euros, dans l'hypothèse où celle-ci exercerait son droit de préférence ; qu'en déboutant la société Mr Bricolage de ses demandes indemnitaires à l'encontre des époux Marie et de la société Bricorama fondées sur la fraude et la concurrence déloyale, aux motifs inopérants que la société Mr Bricolage avait exercé son droit de préemption en connaissance de cette stipulation et que " si elle estimait le prix gonflé artificiellement, il lui appartenait de ne pas préempter " et que le fait que la clause litigieuse ait abouti à attribuer à la société Bricorama une somme d'un montant équivalent à celui de la clause pénale stipulée par ailleurs en sa faveur pour le cas où les époux Marie se seraient sciemment déliés de leur engagement à son égard ne suffisait pas à caractériser la déloyauté des cédants, quand il lui appartenait de rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si cet engagement prétendument indemnitaire pris par les cédants en faveur de la société Bricorama n'avait pas précisément pour seul objet de dissuader la société Mr Bricolage d'exercer son droit de préférence ou, à défaut d'y parvenir, de lui faire supporter une majoration artificielle du prix d'acquisition venant enrichir indûment la société Bricorama, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1382 du Code civil, ensemble la règle fraus omnia corrumpit ; 3°) que la société Mr Bricolage soulignait dans ses écritures qu'il ne ressortait d'aucune des correspondances versées aux débats que les époux Marie lui aient transmis une offre directe de cession de leurs titres préalablement à la notification qui lui avait été faite des protocoles de cession conclus entre eux et la société Bricorama ; qu'en retenant néanmoins, par motifs adoptés des premiers juges, que " la société Mr Bricolage, sollicitée sans équivoque pour la reprise de cette affaire, n'avait pas répondu favorablement à l'offre qui lui était faite par les époux Marie ", si bien que ces derniers avaient recouvré toute liberté de négocier la cession de leurs titres avec le plus offrant dans le cadre d'une concurrence ouverte, sans préciser les pièces sur lesquelles elle fondait de telles affirmations, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1382 du Code civil ;
Mais attendu qu'après avoir exactement retenu que seuls M. et Mme Marie auraient eu qualité pour demander l'annulation pour défaut de cause de la stipulation litigieuse, l'arrêt constate que la preuve de la mauvaise foi imputée à ces derniers dans la manière dont ils ont " échafaudé " leurs accords avec la société Bricorama n'est pas rapportée ; qu'il ajoute que le fait que la clause litigieuse aboutissait à attribuer à la société Bricorama, en cas d'exercice par la société Mr Bricolage de son droit de préemption, une indemnité d'un montant équivalent à celui de l'indemnité prévue dans les mêmes actes, en cas de vente de leurs titres par les époux Marie au profit de tiers, en violation de leurs engagements, ne caractérise pas la déloyauté de ces derniers ; qu'en l'état de ces seules constatations et appréciations, excluant toute collusion frauduleuse, la cour d'appel, qui n'avait pas à faire la recherche invoquée par la quatrième branche, laquelle critique un motif surabondant, a légalement justifié sa décision d'écarter les demandes des sociétés Mr Bricolage et MB Brico Sud-Ouest fondées sur le principe " la fraude corrompt tout " ; que le moyen, qui ne peut être accueilli en ses première et troisième branches, n'est pas fondé pour le surplus ;
Mais sur la troisième branche du moyen : - Vu l'article 455 du Code de procédure civile ; - Attendu que pour rejeter la demande de la société MB Brico Sud-Ouest tendant à la condamnation de la société Bricorama au paiement de dommages-intérêts pour concurrence déloyale, l'arrêt relève que la société Mr Bricolage a exercé son droit en connaissance de cause et ainsi fait le choix de payer un prix final supérieur d'un million d'euros au prix demandé un an auparavant, et dont une partie finalement est allée dans les caisses de son concurrent ; que l'arrêt relève encore que si elle estimait le prix gonflé artificiellement, il lui appartenait de ne pas préempter ;
Attendu qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions par lesquelles les sociétés Mr Bricolage et MB Brico Sud-Ouest faisaient valoir que constituait un acte de concurrence déloyale imputable à la société Bricorama la stipulation au profit de celle-ci d'une indemnité de 8 % du prix de cession en cas d'exercice de son droit de préemption par la société Mr Bricolage, un tel procédé visant à troubler l'usage de cette prérogative par la majoration artificielle du prix de cession qu'il impliquait et l'obligation d'indemniser indirectement un concurrent en raison de la non-obtention d'une part de marché par ce dernier, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;
Par ces motifs : Casse et annule, mais seulement en ce qu'il a rejeté la demande de la société MB Brico Sud-Ouest tendant à la condamnation de la société Bricorama France au paiement d'une indemnité au titre de la concurrence déloyale, l'arrêt rendu le 30 mars 2012, entre les parties, par la Cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Lyon, autrement composée.