CA Reims, 1re ch. civ. sect. 14, 14 mai 2013, n° 11-02680
REIMS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
PB & M Est (SAS)
Défendeur :
Bajolle, Gauvin
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Maillard
Conseillers :
Mme Dias Da Silva Jarry, M. Bresciani
Avocats :
SCP Genet, SCP Rahola Delval Creusat, Chauchard, Gaudeaux, Osmont
Exposé du litige :
Sur la base d'un devis daté du 8 novembre 2004 présenté par Monsieur Gauvin, artisan menuisier ébéniste, Madame Bajolle a commandé à cet artisan la pose d'un escalier en vertu d'un contrat en date du 5 janvier 2005.
Monsieur Gauvin s'est approvisionné en bois chez son fournisseur la société PB&M Est, puis a installé l'escalier courant mai 2005.
Ayant constaté rapidement après l'installation des grincements de bois devenant de plus en plus bruyants, Madame Bajolle, a, par exploit en date du 25 mai 2005, assigné Monsieur Gauvin devant le Tribunal de grande instance de Reims.
Monsieur Gauvin a, par exploit en date du 28 janvier 2010, fait délivrer assignation en intervention forcée à la société PB&M Est.
Par ordonnance sur incident en date du 6 avril 2010, Monsieur Boutin a été désigné en qualité d'expert judiciaire. Son rapport a été déposé le 17 septembre 2010.
Par jugement en date du 2 août 2011, le Tribunal de grande instance de Reims a :
- fixé la réception de l'ouvrage au 30 mai 2005,
- retenu la responsabilité de Monsieur Didier Gauvin,
- condamné ce dernier à payer à Madame Nathalie Bajolle la somme de 11 495 euros à titre de dommages-intérêts,
- retenu la responsabilité de la société PB&M Est,
- condamné cette dernière à garantir Monsieur Gauvin à hauteur de la moitié de cette condamnation soit 5 747,50 euros
- débouté Madame Bajolle de sa demande de dommages-intérêts,
- condamné Monsieur Gauvin à lui verser la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles,
- condamné la société PB&M Est à payer à Monsieur Gauvin la somme de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles,
- condamné la société PB&M Est et Monsieur Gauvin chacun pour moitié aux dépens.
Appel a été interjeté par la société PB&M Est selon déclaration d'appel déposée au greffe le 6 septembre 2011.
L'appel a été régularisé en vertu d'une seconde déclaration rectificative au nom de la société Wolseley France Bois Matériaux venant aux droits de la Société PB& M Normandie venant elle-même aux droits de la société PB&M Est.
Les procédures n° 11-02680 et n° 11-02710 ont été jointes.
Aux termes de ses conclusions récapitulatives signifiées le 30 mai 2012, la société Wolseley France Bois Matériaux venant aux droits de la Société PB&M Normandie venant elle-même aux droits de la société PB&M Est demande que la cour :
- réforme le jugement en ce qu'il a condamné la société PB&M Est,
- prononce sa mise hors de cause,
- subsidiairement ramène la demande de Madame Bajolle à de plus justes proportions, laquelle ne saurait comprendre les travaux annexes de peinture et l'indemnisation du préjudice de jouissance,
- subsidiairement confirme la décision,
- lui alloue en tout état de cause la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles.
L'appelante soutient que les désordres sont uniquement imputables à la faute de l'artisan qui aurait dû vérifier le degré d'hygrométrie du bois livré
Elle souligne qu'il n'existe aucune obligation de conseil entre professionnels avertis.
Elle se prévaut en particulier des conditions générales de vente, imposant à l'acquéreur d'indiquer au fournisseur la destination finale du produit, et prévoyant une exonération de responsabilité en cas de "déformations, gauchissements, ou retraits de bois, survenus par suite d'hygrométrie anormale".
Elle ajoute que l'artisan aurait dû se rendre compte du taux d'humidité du bois s'il avait effectué les vérifications nécessaires, et qu'il ne peut donc arguer de l'existence d'un vice caché.
Elle conteste en tout état de cause le remboursement des travaux annexes de peinture et du préjudice de jouissance.
Aux termes de ses dernières conclusions en date du 2 février 2012, Monsieur Gauvin demande que la cour confirme le jugement en ce qu'il a fixé la réception de l'ouvrage au 30 mai 2005 et débouté Madame Bajolle de sa demande de dommages-intérêts pour résistance abusive.
Il sollicite l'infirmation du surplus des dispositions et demande que la cour :
- constate qu'en ayant livré à Monsieur Gauvin du bois à propos duquel elle indique qu'elle connaissait son taux d'hygrométrie inadapté, la société Wolseley France Bois et Matériaux a non seulement manqué à son obligation de conseil mais aussi à son obligation de loyauté,
- condamne en conséquence cette dernière à le garantir à hauteur de la totalité des condamnations qui pourraient être prononcées contre lui,
- constate que Madame Bajolle est débitrice envers lui d'une somme de 1 531,51 euros,
- la condamne à lui verser cette somme,
- ordonne la compensation avec celle dont il pourrait être jugé débiteur au profit du maître de l'ouvrage,
- infirme le jugement en ce qu'il l'a condamné au paiement d'une somme de 2 152 euros pour les travaux annexes de peinture et d'une somme de 1 000 euros en indemnisation du préjudice de jouissance,
- dit n'y avoir lieu à le condamner au titre des frais irrépétibles,
- confirme le jugement en ce qu'il a condamné la société Wolseley France Bois Matériaux à lui verser 1 000 euros à ce titre, et la condamne en outre à lui verser 3 000 euros sur le même fondement à hauteur d'appel.
Il fait valoir que les désordres sont imputables au taux d'hygrométrie anormal du bois vendu.
Il prétend que le fournisseur connaissait l'affectation de ce bois, puisqu'il lui avait précédemment passé commande pour des travaux analogues au bénéfice du voisin de Madame Bajolle.
Il fait valoir que le fournisseur, en s'abstenant d'informer l'acheteur du taux d'hygrométrie particulièrement variable du bois vendu, a manqué à son devoir de conseil mais aussi à son obligation de loyauté.
Il souligne que la société a modifié sa pratique de référencement depuis que cette action en justice a été engagée.
Il conteste les sommes demandées au titre des travaux annexes de peinture et du préjudice de jouissance.
Madame Bajolle sollicite la confirmation du jugement, sauf à voir fixer son préjudice de jouissance à la somme de 2 400 euros, et demande la condamnation de Monsieur Gauvin à lui verser la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles à hauteur d'appel.
Elle se prévaut d'un préjudice de jouissance résultant non seulement de la nécessité d'effectuer de nouveau travaux, mais aussi de l'inconfort quotidien lié à la mauvaise qualité de l'escalier.
MOTIFS :
Sur la responsabilité de Monsieur Gauvin :
Attendu qu'aucune partie ne conteste la date de réception judiciaire de l'ouvrage prononcée par le tribunal à la date du 30 mai 2005 correspondant à la fin du chantier ;
Attendu que Madame Bajolle entend voir retenir la responsabilité de Monsieur Gauvin, artisan menuisier, sur le fondement de l'article 1147 du Code civil, en raison d'une inexécution défectueuse de ses obligations contractuelles à savoir la pause d'un escalier s'étant révélé anormalement bruyant ;
Attendu que Monsieur Gauvin dénie toute responsabilité, en soutenant que l'origine des désordres, qui réside dans le fort taux d'humidité du bois vendu, ne lui est pas imputable ;
Attendu qu'il résulte effectivement du rapport d'expertise déposé le 17 septembre 2010, que les désordres survenus ont exclusivement pour cause "un taux d'humidité supérieur aux tolérances admissibles pour la fabrication de l'ouvrage" ;
Attendu qu'il ressort néanmoins de ce même rapport que Monsieur Gauvin, artisan menuisier, a omis de contrôler le taux humidité du bois au moment de la fabrication de l'ouvrage ;
Que c'est donc aux termes d'une exacte appréciation, que le tribunal a jugé que l'intéressé, exerçant la profession d'artisan menuisier, avait commis une faute en s'abstenant de vérifier si le bois mis en œuvre était apte à servir eu égard à l'environnement auquel il était destiné ;
Que la décision entreprise sera par conséquent confirmée de ce chef ;
Sur l'appel en garantie de la société PB&M Est :
Attendu que l'appelante conteste toute responsabilité, faisant valoir qu'il n'existe aucune obligation de conseil entre professionnels, et qu'il appartenait à Monsieur Gauvin de vérifier le degré d'hygrométrie du bois livré conformément aux conclusions de l'expert ;
Qu'elle se prévaut en particulier des conditions générales de vente, imposant à l'acquéreur d'indiquer au fournisseur la destination finale du produit, et prévoyant une exonération de responsabilité en cas de "déformations, gauchissements, ou retraits de bois, survenus par suite d'hygrométrie anormale" ;
Attendu que si l'obligation d'information est moindre en présence d'un acquéreur professionnel, il appartient toutefois au fabricant ou au vendeur de bonne foi, de proposer un bien en conformité avec les normes usuelles, ou à défaut de mettre en garde le cocontractant sur les particularités du bien vendu ;
Attendu qu'il résulte du rapport d'expertise déposé le 17 septembre 2010, que le bois vendu présentait un taux d'humidité supérieur aux tolérances admissibles pour la réalisation de l'ouvrage ;
Attendu que Monsieur Gauvin produit une facture datant du 7 septembre 2004 concernant une commande de bois chez le même fournisseur pour des travaux similaires, à savoir l'installation d'un escalier chez un particulier ;
Attendu que l'appelant ne saurait dès lors valablement prétendre, que le taux d'humidité excessif était un vice apparent dont l'acheteur aurait manifestement dû se rendre compte en qualité de professionnel averti ;
Attendu qu'au surplus, les catalogues et notes diffusées aux professionnels, régulièrement versés aux débats, insistent sur le caractère adapté des conseils et des matériaux livrés aux utilisateurs en fonction des besoins de ceux-ci ;
Attendu qu'en fournissant dans de telles conditions un bois dont le taux d'humidité était totalement inadapté à l'ouvrage, le fournisseur a commis une faute lourde dénotant son inaptitude à l'accomplissement de l'obligation contractuelle qu'il avait acceptée, et justifiant de voir écarter la clause d'exonération de responsabilité ;
Attendu qu'au vu de ces éléments, la société Wolseley France Bois Matériaux venant aux droits de la Société PB&M Normandie venant elle-même aux droits de la société PB&M Est sera tenue de garantir Monsieur Gauvin à hauteur des trois quarts de la condamnation ; que le jugement entrepris sera donc infirmé de ce chef ;
Sur le montant des réparations :
Attendu qu'il résulte des conclusions d'expertise, que le coût des travaux de reprise doit s'élever à 9 516 euros TTC pour la dépose et le remplacement de l'escalier, et à 2 152 euros TTC pour les travaux annexes de peinture, suivant devis établi par deux entreprises ;
Attendu que Madame Bajolle subi un préjudice de jouissance du fait de la mauvaise qualité du matériau vendu (sonorité anormale) et de la nécessité de devoir effectuer des travaux ; qu'il lui sera alloué de ce fait la somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts ;
Attendu que la cour confirmera en conséquence le jugement sur l'évaluation retenue à hauteur de 11 495 euros sans qu'il y ait lieu de déduire les frais annexes de peinture et le préjudice de jouissance ;
Attendu qu'au titre des frais irrépétibles à hauteur d'appel, Monsieur Gauvin sera condamné à verser à Madame Bajolle la somme de 2 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Attendu que la société Wolseley France Bois Matériaux venant aux droits de la Société PB & M Normandie venant elle-même aux droits de la société PB & M Est, sera en outre condamnée à verser à Monsieur Gauvin la somme de 3 000 euros par application de l' article 700 du Code de procédure civile , en sus de l'intégralité des dépens d'appel ;
Par ces motifs : La Cour, statuant publiquement, contradictoirement, Vu la jonction des procédures 11/02680 et 11/02710, Confirme le jugement rendu le 2 août 2011 par le Tribunal de grande instance de Reims sauf en ses dispositions ayant condamné la société PB&M Est à garantir Monsieur Gauvin à hauteur de la moitié de sa condamnation ; Et statuant à nouveau de ce chef : Condamne la société Wolseley France Bois Matériaux venant aux droits de la Société PB&M Normandie venant elle-même aux droits de la société PB&M Est à garantir Monsieur Gauvin à hauteur des trois quarts de sa condamnation ; Y ajoutant : Condamne Monsieur Gauvin à verser à Madame Bajolle la somme de 2 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société Wolseley France Bois Matériaux venant aux droits de la Société PB&M Normandie venant elle-même aux droits de la société PB&M Est à verser à Monsieur Gauvin la somme de 3 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société Wolseley France Bois Matériaux venant aux droits de la Société PB&M Normandie venant elle-même aux droits de la société PB&M Est aux dépens d'appel avec faculté de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.