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Décisions

Cass. com., 9 avril 2013, n° 11-17.029

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Ace Sanv (Sté)

Défendeur :

Etablissements Domange (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Espel

Avocats :

SCP Blanc, Rousseau, SCP Gatineau, Fattaccini, SCP Tiffreau, Corlay, Marlange

Reims, du 3 janv. 2011

3 janvier 2011

LA COUR : - Statuant tant sur le pourvoi principal formé par la société Ace Sanv que sur le pourvoi incident relevé par la société Etablissements Domange ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Peugeot-Citroën automobiles (la société PCA) a commandé une installation de traitement et de nettoyage de culasses à la société Serf, venant aux droits de la société Disa-Serf, qui a confié à la société Etablissements Domange (la société Domange) la conception, la réalisation et le montage du système de filtration ; que la société PCA a relevé de nombreux dysfonctionnements de l'installation ; que l'expert judiciaire, M. X, a conclu à la responsabilité de la société Domange ; que la société Serf a assigné la société Domange, et son assureur, la société Ace Sanv (l'assureur), en résolution des contrats et en dommages-intérêts ; que la société PCA a demandé la condamnation de la société Domange à lui verser des dommages-intérêts ; que la société Serf ayant été mise en liquidation judiciaire, Mme Y (le liquidateur) a été désignée en qualité de liquidateur ;

Sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en sa première branche : - Attendu que l'assureur fait grief à l'arrêt de le condamner avec la société Domange à indemniser le préjudice subi par la société Serf, dans la limite de 275 480 euros, et de le condamner à garantir la société Domange de sa condamnation à verser des dommages-intérêts au liquidateur, et de le condamner avec la société Domange à verser, dans la même limite, au liquidateur la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, alors, selon le moyen, que les frais non compris dans les dépens ne constituent pas un préjudice réparable et ne peuvent être remboursés que sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; que les frais exposés par une partie à la demande de l'expert au cours des opérations d'expertise, constituent des frais rendus nécessaires par l'instance qui ne sont pas compris dans les dépens ; qu'en l'espèce, la société Serf sollicitait le remboursement de tous les frais générés par les analyses et prélèvements qu'elle avait exposés à la demande de l'expert dans le cadre des opérations d'expertise (heures de préparation, heures d'analyses, frais de réception et de déplacements, factures de laboratoires) ; qu'en accordant au liquidateur le remboursement intégral de ces frais à titre de préjudice réparable au motif qu'ils étaient directement liés au non fonctionnement de l'installation, la cour d'appel a violé l'article 700 du Code de procédure civile ;

Mais attendu que l'arrêt, par motifs propres et adoptés, constate que le liquidateur forme une demande en paiement de la somme de 215 000 euros au titre des frais d'analyse avec provisions et relève que, dans les décomptes fournis par la société Serf, toutes les dépenses, à l'exception des analyses destinées à la définition de l'installation à la société Domange, étaient directement liés aux dysfonctionnements de l'installation ; que de ces constatations et appréciations procédant de son pouvoir souverain de la valeur et de la portée des éléments de preuve, la cour d'appel a exactement déduit que ces frais ne constituaient pas des frais irrépétibles ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le premier moyen du pourvoi incident : - Attendu que la société Domange fait grief à l'arrêt d'avoir confirmé le jugement en ce qu'il a dit qu'elle avait manqué à ses engagements contractuels et prononcé la résolution des contrats et l'a condamnée à payer au liquidateur la somme de 558 960 euros à titre de dommages-intérêts, alors, selon le moyen : 1°) qu'un professionnel n'est débiteur d'un devoir d'information ou de conseil à l'égard d'un autre professionnel que lorsque ce dernier est dans l'impossibilité de se renseigner lui-même ; qu'en l'espèce la cour d'appel a constaté que la société Domange " avait proposé en option la fourniture d'un classificateur à vis destiné à protéger le filtre à dépression et que la société Disa-Serf n'avait pas accepté cette proposition pour une question de coût " et que la société Domange avait souligné que l'installation d'un classificateur à vis était souhaitable ; qu'en disant cependant que les contrats devaient être résolus et la société Domange condamnée au paiement de dommages-intérêts aux motifs qu'il aurait appartenu à la société Domange, possédant des compétences techniques supérieures à celles de la société Disa-Serf, d'attirer l'attention de la société Disa-Serf, elle-même professionnel spécialisé dans l'installation de traitement et de nettoyage de culasses, sur les risque encourus en ne choisissant pas l'option du pré-filtre et l'installation du classificateur à vis, ou encore par l'utilisation d'un acier non inoxydable, la cour d'appel a violé ensemble les articles 1134, 1147 et 1184 du Code civil ; 2°) qu'il appartient à la partie qui souhaite faire un usage spécifique de la chose qu'elle commande d'en préciser les conditions d'utilisation lors de la formation du contrat ; qu'il n'y a pas inexécution dès lors que le manquement imputé n'était pas entré dans le champ contractuel ; qu'en l'espèce il est constant que la société Domange n'a pas été avertie par la société Disa Serf de l'usage que comptait faire la société PCA, utilisateur final, du système commandé et que le cahier des charges donné à la société Domange était lacunaire ; qu'en disant cependant " qu'il appartenait à la société Domange, chargée de l'étude, de la conception et de la réalisation du système de filtration, de connaître précisément la nature des déchets que l'équipement qu'elle fournissait devait traiter afin de conseiller utilement la société Disa Serf et de réaliser un matériel conforme aux attentes de cette dernière ; qu'en ne poussant pas ses investigations sur la nature des résidus de fonderie que le système de filtration devait traiter alors qu'elle disposait des moyens de connaître précisément quelle était la composition de ces déchets, la société Domange a commis un manquement grave dont son cocontractant peut se prévaloir à l'appui de sa demande de résolution du contrat ", la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1184 du Code civil ; 3°) que seuls sont réparables les dommages prévisibles au moment de la formation du contrat, à savoir ceux qui sont entrés dans le champ contractuel au moment de la conclusion du contrat ; qu'en l'espèce il est constant que tant le cahier des charges ni le bon de commande fournis à la société Domange par la société Disa Serf ne spécifiaient l'usage à fin d'expérimentation auprès de la société PCA ; que dès lors la société Domange ne pouvait prévoir, lors de la conclusion du matériel, quelle serait l'utilisation spécifique qui serait faite du matériel fourni et dès lors de l'étendue du dommage que subirait la société Disa Serf en cas de dysfonctionnement, le matériel étant lui-même fourni pour la somme de 54 905,67 euros s'agissant du matériel de filtration ; qu'en condamnant la société Domange à l'ensemble des préjudices subis par la société Disa Serf résultant en particulier du coût de son personnel et du prix de remplacement de l'installation déficiente facturée à la société Peugeot Citroën automobile et non payée, outre le coût de formation du personnel de la société PCA, et les coûts de frais d'expertise, tous dommages non prévisibles lors de la formation du contrat qui ne spécifiait pas l'usage qui devait être fait du matériel fourni, la cour d'appel a violé les articles 1147 et 1150 du Code civil ; 4°) que le principe de réparation intégrale s'oppose à ce qu'une personne puisse recevoir deux fois réparation de son préjudice ; qu'en l'espèce la cour d'appel a condamné la société Domange non seulement au coût du contrat tel que facturé à la société PCA de la réfection du matériel par la société Disa-Serf évalué à 183 526 euros qu'au tiers du coût de la main d'œuvre utilisée par cette société pour refaire le matériel évalué à 108 658 euros ; que ce dernier coût se trouve nécessairement compris dans le coût de réfection du matériel ; qu'en cumulant ainsi les sommes auxquelles la société Domange est condamnée, la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil ;

Mais attendu, en premier lieu, que l'obligation d'information du fabricant à l'égard de l'acheteur professionnel n'existant que dans la mesure où la compétence de celui-ci ne lui donne pas les moyens d'apprécier la portée exacte des caractéristiques techniques des biens qui lui sont livrés, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'apprécier cette compétence que la cour d'appel a estimé que la société Serf n'étant pas un spécialiste des équipements de filtration industrielle à la différence de la société Domange, cette dernière devait appeler son attention sur les risques encourus en ne choisissant pas l'option proposée ;

Attendu, en deuxième lieu, qu'après avoir constaté que le système de filtration industriel était destiné à une installation de nettoyage, l'arrêt, qui ne dit pas que le cahier des charges était lacunaire, relève que ce document prévoyait expressément qu'un échantillon des déchets à traiter par le filtre était disponible sur demande et que la proposition de la société Domange du 29 mars 2001 attestait que cette dernière connaissait le phénomène en grande partie à l'origine des désordres de l'installation et, partant, disposait des moyens de connaître la composition de ces déchets ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a considéré que la société Domange était suffisamment informée de l'usage spécifique qui allait être fait de son produit ;

Attendu, en troisième lieu, qu'il ne ressort ni de l'arrêt ni des conclusions que la société Domange a soutenu que les dommages n'étaient pas prévisibles au moment de la formation du contrat ; que ce grief, mélangé de fait et de droit, est nouveau ;

Attendu, en dernier lieu, que sans indemniser deux fois la société Serf, la cour d'appel a distingué, d'un côté, le préjudice résultant des trois premiers postes de préjudices proposés par l'expert relatifs aux surcoûts imputables aux dysfonctionnements du premier filtre réalisé par la société Etablissement Domange et, de l'autre, les autres postes de préjudices correspondant à la réalisation, au transport et au montage du nouveau filtre réalisé par la société Serf ; d'où il suit que le moyen, irrecevable en sa troisième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;

Sur le second moyen du même pourvoi : - Attendu que la société Domange fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à payer à la société PCA la somme de 308 577 euros à titre de dommages-intérêts, alors, selon le moyen : 1°) que seuls sont réparables les dommages prévisibles au moment de la formation du contrat, à savoir ceux qui sont entrés dans le champ contractuel au moment de la conclusion du contrat ; qu'en l'espèce il est constant que ni le cahier des charges ni le bon de commande fournis à la société Domange par la société Serf ne spécifiaient l'usage à fin d'expérimentation auprès de la société PCA ; que dès lors la société Domange ne pouvait prévoir, lors de la conclusion du contrat, quelle serait l'utilisation spécifique qui serait faite du matériel fourni et dès lors de l'étendue du dommage que subirait la PCA en cas de dysfonctionnement, le matériel étant lui-même fourni à la société Serf pour la somme de 54 905,67 euros s'agissant du matériel de filtration ; qu'en condamnant la société Domange à l'ensemble des préjudices subis par la société PCA en rapport avec la fabrication (arrêt de fabrication de 2002 à 2005), la maintenance et l'expertise judiciaire, tous dommages non prévisibles lors de la formation du contrat pour la société Domange, l'usage par la société PCA du matériel n'ayant pas été spécifié, la cour d'appel a violé les articles 1147, 1150 et 1165 du Code civil ensemble l'article 1383 du Code civil ; 2°) que le tiers qui bénéficie du contrat et se voit attribuer des dommages-intérêts pour l'inexécution ou la mauvaise exécution par un prestataire de ses obligations doit se voir opposer les clauses limitatives de responsabilité se trouvant dans le contrat qui lie le prestataire à son cocontractant ; qu'en disant le contraire, la cour d'appel a violé ensemble l'article 1165 et l'article 1383 du Code civil ;

Mais attendu, d'une part, que la société Domange, qui s'est bornée dans ses conclusions à demander que la convention conclue entre la société Serf et la société PCA lui soit déclarée inopposable, n'a pas prétendu que les dommages subis par cette dernière société n'étaient pas prévisibles ; que le moyen, mélangé de fait et de droit, est nouveau ;

Attendu, d'autre part, qu'après avoir énoncé à bon droit qu'un tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage, l'arrêt retient que les manquements de la société Domange à l'égard de la société Serf sont à l'origine des préjudices subis par la société PCA ; d'où il suit que le moyen, irrecevable en sa première branche, n'est pas fondé pour le surplus ;

Mais sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en sa seconde branche, en ce qu'il critique l'arrêt d'avoir confirmé le jugement condamnant l'assureur à prendre en charge la somme allouée au liquidateur à titre de dommages-intérêts : - Vu l'article L. 112-6 du Code des assurances et l'article 1134 du Code civil ; - Attendu que pour statuer ainsi, l'arrêt retient que l'assureur ne peut sérieusement soutenir que les frais et analyses pris en charge par la société Serf relèvent de l'indemnité prévue par l'article 700 du Code de procédure civile ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher comme elle y était invitée, si ces frais n'avaient pas été rendus nécessaires pour élaborer le filtre de remplacement et si, par voie de conséquence, ils ne rentraient pas dans le champ d'application de la clause d'exclusion de garantie prévue au contrat visant les frais nécessaires pour améliorer, réparer, refaire ou remplacer le produit livré par l'assuré, ainsi que le montant total ou partiel du remboursement dudit produit, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

Par ces motifs : Rejette le pourvoi incident ; Casse et annule, mais seulement en ce qu'il a condamné la société Ace Sanv avec la société Etablissements Domange à indemniser le préjudice subi par la société Serf, dans la limite de la somme de 275 480 euros pour la société Ace, et de l'avoir condamnée à garantir la société Etablissements Domange de sa condamnation à verser des dommages-intérêts à Mme Y, ès qualités, dans la même limite, l'arrêt rendu le 3 janvier 2011, entre les parties, par la Cour d'appel de Reims ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Reims, autrement composée ;