CA Lyon, 1re ch. civ. B, 2 juillet 2013, n° 12-08729
LYON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Besson
Défendeur :
Laplace (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Baizet
Conseillers :
Mme Guigue, M. Ficagna
Avocats :
SCP Laffly & Associés, Selarl Juris Opéra Avocats, Selarl Martin, Me Sogno
Par acte du 27 juillet 2012, M. Lucien Besson, agent commercial de la société Laplace, a assigné cette société devant le Tribunal de grande instance de Lyon auquel il a demandé principalement de prononcer la résiliation du contrat d'agent commercial et la condamnation de celle-ci à lui payer une somme équivalent à 3 années de commissions à titre de dommages-intérêts outre un solde de commissions restant dues.
La société Laplace s'est opposée aux demandes et a formé à l'encontre de M. Besson une demande reconventionnelle en paiement de dommages et intérêts pour rupture sans préavis et aux fins de remboursement de commissions indûment perçues.
Par jugement du 4 décembre 2012, le Tribunal de grande instance de Lyon :
- a prononcé la rupture du contrat d'agent commercial liant la société Laplace à M. Besson aux torts de ce dernier,
- a débouté M. Besson de ses demandes,
- a débouté la société Laplace de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts,
- a ordonné l'exécution provisoire de la décision,
- a condamné M. Besson à verser à la société Laplace la somme de 1 000 euro par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Le tribunal a retenu :
- que M. Besson ne démontrait pas les griefs invoqués,
- que la société Laplace justifiait que M. Besson avait eu un comportement inadapté,
- que M. Besson ne justifiait pas du non-paiement de ses commissions à la date de la résiliation effective du contrat,
- que la société Laplace ne produisait aucune pièce comptable à l'appui de sa demande reconventionnelle.
M. Besson a relevé appel de ce jugement dont il sollicite l'infirmation.
Il demande à la cour :
- de prononcer la résolution judiciaire du contrat d'agent commercial aux torts exclusifs de la société Laplace,
- de condamner la société Laplace à lui payer la somme de 32 122,50 euro à titre de dommages intérêts,
- de condamner la société Laplace à lui payer la somme de 21 329,45 euro à titre de rappel forfaitaire de commissions, sauf pour la cour à allouer cette somme à titre de dommages-intérêts en réparation du manque à gagner subi,
Subsidiairement,
- de surseoir à statuer sur la demande de rappel de commissions et d'ordonner à la société Laplace sous astreinte journalière définitive de 300 euro par jour à compter de l'arrêt à intervenir, d'avoir à produire la copie certifiée conforme par un expert-comptable et un commissaire aux comptes de tous les justificatifs des opérations directes et indirectes de son secteur depuis le 1er janvier 2007 jusqu'au jour de l'arrêt de la cour, ces justificatifs devant comprendre les commandes et demandes de prix reçues, les justificatifs des livraisons, les facturations, les avoirs et le journal des ventes du secteur depuis le 1 er janvier 2007,
Très subsidiairement,
- d'ordonner aux frais de la société Laplace une mesure d'expertise comptable afin de vérifier les opérations du secteur sur la même période à partir des mêmes documents ainsi que les commandes non satisfaites pour quelque raison que ce soit,
En toute hypothèse,
- de condamner la société Laplace à lui payer la somme de 6 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- de dire et juger irrecevable et à tout le moins non fondées les demandes de la société Laplace et les rejeter.
Il soutient :
- qu'à compter de 2006, il a été confronté à des difficultés croissantes :
* absence de communication et d'information,
* problèmes de paiements de commissions,
* modifications de tarifications sans information préalable,
* problèmes de livraisons tardives ou non conformes,
* non suivi de commandes,
* politique commerciale ne respectant plus le principe d'intérêt commun,
* non-communication des informations pour lui permettre de facturer ses commissions, (article R. 134-3 alinéa 2 du Code de commerce)
- que cette situation a eu pour effet de mettre en péril ses intérêts légitimes en vidant purement et simplement le contrat de toute substance,
- que son préjudice est constitué par le manque à gagner que la société Laplace lui a fait subir, par la perte définitive pour l'avenir de toutes les commissions auxquelles il aurait pu légitimement prétendre et par la disparition de la valeur économique que représente le contrat d'agent commercial.
La société Laplace demande à la cour :
- de débouter M. Besson de ses demandes,
A titre infiniment subsidiaire,
- de fonder l'indemnité de rupture sur l'article L. 134-12 du Code de commerce,
- de réduire le montant de l'indemnité de rupture à la somme des deux dernières années de commissions soit la somme de 11 703,14 euro,
- de réduire les demandes au titre de paiement de commissions depuis 2007 à la somme de 6 569,80 euro,
En tout état de cause,
- de constater qu'elle a communiqué l'ensemble des documents comptables,
- d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a déboutée de sa demande reconventionnelle,
- de condamner M. Besson à lui verser la somme de 30 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi, outre celle de 4 500 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle soutient :
- que M. Besson a rompu le contrat en cessant du jour au lendemain d'exécuter ses obligations sans prévenir, sans notifier son intention de rompre et sans respecter de délai de préavis de 3 mois de l'article L. 134-11 du Code de commerce,
- que M. Besson entend en réalité imputer à la société Laplace le ralentissement économique (mondial) commencé en 2008 et obtenir dédommagement de cette crise économique sans précédent,
- que les difficultés soulevées par M. Besson sont " banales " et communes à toutes les entreprises concurrentes,
- qu'elles n'ont pas été cumulativement supportées, s'étalant sur de nombreuses années, et s'étant produites de façon espacée,
- qu'elles ont toutes été solutionnées et qu'aucun client n'a cessé de collaborer avec elle,
- que la quasi-totalité des pièces produites par M. Besson sont de prétendus fax, non accompagnés de leur accusé de réception, et pour lesquels aucune vérification n'est possible,
- qu'elle a versé et communiqué tous les documents relatifs à ses clients et commandes,
- que les commissions étant la contrepartie de l'exécution du mandat, elles ne sont plus dues lorsque l'agent a cessé d'exécuter le mandat,
- que l'expertise sollicitée à titre subsidiaire par M. Besson n'aboutirait à aucun résultat et serait disproportionnée au regard de l'enjeu du litige,
Motifs
Sur le cadre juridique de l'affaire
Au terme de l'article L. 134-11 du Code de commerce, lorsque le contrat est à durée indéterminée, chaque partie peut y mettre fin moyennant un préavis.
Aux termes des articles L. 134-12 et L. 134-13 du Code de commerce, en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi. La réparation n'est pas due notamment lorsque la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial ou lorsque la cessation du contrat résulte de l'initiative de l'agent à moins que cette cessation ne soit justifiée par des circonstances imputables au mandant.
Il résulte des pièces communiquées et des écritures des parties que c'est M. Besson qui a pris l'initiative d'une cessation complète et définitive des relations contractuelles en ne représentant plus la société Laplace auprès de la clientèle à compter de fin 2010, alors que la société Laplace ne lui a jamais fait interdiction de le faire.
Il convient dès lors de rechercher en application des textes sus visés si la cessation des relations contractuelles à l'initiative de M. Besson était justifiée à cette date par des circonstances imputables à la société Laplace.
Sur les griefs invoqués par M. Besson pour justifier la cessation de ses diligences auprès de la clientèle
Sur l'absence ou l'insuffisance de communication par la société Laplace d'informations et de concertation, et d'encadrement et d'animation :
M. Besson produit un courrier du 31 juillet 2007 aux termes duquel la société Laplace lui explique les raisons pour lesquelles des perturbations sont intervenues dans le processus d'expédition au cours des mois de mars et avril 2007 et les décisions prises par la société pour y remédier.
Une rencontre au siège social lui était proposée.
Il en résulte que M. Besson a bien été informé des changements d'organisation logistiques de l'entreprise.
De même, M. Besson produit la copie d'un mail de Mme Alexandra Robert, informant les commerciaux de ce que : "aucune commande inférieure à 600 euro ne doit partir en province".
S'il est exact que M. Besson ne figure pas dans la liste des destinataires de ce message, il apparaît cependant que ce courriel a fait l'objet d'un envoi par télécopie du même jour, soit le 2 mars 2011 à 18h57.
Cette décision qui a généré un certain mécontentement des clients et de M. Besson, a cependant été expliquée et justifiée par la société Laplace aux termes de ses courriers, par le renchérissement des frais de transport.
De surcroît, les livraisons pour des commandes inférieures à 600 euro restaient permises avec une participation du client aux frais de port.
En tout état de cause, dans un courrier de son conseil du 11 mars 2011, M. Besson fait état de cette décision, ce dont il résulte qu'il en a bien été tenu informé dans les meilleurs délais.
Pour le surplus, les griefs de M. Besson ne peuvent résulter de simples courriers de sa part en l'absence de toutes autres pièces, dès lors que ces griefs sont formellement réfutés par la société Laplace, notamment aux termes de ses courriers d'août 2010, mars 2011, juin 2011 et juillet 2011.
Sur les commandes tardives, ou incomplètes et les livraisons défectueuses :
M. Besson produit des courriers qu'il a adressés à la société Laplace signalant des erreurs de livraison ou de facturation.
Ces pièces ne démontrent cependant pas que ces erreurs ont représenté un pourcentage excessif au regard du volume d'activité de M. Besson, ni que ces erreurs ont entravé significativement l'activité de M. Besson, un seul client ayant manifesté son intention de ne plus faire commerce avec la société Laplace en raison d'erreurs de livraisons récurrentes.
Aux termes de son courrier du 31 juillet 2007, la société Laplace fait part à M. Besson qu'une analyse sur la période des semaines 19 à 24 a donné les résultats suivants :
- 734 commandes expédiées sur la province,
- 10 pbs internes (erreurs de préparaton, rupture de produits) soit 98,6 % de conformité,
- 30 pbs de transport (vol, casse...) soit 95,9 % de conformité.
La société Laplace étant importatrice de produits alimentaires (2200 références en magasin), est elle-même tributaire des aléas liés à ses fournisseurs (rupture de stock) ou aux transports (vols de marchandises, détérioration des emballages).
Les éléments invoqués par M. Besson sont donc insuffisants à établir un laxisme systématique de la société Laplace dans les livraisons des commandes susceptible d'avoir entravé son activité d'agent commercial.
Sur la non-communication par la société Laplace des informations relatives aux opérations réalisées sur son secteur :
Aux termes de l'article R. 134-3 du Code de commerce, l'agent commercial a le droit d'exiger de son mandant qu'il lui fournisse toutes les informations, en particulier un extrait des documents comptables nécessaires pour vérifier le montant des commissions qui lui sont dues.
En l'espèce, la société Laplace produit en pièces 7, 22 et 23 des copies de pièces comptables, notamment un relevé du chiffre d'affaire cumulé 2011 et 2010 du secteur de M. Besson.
Dans un courrier adressé au conseil de M. Besson (l'APAC), la société Laplace indique avoir adressé lors d'un précédent courrier " copies des fax et accusés de réception de toutes les statistiques envoyées à M. Besson chaque début de mois pour qu'il puisse établir ses factures".
La société Laplace n'est pas contredite lorsqu'elle fait observer que les factures de M. Besson sont datées au minimum du 2 et au maximum du 10 du mois suivant.
En conséquence le grief invoqué n'est pas démontré.
Sur les griefs de la société Laplace à l'égard de M. Besson
* Sur le comportement inadapté de M. Besson :
La société Laplace justifie que M. Besson a eu une conversation téléphonique avec des personnels de la société Laplace, que ces derniers ont qualifiée d'incorrecte.
Cependant, la société Laplace n'a adressé à M. Besson aucun avertissement et a poursuivi ses relations avec lui en privilégiant les relations épistolaires.
M. Besson a par la suite eu recours aux services d'un syndicat professionnel ce qui démontre une volonté de médiation.
Par ailleurs, le courrier d'un unique client se plaignant de l'attitude de M. Besson, ne peut constituer la preuve que M. Besson avait un comportement incompatible avec l'exercice de son mandat.
A contrario, la société Laplace indique que M. Besson avait noué des liens d'amitié avec certains clients, ce qui caractérise plutôt un tempérament équilibré.
* sur l'absence de préavis
Aucune des deux parties n'ayant notifiée à l'autre la rupture du contrat, il ne peut être reproché à M. Besson de n'avoir pas respecté un préavis.
La société Laplace n'a d'ailleurs adressé aucune lettre en ce sens à M. Besson et s'est satisfait cette situation ambigüe.
Conclusion sur la résiliation judiciaire du contrat
En l'absence de motifs légitimes, M. Besson ne pouvait suspendre l'exécution de ses obligations.
La société Laplace est donc bien fondée à demander la rupture du contrat du contrat aux torts de M. Besson.
Les demandes d'indemnisation de ce dernier en réparation du préjudice subi du fait de la perte de sa clientèle ne peuvent donc qu'être rejetées.
Sur la demande relative aux commissions
M. Besson ayant sans motif légitime cessé de remplir sa mission commerciale auprès des clients de son secteur, la société Laplace était bien fondée à ne pas verser à M. Besson les commissions relatives aux opérations éventuellement réalisées à compter de la rupture des relations, sur le secteur de M. Besson.
M. Besson sera donc débouté de sa demande à titre de rappel forfaitaire de commissions, et au titre du manque à gagner subit par lui.
Sur la demande de dommages et intérêts de la société Laplace
La société Laplace soutient qu'en l'absence de rupture du contrat par M. Besson, elle a respecté la clause d'exclusivité dont bénéficiait M. Besson et n'avoir mandaté aucune personne sur son secteur pour la représenter et que cette situation est à l'origine d'un manque à gagner.
Cependant, la société Laplace avait la possibilité de notifier la rupture du contrat à M. Besson, en invoquant l'inexécution par ce dernier de ses obligations, quelle qualifie elle-même dans ses conclusions de " manquement grave", sous le contrôle ultérieur de la juridiction saisie.
De surcroît, la société Laplace n'a adressé à M. Besson aucune mise en demeure depuis fin 2010, d'avoir à reprendre ses activités commerciales, se satisfaisant ainsi de la situation comme il a été dit.
Par ailleurs, la société Laplace sollicite la somme forfaitaire de 30 000 euro correspondant à une perte de chiffre d'affaire, alors que son préjudice ne pourrait être constitué que d'une perte de marge sur le chiffre d'affaire attendu et non réalisé par M. Besson.
En outre, il n'est pas établi que la perte de chiffre d'affaire sur le secteur de M. Besson soit imputable à la défaillance de ce dernier, alors qu'elle soutient dans ses écritures que M. Besson entendait en réalité lui imputer " le ralentissement économique (mondial) commencé en 2008 et obtenir dédommagement de cette crise économique sans précédent", ce dont il résulte que le lien de causalité entre la rupture des relations avec M. Besson et la baisse alléguée du chiffre d'affaire n'est pas certain.
Il sera également relevé qu'elle indique " qu'à l'exception d'un seul client, l'intégralité de la clientèle de M. Besson est restée".
Il résulte de ces éléments, que la société Laplace ne démontre pas avoir subi un préjudice imputable de manière certaine et directe à la défaillance de M. Besson, qu'elle n'a pas jugé utile de mettre en demeure en temps utile et qu'elle n'a pas souhaité remplacer, alors cependant qu'elle considérait qu'il commettait un manquement grave à ses obligations en cessant ses activités de prospection de la clientèle.
La société Laplace sera donc déboutée de sa demande de dommages et intérêts.
Sur l'article 700 du Code de procédure civile
L'équité commande de ne pas de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : LA COUR, - Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, - Déboute les parties de leurs demandes, - Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel, - Condamne M. Lucien Besson aux dépens, avec le droit pour la société d'avocats Séverine Martin de recouvrer directement ceux des dépens dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision, dans les termes de l'article 699 du Code de procédure civile, sur son affirmation de droit.