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Décisions

CA Chambéry, ch. civ. sect. 1, 20 novembre 2012, n° 11-02077

CHAMBÉRY

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Domaine Viallet (EARL)

Défendeur :

Sica Les Vignerons des Terroirs de Savoie (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Billy

Conseillers :

MM. Leclercq, Morel

Avocats :

SCP Legi Consultants, SCP Fillard Cochet-Barbuat, SCP Boisson, Associes, Me Dormeval

T. com. Chambéry, du 4 mai 2011

4 mai 2011

Faits et procédure

La société coopérative Sica Les Vignerons des Terroirs de Savoie a été créée en 1988.

Elle achète tout ou partie de leur production à ses membres associés selon des conditions de vente qui sont fixées par son règlement intérieur, stocke le vin en vrac, le traite, le filtre puis le revend à des sociétés commerciales.

Parmi ses membres, elle compte notamment la société EARL Domaine Viallet.

Par acte du 10 mars 2010 l'EARL Domaine Viallet a assigné la société Sica Les Vignerons des Terroirs de Savoie devant le Tribunal de commerce de Chambéry.

La discussion portait sur les modalités de paiement des factures 2010 émises par l'EARL qui prétendait que les mensualités de remboursement devaient rétroactivement courir à compter du premier janvier 2010, alors que la Sica se prévalait de son règlement intérieur selon lequel les mensualités ne couraient qu'à compter de l'enlèvement du vin.

Dans le dernier état de ses conclusions devant les premiers juges, l'EARL demandait principalement la condamnation de la Sica Les Vignerons des Terroirs de Savoie à lui payer la somme de 168 033,97 euros en se prévalant de ce que la Sica ne pouvait déroger contractuellement au délai de paiement d'ordre public de 45 et 60 jours institué par l'article L. 441-6 du Code de commerce , de sorte que toutes les factures émises étaient échues, et, subsidiairement de la condamner à lui régler toutes les sommes dues et non contestées au titre des contrats des 28 janvier et 11 février 2010, en se prévalant du caractère rétroactif au premier janvier 2010 du contrat du 11 février 2010.

Par jugement du 4 mai 2011 le tribunal a débouté l'EARL Domaine Viallet de toutes ses demandes, rejeté la demande reconventionnelle de dommages et intérêts pour procédure abusive et condamné l'EARL au paiement d'une somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile .

Le tribunal a estimé que l'article L. 441-6 ne s'appliquait pas à la relation coopérative / associé laquelle était régie par le règlement intérieur prévoyant les modalités de remboursement dont se prévalait la Sica Les Vignerons des Terroirs de Savoie.

L'EARL Domaine Viallet a relevé appel de ce jugement.

Toutes les factures litigieuses ont été réglées dans les délais dont se prévalait la société coopérative.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

L'EARL Domaine Viallet demande à la cour :

- de réformer le jugement,

- de dire illicite le règlement intérieur comme contraire aux dispositions de l'article L. 141-6 du Code de commerce ,

- de condamner la société Sica Les Vignerons des Terroirs de Savoie à lui payer les intérêts de retard au taux légal depuis la date d'échéance des factures, soit le 31 mai 2010, le 30 juin 2010 et le 30 septembre 2010,

- de la condamner à lui payer la somme de 101.640,30 euros au titre du solde de la facture n° 62 du 24 janvier 2012, outre intérêts au taux légal à compter du 15 mars 2012, cette demande en paiement n'étant pas nouvelle,

- de dire que la société Sica LES VIGNERONS DE SAVOIE a engagé sa responsabilité en payant ses factures dans des conditions non conformes à la loi,

- de la condamner à lui payer la somme de 3.317,18 euros correspondant aux intérêts du prêt de 30 000 euros qu'elle a souscrit pour faire face à ses besoins de trésorerie ainsi que la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice subi,

- d'ordonner la capitalisation annuelle des intérêts,

- de débouter la Sica LES VIGNERONS DE SAVOIE de toutes ses demandes,

- de la condamner à lui payer la somme de 7 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile .

Elle fait valoir :

- que les délais de paiement imposés par le règlement intérieur de la Sica, soit 12 mensualités à compter de la date d'enlèvement, sont frappés de nullité absolue comme contraires aux dispositions d'ordre public de l'article L. 441-6 du Code de commerce selon lesquelles aucun délai de paiement, y compris conventionnel, ne peut excéder 45 jours fin de mois ou 60 jours à compter de la date d'émission de la facture,

- que bien que les factures concernées aient été à présent toutes payées, il n'en demeure pas moins que la société Sica lui doit les intérêts de retard depuis leur date d'échéance,

- qu'en outre la société Sica lui est redevable d'une somme de 101.640,30 euros au titre du solde constaté au 31 juillet 2012 d'une facture émise le 24 janvier 2012, non intégralement payée, cette demande n'étant pas nouvelle puisqu'elle tend aux mêmes fins que celle développée en première instance et qu'elle était virtuellement comprise dedans,

- qu'elle a subi un préjudice financier en raison du comportement illégal de la Sica, ayant vendu la totalité de sa récolte sans être intégralement payée, de sorte qu'elle a dû recourir à un prêt de 30 000 euros pour faire face à ses besoins de trésorerie, dont elle est fondée à lui réclamer le remboursement des intérêts, soit 3.317,18 euros outre une somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral, étant précisé qu'il ne s'agit pas d'une demande nouvelle puisque le règlement des factures par la Sica constitue un fait nouveau autorisant la formulation de cette prétention indemnitaire virtuellement comprise dans la demande initiale.

La société coopérative Sica Les Vignerons des Terroirs de Savoie demande à la cour :

- de dire irrecevables les demandes formulées par l'EARL Domaine Viallet,

- en tout état de les rejeter comme non fondées,

- de condamner l'EARL Domaine Viallet à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ainsi que la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile .

Elle fait valoir :

- que les demandes formées par l'EARL Domaine Viallet devant la cour sont nouvelles, donc irrecevables,

- qu'en tout état ces demandes sont mal fondées puisque l'article L. 441-6 du Code de commerce ne s'applique qu'aux fournisseurs, distributeurs ou prestataires de services dans leurs relations avec leurs clients, ce qui n'est pas le cas en l'espèce puisqu'elle est une société coopérative regroupant des viticulteurs qui y adhérent volontairement et qu'elle ne traite qu'avec ceux-ci selon des modalités prévues dans le règlement intérieur adopté à l'unanimité des associés, de sorte qu'il n'y a pas de relation client / fournisseur distributeur mais une relation personne morale / associé,

- qu'elle n'a fait qu'appliquer le règlement intérieur qui prévoit la rémunération des apports en vins finis en 12 mensualités à compter de la date d'enlèvement, et que, dans ce cadre elle a parfaitement respecté son obligation de paiement des factures,

- qu'en tout état la preuve d'un lien de causalité entre la faute et le préjudice allégués n'est pas rapportée.

MOTIFS

Attendu que la demande en paiement des intérêts de retard au taux légal depuis la date d'échéance des factures, formée par l'appelante n'est pas nouvelle, puisqu'elle n'est que l'accessoire de la demande en paiement présentée en première instance ;

Que sa demande en paiement de la somme de 101.640,30 euros au titre du solde de la facture n° 62 du 24 janvier 2012, outre intérêts, n'est pas non plus nouvelle, puisque, sous tendue par le même fondement, elle n'est que le complément de la demande en paiement formée devant les premiers juges ;

Que ces demandes sont donc recevables ;

Attendu qu'à l'appui de ces demandes l'EARL Domaine Viallet soutient que les dispositions d'ordre public de l'article L. 441-6 du Code de commerce selon lesquelles aucun délai de paiement, y compris conventionnel, ne peut excéder 45 jours fin de mois ou 60 jours à compter de la date d'émission de la facture, font obstacle à l'application de l'article 6.2 du règlement intérieur de la Sica Les Vignerons des Terroirs de Savoie qui prévoit que la rémunération des apports en vins finis est effectuée en 12 mensualités à compter de la date d'enlèvement ;

Mais attendu que l'article L. 441-6 du Code de commerce ne s'applique qu'aux relations entre producteurs, prestataires de services, grossistes ou importateurs et acheteurs de produits ou demandeurs de prestations de services, alors qu'en l'espèce il s'agit de rapports entre une société coopérative et l'un de ses associés dans le cadre de son objet tel que défini par ses statuts ;

Que les dispositions de son règlement intérieur, approuvé à l'unanimité de ses associés lors de l'assemblée générale du 31 mars 2005 s'applique donc aux relations entre les parties, objet du présent litige ;

Qu'en ce qui concerne la facture du 24 janvier 2012, il ressort de l'extrait de compte produit, que l'échéancier prévu par le règlement intérieur est respecté ;

Attendu, par conséquent, qu'il y a lieu de rejeter toutes les demandes formées par l'appelante

Attendu que, faute de préjudice établi, il ne peut être fait droit à la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive formée par l'intimée ;

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, Dit recevables les demandes en paiement d'intérêts de retard au taux légal et de la somme de 101 640,30 euros outre intérêts, formées par l'EARL Domaine Viallet, Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris, Rejette les demandes formées par l'EARL Domaine Viallet, Condamne l'EARL Domaine Viallet à payer à la Sica Les Vignerons des Terroirs de Savoie la somme de 1 000 euros en dédommagement de ses frais irrépétibles d'appel, Rejette toutes autres demandes, Condamne l'EARL Domaine Viallet aux dépens d'appel, dont distraction au profit de la SCP Fillard Cochet Barbuat.