CA Pau, 1re ch., 12 janvier 2012, n° 10-05065
PAU
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Canadell (SAS)
Défendeur :
Paragon Transaction (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Castagne
Conseillers :
M. Augey, Mme Beneix
Avocats :
SCP De Ginestet / Duale / Ligney, SCP Marbot / Crepin, Mes Alos, Cambot, Solignac
La SA Paragon Transaction a pour activité la création et la fabrication de documents publicitaires d'entreprises.
Par convention du 23 novembre 2006, la société d'ameublement Socamob lui a passé une commande portant sur 4000 exemplaires d'une brochure moyennant un prix de 21 000 euro hors taxes.
Les prestations prévues à la convention étaient les suivantes : " prestation complète comprenant la création, la rédaction, l'exécution, les traductions, les bons à tirer, la fabrication et la livraison, livraison janvier 2007, modalités de paiement 90 jours le 10 ".
Il n'est pas contesté que des acomptes d'un montant respectif de 10 000 euro et 4 000 euro ont été réglés par la SA Socamob les 4 avril et 5 juillet 2007.
La société Socamob a soutenu que la SA Paragon Transaction ne lui a jamais fait parvenir les conditions générales de vente fixant les modalités et les conditions d'exécution de ses prestations, qu'elle a unilatéralement modifié le prix pour le porter à 24 980 euro hors taxes, ainsi que la date de livraison fixée au 30 avril 2007.
Elle ajoute qu'en violation des engagements pris par l'imprimeur le 27 octobre 2007, elle ne lui a pas livré les brochures.
Après lui avoir adressé le 1er avril 2008 une lettre portant sur le remboursement de l'acompte, elle a fait assigner la société Paragon Transaction devant le Tribunal de commerce de Tarbes par acte d'huissier du 16 mars 2009, afin de résolution du contrat conclu le 23 novembre 2006, de restitution des acomptes versés, et de condamnation au paiement d'une somme de 20 000 euro à titre de dommages-intérêts.
Par jugement du 25 octobre 2010, cette juridiction a rejeté l'exception d'incompétence territoriale présentée par la SA Paragon Transaction, jugé que la convention conclue entre les parties s'analyse comme un contrat d'entreprise à exécution successive comportant deux phases, de pré-impression puis d'impression des documents, que la SA Paragon Transaction a respecté ses obligations contractuelles relatives à l'exécution de la phase de pré-impression, et que le retard constaté est imputable à la société Socamob.
Le tribunal a prononcé la résiliation du contrat pour l'avenir, jugé que les sommes versées par la société Socamob correspondent au paiement des travaux de pré-impression qui ont été effectués, et condamné la société demanderesse au paiement d'une indemnité de 2 000 euro pour frais irrépétibles.
Par déclaration au greffe du 16 décembre 2010, la SAS Canadell, venant aux droits de la société Socamob, a relevé appel de ce jugement.
Dans ses dernières conclusions du 24 juin 2011, elle a conclu à la réformation de cette décision, au prononcé de la résolution du contrat du 23 novembre 2006, et à la condamnation de l'intimé au paiement de la somme de 14 000 euro, outre 20 000 euro à titre de dommages-intérêts en réparation de la perte d'une chance certaine de pouvoir diffuser ses brochures et de les présenter auprès de clients existants et potentiels, et de paiement d'une indemnité de 4 000 euro pour frais irrépétibles.
Elle a conclu tout d'abord au rejet de l'exception d'incompétence territoriale soulevée par la société Paragon Transaction, au motif que la clause de compétence d'attribution au profit du Tribunal de commerce de Nevers doit être réputée non écrite, puisqu'elle figure dans les conditions générales de vente sous une clause de réserve de propriété, qu'elle est libellée en caractères minuscules au verso de la convention, lequel n'a été ni signé ni paraphé.
Elle soutient que la clause d'attribution de compétence ne peut être opposée qu'à une partie qui en a eu connaissance et qui l'a acceptée au moment de la formation du contrat, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
Elle prétend sur le fond que la convention litigieuse du 23 novembre 2006 doit s'analyser comme un contrat de vente et non de louage d'ouvrage, puisqu'elle porte sur des choses déterminées à l'avance tant sur leur qualité (papier, impression, finition, format, façonnage et paquetage), que sur leur quantité, et que le prix a été définitivement fixé au moment de la signature, soit 21 000 euro hors taxes.
Elle fait valoir que l'intimée a manqué à son obligation d'information puisque la convention ne précise pas que les phases de création et de pré-impression seront séparées, et que chacune de ces prestations s'accomplira individuellement, moyennant un paiement séparé.
Elle s'appuie sur les dispositions de l'article L. 441 -6 du Code du commerce pour dire que les conditions générales de vente qui ne lui ont pas été communiquées ne peuvent être invoquées à son encontre que s'il est clairement établi qu'elle en aurait eu connaissance et qu'elle en aurait accepté les termes avant la conclusion du contrat.
Elle fait observer par ailleurs que la société Parangon Transaction a manqué à son obligation de délivrance et de loyauté, puisqu'elle ne lui a pas livré les marchandises commandées dans le délai contractuel fixé au mois de janvier 2007.
Elle soutient qu'elle a été mise devant le fait accompli en ce qui concerne le report de la date de livraison, alors que rien ne vient démontrer que la date contractuelle de livraison n'aurait été mentionnée qu'à titre indicatif.
Elle ajoute en s'appuyant sur les échanges de correspondance entre les parties qu'elle n'a jamais accepté le report du délai de livraison, même tacitement.
Pour ce qui est du prix, elle fait observer qu'il avait été fixé forfaitairement et définitivement à 21 000 euro hors taxes, et que la société Parangon Transaction ne peut donc solliciter le règlement d'un prix supérieur.
Elle déclare en définitive que le contrat de vente doit être résolu c'est-à-dire anéanti rétroactivement au motif qu'il n'a été exécuté qu'imparfaitement.
Dans ses dernières écritures déposées le 17 août 2011, la SA Paragon Transaction a soulevé tout d'abord l'incompétence territoriale de cette cour d'appel, et le renvoi de l'affaire devant la cour d'appel de Bourges en raison du lieu du siège de la concluante.
Elle fait valoir que cette clause figure explicitement dans les conditions générales de vente, qu'elle est parfaitement lisible et identifiable, que le nom de la juridiction est mentionné en lettres capitales, et elle s'appuie sur un arrêt de la Cour de cassation du 30 octobre 2006 pour dire que les dispositions de l'article 48 du Code de procédure civile qui valide une clause attributive de compétence lorsqu'elle est stipulée entre commerçants, dès lors que la juridiction est déterminable, ce qui est le cas en l'espèce.
Sur le fond, elle soutient que la convention passée entre les parties s'analyse en un contrat de louage d'ouvrage ou d'entreprise, au motif qu'elle a été chargée de concevoir et de fabriquer un bien personnalisé, à savoir des brochures, puis de les livrer, et qu'ainsi, elle était investie d'une obligation de donner, mais aussi de faire.
Elle expose qu'elle avait pour mission de concevoir et de créer une brochure, et que son contenu, ses couleurs, le nombre de photos, ainsi que le contenu des textes ne pouvaient pas être prévus, et que tous ces éléments ont fait l'objet de discussions puis d'un accord entre les parties.
Elle fait observer que ce processus est consubstantiel au milieu de l'édition et de l'impression, cette dernière phase étant toujours précédée d'une phase de composition et de mise en forme en accord avec le client.
Elle déclare par ailleurs qu'elle a exécuté les obligations mises à sa charge, à savoir dans un premier temps la conception, la création et la pré-impression d'une brochure, et que la mise en œuvre de la phase d'impression n'a pu aboutir en raison de la faute exclusive de l'appelant, laquelle avait accepté le report du délai de livraison qui n'avait été donné qu'à titre indicatif, ainsi que cela résulte clairement des correspondances échangées entre les parties.
Pour ce qui est de la communication des conditions générales de vente, elle fait valoir que l'article L. 441 -6 du Code du commerce prévoit certes l'existence de cette obligation, mais à la condition que le demandeur de prestation de service en fasse la demande, ce qui n'a pas été le cas en l'espèce, en ajoutant que cette communication peut s'effectuer par tout moyen conforme aux usages de la profession.
Elle fait observer à cet égard en s'appuyant sur les courriers adressés par la société Socamob, que celle-ci ne lui a jamais reproché jusqu'alors les manquements à ses obligations contractuelles, et qu'elle n'a formulé aucune critique sur la qualité de la plaquette et du projet qui lui avaient été soumis.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 20 septembre 2011.
. Motifs de l'arrêt
1) sur l'exception d'incompétence territoriale
L'article 48 du Code de procédure civile dispose que toute clause qui, directement ou indirectement, déroge aux règles de la compétence territoriale est réputée non écrite à moins qu'elle n'ait été convenue entre des personnes ayant toutes contracté en qualité de commerçant et qu'elle n'ait été spécifiée de façon très apparente dans l'engagement de la partie à qui elle est opposée.
En l'espèce, la convention litigieuse a été passée entre des parties ayant toutes la qualité de commerçant, mais la clause d'attribution de compétence au profit du Tribunal de commerce de Nevers, lieu du siège de la SA Paragon Transaction, est exclusivement mentionnée au verso de la convention, dans les conditions générales de vente, et elle est noyée au milieu d'un ensemble de stipulations écrites en caractères minuscules difficilement lisibles, sous une rubrique qui ne traite pas de la compétence territoriale, puisqu'il s'agit de la clause de réserve de propriété, et qu'au surplus la SAS Canadell n'a pas approuvé expressément ces conditions générales de vente en y apposant sa signature.
En conséquence, l'une des conditions requises par l'article 48 du Code de procédure civile n'est pas remplie, et il convient dès lors de rejeter cette exception d'incompétence territoriale.
2) sur la demande en résolution de la convention
Il résulte des pièces versées aux débats que suivant une convention du 23 novembre 2006, la société Canadell a souscrit auprès de la société Paragon Transaction un bon de commande portant sur 4 000 exemplaires d'une brochure contenant 16 pages intérieures et quatre pages de couverture, d'un format 21 x 27, façonnage 2 piqûres à cheval, sous film rétractable par 25 exemplaires, moyennant le paiement d'un prix hors taxes de 21 000 euro.
Le bon de commande stipule : " prestation complète comprenant la création, la rédaction, l'exécution, les traductions, les bons à tirer la fabrication et la livraison. Livraison janvier 2007, des modalités de paiement 90 jours le 10. "
a) sur la qualification du contrat
La simple lecture de cette convention met en évidence le fait qu'il ne s'agit pas d'une vente, mais d'une prestation consistant dans la conception et la fabrication d'un bien personnalisé, et que la livraison de ces brochures ne pouvait intervenir qu'à l'issue d'un travail d'élaboration qui a nécessité de nombreux échanges entre les parties sur son contenu, à savoir les couleurs, la forme, les langues utilisées, les textes, etc..
Il s'agit donc d'un contrat à exécution successive, entrant dans le champ d'application de l'article 1710 du Code civil relatif au louage d'ouvrage d'industrie.
3) sur l'exécution du contrat
- sur la date de livraison
Le contrat stipule que les brochures devaient être livrées au mois de janvier 2007.
La société Canadell soutient qu'il s'agit d'une date impérative qui n'a pas été respectée par la société Paragon.
La Cour observe d'une part que la société Canadell qui se prévaut de cette date n'a versé les premiers acomptes qu'aux mois d'avril et juillet 2007.
D'autre part, il ressort des échanges de correspondances entre les parties et notamment un courrier de la société Canadell du 24 octobre 2007, que tout en constatant l'existence d'un retard de livraison, la société Canadell n'a jamais remis en cause la convention ni demandé sa résolution, puisqu'au contraire dans ce courrier elle indique à la société Paragon qu'elle allait lui adresser le " bon à tirer " ainsi que le nombre des catalogues par langue.
D'autre part, au mois de mai 2007, la société Paragon avait adressé à la société Canadell une première version des textes et des commentaires devant figurer sur les brochures, et la société Canadell lui a retourné ces corrections ainsi que ces commentaires au mois de juin 2007 et les a transmis à fin de traduction le 11 juin 2007.
Il résulte de l'ensemble de ces courriers que la société Canadell a tacitement reconnu que la date de janvier 2007 n'était qu'indicative, et qu'elle a toujours manifesté sa volonté de poursuivre l'exécution de ce contrat jusqu'à son terme.
- sur le prix
Le contrat stipule un prix de 21 000 euro hors taxes.
La société Canadell soutient qu'il s'agit d'un marché à forfait et que le prix ne peut donc subir aucune augmentation sans son accord exprès.
Or, il ressort des échanges de courrier qu'alors que la phase de pré-impression des brochures était presque achevée, la société Canadell a souhaité modifier le cahier des charges, et cela ressort notamment d'un courrier télématique du 5 décembre 2007 dans lequel le responsable de la société Paragon a rappelé les modifications souhaitées par la société Canadell en lui indiquant qu'elles généreraient un surcoût de 5 570 euro hors taxes, et dans un second courrier du 14 décembre 2007, la société Paragon a rappelé à la société Canadell qu'elle ne pourrait procéder à l'impression des brochures sans délivrance d'un bon à tirer et de l'accord exprès sur le prix de la prestation.
Dans un courrier télématique du 21 décembre 2007 qui n'a pas été contesté dans le cadre de cette procédure, Mme Manceau, directeur administratif de la société Canadell, a déclaré " que nous acceptons le surcoût relatif à la modification du cahier des charges ".
En conséquence, il ressort manifestement de ces correspondances que le prix initial était indicatif, et que s'agissant d'une convention à exécution successive, les prestations ainsi que leurs coûts étaient susceptibles de modifications.
Dès lors, la contestation soulevée par la société Canadell relative au prix de la prestation ne pourra qu'être rejetée.
- sur le manquement à l'obligation de conseil
La société Canadell a soutenu que la société Paragon a manqué à son obligation d'information et de conseil à deux titres :
- en ne l'informant pas de l'existence de deux phases d'exécution du contrat, à savoir celle de pré-impression puis d'impression.
Ainsi qu'il a été jugé précédemment, il s'agissait d'un contrat à exécution successive comportant plusieurs phases, et la société Canadell en a convenu ainsi que cela résulte des correspondances échangées entre les parties portant sur l'élaboration de la brochure puis dans un deuxième temps son impression, puisqu'au terme des négociations et des échanges portant sur le contenu de ces brochures, la société Canadell a clairement indiqué dans un courrier du 24 octobre 2007 qu'elle " adresserait dans les prochains jours le bon à tirer " à la société Paragon.
- en ne lui remettant pas les conditions générales de vente, en violation des dispositions de l'article L. 441-6 du Code du commerce.
Il résulte de ce texte que tout prestataire de services est tenu de communiquer ses conditions générales de vente à tout demandeur de prestations qui en fait la demande.
Son application est donc subordonnée à la formulation d'une demande, mais la société Canadell n'a jamais sollicité la production de ce document à l'occasion des échanges et des négociations relatifs à l'élaboration de la plaquette.
Elle ne justifie pas plus d'un quelconque préjudice qui aurait pu résulter de l'absence de communication de ce document.
Elle sera donc déboutée des fins de sa demande tendant à la résolution du contrat fondée sur le manquement de la société Paragon à ses obligations, d'information et de conseil.
4) sur la résiliation ou la résolution du contrat
La société Paragon a justifié qu'elle a exécuté ses obligations, et qu'elle a accompli sa mission portant sur l'élaboration et la phase de pré-impression des brochures en tenant compte des demandes et des modifications sollicitées par la société Canadell, et que l'inexécution du contrat c'est-à-dire l'impression des 4 000 exemplaires de la brochure n'a pu être menée à son terme en raison de la seule carence de la société Canadell qui n'a pas donné suite à son engagement de délivrance du " bon à tirer " contenu dans son courrier du 24 octobre 2007.
L'inexécution du contrat est donc exclusivement imputable à la société Canadell.
Il convient dès lors de prononcer la résiliation de cette convention à ses torts exclusifs, de la débouter de l'ensemble de ses demandes, et de confirmer le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Tarbes le 25 octobre 2010.
5) sur les demandes présentées par la SA Paragon Transaction
Il convient de se référer au courrier du 24 octobre 2007 adressé par la société Canadell à la SA Paragon Transaction dans lequel celle-ci déclare que " nous vous confirmerons dans les prochains jours le " bon à tirer " et le nombre des catalogues par langue ".
Ce courrier dénué de toute ambiguïté traduit la volonté explicite de la société Canadell de poursuivre l'exécution de cette convention jusqu'à son terme.
Or il a été jugé que l'inexécution de cette convention lui est exclusivement imputable et qu'elle s'est rétractée sans aucun motif légitime.
La SA Paragon Transaction a donc subi une perte de chance très importante d'obtenir le montant correspondant au travail d'impression des brochures.
Il convient donc de réformer sur ce point le jugement du tribunal de commerce, et de condamner la SAS Canadell à lui payer une somme de 10 000 euro à titre de dommages-intérêts.
Il serait inéquitable de laisser à la charge de la SA Paragon Transaction les frais irrépétibles qu'elle a dû engager en cause d'appel ; la société Canadell sera condamnée à lui payer une indemnité de 3 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : LA COUR, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort. Confirme le jugement du Tribunal de commerce de Tarbes du du 25 octobre 2010, à l'exception du chef de dispositif relatif à la demande en dommages-intérêts présentée par la société Canadell, et statuant à nouveau sur ce point. Condamne la SAS Canadell à payer à la SA Paragon Transaction une somme de 10 000 euro (dix mille euros) à titre de dommages-intérêts. Condamne la SAS Canadell à payer à la SA Paragon Transaction une indemnité de 3 000 euro (trois mille euros) en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile. Déboute les parties de leurs autres demandes. Condamne la SAS Canadell aux dépens, et autorise la SCP Marbot - Crépin à recouvrer directement ceux d'appel, en application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.