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Décisions

CA Douai, 3e ch., 23 février 2012, n° 11-01950

DOUAI

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Angels'Sea La Mer des Anges (SARL)

Défendeur :

Association Course Croisière EDHEC

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Girot

Conseillers :

Mmes Barbot, Andre

TGI Lille, du 3 déc. 2010

3 décembre 2010

Vincent R, photographe professionnel exerçant sous la dénomination Angels'Sea Studio, et gérant de la SARL Angels'Sea La Mer des Anges (ci-après société Angels'Sea) depuis 2006, a fait assigner l'association Course Croisière EDHEC par acte du 25 mars 2010, se plaignant de la rupture brutale de leurs relations commerciales, aux fins d'obtenir le paiement de dommages et intérêts.

L'association Course Croisière EDHEC n'a pas constitué avocat.

Selon jugement réputé contradictoire du 3 décembre 2010, le Tribunal de grande instance de Lille a débouté la société Angels'Sea de toutes ses demandes et l'a condamnée aux dépens.

La société Angels'Sea a formé appel de cette décision le 17 mars 2011, et par ses dernières conclusions signifiées le 21 septembre 2011, elle demande à la Cour, par réformation, au visa des articles 1382, 1134 du Code civil et L. 442-6 alinéa 5 du Code de commerce, de :

- constater la faute de l'association Course Croisière EDHEC ;

- condamner l'association Course Croisière EDHEC au paiement des sommes suivantes :

* 20 528 Euros à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation, sauf à parfaire ;

* 10 264 Euros à titre de préavis, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation, sauf à parfaire ;

* 5 000 Euros en réparation du préjudice moral de Vincent R ;

- rejeter l'ensemble des prétentions de l'association Course Croisière EDHEC ;

- ordonner la capitalisation des intérêts année par année conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil ;

- condamner l'association Course Croisière EDHEC au paiement de la somme de 5 000 Euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Au soutien de son appel, elle expose que Vincent R couvrait à titre exclusif depuis plusieurs années la course croisière organisée par l'EDHEC de Lille, par le biais de son association Course Croisière EDHEC, en avril de chaque année ; que la prestation assurée comprenait une couverture photographique exclusive de cet événement depuis 2001, et un plan de communication incluant notamment l'élaboration de plusieurs plaquettes et de l'affiche, depuis 2002 ; qu'avant 2007, aucun contrat écrit n'avait été finalisé.

Elle soutient que pour des raisons inconnues, ces relations contractuelles régulières ont été rompues par un simple appel téléphonique de l'association Course Croisière EDHEC au mois de mars 2008.

Elle indique fonder sa demande sur l'article L. 442-6 du Code de commerce, soutenant que l'association Course Croisière EDHEC s'est comportée dans ses relations avec elle comme une commerçante, puisque l'organisation de la course est une activité lucrative. Elle estime que la brutalité de la rupture de leurs relations commerciales anciennes, sans motifs, engage la responsabilité de l'association, et souligne que cette rupture a été notifiée quelques jours seulement avant le début de l'édition 2008 de la course.

Elle indique que si la cour considérait que l'article L. 442-2 n'est pas applicable à l'espèce, l'association n'a pas exécuté de bonne foi le contrat et qu'elle a failli à ses obligations tant sur le fondement des articles 1134 et 1147 que sur celui de l'article 1382 du Code civil.

Quant à ses préjudices, elle soutient que cet événement représentait 50 à 60 % de son chiffre d'affaire annuel ; qu'au vu de cette rupture, la banque qui soutenait son activité a décidé de rompre ses concours ; qu'elle n'a plus été en mesure de respecter ses obligations envers la banque qui l'a assignée en paiement ; que son activité est donc purement et simplement paralysée du fait de la faute de l'association Course Croisière EDHEC.

Enfin, elle réclame l'indemnisation du préjudice moral subi par son gérant, Vincent R, qui a connu un passage dépressif nécessitant un suivi psychologique.

Aux termes de ses conclusions signifiées le 23 août 2011, l'association Course Croisière EDHEC sollicite le rejet de toutes les prétentions émises par la société Angels'Sea et la confirmation du jugement déféré, ainsi que la condamnation de l'appelante à lui verser les sommes de 2 000 Euros pour procédure abusive et de 1 600 Euros à titre d'indemnité procédurale.

Elle expose que selon deux conventions, elle a confié à la société Angels'Sea des prestations à durée déterminée portant sur la prise de photographies à l'occasion de la 39e course croisière de l'EDHEC, du 14 au 21 avril 2007, et sur la mise en œuvre d'un plan de communication de la 40e édition de cette course, devant se dérouler en avril 2008. Elle a en début d'année 2008 lancé un appel d'offre pour la réalisation du plan de communication de la 41e édition, a consulté la société Angels'Sea avec d'autres prestataires et lui a fait connaitre début février 2008 qu'elle ne retenait pas son offre.

Sur les fondements juridiques invoqués par l'appelante, elle observe que l'action fondée sur l'article L. 442-3 du Code de commerce est de nature quasi-délictuelle et reproche à la SARL Angels'Sea d'agir cumulativement sur les fondements de la responsabilité quasi-délictuelle et de la responsabilité contractuelle.

Elle ajoute qu'en qualité d'association, elle n'a pas la qualité de producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des Métiers, de sorte que l'article L. 442-3 ne peut lui être opposé.

Quant aux relations commerciales avec la société Angels'Sea, elle conteste l'existence de relations établies, s'agissant d'une société créée le 4 avril 2006, qui entretient la confusion entre elle et la personne de son gérant. Elle souligne l'absence de pérennité dans leurs relations dès lors qu'il n'y a eu que deux contrats à durée déterminée pour des prestations ponctuelles.

Elle conteste la brutalité alléguée dans la rupture compte-tenu de l'appel d'offres en janvier 2008 pour un plan de communication de l'édition devant se dérouler plus d'un an après, et estime que cet appel d'offres équivaut au délai de juste préavis prévu par l'article L. 442-6 du Code de commerce.

Enfin, elle observe que seul le préjudice découlant du non-respect d'un préavis est susceptible d'être réparé, et non le préjudice découlant de la rupture elle-même, et que la SARL Angels'Sea ne justifie pas de son taux de marge brute qui permettrait de calculer son indemnisation.

Quant au préjudice moral de Vincent R, elle réplique que ce dernier n'est pas partie à titre personnel à cette procédure.

SUR CE :

Sur l'application de l'article L. 442-6 du Code de commerce

Attendu que la société Angels'Sea fonde son action sur l'article L. 442-6,5° du Code de commerce, selon lequel " tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers" engage sa responsabilité en cas de rupture brutale de relations commerciales établies ;

Attendu que l'association Course Croisière EDHEC sollicite la confirmation de la décision entreprise en ce qu'elle a relevé que la qualification de commerçant ne lui était pas applicable ;

Attendu que la société Angels'Sea réplique que l'association Course Croisière EDHEC s'est comportée comme un commerçant puisque l'organisation de la course est une activité lucrative ; que l'article susvisé lui est donc applicable ;

Attendu que l'association Course Croisière EDHEC est une association soumise à la loi du 1erjuillet 1901 et se caractérise par son but non lucratif, ce qui fait présumer qu'elle n'a pas la qualité de commerçante ; qu' il ne lui est toutefois pas interdit de réaliser des bénéfices et des actes de commerce, sans pour autant qu'elle acquiert automatiquement cette qualité ; que la société Angels'Sea qui soutient qu'elle doit être considérée comme commerçante ne peut se contenter de faire observer que l'association réalise des bénéfices et accomplit des actes de commerce pour en rapporter la preuve ; qu'elle ne démontre pas que l'association répondrait aux critères légaux et jurisprudentiels qui feraient d'elle un commerçant ;

Que c'est donc à bon droit que le premier juge a considéré que la société Angels'Sea ne pouvait opposer l'article L. 442-6,5° du Code de commerce à l'association Course Croisière EDHEC ;

Sur le fondement subsidiaire de l'action de la SARL Angels'Sea

Attendu que la société Angels'Sea qui subsidiairement demande à la Cour de constater que la rupture reprochée à l'association Course Croisière EDHEC est de nature contractuelle, dont la brutalité est constitutive d'une faute, et de dire qu'en tout état de cause elle n'a pas exécuté de bonne foi les contrats, peut invoquer également à titre subsidiaire un fondement délictuel mais non cumuler ces deux régimes de responsabilités, ce qu'elle ne réclame pas aux termes de ses écritures ;

Attendu qu'il résulte des seuls documents contractuels versés aux débats que la société Angels'Sea s'était engagée par deux conventions signées en 2007 à assurer deux types de prestations, l'une portant sur la couverture photographique de la 39e course en avril 2007, avec l'association Course Croisière EDHEC, l'autre portant sur la mise en œuvre du plan de communication de la 40e course devant se dérouler en avril 2008 ;

Attendu que s'agissant de contrats à durée déterminée ayant été exécutés sans qu'aucune des parties n'allègue une inexécution par l'autre de ses obligations contractuelles, la société Angels'Sea ne peut se prévaloir d'un manquement de l'association Course Croisière EDHEC à l'une quelconque de ses obligations sur le fondement des articles 1134 et 1147 du Code civil ;

Attendu que toute responsabilité contractuelle étant exclue, elle peut solliciter la réparation sur le fondement de l'article 1382 du Code civil d'une éventuelle rupture fautive par l'association Course Croisière EDHEC de leurs relations commerciales ;

Attendu que la société Angels'Sea soutient qu'elle était en relation contractuelle régulière avec l'association Course Croisière EDHEC depuis 2001 ;

Attendu que si Vincent R, gérant de la SARL Angels'Sea, n'a constitué sa société qu'en février 2006, il a à titre personnel assuré pour les années antérieures diverses prestations rémunérées pour l'association Course Croisière EDHEC ; qu'en effet l'appelante produit :

- des relevés de comptes bancaires au nom de Vincent R démontrant les virements de l'association Course Croisière EDHEC (identifié sous la dénomination "CCE" ou Course croisière") à son profit pour des montants variant de 1 554,80 à 7 774 Euros , en septembre 2003, octobre, novembre et décembre 2004, décembre 2005, août, octobre, novembre et décembre 2006, janvier et juin 2007 ;

- diverses affiches et plaquettes portant le logo Angels'Sea Studio ou Vincent R pour la promotion des éditions 2005 à 2008 ;

- les deux conventions signées par la SARL Angels'Sea et l'association en 2007 ;

Attendu que l'existence de relations contractuelles n'est en revanche pas démontrée avant 2003 par les seules remises de chèques sur le compte de Vincent R, ne permettant pas d'identifier le tireur comme étant l'association Course Croisière EDHEC ;

Attendu que ces pièces démontrent l'existence de relations commerciales régulières et établies depuis 2003 entre l'association Course Croisière EDHEC et Vincent R, puis la SARL Angels'Sea créée en 2006 et dont il est gérant ; que la modification du cadre juridique d'activité n'empêche pas la SARL Angels'Sea de se prévaloir de la durée de ces relations ; qu'il n'est nullement nécessaire pour que ces relations soient caractérisées qu'elles reposent sur des contrats écrits et signés des parties ; qu'eu égard à la régularité avec laquelle les relations contractuelles ont été reconduites d'année en année, la SARL Angels'Sea était en droit de s'attendre à ce que pour la couverture photographique de l'édition 2008 de la course et le plan de communication de l'édition 2009, il soit à nouveau fait appel à ses services ;

Attendu que l'association Course Croisière EDHEC reconnait aux termes de ses écritures qu'en février 2008 elle l'a informée oralement de la fin de leurs relations pour l'avenir et en tous les cas qu'elle ne lui confierait pas la réalisation du plan de communication de la 41e course qui devait se dérouler en avril 2009 ; qu'elle ne fait état d'aucun grief justifiant le motif de la rupture de ces relations sans préavis ;

Que cependant, elle ne justifie pas d'une information quelconque en ce sens à la société Angels'Sea au mois de février 2008 ; qu'il convient donc de retenir que la rupture des relations n'a été notifiée qu'en mars 2008 ainsi que l'indique l'appelante ;

Attendu qu'il résulte des termes des deux contrats signés entre les parties pour le premier d'entre eux le 6 avril 2007, pour le second au cours de l'année 2007, à une date non précisée, que :

- le plan de communication pour l'édition 2008 devait être conçu pour le 30 juillet 2007, et était payable par dix versements d'un montant total de 15 548 Euros entre mai 2007 et février 2008 ;

- la couverture photographique pour l'édition 2007 devait être assurée la semaine du 14 au 21 avril 2007 et était payable en deux versements d'un montant total de 4 980 Euros en mars et avril 2007 ;

Attendu qu'au vu des dates de mise en paiement des prestations prévues aux contrats de l'année précédente, en se voyant notifier en mars 2008 qu'elle n'assurerait ni la couverture photographique de l'édition 2008 ni le plan de communication de l'édition 2009, il doit être considéré que la société Angels'Sea a de fait disposé d'un délai compris entre un et deux mois pour réorienter son activité économique ou rechercher de nouveaux clients ;

Que ce délai de préavis apparait insuffisant eu égard aux usages commerciaux et au fait que les relations contractuelles qui portaient sur des montants d'une certaine importance se sont poursuivies pendant 5 ans ;

Attendu que la brutalité avec laquelle est intervenue la rupture caractérise donc la faute de l'association Course Croisière EDHEC au sens de l'article 1382 du Code civil ;

Attendu que c'est à juste titre que l'intimée fait valoir que l'indemnisation d'une telle faute ne peut porter que sur les conséquences de la brutalité de la rupture, et non sur celles de la rupture elle-même ;

Attendu que la société Angels'Sea qui affirme que cet événement annuel représentait 50 à 60 % de son chiffre d'affaire annuel s'abstient de produire la moindre pièce au soutien de cette allégation ; que ses comptes pour les exercices 2008, 2009 et 2010 n'ont d'ailleurs jamais été déposés au greffe du tribunal de commerce ;

Attendu qu'elle fait également état d'un préjudice lié à la rupture des concours bancaires que lui avait accordés sa banque ; que cependant, il résulte de l'assignation en paiement que lui a fait délivrer la banque HSBC le 15 juin 2010 que dès février 2007, elle avait mis un terme à ce concours et exigé que le compte de la société Angels'Sea ne fonctionne qu'en ligne créditrice ; que la faute de l'association Course Croisière EDHEC n'aurait pu qu'accentuer le cas échéant une situation financière difficile dans laquelle elle se trouvait déjà, mais dans une mesure que la cour n'est nullement en mesure d'apprécier faute d'éléments sur l'importance que représentaient ces relations commerciales dans le résultat de la société Angels'Sea ;

Attendu qu'il n'en demeure pas moins que la SARL Angels'Sea a subi un préjudice économique en ne disposant pas d'un délai de préavis suffisant pour pallier le manque à gagner inhérent à la non reconduction de ces deux contrats ; qu'au vu d'un délai de prévenance de cinq mois, qui aurait été en rapport avec la durée des relations entre les parties, et des montants sur lesquels portaient les contrats précédents, la somme de 5 000 Euros est de nature à réparer le préjudice subi par l'appelante ;

Que l'association Course Croisière EDHEC sera condamnée à payer cette somme à la SARL Angels'Sea, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt en application de l'article 1153-1 du Code civil ; qu'il y a lieu de faire droit à la demande de capitalisation des intérêts dus pour une année entière ;

Attendu que le jugement entrepris sera donc réformé en ce sens ;

Attendu que s'agissant du préjudice moral invoqué, il convient d'observer que la SARL Angels'Sea n'a aucunement qualité pour réclamer la réparation des conséquences de la faute de l'association Course Croisière EDHEC sur l'état psychologique de Vincent R, quand bien même celui-ci serait le gérant de la société ;

Sur les dommages et intérêts pour procédure abusive

Attendu que l'association Course Croisière EDHEC ne saurait reprocher à la SARL Angels'Sea qui obtient partiellement gain de cause d'avoir abusé de son droit d'agir en justice ; qu'elle sera déboutée de sa demande en dommages et intérêts ;

Sur les dépens et l'article 700 du Code de procédure civile

Attendu que l'association Course Croisière EDHEC, partie succombante, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et se verra déboutée de sa demande d'indemnité procédurale ;

Attendu qu'il apparait équitable de condamner l'association Course Croisière EDHEC à payer à la SARL Angels'Sea une somme de 2 500 Euros au titre de ses frais non compris dans les dépens ;

Par ces motifs : LA COUR, Infirme le jugement entrepris ; Déclare l'association Course Croisière EDHEC responsable du préjudice subi par la SARL Angels'Sea du fait de la rupture brutale de leurs relations commerciales ; En conséquence, condamne l'association Course Croisière EDHEC à payer à la SARL Angels'Sea une somme de 5 000 Euros en réparation de son préjudice, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ; Ordonne la capitalisation des intérêts dus pour une année entière ; Déboute la SARL Angels'Sea de sa demande au titre du préjudice moral subi par Vincent R ; Déboute l'association Course Croisière EDHEC de sa demande en dommages et intérêts pour abus de procédure ; Condamne l'association Course Croisière EDHEC à payer à la SARL Angels'Sea une somme de 2 500 Euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne l'association Course Croisière EDHEC aux dépens de première instance et d'appel, et autorise la SCP T-L, avoués, à recouvrer directement ceux des dépens dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision.