CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 4 septembre 2013, n° 10-13675
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Anipa (SARL)
Défendeur :
Carita International (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Cocchiello
Conseillers :
Mmes Luc, Nicoletis
Avocats :
Mes Fanet, Fita, Couturier, Behr
Vu le jugement du 18 juin 2010 par lequel le Tribunal de commerce de Paris a constaté que la résiliation anticipée des contrats de distribution était justifiée par les manquements graves et répétés de la société Anipa à ses engagements contractuels et a, en conséquence, débouté la société Anipa de l'ensemble de ses demandes, l'a condamnée, sous le régime de l'exécution provisoire, à verser à la société Carita International la somme de 22 786,30 euros correspondant aux factures de produits impayés, assortie des intérêts de retard, ainsi que celle de 7 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Vu l'appel interjeté par la société Anipa le 2 juillet 2010 et ses conclusions du 30 octobre 2012, afin de voir juger abusive et dolosive la rupture des contrats d'enseigne et de distribution dont elle bénéficiait, de voir juger que lesdites ruptures sont intervenues sans respect d'un préavis suffisant, de voir condamner en conséquence la société Carita International au paiement de la somme de 200 000 euros, rejeter les prétentions reconventionnelles de la société Carita International, et la condamner au paiement des sommes de 1 832,41 euros et de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Vu les conclusions de la société Carita International du 5 octobre 2012, afin que le jugement entrepris soit confirmé sauf en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes au titre des agissements parasitaires de la société Anipa, que la société Anipa soit déboutée de l'ensemble de ses demandes et condamnée à lui verser la somme de 22 786,30 euros correspondant à des factures de produits impayés, assortie des intérêts de retard, celle de 60 000 euros en réparation des actes déloyaux et parasitaires, et enfin celle de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
SUR CE
Considérant qu'il résulte de l'instruction les faits suivants :
La société Carita International (ci-après Carita) est spécialisée dans la fabrication et la distribution de produits de beauté haut de gamme, utilisés au sein de centres esthétiques sous l'enseigne "Maison de Beauté Carita" par des professionnels ayant reçu une formation spécifique.
La société Carita a mis en place un réseau de distribution sélective. Elle propose aux points de vente remplissant ses critères de sélection un contrat de distributeur agréé et, le cas échéant, un contrat de droit d'enseigne, autorisant le distributeur à utiliser la marque "Carita".
Le 24 avril 2004, la société Anipa a signé avec la société Carita un contrat de distributeur agréé ainsi qu'un contrat de droit d'enseigne lui permettant d'exploiter son fonds de commerce sous le nom "Maison de Beauté Carita".
Le contrat de distributeur agréé a été conclu pour une durée d'un an, tacitement reconductible pour des durées successives d'un an, la liste des critères de distribution sélective étant annexée au contrat.
Le contrat de droit d'enseigne a été conclu jusqu'au 31 décembre 2007, tacitement reconductible pour deux périodes successives de deux ans.
Le 3 mai 2006, la société Carita a rappelé à Anipa ses obligations de distributeur sélectif, un trop grand espace étant, selon elle, accordé, dans le point de vente, aux marques concurrentes :
"Dans le cadre du partenariat qui nous lie, nous souhaitons vivement que vous réduisiez de façon significative l'espace accordé dans votre point de vente aux autres marques que Carita". Le 11 juin 2007, Carita rappelait à Anipa l'obligation de déclaration du chiffre d'affaires 2006, qui devait être communiqué dans les 60 jours de la fin de l'année 2006. Dans un courrier du 31 octobre 2007, la société Carita souligne la baisse du chiffre d'affaires 2007 et relève que "certaines personnes n'ayant pas été formées à la marque", la marque craint "une dérive par rapport à l'image Carita". Le 3 décembre, Carita signale à Anipa le mécontentement d'une cliente désirant rester anonyme, déplorant une ambiance générale peu raffinée, le changement du personnel d'accueil, l'encombrement du magasin et la porte coulissante des toilettes dépourvue de clé, et lui demande de "procéder aux corrections nécessaires à l'image d'une maison de Beauté Carita".
Le 7 février 2008, Carita envoie à Anipa une lettre de mise en demeure, à la suite de "quatre réclamations de clientes mécontentes de la qualité des soins offerts par la Maison de Beauté Perpignan" et énumère les "manquements relevés dans l'établissement (qui) caractérisent des pratiques allant à l'encontre de l'image haut de gamme et la réputation de l'enseigne Carita, à savoir" : une présentation dévalorisante de la marque (non-respect de la charte graphique, présence d'une panthère dans la vitrine, point de vente encombré, affiches "Grande Braderie Tout doit disparaître"), "une attitude hautaine et dédaigneuse envers les clientes, une négligence inacceptable dans la tenue des cabines et du matériel utilisé (toilettes ne fermant pas), une atmosphère bruyante peu propice à la détente qui doit accompagner les soins Carita, un défaut de compétence et une négligence inacceptable du personnel dans l'accueil et pour le conseil lors de la vente des produits Carita" et enfin "l'affichage d'opération promotionnelle". Tous ces manquements constituent, selon Carita une contravention à l'article 7 du contrat de droit d'enseigne, selon lequel "Le Preneur s'engage auprès de Carita à maintenir et défendre l'image et la qualité de service associées à la Marque", et notamment à fournir "un service courtois et de qualité", à maintenir "en parfait état son point de vente, et ce tant à l'intérieur qu'à l'extérieur" et "promouvoir avec diligence la vente des Produits, des Services et de la marque Carita".
Carita a mis Anipa en demeure d'y remédier dans le mois, conformément aux articles 14 du contrat d'enseigne et VIII du contrat de distribution sélective.
Constatant la persistance des griefs, la société Carita a adressé le 7 mars 2008 à la société Anipa une lettre de résiliation des deux contrats, et, conformément à l'article 15 du contrat d'enseigne, a demandé la dépose de l'enseigne. Elle a, par ailleurs, souligné le non-respect de la charte graphique Carita, "condition déterminante" de (l)'agrément".
Par lettre du 26 mars 2008, la société Carita a répondu à une demande d'Anipa, souhaitant continuer à distribuer les produits, qu'elle avait décidé de résilier le contrat d'enseigne mais qu'elle était disposée "à maintenir le contrat de distributeur agréé (...) sous réserve du respect des critères de sélection".
Ayant été informée qu'Anipa avait effectué un soin Carita avec des produits concurrents, en contravention au b) du II 1° des critères sélectifs, la société Carita a mis fin, à effet immédiat, au contrat de distributeur agréé le 22 juillet 2008, conformément à l'article VIII de ce dernier.
Par assignation en date du 5 septembre 2008, la société Anipa a demandé au tribunal de commerce de juger abusive et dolosive la rupture des contrats d'enseigne et de distribution dont elle bénéficiait, de juger que lesdites ruptures étaient intervenues sans respect d'un préavis suffisant et, en conséquence, de condamner la société Carita International au paiement, avec exécution provisoire, de la somme de 200 000 euros, outre celle de 5 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Le tribunal a estimé que "la violation par un distributeur des critères de sélection d'un réseau sélectif constitue une faute suffisamment grave pour justifier qu'il en soit exclu avec effet immédiat" et que "la résiliation des contrats conclus entre la SA Anipa et la SA Carita (était) justifiée par les manquements graves et répétés de la demanderesse".
Sur la preuve des manquements
Considérant que la société Anipa, appelante, soutient essentiellement que l'intimée n'a pas rapporté la preuve des manquements justifiant le recours aux clauses de résiliation et demande à la cour d'écarter des débats deux attestations anonymes de clientes mécontentes et les rapports de clients-mystère, rédigés pour Carita ; que la seule attestation restant aux débats ne serait pas probante et qu'ainsi, la preuve ne serait pas rapportée des manquements litigieux ;
Sur la valeur probante des pièces produites par Carita
Considérant que la société Anipa soutient qu'un témoignage anonyme non reçu par un juge est dépourvu de toute valeur ; qu'elle invoque la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme relative au droit à un procès équitable, qui est consacrée à l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 ; que selon cette jurisprudence, l'utilisation de témoignages anonymes n'est pas, en soi, incompatible avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme, si ces témoignages sont recueillis par un juge et corroborés par d'autres preuves ; qu'il en est de même des constatations opérées par les clients-mystère, qui se présentent comme des rapports anonymes ;
Considérant que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme citée par la société Anipa concerne l'exploitation de dépositions anonymes dans le cadre d'une procédure pénale, alors que la présente affaire concerne une procédure commerciale ; que le principe qui prévaut en matière commerciale est celui de la libre administration des preuves et le seul critère pertinent pour apprécier les preuves produites réside dans leur crédibilité ; que les témoignages anonymes ne sont donc pas irrecevables en soi ; que toutefois, leur crédibilité étant nécessairement réduite par le fait que le contexte entourant leur rédaction est largement inconnu, ils ne sauraient à eux seuls établir la preuve d'un fait ; qu'ils doivent donc être confirmés par d'autres éléments de preuve ; que c'est au regard de ces principes qu'il convient d'apprécier la crédibilité des deux attestations litigieuses, ainsi que celles des visites mystères ;
Sur les manquements allégués
Considérant que les éléments de preuves versés aux débats par Carita, en dehors des déclarations litigieuses, consistent dans un message électronique nominatif adressé au service consommateurs de Carita (message de Mademoiselle Marie Pastor du 29 juin 2008) ou de lettres (lettre du 5 janvier 2008 de Madame Lydia Chauffaille-Gaje, lettre de Martine Jade Clermin du 25 novembre 2007), plusieurs copies de photographies de la vitrine de la boutique, et une lettre de la société Anipa elle-même ;
Considérant en effet que les manquements qui ont donné lieu à la résiliation du contrat d'enseigne, le 7 mars 2008, après mise en demeure du 7 février 2008, à savoir la présentation dévalorisante de la marque (non-respect de la charte graphique, présence d'une panthère en peluche dans la vitrine, point de vente encombré, affiches "Grande Braderie Tout doit disparaître" en vitrine), l'attitude envers les clientes, la négligence dans la tenue des cabines et du matériel utilisé (toilettes ne fermant pas), un défaut de compétence du personnel dans l'accueil et pour le conseil lors de la vente des produits Carita, et enfin l'affichage d'opérations promotionnelles, sont corroborés en partie par l'appelante elle-même ; que dans un courrier du 12 février 2008, celle-ci ne nie pas les faits qui lui sont imputés par Carita, mais cherche à les minimiser par les "problèmes avec une partie du personnel", ou par la vente imminente du fonds ; qu'elle reconnaît ne pas avoir utilisé la charte graphique, avoir exposé une panthère en peluche en vitrine, avoir procédé, ponctuellement, à des braderies sur des périodes limitées, la négligence dans la tenue des cabines ainsi que le défaut de fermeture de la cabine de toilettes ;
Considérant que le message du 5 janvier 2008 de Madame Chauffaille-Gaje fait état d'une dégradation de l'image de marque de la boutique : "La vitrine, mélange disparate où cohabitent une grande panthère en peluche coiffée d'une casquette et des serres têtes en plastique aux motifs léopard, notamment, donne le ton. L'intérieur confirme, en proposant un véritable bazar dans lequel les produits de soin Carita se perdent au milieu d'un chaos de vêtements. Le personnel reste en harmonie, par sa présentation vulgaire, son amateurisme et son infidélité à l'image de marque Carita" ; que cette présentation est corroborée par celle de Madame Jade Clermin, faisant état d'un accueil familier, d'une ambiance bruyante, d'un mélange des produits Carita avec d'autres produits ; que les copies de photographies de l'extérieur du magasin, versées aux débats, bien qu'en noir et blanc et non datées, reproduisent la vitrine en période de "braderie" et témoignent de la présence du léopard en peluche, point d'ailleurs non contesté par la société Anipa ;
Considérant que les deux témoignages anonymes et les rapports des clients-mystère viennent corroborer ces manquements, qui, pour chacun d'entre eux, constituent une contravention à l'article 7 du contrat de droit d'enseigne, selon lequel "Le Preneur s'engage auprès de Carita à maintenir et défendre l'image et la qualité de service associées à la Marque", et notamment à fournir "un service courtois et de qualité", à maintenir "en parfait état son point de vente, et ce tant à l'intérieur qu'à l'extérieur" et "promouvoir avec diligence la vente des Produits, des Services et de la marque Carita" ; qu'après une mise en demeure d'y remédier dans le mois, conformément aux articles 14 du contrat d'enseigne et VIII du contrat de distribution sélective, la société Carita a pu adresser, le 7 mars 2008, une lettre de résiliation des deux contrats, et, conformément à l'article 15 du contrat d'enseigne, demander la dépose de l'enseigne ;
Considérant, concernant le contrat de distribution sélective dont la prolongation avait été consentie par Carita, que c'est par le message électronique de Mademoiselle Marie Pastor, daté du 29 juin 2008, que la société Carita a été informée que la société Anipa avait effectué un soin Carita avec des produits concurrents, en contravention au b) du II 1° des critères sélectifs, qui stipule : "le soin Carita sera exclusivement réalisé avec les produits de la société Carita" ; que la société Carita a, à juste titre, mis fin, à effet immédiat, au contrat de distributeur agréé le 22 juillet 2008, conformément à l'article VIII de ce dernier ;
Considérant que ces manquements avérés et nombreux aux critères sélectifs de distribution justifient la résiliation sans préavis des contrats ; que les Premiers Juges ont, à bon droit, estimé que la société Anipa avait bénéficié de délais de résiliation du contrat de distribution sélective, cinq mois après la première mise en demeure et quatre mois après le prolongement consenti de l'agrément et que la rupture n'avait été ni abusive, ni brutale ;
Considérant que si la société Anipa verse aux débats plusieurs constats d'huissier, faisant ressortir un état des lieux convenable, on peut penser qu'un rangement y avait été préalablement opéré et les produits concurrents enlevés du voisinage des produits Carita ; que les autres manquements ne sont pas démentis par ce constat ; que si de nombreuses attestations de clientes viennent témoigner de leur satisfaction à l'égard de la Maison de Beauté, cet élément ne peut suffire à contrebalancer les nombreux manquements de la société Anipa aux deux contrats ; que cette satisfaction s'explique, au demeurant, par la fidélité des clientes à leur esthéticienne attitrée, et non par la tenue du point de vente dans son ensemble ;
Considérant qu'aucune preuve d'intention de nuire ne résulte des conditions dans lesquelles les contrats ont été résiliés ;
Considérant, en conséquence, que le jugement déféré sera confirmé, sur ce point, et la société Anipa déboutée de ses demandes ;
Sur les factures
Considérant que la société Anipa avance, sans en rapporter la preuve, que les factures de produits commandés qu'elle a été condamnée à payer à Carita par injonction de payer du 1er octobre 2008, pour un montant total de 23 919,55 euros, ne seraient pas dues, car elles auraient été compensées par la reprise du stock des produits Carita, en fin de contrat ; que la société Carita a émis un avoir le 4 juin 2009 correspondant à la valeur de ces produits, d'un montant de 1 832, 41 euros TTC ; que cette somme sera déduite des factures impayées et la société Anipa, condamnée à payer à la société Carita la somme de 22 786,30 euros ; que le jugement entrepris sera confirmé sur ce point ;
Sur le parasitisme
Considérant que l'intimée expose que l'appelante a commis des actes de parasitisme, notamment en continuant d'exploiter ses produits et sa marque postérieurement à la rupture des contrats ;
Considérant que le parasitisme consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'une entreprise en profitant indûment de la notoriété acquise ou des investissements consentis ; que la concurrence déloyale par parasitisme suppose que celui en excipant puisse démontrer, d'une part, que son concurrent a procédé de façon illicite à la reproduction de données ou d'informations qui caractérisent son entreprise par la notoriété et la spécificité s'y attachant, elles-mêmes résultant d'un travail intellectuel et d'un investissement propre, d'autre part, qu'un risque de confusion puisse en résulter dans l'esprit du consommateur potentiel ;
Considérant qu'en l'espèce, aucun risque de confusion ne saurait résulter de la diffusion de documents commerciaux comportant des mentions telles que "La Maison de Beauté n'a rien perdu de son désir de vous voir de plus en plus belle", ou "De Carita à Maria Galland il n'y a qu'un pas" ; que l'appellation "maison de beauté" n'est pas de nature à faire croire que l'établissement continue d'exploiter la marque Carita, cette appellation étant générique et n'étant pas identifiée comme indissociable de Carita, même si celle-ci prétend qu'il s'agit d'un de ses noms de domaine ; qu'au 29 octobre 2008, l'institut ne comportait plus de mention de la marque Carita, ni à l'extérieur, ni à l'intérieur du magasin ; qu'aucun produit Carita n'y était plus exposé ; que l'absence de retrait de la boutique sous l'enseigne Carita, des Pages Jaunes 2008 de l'annuaire, en décembre 2008, ne saurait lui faire grief, la résiliation n'étant intervenue qu'en juillet 2008 et l'édition de l'annuaire n'ayant pu prendre en charge des modifications avant 2009 ; qu'ainsi, le jugement critiqué sera encore confirmé sur ce point ;
Par ces motifs : Confirme le jugement entrepris, Condamne la société Anipa aux dépens d'appel qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, La Condamne à payer à la société Carita International la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.