CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 6 septembre 2013, n° 12-12391
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Liberty Retail Limited (Sté), Liberty Fabric Limited (Sté)
Défendeur :
H&M Hennes & Mauritz (SARL), SCP Lachkar-Gouguet-Thomazon
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Aimar
Conseillers :
Mmes Nerot, Renard
Avocats :
Mes Teytaud, Walter, Gerigny Freneaux, Freneaux, Armengaud
La société de droit anglais Liberty Retail PLC, devenue Liberty Retail Limited expose avoir notamment pour activité la création et la commercialisation d'articles de luxe et de mode. Elle indique exporter ses tissus dans le monde entier et les commercialiser notamment en France.
Elle revendique des droits d'auteur sur deux tissus identifiés sous les références "Claire-Aude 03632022L/03632022S" et "Bourton 03636041 C".
Indiquant avoir découvert en avril 2009 que des articles de mode reproduisant ces tissus étaient commercialisés sans son autorisation dans six magasins à Paris exploités par la société H&M Hennes & Mauritz, ci-après la société H&M, la société Liberty Retail a fait procéder le 28 avril 2009 à trois constats d'achat par Maître Lachkar, huissier de justice à Paris, portant sur des paires de ballerines et de chaussures à semelles compensées qui reproduiraient le tissu "Claire-Aude" ainsi que sur une robe dont le tissu imiterait le tissu "Bourton".
Par ordonnance du président du Tribunal de grande instance de Paris en date du 13 mai 2009, la société Liberty Retail a été autorisée à faire pratiquer des opérations de saisies-contrefaçon à Paris, dans les magasins H&M situés à Paris 54, bd Haussmann et au Forum des Halles, ainsi qu'au siège social de la société H&M situé 2 et 4 rue Charras.
Elle a également été autorisée par ordonnance sur requête en date du 20 mai 2009, rendue par le président du Tribunal de grande instance de Bobigny, à faire pratiquer des opérations de saisies-contrefaçon dans les locaux de la société H&M situés au 45/49 bis, rue du Rolland au Bourget (93350).
Les opérations de saisies contrefaçons ont eu lieu le 25 mai 2009.
Par acte d'huissier en date du 12 juin 2009, la société Liberty Retail a fait assigner la société H&M devant le Tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon de droits d'auteur et en concurrence déloyale et parasitaire.
Par jugement en date du 27 janvier 2012, le Tribunal de grande instance de Paris, sans assortir sa décision de l'exécution provisoire, a :
- déclaré l'intervention volontaire de la SCP Lachkar-Gouguet-Thomazon recevable,
- débouté la société H&M de ses demandes tendant à annuler ou à écarter des débats les deux procès-verbaux de constat d'huissier effectués le 28 avril 2009,
- annulé le procès verbal de saisie-contrefaçon dressé le 25 mai 2009 par Maître Thomazon dans le magasin H&M du Forum des Halles,
- écarté des débats l'ensemble des éléments composant la pièce 8-2 de la société Liberty Retail,
- rejeté les demandes tendant à la nullité des autres procès-verbaux de saisie-contrefaçon réalisés le 25 mai 2009,
- déclaré la société Liberty Retail LTD irrecevable à agir en contrefaçon à défaut de justifier être titulaire de droits d'auteur sur les tissus "Claire-Aude 03632022L", "Claire-Aude 03632022S" et "Bourton 03636041 C",
- déclaré la société Liberty Retail LTD irrecevable à agir en concurrence déloyale et parasitisme,
- débouté la société H&M de sa demande reconventionnelle,
- condamné la société Liberty Retail aux entiers dépens de l'instance, qui pourront être
recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile,
- condamné la société Liberty Retail à payer à la société H&M la somme de 8 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- rejeté la demande de la SCP Lachkar- Gouguet- Thomazon au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par conclusions en date du 12 février 2010, la société Liberty Retail a demandé au juge de la mise en état d'ordonner à la société H&M la production forcée de documents comptables.
Par conclusions du 26 février 2010, la société H&M a saisi le juge de la mise en état d'exceptions de nullité visant l'ensemble des procès-verbaux de constat et de saisie-contrefaçon.
Par ordonnance en date du 16 avril 2010, le juge de la mise en état a rejeté la demande de communication de pièces de la société Liberty Retail et s'est déclaré incompétent pour statuer sur la validité des procès-verbaux de constats et de saisies-contrefaçon au profit de la juridiction de fond.
Par conclusions signifiées le 9 février 2011, la SCP d'huissiers de justice Lachkar-Gouguet-Thomazon est intervenue volontairement à l'instance pour demander au tribunal de rejeter les demandes de la société H&M tendant à voir prononcer la nullité des procès-verbaux de constats et de saisie-contrefaçon.
Par dernières écritures signifiées le 29 mai 2013, la société Liberty Retail Limited et la société Liberty Fabric Limited demandent à la cour de :
- constater la cession des droits de propriété intellectuelle sur le catalogue de modèles de tissu Liberty, en ce compris les modèles de tissu "Claire-Aude" et "Bourton", en date du 18 octobre 2010 entre Liberty Retail et Liberty Fabric,
- constater la titularité des droits d'auteur de Liberty Fabric sur les modèles de tissu "Claire-Aude" et "Bourton" depuis le 18 octobre 2010,
- constater, en tout état de cause, la divulgation et la commercialisation des tissus "Claire-Aude" et "Bourton" par Liberty Fabric,
- constater l'intérêt propre et distinct de Liberty Fabric à agir volontairement et principalement à la présence instance,
en conséquence,
- recevoir Liberty Fabric en son intervention volontaire et l'y déclarer bien fondée,
- constater la titularité des droits d'auteur de Liberty Retail sur les modèles de tissu "Claire-Aude" et "Bourton" jusqu'à la cession des droits de propriété intellectuelle sur son catalogue de modèle à Liberty Fabric le 18 octobre 2010,
- constater la validité de l'accord de Liberty Retail et Liberty Fabric sur la conservation par Liberty Retail du droit d'agir dans la présente procédure,
en conséquence,
- infirmer le jugement en ce qu'il a déclaré Liberty Retail irrecevable à agir en contrefaçon,
à titre subsidiaire,
- constater la divulgation et la commercialisation des tissus "Claire-Aude" et "Bourton" par Liberty Fabric,
- constater la titularité des droits d'auteur de Liberty Fabric sur les modèles de tissu "Claire-Aude" et "Bourton",
- constater l'absence de contradiction dans l'argumentaire de Liberty Fabric,
en conséquence,
- dire et juger que Liberty Fabric a qualité à agir en contrefaçon,
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société H&M de ses demandes tendant à faire annuler ou écarter les procès-verbaux de constat d'achat dressés le 28 avril 2009 devant le magasin H&M du 54 boulevard Haussmann et le magasin H&M du Forum des Halles,
- dire et juger qu'en tout état de cause, les procès-verbaux de constat d'achat dressés le 28 avril 2009 peuvent être utilisés à titre de renseignement,
- confirmer le jugement en ce qu'il a :
- débouté la société H&M de ses demandes tendant à annuler ou à écarter l'ensemble des procès-verbaux et des opérations de saisie-contrefaçon réalisées le 25 mai 2009 au magasin H&M situé au 54 boulevard Haussmann par Maître Lachkar, au magasin H&M du Forum des Halles par Maître Thomazon, au siège social de H&M situé 2/4 rue Charras par Maître Lachkar, et dans les locaux de H&M situés 45 rue du Commandant Rolland au Bourget par Maître Borota, du fait de l'introduction d'objets extérieurs par les huissiers instrumentaires,
- débouté la société H&M de ses demandes tendant à annuler le procès-verbal et les opérations de saisie-contrefaçon réalisées le 25 mai 2009 au magasin H&M situé au 54 boulevard Haussmann par Maître Lachkar, huissier de justice,
- infirmer le jugement en ce qu'il a annulé le procès-verbal et les opérations de saisies-contrefaçon réalisées le 25 mai 2009 au magasin H&M du Forum des Halles par Maître Thomazon, huissier de justice,
à défaut,
- reconnaître la validité des procès-verbaux de saisie-contrefaçon (sic), dire et juger qu'en tout état de cause, les procès-verbaux de saisie-contrefaçon réalisés dans les locaux de H&M ont force probante,
en tout état de cause,
- constater que la commercialisation des articles de mode litigieux n'a jamais été contestée par H&M,
- constater l'originalité des modèles de tissu "Claire-Aude" et "Bourton",
- constater la reproduction servile par H&M du modèle de tissu "Claire-Aude" sur les ballerines et chaussures compensées commercialisées,
- constater l'imitation par H&M du tissu "Bourton" sur le modèle de robe commercialisé,
- dire et juger que la reproduction servile et l'imitation des modèles de tissu "Claire-Aude" et "Bourton" par H&M constitue des actes de contrefaçon des droits d'auteur des sociétés Liberty Retail Limited et Liberty Fabric Limited,
- infirmer le jugement en ce qu'il a déclaré Liberty Retail irrecevable à agir en concurrence déloyale et sur le fondement du parasitisme,
- à défaut (sic), constater la qualité à agir de Liberty Fabric sur ce fondement,
- dire et juger que l'utilisation des modèles de tissu "Claire-Aude" et "Bourton" par H&M est constitutive d'actes de concurrence déloyale à l'encontre de Liberty Retail et Liberty Fabric distincts des actes de contrefaçon,
- dire et juger que l'utilisation les modèles de tissu "Claire-Aude" et "Bourton"' par H&M en vue de profiter indûment des investissements réalisés par les sociétés Liberty Retail Limited et Liberty Fabric Limited est constitutive d'actes de parasitisme,
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté H&M de ses demandes reconventionnelles,
- ordonner à la société H&M, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir (sic), de communiquer aux sociétés Liberty Retail Limited et Liberty Fabric Limited et à tel expert désigné par le Tribunal (sic) tous documents comptables (et notamment factures, états des ventes, états des stocks) établissant le nombre d'exemplaires des articles de modes litigieux, quel qu'en soient les coloris et la matière, qu'elle a commercialisés, reçus ou commandés par tous moyens en France depuis la création de ces derniers, le tout certifié conforme par son commissaire aux comptes ou expert-comptable, le chiffre d'affaires généré en France par lesdites ventes ainsi que le prix d'achat par H&M auprès de ses fournisseurs ou le prix de revient et le prix de vente des articles de modes litigieux depuis leur lancement, certifiés conformes par son commissaire aux comptes ou expert-comptable, et les nom, adresse des producteurs, fabricants, fournisseurs et autres détenteurs antérieurs des articles de modes reproduisant ou imitant les tissus Liberty, ainsi que l'identité de ses grossistes,
- désigner tel expert qu'il plaira au Tribunal (sic), aux frais de la société H&M, afin de lui donner pour mission la fixation du montant des indemnités des sociétés Liberty Fabric Limited et Liberty Retail Limited,
- condamner la société H&M à leur payer une indemnité à fixer à dire d'expert et par provision de 500 000 euros,
- interdire à la société H&M, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir, de continuer à faire fabriquer, importer, promouvoir et commercialiser les articles litigieux,
- ordonner, sous astreinte de 800 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir (sic), la remise à leur profit de l'intégralité des stocks des articles litigieux aux fins de leur destruction sous contrôle d'huissier et ce, aux seuls frais de H&M,
- ordonner la publication du jugement à intervenir dans 3 journaux, revues ou magazines de leur choix et aux frais de la défenderesse, dans la limite de 40 000 euros HT par publication,
- condamner la société H&M à leur verser la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la société H&M aux entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais de saisies-contrefaçon, qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.
Par dernières écritures signifiées le 28 mai 2013 la SCP Lachkar-Gouguet-Thomazon entend voir :
- statuer ce que de droit sur l'appel et les demandes de la société Liberty Retail Ltd et sur l'intervention volontaire de la société Liberty Fabric Ltd,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré (recevable) son intervention volontaire,
- confirmé le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société H&M de ses demandes tendant à annuler ou écarter des débats les deux constats d'huissier effectués le 28 mai 2009 ainsi que des procès-verbaux de saisie-contrefaçon réalisée le 25 mai 2009,
- le réformer en ce qu'il a annulé le procès-verbal de saisie-contrefaçon dressé le 25 mai 2009 par Maître Thomazon dans le magasin du forum des Halles à Paris,
- dire valide ledit procès-verbal de saisie-contrefaçon,
- débouter la société H&M de toutes ses demandes,
- condamné la société H&M à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné la société H&M aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Par dernières écritures signifiées le 29 mai 2013 la société H & M entend voir :
- confirmer le jugement en ce qu'il a prononcé la nullité du procès-verbal de saisie-contrefaçon dressé le 25 mai 2009 par Maître Thomazon dans le magasin H&M du Forum des Halles, et en conséquence écarté des débats l'ensemble des éléments composant la pièce 8-2 (23-2 en cause d'appel) de la société Liberty Retail Limited, déclaré la société Liberty Retail Limited irrecevable à agir en contrefaçon à défaut de justifier être titulaire des droits d'auteur sur les tissus "Claire-Aude 03632022L", "Claire-Aude 03632022S" et "Bourton 03636041 C", déclaré la société Liberty Retail Limited irrecevable à agir en concurrence déloyale et parasitisme, condamné la société Liberty Retail Limited à lui payer la somme de 8 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens, et rejeté la demande de la SCP Lachkar-Gouguet-Thomazon au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- infirmer le jugement pour le surplus,
- déclarer irrecevable l'intervention volontaire de la SCP Lachkar-Gouguet-Thomazon, en toute hypothèse, la débouter de ses demandes,
- prononcer la nullité des opérations de saisie-contrefaçon effectuées le 25 mai 2009 par le ministère de Me Lachkar, huissier de justice, à son siège social et au magasin du 54, boulevard Haussmann à Paris, prononcer la nullité des deux procès-verbaux de saisie-contrefaçon correspondants et ordonner leur retrait des débats, ainsi que de toutes les pièces saisies réellement et les pièces annexées à ces procès-verbaux,
- prononcer la nullité des opérations de saisie-contrefaçon effectuées le 25 mai 2009 par le ministère de Me Borota, huissier de justice, dans son établissement secondaire sis au 45, rue du Commandant Rolland au Bourget, prononcer la nullité du procès-verbal de saisie-contrefaçon correspondant et ordonner son retrait des débats, ainsi que de toutes les pièces saisies réellement et les pièces annexées à ce procès-verbal,
- prononcer la nullité des quatre procès-verbaux de constat d'huissier dressés le 28 avril 2009 par le ministère de Me Lachkar, huissier de justice, devant le magasin du 54 boulevard Haussmann à Paris, devant le magasin du 107 rue Saint-Lazare à Paris et devant le Forum des Halles à Paris, et le procès-verbal de constat internet dressé le 10 février 2010 par le ministère de Me Gouguet, huissier de justice, subsidiairement, déclarer ces quatre procès-verbaux irrecevables en tant que preuves, en toute hypothèse, ordonner leur retrait des débats, ainsi que de toutes les pièces qui leur sont annexées,
- déclarer irrecevable l'intervention volontaire en cause d'appel de la société Liberty Fabric Limited,
- déclarer la société Liberty Retail Limited et la société Liberty Fabric Limited irrecevables, et en tout cas mal fondées, en toutes leurs demandes, les en débouter,
- condamner in solidum la société Liberty Retail Limited et la société Liberty Fabric Limited à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour saisies et procédure abusives,
- condamner in solidum la société Liberty Retail Limited et la société Liberty Fabric Limited à lui payer la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner in solidum la société Liberty Retail Limited et la société Liberty Fabric Limited aux entiers dépens, dont distraction au profit d son conseil.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 30 mai 2013.
Le 3 juin 2013 la société H&M a pris de nouvelles écritures tendant à voir déclarer irrecevables les conclusions signifiées le 29 mai 2013 par les sociétés appelantes.
Par conclusions signifiées le 4 juin 2013 les sociétés Liberty Retail Limited et Liberty Fabric Limited se sont opposées à cette demande.
MOTIFS
Sur la recevabilité des dernières conclusions des sociétés appelantes :
Considérant que pour voir déclarer irrecevables les conclusions des sociétés Liberty Retail Limited et Liberty Fabric Limited signifiées le 29 mai 2013, la société H&M fait valoir que celles-ci ne se bornent pas à répliquer à ses dernières conclusions, mais au contraire contiennent des demandes d'expertise et de provision qui sont désormais formulées conjointement par la société Liberty Fabric et pour la première fois par la société Liberty Retail alors que la détermination des prétentions respectives des parties est au cœur du débat relatif à leur recevabilité depuis le début de la procédure ;
Que les sociétés appelantes répliquent que la modification du dispositif de leurs dernières conclusions n'a été réalisée que dans un souci de cohérence avec les développements contenus dans le corps desdites conclusions ;
Considérant ceci exposé que si les modifications intervenues ne peuvent être qualifiées de mineures comme le soutiennent les sociétés appelantes, elles sont en effet en cohérence, la veille de l'ordonnance de clôture, avec les prétentions des sociétés Liberty Retail Limited et Liberty Fabric Limited énoncées dans leurs précédentes écritures ;
Qu'il n'y a donc pas lieu de déclarer irrecevables les conclusions des sociétés Liberty Retail Limited et Liberty Fabric Limited signifiées le 29 mai 2013 ;
Sur la recevabilité de l'intervention volontaire en cause d'appel de la société Liberty Fabric Limited :
Considérant que pour conclure à l'irrecevabilité de l'intervention volontaire en cause d'appel de la société Liberty Fabric Limited, la société H & M fait valoir que celle-ci est à la fois accessoire et principale ; qu'à titre accessoire l'intervention volontaire doit être déclarée irrecevable dès lors que l'action de la société Liberty Retail est elle-même irrecevable, et que l'intervention principale formée à titre subsidiaire, est quant à elle irrecevable dès lors que la société Liberty Fabric Limited a nécessairement acquiescé aux demandes de la société Liberty Retail de par son intervention accessoire, que la société Liberty Fabric Limited ne justifie d'aucun intérêt né et actuel et qu'enfin la société Liberty Retail intervient à titre principal en se prétendant titulaire de droits d'auteur par l'effet de la présomption tirée de ses propres actes d'exploitation supposés, ce qui constitue un litige nouveau en appel ;
Que pour s'opposer à cette demande la société Liberty Fabric Limited se prévaut d'une cession de droits d'auteur intervenue à son profit en cours d'instance, soit le 18 octobre 2010, ainsi que de la présomption de titularité prévue par l'article L. 113-1 du Code de la Propriété Intellectuelle ;
Considérant dès lors que l'intervention de la société Liberty Fabric Limited qui se prévaut d'un droit propre et qui se rattache aux prétentions de la société Liberty Retail doit être déclarée recevable pour ce seul motif ;
Sur la recevabilité de l'intervention volontaire de la SCP Lachkar-Gouguet-Thomazon :
Considérant que pour conclure à l'irrecevabilité de l'intervention volontaire accessoire de la SCP Lachkar-Gouguet-Thomazon, huissier de justice, la société H&M fait valoir que cette dernière n'a pas d'intérêt né et actuel pour la conservation de ses droits, à soutenir la société appelante ; qu'elle ajoute que sa propre argumentation ne vise qu'à contester la régularité des actes d'huissiers, sans mettre en cause l'honnêteté et la probité de ces derniers, de tels manquements n'étant évoqués que par les intervenants eux-mêmes ;
Que la SCP Lachkar-Gouguet-Thomazon justifie quant à elle son intervention par les irrégularités de forme et de fond qui affecteraient les actes effectués, et qui mettraient ainsi gravement en cause la compétence et la probité des huissiers instrumentaires et seraient susceptibles d'engager leur responsabilité ;
Que toutefois, en application de l'article 330 du Code de procédure civile, l'intervention volontaire à titre accessoire est recevable si son auteur a intérêt pour la conservation de ses droits à soutenir la partie dont il appuie les prétentions ;
Or considérant en l'espèce que la responsabilité civile professionnelle des huissiers instrumentaires n'est nullement recherchée par les sociétés appelantes ;
Qu'un huissier de justice n'est ainsi pas recevable à intervenir volontairement à titre accessoire dans une procédure judiciaire au seul motif que la validité de l'un de ses actes y est contestée ;
Que dès lors l'intervention volontaire la SCP Lachkar-Gouguet-Thomazon doit être déclarée irrecevable et le jugement dont appel infirmé de ce chef ;
Sur la titularité des droits d'auteur :
* de la société Liberty Retail :
Considérant que la société Liberty Retail reproche au jugement de première instance de l'avoir déclarée irrecevable à agir en contrefaçon au motif qu'elle n'apportait pas la preuve de la titularité de ses droits d'auteur sur les modèles de tissu "Claire-Aude" et "Bourton" ;
Qu'elle n'invoque plus devant la cour le bénéfice de la présomption de titularité des droits d'auteur reconnu à la personne morale qui exploite sous son nom les œuvres revendiquées mais prétend désormais à titre principal que les modèles de tissus "Claire-Aude" et "Bourton" auraient été créés par "des salariés et designers de Liberty", respectivement en 1975 et 1966, et que les droits moraux et patrimoniaux sur ces œuvres lui auraient été dévolus automatiquement, en qualité d'employeur, par application de la législation anglaise qui serait applicable en l'espèce, soit du Copyright Act de 1956 qu'elle cite comme suit :
"(4) Quand [...] une œuvre a été réalisée par l'auteur dans le cadre de l'exécution de son contrat de travail (contrat de service ou contrat d'apprentissage) pour une autre personne, cette autre personne dispose de tous les droits d'auteur sur l'œuvre conformément à la présente section de cette Loi" ;
Considérant que la société appelante revendique ainsi des droits d'auteur sur un tissu "Claire-Aude" référencé 03632022L/03632022S qu'elle décrit en page 39 de ses dernières écritures comme étant un tissu caractérisé par un motif floral presque abstrait composé de très nombreuses fleurs et feuilles inspiré de l'aquarelle, dont le contour est souligné de lignes sombres et interrompues, l'ensemble étant disposé sur un fond écru, et sur un tissu "Bourton" référencé 03636041C décrit comme représentant notamment des palmes de différentes tailles, dont la forme appartient au genre "cachemire", associées à des motifs floraux parmi lesquels figurent des tiges, des feuilles et des fleurs ;
Que pour soutenir que ces tissus auraient été créés en 1975 et 1966 par ses salariés dans le cadre de l'exécution de leur contrat de travail, elle verse aux débats :
- des captures d'écran d'un site internet accessible par le nom de domaine www.liberty.co.uk dont est propriétaire la société de droit anglais Liberty PLC ou Liberty Limited, maison-mère des sociétés appelantes et étrangère au litige, qui ne comportent aucune autre date que celles de leur impression, soit le 17 septembre 2012 pour l'une et le 26 septembre 2012 pour l'autre, et une mention de copyright de 2011, et qui ne fournissent au demeurant aucune indication sur l'identité des créateurs supposés des tissus revendiqués, ni sur l'existence d'éventuels contrats de travail entre lesdits créateurs et la société Liberty Retail,
- une attestation du 11 mars 2010 qui outre le fait qu'elle émane de son propre directeur financier, Monsieur Paul Harris, indique que "l'activité de tissus" est assurée par la société Liberty Fabric LTD qui vend les tissus en gros dans le monde entier, mais ne fournit pas plus aucune indication quant à l'identité des créateurs desdits tissus ni quant à l'existence de contrats de travail entre elle et ces créateurs,
- un contrat de cession des droits de propriété intellectuelle, daté du 18 octobre intervenue au profit de la société Liberty Fabric Limited et une lettre de son directeur financier datée du 12 juillet 2012 et qui, ainsi que le Tribunal l'a relevé, ne justifient pas de l'existence de droits d'auteur sur les tissus revendiqués dès lors qu'ils mentionnent la cession "du catalogue de modèles Liberty" et ne renseignent nullement sur la création des tissus revendiqués,
Que ces pièces ne démontrent donc pas que les tissus "Claire-Aude" et "Bourton" ont été créés par "des salariés et designers de Liberty", respectivement en 1975 et 1966, ni que ces créations ont eu lieu dans le cadre de l'exécution de contrats de travail avec la société Liberty Retail ni encore que les droits d'auteur auraient été dévolus automatiquement à cette dernière ;
Que le jugement qui a déclaré la société Liberty Retail irrecevable à agir en contrefaçon faute d'établir la titularité des droits d'auteur qu'elle allègue, sera en conséquence confirmé ;
* de la société Liberty Fabric :
Considérant qu'à titre subsidiaire, et non sans une certaine contradiction, la société Liberty Fabric invoque à son profit devant la cour, la présomption de titularité des droits d'auteur reconnu à la personne morale qui exploite sous son nom les œuvres revendiquées en faisant valoir qu'elle divulgue et exploite en France sous son nom "depuis de nombreuses années" avant même la formalisation de la cession de droits , les modèles de tissus "Claire-Aude" et "Bourton" et qu'elle bénéficie en conséquence, en l'absence de revendication de la part de ou des auteurs, de la présomption de titularité des droits de propriété intellectuelle de ces derniers ;
Que toutefois il convient de rappeler que cette présomption simple suppose, pour être appliquée, que la personne morale qui entend s'en prévaloir identifie précisément l'œuvre qu'elle revendique, justifie de la date à partir de laquelle elle a commencé à en assurer la commercialisation et précise les conditions de sa création ;
Or considérant en l'espèce que la société Liberty Fabric verse aux débats :
- l'attestation de son directeur financier Monsieur Paul Harris, déjà citée, établie pour les besoins de la cause le 11 mars 2010 et qui indique que "l'activité de tissus" est assurée par la société Liberty Fabric LTD sans aucune précision quant à la création desdits tissus,
- une attestation d'un fournisseur qui indique que les modèles "Claire-Aude" et "Bourton" lui ont été livrés par "Liberty" les 28 juin et 28 août 2001,
- une pièce n° 16 censée être un état des stocks au 5 avril 2012 d'une société dénommée "Tissus Reine" qui ne donne aucune information sur les caractéristiques des produits auxquels elle est censée se rapporter,
- des attestations de clients qui ont procédé à la commande de tissus Liberty référencés 3632022, 3634099 et 3201210 accompagnées de factures,
- des copies de factures, antérieures au 18 octobre 2010, comportant différentes références numériques associées à la dénomination "Tana Lawn" ;
Que toutefois ces éléments ne permettent nullement d'établir le processus de création des tissus revendiqués, comme le feraient notamment des croquis ou des attestations de celui ou de ceux qui les ont conçu, dont l'identité est selon la société Liberty Fabric pourtant parfaitement connue ;
Que cette dernière ne saurait en conséquence bénéficier de la présomption de titularité des droits d'auteur instaurée au profit de la personne morale ;
Considérant qu'il y a lieu en conséquence de déclarer irrecevables l'ensemble des demandes formées par la société Liberty Fabric au titre de la contrefaçon ;
Sur la concurrence déloyale et du parasitisme :
Considérant que les sociétés appelantes font valoir à ce titre que les modèles de chaussures litigieux reproduisent à l'identique le tissu "Claire-Aude" dont elles détiennent toutes deux les droits (sic) et que de même la robe litigieuse reproduit de manière quasi-servile les motifs du tissu "Bourton" "création de Liberty Retail et de Liberty Fabric" ; qu'elles invoquent par ailleurs la notoriété et l'ancienneté des "imprimés Liberty" ainsi qu'une même cible de clientèle et une large gamme de coloris pour conclure à l'existence d'actes de concurrence déloyale commis à leur encontre par la société H&M ;
Que poursuivant sur le fondement du parasitisme, elles indiquent que les tissus commercialisés par Liberty Retail et Liberty Fabric depuis des décennies bénéficient d'un succès commercial incontesté soutenu par des efforts importants qu'elles ont consentis pour les faire connaître, notamment à travers des investissements publicitaires et d'expositions qu'elles ont réalisés pour promouvoir leurs tissus et concluent que la société H&M a ainsi cherché à s'immiscer dans leur sillage pour profiter de leurs efforts de création, de promotion et de commercialisation et détourner ainsi sa clientèle ;
Mais considérant que la société Liberty Retail qui ne démontre pas avoir elle-même commercialisé les deux tissus en cause ne peut voir prospérer sa demande formée au titre de la concurrence déloyale ;
Que par ailleurs l'action en concurrence déloyale ne saurait constituer une action de repli pour celui qui ne peut bénéficier d'un droit protégé par le Code de la propriété intellectuelle et il est constant que la copie, servile ou non, et à la supposer établie, ne suffit pas à caractériser un comportement fautif dans un cadre de liberté du commerce ;
Qu'en se bornant à affirmer que "les consommateurs ne peuvent qu'être troublés par les ressemblances flagrantes entre les articles litigieux et seront immanquablement conduits à croire que ceux-ci sont confectionnés avec d'authentiques tissus Liberty" les sociétés appelantes ne démontrent pas que les actes incriminés dans le cadre de la présente action, contreviendraient à l'exercice loyal du commerce, et ce sans qu'il soit besoin d'examiner plus avant les griefs formulés à l'encontre des procès-verbaux de constats et de saisies-contrefaçon ;
Que par ailleurs les sociétés appelantes ne produisent aucun document de nature à corroborer leurs prétentions émises au titre du parasitisme, dès lors qu'elles ne communiquent aucune information sur les investissements, qu'ils soient financiers ou intellectuels, qu'elles indiquent consacrer aux tissus concernés;
Qu'il en résulte que les faits de concurrence déloyale et de parasitisme tels qu'incriminés ne sauraient être retenus ;
Sur la demande reconventionnelle pour procédure abusive :
Considérant que l'exercice d'une action en justice constitue, en principe, un droit et ne dégénère en abus que dans le cas de malice, de mauvaise foi, ou d'erreur grossière équipollente au dol ;
Que faute pour la société H&M de rapporter la preuve d'une quelconque intention de nuire ou d'une légèreté blâmable de la part des sociétés Liberty Retail et Liberty Fabric qui ont pu se méprendre sur l'étendue de leurs droits, sa demande tendant à voir condamner ces dernières au paiement de dommages-intérêts doit être rejetée ;
Sur les autres demandes :
Considérant qu'il y a lieu de condamner in solidum les sociétés Liberty Retail et Liberty Fabric, parties perdantes, aux dépens d'appel, à l'exception de ceux relatifs à l'intervention volontaire de la SCP Lachkar-Gouguet-Thomazon qui resteront à la charge de cette dernière, et qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile ;
Qu'en outre elles doivent être condamnées sous la même solidarité à payer à la société H&M, qui a dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir ses droits, une indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile qu'il est équitable de fixer à la somme globale de 15 000 euros ;
Par ces motifs : Dit n'y avoir lieu à rejet des dernières écritures des sociétés Liberty Retail Limited et Liberty Fabric Limited. Déclare recevable en cause d'appel l'intervention volontaire de la société Liberty Fabric Limited ; Confirme le jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Paris le 27 janvier 2012 sauf en ce qu'il a déclaré recevable l'intervention volontaire de la SCP Lachkar-Gouguet-Thomazon, débouté la société H&M de ses demandes tendant à annuler ou à écarter des débats les deux procès-verbaux de constat d'huissier effectués le 28 avril 2009, annulé le procès-verbal de saisie-contrefaçon dressé le 25 mai 2009 par Maître Thomazon dans le magasin H&M du Forum des Halles, écarté des débats l'ensemble des éléments composant la pièce 8-2 de la société Liberty Retail et rejeté les demandes tendant à la nullité des autres procès-verbaux de saisie-contrefaçon réalisés le 25 mai 2009. Statuant à nouveau et y ajoutant, Déclare irrecevable l'intervention volontaire de la SCP Lachkar-Gouguet-Thomazon. Déclare la société Liberty Fabric Limited irrecevable à agir au titre de la contrefaçon de droits d'auteur. Dit n'y a voir lieu à statuer sur la validité des procès-verbaux de constats et de saisie-contrefaçon. Déboute la société Liberty Fabric Limited de ses demandes en concurrence déloyale et parasitisme. Condamne in solidum des sociétés Liberty Retail Limited et Liberty Fabric Limited à payer à la société H&M la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. Déclare sans objet ou mal fondées toutes autres demandes plus amples ou contraires. Condamne in solidum les sociétés Liberty Retail Limited et Liberty Fabric Limited aux dépens d'appel, à l'exception de ceux relatifs à l'intervention volontaire de la SCP Lachkar-Gouguet-Thomazon qui resteront à la charge de cette dernière, et qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.