CA Saint-Denis de la Reunion, ch. com., 19 août 2013, n° 11-01840

La société Oregon Trading Ltd a pour objet l'importation et la distribution de produits de laboratoires et d'équipements médicaux à l'île Maurice ; elle commercialise les produits Bio Mérieux depuis 1991 en passant ses commandes auprès de la société Biotop, distributeur agréé des produits Bio Mérieux dont le siège social est la Réunion.

La société Oregon Trading Ltd fait grief à la société Biotop de commercialiser depuis 2009 les produits Bio Mérieux sur l'île Maurice.

Par acte d'huissier du 5 juillet 2010, la société Oregon Trading Ltd a fait assigner la société Biotop en paiement de la somme de 149 940,175 euros en réparation du préjudice subi du fait de la rupture de leurs relations commerciales.

Suivant déclaration enregistrée au greffe de la cour le 21 septembre 2011, la société Oregon Trading Ltd a interjeté appel d'un jugement rendu le 12 septembre 2011 par le Tribunal mixte de commerce de Saint-Denis qui a :

- rejeté les demandes présentées par la société Oregon Trading Ltd ;

- condamné la société Oregon Trading Ltd à payer à la société Biotop la somme de 1 200 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- ordonné l'exécution provisoire du jugement.

- condamné la société Oregon Trading Ltd aux dépens.

La partie intimée a constitué avocat et les parties ont échangé leurs conclusions ; l'ordonnance de clôture est intervenue le 20 août 2012.

Vu les dernières conclusions déposées au greffe de la cour le 15 juin 2012 par la société Oregon Trading Ltd qui demande à la cour de :

- annuler le jugement déféré pour violation du principe du contradictoire ;

- infirmer le jugement déféré et dire que la société Biotop a rompu brutalement et sans préavis des relations commerciales suivies ; qu'elle engage sa responsabilité et doit réparer le préjudice en résultant ;

- condamner la société Biotop à lui payer :

* 145 940,175 euros à titre de dommages-intérêts ;

* 5 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Vu les dernières conclusions déposées au greffe de la Cour le 15 juin 2012 par la société Biotop qui demande à la cour de :

- juger la société Oregon Trading irrecevable en son appel ;

- confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

- condamner la société Oregon Trading à lui payer la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION

1 - Sur l'irrecevabilité des conclusions d'appel.

La société Biotop soulève l'irrecevabilité des conclusions d'appel en faisant valoir d'abord que "les précisions requises par les articles 960 et 961 du Code de procédure civile" n'y figurent pas et ensuite que les pièces n'ont pas été communiquées en même temps que la notification des conclusions.

En n'indiquant pas les mentions requises par les articles 960 et 961 du Code de procédure civile qui font défaut, la société Biotop prive son moyen de toute consistance.

Par ailleurs, la société Oregon Trading produit le bordereau de communication de ses pièces signé par le conseil de la société Biotop. L'absence de simultanéité de notification des conclusions et des pièces n'est pas sanctionnée par l'irrecevabilité des conclusions.

L'exception d'irrecevabilité des conclusions de la société Oregon Trading doit être écartée.

2 - Sur la demande de radiation.

La demande de radiation pour inexécution d'une décision assortie de l'exécution provisoire doit être présentée devant le conseiller de la mise en état ; elle est irrecevable devant la cour.

3 - Sur la nullité du jugement pour violation du principe du contradictoire.

La demande de dommages-intérêts de la société Oregon Trading fondée sur la rupture abusive d'une relation commerciale établie entre la société Biotop et elle-même.

Il appartenait donc bien au premier juge d'analyser les faits qui lui étaient soumis pour apprécier l'existence de la relation invoquée. Il n'est fait état dans cette appréciation d'aucun élément qui n'ait été soumis au préalable à la contradiction des parties.

La demande de nullité du jugement sera donc rejetée.

4 - Sur la rupture des relations commerciales entre la société Oregon Trading et la société Biotop.

Aux termes de l'article L. 442-6 du Code de commerce, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale du préavis déterminée en référence aux usages du commerce.

La société Oregon Trading produit un ensemble de pièces établissant que celle-ci commercialisait depuis le mois de décembre 1997 à l'île Maurice les produits de laboratoire et d'équipements médicaux Bio Mérieux qui lui étaient fournis par la société Biotop.

Diverses factures établies par Biotop au nom d'Oregon Trading entre décembre 1997 et mai 2011 démontrent l'existence d'un courant d'affaires continu entre les deux sociétés pendant cette période. Biotop ne saurait sérieusement soutenir qu'Oregon Trading n'était qu'une cliente ordinaire : la nombreuse correspondance échangée entre les parties prouve que non seulement elle savait que les produits qu'elle livrait, étaient destinés à la revente, mais que de plus elle assistait Oregon Trading dans le service après-vente.

Les bases de leur collaboration commerciale ont d'ailleurs été précisées par Biotop elle-même dans une lettre adressée le 27 avril 2000 à Oregon Trading. Pour augmenter ses ventes à l'île Maurice, Biotop préconisait ainsi l'embauche par Oregon d'un technico-commercial qui aurait pour mission de promouvoir l'intégralité des produits Biotop, mettre en place une stratégie commerciale et assurer la maintenance préventive des appareils Bio Mérieux.

Or, il ressort de courriels échangés entre Biotop et Oregon Trading qu'au mois de mai 2009, Biotop va rompre cette relation commerciale en refusant de livrer les produits commandés par Oregon Trading. C'est ainsi qu'à une relance de cette dernière concernant une demande de cotation, la salariée référente de Biotop répondait "je ne suis pas en mesure de donner suite (...) désolée".

Cette rupture était confirmée par une lettre du fournisseur Bio Mérieux à Lyon qui déclarait alors dans une lettre adressée le 15 mai 2009 à Oregon Trading que Biotop avait décidé de créer une structure à l'île Maurice et qu'elle n'avait plus besoin du support d'Oregon Trading à l'île Maurice.

La rupture par Biotop sans préavis de la relation commerciale qu'elle entretenait avec Oregon Trading est abusive et engage sa responsabilité.

Sur le préjudice subi par la société Oregon Trading.

Compte tenu de la durée de la relation commerciale rompue (13 ans), la durée du préavis peut être fixée à 18 mois.

La moyenne du chiffre d'affaires réalisé sur les 3 dernières années avant la rupture s'élève à 2 366 524 roupies soit 57 960,42 euros.

Le bilan comptable produit par Oregon Trading révèle que le pourcentage de bénéfice brut (prix d'achat moins prix de vente) peut être évalué à 1/5 du prix d'achat.

Le bénéfice brut annuel perdu peut donc être évalué à 11 592,08 euros et le préjudice subi par la société Oregon Trading du fait de la rupture abusive de la relation commerciale avec la société Biotop sera fixé à 17 388,12 euros. Il convient donc de condamner la société Biotop à payer à la société Oregon Trading la somme de 17 388,12 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive d'une relation commerciale établie.

La demande de dommages-intérêts pour préjudice moral, qui n'est pas prouvé, sera rejetée.

La société Biotop qui succombe, sera condamnée aux dépens. Elle devra en outre payer à la société Oregon Trading la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

DECISION

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort : Rejette les exceptions d'irrecevabilité et de nullité soulevées par la société Biotop. Infirme le jugement déféré et statuant à nouveau : Condamne la société Biotop à payer à la société Oregon Trading la somme de 17 388,12 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive d'une relation commerciale établie ; Condamne la société Biotop à payer à la société Oregon Trading la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société Biotop aux dépens.